Conseils de l’Office national de l’énergie au ministre des Ressources naturelles sur l’optimisation des capacités pipelinière et ferroviaire pour le transport de pétrole hors de l’Ouest canadien

Aucune des installations supplémentaires qui sont proposées pour combler le manque actuel de capacités pipelinière et ferroviaire pour transporter le pétrole hors de l’Ouest canadien ‒ agrandissements de pipelines (canalisation 3 d’Enbridge, TMX), nouveau pipeline (Keystone XL) et wagons citernes supplémentaires ‒ ne sera disponible à court terme. L’optimisation de l’utilisation des capacités existantes est donc devenue d’autant plus critique.

Le 30 novembre 2018, le ministre des Ressources naturelles a agi en vertu de la Partie II de la Loi sur l’Office national de l’énergie1(FONCTIONS CONSULTATIVES), qui est peu utilisée, pour demander l’avis de l’Office sur trois questions :

  1. Le processus actuel de nomination mensuelle pour accéder à la capacité disponible des oléoducs fonctionne-t-il adéquatement, conformément aux dispositions de la Loi sur l’Office national de l’énergie (ONÉ) concernant les « transporteurs publics » et l’utilisation efficace de l’infrastructure pipelinière (par exemple, en vendant aux petits producteurs la capacité non contractuelle d’exportation)?
  2. Y a-t-il d’autres obstacles à l’optimisation de la capacité pipelinière que l’Office national de l’énergie, les gouvernements ou les sociétés pipelinières pourraient éliminer à court et à long terme?
  3. Existe-t-il des mesures à court terme pour maximiser davantage la capacité ferroviaire dont les gouvernements pourraient se servir pour atténuer la situation actuelle?2

L’Office a donné son avis dans un rapport publié en mars 2019 sous le titre Optimisation des capacités pipelinière et ferroviaire pour le transport de pétrole hors de l’Ouest canadien.3

Le contexte de la question 1 se trouve au paragraphe 71(1) de la Loi sur l’ONÉ, qui prévoit que les sociétés pipelinières doivent agir comme transporteurs publics. L’obligation générale est toutefois assujettie aux « exemptions, conditions ou règlements que l’Office peut prescrire… » En fait, plusieurs des principaux pipelines à partir de l’Alberta sont exploités en vertu d’une capacité contractuelle approuvée par l’Office, la capacité non engagée disponible pour satisfaire aux obligations des transporteurs publics étant limitée.4

L’exception notable est de loin le plus gros oléoduc, le réseau principal d’Enbridge, qui n’a pas de capacité contractuelle, de sorte que la disponibilité de toute sa capacité doit satisfaire à l’exigence générale du paragraphe 71(1). Pour ce faire, Enbridge5 répartit la capacité. La répartition est effectuée conformément aux règles énoncées dans le tarif du gazoduc et donne prétendument lieu à des occasions de « déjouer le système » en désignant et en se voyant attribuer des capacités qui peuvent ne pas être réellement utilisées par l’expéditeur, ce qui donne ce qu’on appelle souvent des « barils d’air ». Le procédé offre également des avantages aux principaux acteurs disposant d’une infrastructure en amont et en aval qui fournit des capacités d’approvisionnement et d’enlèvement.

Dans ce contexte, l’Office, en réponse à la question 1, a indiqué que les pipelines transportant du pétrole brut hors de l’Ouest canadien fonctionnent actuellement à pleine capacité. Au dernier trimestre de 2018, le taux d’utilisation moyen des principaux pipelines d’exportation était de 98 %. Toute augmentation notable du débit devrait provenir de nouveaux ajouts de capacité.

L’Office a noté que les producteurs et expéditeurs intégrés qui possèdent ou ont contracté une capacité de stockage et de raffinage de pétrole brut sont davantage en mesure d’acquérir des capacités pipelinières.6 La souplesse supplémentaire dont ces parties disposaient pour avoir accès à la capacité pipelinière était le résultat d’investissements antérieurs et, en outre, concernait des installations qui ne relevaient pas de la compétence de l’ONÉ. L’Office a ajouté que les changements « auraient des effets importants sur les marchés et les intervenants […] mais n’augmenteraient pas davantage l’utilisation ».7

L’Office a conclu que les procédures de nomination mensuelles existantes ne semblent pas affecter l’efficacité opérationnelle et ne soulèvent pas de problèmes de conformité. Toutefois, il a ajouté qu’il est possible d’améliorer les procédures de vérification existantes, tout en notant que la conception et l’établissement d’un nouveau cadre de vérification intégré vont au-delà de la surveillance exercée par l’Office sur les pipelines règlementés par le fédéral. Sans une vaste consultation auprès de l’industrie, des gouvernements et des organismes de règlementation, « il existe un risque important de conséquences imprévues… »Une première étape pourrait être la tenue d’une conférence intergouvernementale, à laquelle l’Office participerait.9

L’observation évidente (bien que l’Office se soit abstenu de le faire) est qu’avec l’augmentation de la capacité des oléoducs, les questions relatives aux nominations et à la vérification disparaîtraient en grande partie. De plus, une capacité supplémentaire donnerait plus de poids aux producteurs de pétrole brut non intégrés de l’Alberta et à d’autres expéditeurs, y compris le gouvernement de l’Alberta.

En réponse à la question 2, l’Office a cerné des solutions possibles pour optimiser davantage la capacité, comme la construction d’usines de valorisation partielle qui réduiraient la quantité de diluant nécessaire pour transporter le bitume. Il en résulterait une libération d’une partie de la capacité actuellement utilisée pour l’importation de diluant; cette capacité pourrait alors être inversée et utilisée pour l’expédition du bitume. De telles solutions nécessiteraient cependant « des changements structurels sur le marché, des investissements importants et un long horizon temporel » 10. De plus, les investisseurs privés peuvent être « réticents à faire des investissements importants dans des projets qui pourraient devenir non rentables si de nouvelles capacités pipelinières sont ajoutées ».11

En réponse à la question 3, l’Office, en plus de noter le coût supplémentaire du transport du pétrole par rail, a signalé que le calendrier et l’approbation d’une capacité pipelinière supplémentaire entravent les investissements privés dans la capacité ferroviaire. Bien que les gouvernements puissent avoir un rôle à jouer, « toute action politique peut avoir des conséquences imprévues étant donné la complexité du système ».12

La conclusion générale de l’ONÉ, à savoir que la solution aux problèmes actuels de capacité des oléoducs au Canada réside dans l’ajout de nouvelles capacités, n’est évidemment pas surprenante. Deux observations de l’Office sont toutefois intéressantes. Tout d’abord, il a noté que certains avantages structurels dont bénéficient certains acteurs du marché sont le résultat d’investissements faits antérieurement par ces acteurs. Cela signifie que ces participants ne devraient pas être pénalisés. Deuxièmement, en ce qui concerne la possibilité d’une action gouvernementale, l’Office met en garde contre le fait que « tous les résultats ne sont pas prévisibles »13 et que « toute action politique a le potentiel de créer des conséquences imprévues étant donné la complexité du système »14. Ces deux observations font peut-être en sorte qu’il est peu probable qu’un changement de politique ou de règlementation découle du rapport de l’Office.

Toutefois, d’autres facteurs sont susceptibles d’entraîner des changements importants sur le marché canadien de la capacité des oléoducs au cours des deux ou trois prochaines années, comme l’achèvement d’une partie ou de la totalité des projets de la canalisation 3 d’Enbridge, TMX ou Keystone XL. De plus, Enbridge, qui, comme nous l’avons mentionné, n’offre actuellement pas de capacité contractuelle et exploite la totalité de son réseau en tant que transporteur public, étudie avec ses expéditeurs la possibilité d’offrir une capacité contractuelle sur son réseau principal, qui sera mise en œuvre à l’expiration de son entente actuelle avec les expéditeurs, en 2021.

Enfin, on a parfois fait remarquer que la Partie II de la Loi sur l’ONÉ15 (FONCTIONS CONSULTATIVES) est quelque peu inhabituelle en ce qu’elle autorise le ministre à demander conseil à l’Office indépendamment de ses responsabilités règlementaires quasi judiciaires. Historiquement, cela s’explique par le fait qu’au moment de la création de l’Office en 1959, aucun autre ministère ou organisme fédéral n’avait vraiment de responsabilités explicites en matière d’énergie. Apparemment, on pensait que le nouveau conseil d’administration deviendrait le siège des connaissances et de l’expertise du gouvernement dans ce domaine. Il est intéressant de noter que même s’il existe maintenant d’autres institutions gouvernementales ayant des mandats connexes – Ressources naturelles Canada (en tant que successeur d’Énergie, Mines et Ressources Canada) et Statistique Canada, par exemple – la Partie II de la Loi sur l’ONÉ16 devrait être reportée en vertu du projet de loi C-6917, qui remplacerait l’Office national de l’énergie par un organisme canadien de règlementation énergétique.

* Je tiens à remercier Dennis McConaghy pour ses commentaires utiles. La responsabilité du contenu, cependant, m’incombe entièrement.

  1.  Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, c. N-7.
  2.  Canada, Office national de l’énergie, Optimisation des capacités pipelinière et ferroviaire pour le transport de pétrole hors de l’Ouest canadien, conseils au ministre des Ressources naturelles par l’ONÉ, 28 mars 2019 aux pp 2-3, en ligne : < http://www.neb-one.gc.ca/nrg/sttstc/crdlndptrlmprdct/rprt/2019ptmzngcpct/2019ptmzngcpct-fra.pdf >, [rapport de l’ONÉ de mars]. En décembre 2018, l’Office a publié un rapport de base ayant pour titre Approvisionnement de pétrole brut dans l’Ouest canadien, marchés et capacité pipelinière, 28 mars 2019, en ligne : < http://www.neb-one.gc.ca/nrg/sttstc/crdlndptrlmprdct/rprt/2018wstrncndncrd/2018wstrncndncrd-fra.pdf >, [rapport de l’ONÉ de décembre].
  3.  Ibid, rapport de l’ONÉ de mars.
  4.  Ibid, rapport de l’ONÉ de décembre, à la p 17.
  5.  Ibid à la p 17. Et les autres gazoducs dont la capacité n’a pas fait l’objet d’un contrat. Dans le rapport de décembre de l’ONÉ, la capacité disponible pour le transport non contractuel est estimée comme suit : Trans Mountain, 82 %; Keystone, 6 %; Express, 10 %.
  6.  Ibid, rapport de l’ONÉ de mars, à la p 13.
  7.  Ibid à la p 1.
  8.  Ibid à la p 14.
  9.  Ibid à la p 15.
  10.  Ibid à la p 2.
  11.  Ibid.
  12.  Ibid.
  13.  Ibid à la p 21.
  14.  Ibid à la p 2.
  15.  Supra note 1.
  16.  Ibid.
  17.  PL C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, 1e sess, 42e lég, 2015.

Laisser un commentaire