L’Alberta est-elle le prochain Texas? – Les leçons tirées de la crise énergétique du Texas

APERÇU

À bien des égards, l’Alberta fait l’envie du monde en termes de fiabilité et de qualité du service d’électricité, mais les hypothèses qui sous-tendent la prestation de ce service ont été fondamentalement ébranlées pendant quatre jours glacials au Texas en février 2021.

Bien que ce choc ait été ressenti dans toute l’Amérique du Nord, les leçons à tirer du Texas sont particulièrement pertinentes pour l’Alberta en raison de la similitude des cadres du marché déréglementé de l’électricité. Le Texas et l’Alberta sont les seuls territoires de compétence en Amérique du Nord à utiliser une conception de marché uniquement d’énergie. Compte tenu de ces similitudes uniques, la question évidente est la suivante : « Que s’est-il passé au Texas et cela pourrait-il se produire en Alberta? »

La section canadienne de l’Energy Bar Association a récemment invité quatre conférenciers de renom à donner un aperçu de la crise. Pat Wood III et Joe Kelliher, anciens présidents de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC), ont parlé des circonstances au Texas, tandis que Neil McCrank, ancien président de l’Alberta Energy and Utilities Board (AEUB), et Dale McMaster, ancien président de l’Alberta Electric System Operator (AESO), se sont joints au panel pour discuter des implications en Alberta. Le programme complet est présenté dans « Le Panel ». Une vidéo du débat est disponible, en anglais seulement, sur lawlectures.com.

Les quatre conférenciers ont fait partie intégrante de la transition, tant au Texas qu’en Alberta, au cours des deux dernières décennies, des secteurs du gaz et de l’électricité fortement réglementés à l’approche restructurée d’aujourd’hui où la concurrence et les marchés fonctionnent de concert avec une approche réglementaire moderne.

LA CRISE ÉNERGÉTIQUE DU TEXAS

Le vortex polaire historique qui s’est abattu sur le sud des États-Unis en février a coûté cher au Texas — près de 200 vies perdues et des dommages matériels de plus de 200 milliards de dollars. Les températures inférieures à zéro ont provoqué deux événements qui n’avaient pas été appréhendés par les autorités réglementaires de l’État :

  1. Défaillance des centrales thermiques en raison du manque d’aménagement pour l’hiver et de l’approvisionnement limité en combustible.
  2. Hausse sans précédent de la demande d’électricité.

L’aménagement inadéquat pour l’hiver a provoqué le gel des instruments d’approvisionnement et de contrôle du gaz et, dans un réseau avec une pointe hivernale de 66 gigawatts (GW), environ 30 GW étaient indisponibles. Dans sa planification du pire cas, basée sur le blizzard du « Jour de la marmotte » de 2011, l’Electric Reliability Control Council of Texas (ERCOT), le planificateur et opérateur du réseau, avait appréhendé une perte de 14 GW de centrales thermiques.

Alors que les ressources éoliennes ont été initialement accusées d’être à l’origine de la crise, en fait, même si elles ont connu quelques pannes liées à la tempête, l’ERCOT avait appréhendé ces pannes dans sa planification et les ressources éoliennes se sont comportées comme prévu.

La production de gaz naturel du Texas a chuté de 45 %, passant de 21,3 milliards de pieds cubes par jour (Gpi3/j) la semaine précédant la crise à un minimum de 11,8 Gpi3/j pendant la crise. L’approvisionnement en gaz a été affecté par le gel, mais la plus grande perturbation de l’approvisionnement a été causée par la coupure de l’alimentation électrique des puits, des usines de traitement et des stations de compression.

Au moment même où l’offre d’électricité était défaillante, la demande d’électricité a bondi car les Texans ont augmenté leurs thermostats. Une grande partie des Texans utilisent un chauffage électrique à faible efficacité de résistance dans des maisons mal isolées et la poussée de la demande causée par les conditions glaciales a augmenté la demande de 20 GW, soit environ un tiers du pic hivernal. Encore une fois, cette poussée de la demande n’a pas été appréhendée dans le scénario de planification d’hiver extrême de l’État, car la planification était basée sur la tempête de 2011.

La forte baisse de l’offre conjuguée à l’augmentation de la demande rendait impossible l’équilibrage du réseau sans interruptions contrôlées. L’ERCOT a demandé des interruptions contrôlées pour environ 20 % du réseau. Ces mesures ont permis d’éviter une panne plus catastrophique à l’échelle de l’État.

Pendant les quatre jours de la crise, le déficit entre l’offre et la demande a atteint en moyenne 10 GW. Le déficit était si important que les entreprises de distribution n’ont pas pu faire alterner les pannes en raison de systèmes de contrôle inadéquats. L’incapacité à faire alterner les pannes a été dévastatrice car elle a laissé deux tiers des Texans sans électricité et sans eau pendant jusqu’à 70 heures.

QU’EST-CE QUI A PROVOQUÉ LA CRISE?

Bien que d’autres facteurs aient été désignés comme ayant contribué à la crise, notamment les pannes planifiées, le manque de capacité d’interconnexion à d’autres réseaux, et le marché uniquement d’énergie/manque de mécanisme de capacité, ces facteurs ont joué un rôle mineur, voire nul.

Le point essentiel est que les réseaux de gaz et d’électricité du Texas sont profondément intégrés et que, bien que toutes les unités aient été mises hors service (éoliennes, gaz, charbon, nucléaire), la perte la plus importante a été enregistrée au niveau de la production de gaz naturel. À mesure que davantage d’énergies renouvelables seront ajoutées au réseau à l’avenir, la dépendance au gaz naturel lors des pénuries augmentera.

PROCHAINES ÉTAPES

Le Texas devra changer la façon dont il planifie en cas d’événements météorologiques extrêmes. La pratique actuelle de planification basée sur le pire cas historique peut s’avérer insuffisante en raison de l’imprévisibilité des événements météorologiques extrêmes qui provoquent une défaillance systémique en plusieurs points. Une meilleure coordination entre les organismes de réglementation responsables peut également être nécessaire. L’intégration des responsabilités de planification et d’application entre la Public Utility Commission of Texas (PUCT), l’ERCOT et la Texas Railroad Commission permettra de garantir l’aménagement pour l’hiver des infrastructures et de désigner les infrastructures gazières critiques qui ne seraient pas soumises au délestage.

Une meilleure coordination permettrait de résoudre le problème des équipements de production et de traitement de gaz qui utilisent de l’électricité qui est coupée pendant les pannes tournantes, ce qui coupe ensuite l’approvisionnement en gaz et entraîne des pannes de générateur.

Sur le plan opérationnel, le système de gestion des pannes doit être revu pour permettre la rotation des délestages contrôlés.

Enfin, une meilleure communication avec le public aurait probablement conduit à une augmentation moins importante de la demande et à moins de pertes de vie si le public avait été informé des procédures d’urgence. Par exemple, les citoyens utilisaient des générateurs ou des voitures dans les garages pour rester au chaud.

LEÇONS POUR L’ALBERTA

La principale leçon pour l’Alberta est qu’un marché qui fonctionne dans des conditions normales ne remplace pas la préparation aux situations d’urgence et une planification rigoureuse du réseau. Les similitudes entre les marchés du Texas et de l’Alberta sont frappantes. Dans les deux marchés, l’électricité alimentée au gaz naturel a satisfait environ la moitié de la demande totale des consommateurs. Le gaz est la ressource dominante et il en sera ainsi pendant de nombreuses années. Une combinaison de retraits du charbon et de conversions du charbon au gaz augmentera encore la dépendance de l’Alberta à la production de gaz d’ici 2023. Contrairement au Texas cependant, le gaz naturel, et non l’électricité, est la principale source de chauffage du parc immobilier. Néanmoins, l’intégration profonde du gaz et de l’électricité augmente le risque que les pannes d’approvisionnement en gaz aient de graves répercussions sur les producteurs d’électricité de l’Alberta.

Bien que, de par leur conception, les marchés de l’énergie omettent le rôle de planification centrale, la crise du Texas a souligné la nécessité d’une planification proactive et prospective et d’une préparation aux situations d’urgence en Alberta, en particulier pour faire face aux événements météorologiques extrêmes.

CONCLUSION

La crise du Texas a mis en évidence l’importance cruciale de la communication en cas de crise afin que les Albertains soient préparés lorsque l’électricité, le gaz et l’eau peuvent ne pas être disponibles pendant une période prolongée. La surveillance réglementaire en Alberta est tout aussi fracturée et une plus grande clarté dans les rôles et les responsabilités a été recommandée pour faire face à l’interdépendance croissante des marchés.

Le réseau de gaz naturel de l’Alberta est préparé pour l’hiver, mais il n’est pas nécessairement protégé contre les intempéries. Les installations sont conçues pour les températures froides. Par exemple, de l’alcool peut être injecté dans les puits de gaz pour atténuer les effets du gel, et les compresseurs sont situés à l’intérieur. Il est moins évident de savoir si la planification du réseau en Alberta tient compte de la chaleur extrême ou du risque de feu de forêt. Quelle que soit la cause, la gestion de pannes multiples dans les réseaux de gaz et d’électricité est essentielle, car les changements climatiques et les événements météorologiques extrêmes et imprévisibles menacent plus que jamais les infrastructures.

La crise de l’électricité au Texas est un signal d’alarme pour tous les territoires de compétence, pas seulement pour l’Alberta. La séance a permis de tirer des leçons précieuses dans l’espoir que la crise énergétique du Texas ne se répète pas — nulle part.

LE PANEL

L’ALBERTA EST-ELLE LE PROCHAIN TEXAS?

ENERGY BAR ASSOCIATION, SECTION CANADIENNE

22 juin 2021 (HAE)

Le vortex polaire au Texas a envoyé des ondes de choc dans le réseau d’électricité qui se font sentir en Alberta et dans toute l’Amérique du Nord. Les leçons à tirer du Texas sont particulièrement pertinentes pour l’Alberta, car le cadre de notre marché de l’électricité déréglementé s’appelle un marché uniquement d’énergie et l’Alberta et le Texas sont les deux seuls territoires de compétence en Amérique du Nord à avoir structuré leur secteur de l’électricité de cette façon. Étant donné les similitudes dans la conception du marché, les questions évidentes sont les suivantes : que s’est-il passé au Texas? Est-ce que cela peut se produire en Alberta? Comment le Texas peut-il y remédier? Quelles sont les leçons à tirer pour l’Alberta?

11 h 30 – 11 h 35 Introduction
Gordon Kaiser, arbitre et avocat, Energy Arbitration LLP
Président, Energy Bar Association, section canadienne

 

Modérateur

Bob Heggie, directeur général, Alberta Utilities Commission

11 h 35 – 12 h 05 Que s’est-il passé au Texas?
Pat Wood, III, ancien président, Federal Energy Regulatory Commission
Joseph T. Kelliher, ancien président, Federal Energy Regulatory Commission
12 h 05 – 12 h 35 Est-ce que cela peut se produire en Alberta?
Neil McCrank, c.r., ancien président, Alberta Energy and Utilities Board
Dale McMaster, ancien président-directeur général, Alberta Electric system Operator
12 h 35 – 12 h 45 Pause santé
12 h 45 – 13 h 20 Comment le Texas peut-il y remédier?
Pat Wood, III, ancien président, Federal Energy Regulatory Commission
Joseph T. Kelliher, ancien président, Federal Energy Regulatory Commission
13 h 20 – 13 h 50 Quelles sont les leçons à tirer pour l’Alberta?
Neil McCrank, c.r., ancien président, Alberta Energy and Utilities Board
Dale McMaster, ancien président-directeur général, Alberta Electric System Operator
13 h 50 – 14 h 00 Mot de la fin
Mary Anne Aldred, Ancienne directrice de l’exploitation et avocate générale, Commission de l’énergie de l’Ontario

 

Un enregistrement du webinaire peut être consulté ici : https://regulationlectures.com/2022/05/13/1-erq-the-video/

 

Bob Heggie

Bob Heggie a été nommé directeur général de l’Alberta Utilities Commission en janvier 2008. Dans son rôle actuel, Bob est chargé de diriger la mise en œuvre de la stratégie organisationnelle globale et des opérations quotidiennes pour assurer la réalisation des objectifs organisationnels de la Commission.

Il est le co-président de l’Energy Law Forum, du cours de l’Association canadienne des membres des tribunaux d’utilité publique (CAMPUT) sur la réglementation de l’énergie et de l’Energy Regulatory Forum. Il est un auteur collaborateur de Canadian Energy Law and Policy.

Neil McCrank c.r.

Neil a récemment pris sa retraite du poste d’avocat principal chez Borden Ladner Gervais (bureau de Calgary). Avant sa retraite, la pratique de Neil était principalement axée sur le pétrole et le gaz, l’énergie et les litiges. Grâce à sa connaissance approfondie du régime réglementaire de l’Alberta, il a fourni des conseils stratégiques sur les grands projets énergétiques provinciaux, notamment le développement du Nord et les sables bitumineux ainsi que la production et le transport d’électricité.

Neil a été vice-ministre de la Justice de l’Alberta de 1989 à 1998 avant de présider l’Alberta Energy and Utilities Board de 1998 à 2007. Depuis lors, il a servi les gouvernements provincial et fédéral dans différentes capacités consultatives.

Dale McMaster

Dale McMaster a rejoint le conseil d’administration de Versant Power en juillet 2020. Dale a plus de 40 ans d’expérience dans l’exploitation de réseaux, l’entretien du transport, la planification de la production et le marché, travaillant tant au Canada qu’à l’échelle internationale.

Dale était auparavant vice-président directeur, Approvisionnement et distribution d’électricité et directeur de l’exploitation pour ENMAX Corporation. Au cours de son passage chez ENMAX, Dale était responsable de la direction stratégique et de la supervision des activités réglementées de transport et de distribution (fils) d’ENMAX, de la production d’électricité et des marchés de gros, des services de marché réglementés, de la sûreté et de l’environnement et de la sécurité.

Avant son passage chez ENMAX, il a été président-directeur général de l’Alberta Electric System Operator, président de l’administrateur du réseau de transport de l’Alberta et chef des opérations du Power Pool de l’Alberta. Dale a également acquis une précieuse expérience des services publics lors de son passage à SaskPower et lorsqu’il était consultant pour SNC et Acres International. Dale a obtenu un baccalauréat en génie (génie électrique) de l’Université de la Saskatchewan.

Joseph T. Kelliher

Joe Kelliher est l’ancien vice-président directeur des affaires réglementaires fédérales de NextEra Energy Inc. En tant que vice-président directeur, Kelliher était responsable de la gestion des questions réglementaires pour les deux principales filiales de NextEra, NextEra Energy Resources et Florida Power & Light Co. devant les agences fédérales.

De 2005 à 2009, il a été président de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC), où il a géré 1 400 employés et un budget annuel de 260 millions de dollars. Parmi les faits marquants de sa présidence, citons la mise en œuvre efficace de l’Energy Policy Act de 2005, la plus grande expansion du pouvoir réglementaire de la FERC depuis les années 1930.

Kelliher a travaillé sur des questions de politique énergétique à différents titres pour le gouvernement fédéral et le secteur privé. Il est titulaire d’un baccalauréat de la School of Foreign Service de l’Université de Georgetown et d’un J.D. de l’American University Washington College of Law.

Pat Wood, III

Pat Wood est l’ancien président de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) et de la Public Utility Commission of Texas (PUCT).

Pat est actuellement directeur général de Hunt Energy Network, qui développe des réseaux électriques qui s’intègrent aux marchés de l’électricité concurrentiels. Pat est également directeur de SunPower Corporation et de l’entreprise de construction Quanta Services. Il a récemment été nommé au conseil d’administration de Luma Energy, chargé de superviser la coentreprise Quanta-ATCO pour l’exploitation du réseau de services publics de Porto Rico.

Pendant ses quatre années à la tête de la FERC, sous la présidence de George W. Bush, M. Wood a dirigé les interventions dans le cadre de la crise énergétique californienne de 2000–2001, de la faillite d’Enron, et de la panne d’électricité nord-américaine de 2003. À la fin de son mandat, plus des deux tiers de l’économie du pays étaient desservis par les marchés de gros de l’électricité fiables et organisés dont la FERC s’est fait le champion. Pat est titulaire d’un baccalauréat (génie civil) de la Texas A&M University et d’un J.D. de la Harvard Law School.

Mary Anne Aldred

Mary Anne Aldred est l’ancienne directrice de l’exploitation et avocate générale de la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO). Avant de prendre sa retraite en avril 2021, Mary Anne Aldred était directrice de l’exploitation et avocate générale de la Commission de l’énergie de l’Ontario.

Mary Anne est une avocate chevronnée avec plus de 25 ans d’expérience dans le secteur de l’énergie. Elle était chargée de diriger tous les aspects des opérations de l’organisme et de fournir des conseils juridiques, des conseils en matière de politique, un leadership et des conseils sur les relations gouvernementales, le droit administratif et les litiges civils. Mary Anne s’est jointe à la CEO en tant qu’avocate générale en 2006, et en 2015 elle a été nommée vice-présidente de la politique stratégique et a assumé les responsabilités supplémentaires d’élaboration de la politique stratégique et de supervision de la mise en place du bureau du registraire.

Avant de se joindre à la CEO, Mary Anne a été avocate et conseillère en affaires réglementaires pendant plus de 12 ans chez Hydro One et l’ancienne Ontario Hydro, où elle a occupé les postes d’avocate générale adjointe, de conseillère juridique principale et de directrice de la réglementation du transport. Mary Anne a obtenu son diplôme de droit à l’Université de Western Ontario et a été admise au Barreau de l’Ontario en 1986.

* Bob Heggie est le directeur général de l’Alberta Utilities Commission. Il est également co-président de l’Energy Law Forum et vice-président de la section canadienne de l’Energy Bar Association.

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