L’exploitation du gaz naturel et du pétrole au moyen du forage horizontal et de l’hydrofracturation (« fraccing » ou « fracking », selon ce que l’on en pense) est l’un des événements les plus révolutionnaires et controversés des cent dernières années de l’histoire de l’énergie en Amérique du Nord. L’utilisation de ces techniques pour extraire d’énormes quantités d’énergie du schiste quasi imperméable se trouvant à des milliers de pieds sous terre, a donné lieu à une croissance sans précédent des ressources énergétiques de haute qualité à faible coût et pourrait permettre aux États-Unis de gagner leur indépendance énergétique, alors qu’une opposition très bruyante dans bon nombre de communautés soulève des questions quant aux répercussions environnementales de cette exploitation. Russell Gold s’est jeté au milieu de cette mêlée, rédigeant d’une façon remarquablement divertissante et détaillée et, en majeure partie, exacte le récit des débuts et de l’évolution de ces techniques d’exploitation du schiste et des personnages fascinants qui en ont été les acteurs, sans oublier les avantages et les risques qu’elles comportent. Dans le style de Yergin (The Prize [Les hommes du pétrole] ou The Quest), Gold donne vie à la prise de risque, à la créativité, aux doutes profonds et aux remises en question suivies par l’euphorie pure de l’équivalent gazier d’un puits jaillissant, s’étendant sur six décennies.
J’ai relevé nombre de révélations historiques surprenantes dans le livre. Afin de vous en garder la surprise, ma critique ne sera pas divulgatrice. Toutefois, j’aimerais souligner quelques points dont j’ai pris connaissance et qui m’ont étonné :
- À quel point la situation financière de George Mitchell était-elle désespérée lorsque le chantier Barnett a finalement été ouvert?
- Qui a vraiment inventé l’hydrofracturation à l’eau visqueuse, et pourquoi cela a-t-il fonctionné?
- Qui l’a combiné au forage horizontal?
- Lorsque des fracturations nucléaires ont été mises à l’essai au cours d’expériences financées par le gouvernement, comment celles-ci se comparaient-elles avec la bombe de Hiroshima?
- Quel surprenant fluide de surplus de guerre a été utilisé pour les premières fracturations (et croyez-vous que cela serait accepté de nos jours?)
Je me dois de répondre à la dernière question, puisqu’elle m’a fait sursauter. Comme l’explique Gold, immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale, les complétions de puits étaient réalisées par fracturation au napalm. Vous souvenez-vous de Robert Duvall dans Apocalypse Now, qui se pâmait à la senteur du napalm le matin? Il est difficile d’imaginer que cela passerait bien avec les militants pour l’environnement d’aujourd’hui.
Les grands noms de l’exploitation du schiste sont assez bien connus : George Mitchell, Aubrey McClendon, Larry Nichols; et il en va de même de ses opposants comme Michael Brune du Sierra Club. Mais Gold raconte l’histoire d’autres acteurs clés, un peu moins connus mais tout aussi importants : Nick Steinsberger, Brad Foster et Claude Cooke, entre autres.
Gold adopte souvent un ton quelque peu biaisé, faisant planer une sorte de nuage de pessimisme au sujet de l’exploitation alors qu’il raconte avoir aidé ses parents à décider s’ils devaient louer leur propriété pour le forage. Il semble également un brin condescendant lorsqu’il parle de la vie et de la carrière de personnes qui ont pris d’énormes risques et qui ont été à l’origine d’importantes percées en matière d’énergie. Du fait qu’il a été reporter au Wall Street Journal pendant de longues années, il pourrait ne s’agir que du ton prédominant du scepticisme propre au travail d’enquête. Par contre, tout au long du livre, il reconnaît ce que le boom du gaz naturel a apporté à la nation, qu’il avait probablement permis d’éviter que la récession de 2008 ne devienne une dépression, qu’il (combiné à l’exploitation pétrolière) nous permettra sans doute d’assurer notre indépendance énergétique et de ne plus vivre dans la crainte du Moyen-Orient et qu’une fois brûlé, le gaz constitue une source de combustible propre et à très faible teneur en carbone.
Peu importe le ton adopté, Gold semble aborder les questions liées à l’exploitation d’une façon détaillée et honnête, encadrant bien le délicat équilibre entre l’abondance énergétique et les répercussions de l’exploitation. Il met en lumière un élément clé de cet équilibre qui a pendant trop longtemps échappé à l’industrie du gaz naturel, soit que le « fraccing » s’entend de l’hydrofracturation souterraine profonde et confinée du roc, alors que pour le grand public, le « fracking » couvre toutes les étapes allant des allées et venues du premier au dernier camion.
La question de la crise du marché de l’énergie qui a sévi en Californie en 2000-2001 est abordée longuement, dans une copieuse critique de Ralph Eads, le financier qui a travaillé avec Aubrey McClendon pour faire de Chesapeake Energy un géant de l’industrie. J’admets un léger préjugé de ma part, puisque j’y étais et que j’ai été collatéralement en cause dans cette crise; et l’explication de Gold est beaucoup trop simplifiée en vue de conclure à la culpabilité d’Eads et de son entreprise. Ce n’est pas exactement ainsi que les choses se sont passées, mais le fait d’être de l’histoire ancienne ne devrait pas miner l’intensité et l’engagement offert par l’ensemble du récit de Gold.
À plusieurs égards, il s’agit de l’histoire de gens bien ordinaires qui sont devenus plus grands que nature et qui, pour le meilleur et pour le pire, nous ont offert un riche filon énergétique et économique qui – si les États-Unis et le Canada parviennent à maintenir une trajectoire d’exploitation stable et acceptée, d’une façon propre et sûre – peut se poursuivre pour nombre de décennies à venir. Gold explique à juste titre et en profondeur comment les défis de l’hydrofracturation ont moins à voir avec les processus qu’avec l’intégrité fondamentale des puits. Sa description du processus physique de l’exploitation des puits, des problèmes qui peuvent survenir et de la façon de les éviter est juste et significative.
Dans l’ensemble, je dirais que toute personne souhaitant réellement obtenir une explication détaillée et divertissante de l’exploitation du schiste, des méthodes utilisées, de ce qu’elle représente et des questions qu’elle soulève, devrait lire ce livre, car c’est un ouvrage d’intérêt.
* Rick Smead est directeur général en services consultatifs pour RBN Energy LLC. Il se spécialise surtout dans le secteur du gaz naturel, offrant des analyses experts et des conseils stratégiques, du soutien au contentieux et des conseils stratégiques en matière de gazoducs, de fournitures potentielles et des initiatives du marché.