L’Alberta a besoin d’une politique énergétique stable

INTRODUCTION DE LA PART DES AUTEURS

Aujourd’hui, le coût des dommages causés par les changements climatiques et l’investissement nécessaire pour la transition énergétique afin de réduire les émissions de carbone sont les principaux facteurs qui dominent les décisions de la plupart des organismes canadiens de règlementation de l’énergie. En Alberta, les organismes de règlementation sont confrontés à un problème supplémentaire. L’économie de la province est dominée par le secteur de la production de pétrole et de gaz et, dans ce contexte, elle doit composer avec une opposition considérable. Cette opposition complique d’autant la vie du gouvernement et de l’organisme de règlementation de l’Alberta.

Il s’agit d’un article unique. L’un des principaux économistes de l’énergie du Canada prête de sages conseils à l’organisme de règlementation et au gouvernement qui doivent relever ce défi.

CONTEXTE

Au Canada, de nos jours, tout revient à l’électricité en tout temps, tandis que nous nous adaptons à la transition écologique et à ses véhicules électriques, à ses thermopompes électriques et à tout ce qui est électrique. Dans ce contexte, il appartient aux gouvernements provinciaux, à leurs organismes et offices de règlementation de planifier et de concrétiser un demain où l’électricité prendra encore plus de place, et ce, en veillant à l’abordabilité et à la fiabilité de l’énergie.

Toutes les provinces doivent relever ce défi, mais maintenant en faisant face à deux enjeux importants. Premièrement, elles doivent répondre au projet de règlement sur l’électricité propre (REP)[1] du gouvernement fédéral, conçu pour exiger que les réseaux d’électricité parviennent à la « carboneutralité » d’ici 2035. Deuxièmement, et dans le même ordre d’idées, elles doivent affiner leurs réseaux de manière à intégrer des volumes croissants d’énergies renouvelables, lesquelles sont intrinsèquement intermittentes, en particulier l’énergie éolienne et solaire, tout en garantissant la fiabilité de l’alimentation presque en tout temps.

LA SITUATION EN ALBERTA

L’Alberta est confrontée à une tâche titanesque. L’exploitation de ses riches ressources solaires et éoliennes intermittentes ne peut être appuyée par les solutions de production au nucléaire de l’Ontario ou de production hydroélectrique du Québec, de la Colombie-Britannique et du Manitoba. L’Alberta dépend plutôt de ses vastes réserves de charbon et de gaz naturel. Ces sources d’électricité de base fiables et abordables émettent plus de GES que la production hydroélectrique ou au nucléaire. La province compte également sur le secteur privé pour financer son parc de centrales à combustibles fossiles. Les décisions sur le type, la taille, l’emplacement et le calendrier des nouveaux projets sont entièrement dictées par les rendements économiques que les investisseurs privés attendent du marché de gros. Les risques financiers créés par le REP dissuaderont indubitablement les investisseurs d’investir dans de nouveaux projets de production d’électricité de base à partir du gaz naturel.

Le gouvernement de l’Alberta a pris acte de ses difficultés en matière de production d’électricité, mais jusqu’à maintenant, sa réponse semble improvisée et ses décisions sont brusques. Une approche plus mesurée allégerait le fardeau de la province. En août 2023, le gouvernement a suspendu l’approbation de nouveaux projets de production d’énergie renouvelable, manifestement en réponse aux préoccupations relatives à leur fiabilité et à l’utilisation des terres qu’ils proposent. Cependant, cette décision pourrait entraîner des effets[2] néfastes sur le plan des investissements. À la fin de novembre 2023, la première ministre a déposé à l’Assemblée législative une motion visant à appliquer l’Alberta Sovereignty within a United Canada Act[3], qui vise à donner à l’Alberta le pouvoir de rejeter des lois ou des règlements fédéraux qui portent atteinte à la province. La motion n’a pas encore fait l’objet de débat. Si elle est adoptée, elle déclenchera également l’examen de la « faisabilité et de l’efficacité » de la création d’une société d’État qui servirait de moyen de défense contre les limites imposées par Ottawa aux nouveaux projets de production au gaz naturel.

Au lieu de répondre rapidement à chaque problème à mesure qu’il se présente, l’Alberta devrait procéder en compilant des analyses réfléchies et mesurées auprès de sources spécialisées et les intégrer à ses processus décisionnels. Autrement, la province risque d’imposer des coûts d’électricité élevés aux Albertains. L’un des aspects positifs de cette démarche est que de nombreuses analyses sont déjà en cours dans le cadre de diverses consultations[4] distinctes, mais interreliées. Au milieu de 2023, l’Alberta Energy System Operator (AESO) a lancé l’initiative Market Pathways[5] afin d’examiner les changements à apporter au cadre du marché pour appuyer la transition énergétique. En octobre, le gouvernement a entrepris un examen de la politique sur le transport d’électricité[6] au moment même où l’Alberta Utilities Commission instituait une enquête[7] distincte à deux volets sur la production d’électricité. De plus, on a demandé à l’AESO et aux administrateurs de la surveillance des marchés de donner des conseils sur les réformes nécessaires.

Les responsables de ces initiatives devraient obtenir un avis d’expert auprès de ces organismes. S’ils ne bénéficient pas de l’expertise requise, il faudrait qu’ils la cherchent ailleurs, et l’organisme devrait renforcer sa capacité de fournir elle-même cette expertise. Le gouvernement devrait ensuite publier les résultats de toutes ces enquêtes, et tout changement de politique devrait être clairement et publiquement lié à ces résultats.

Entre-temps, le gouvernement devrait en dire et en faire le moins possible. Même la suggestion d’établir une société d’État soutenue par le gouvernement dans un marché privé a peut-être déjà refroidi les investisseurs.

Par ailleurs, à titre d’exemple d’un organisme appartenant à l’État exploité dans un environnement concurrentiel, non sans soulever des préoccupations, la première ministre Danielle Smith a mentionné l’Alberta Treasury Branch, une banque appartenant à l’État. En effet, il reste peu de raisons convaincantes justifiant que le gouvernement continue de participer à un marché des services financiers bien développé, et il en va de même pour le marché de l’électricité[8].

POUR L’AVENIR

L’électricité ne devrait pas en soi soulever un intérêt particulier. Elle doit simplement être disponible quand et où les gens et les entreprises en ont besoin, au prix le plus bas possible. Les réseaux électriques et les marchés de l’électricité sont complexes et dynamiques, et tout changement doit être réfléchi et bien conçu pour réduire au minimum le risque de perturbations et de conséquences imprévues. Les politiciens doivent écouter attentivement les conseils des organismes techniques et de règlementation, et des spécialistes externes s’ils veulent comprendre toutes les ramifications que peuvent générer les divers plans d’action.

L’Alberta ne devrait pas apporter de changements à son réseau d’électricité avant d’avoir reçu et analysé tous les rapports qui lui sont soumis afin d’éviter de compromettre la fiabilité, l’abordabilité et la sécurité en matière d’approvisionnement énergétique à mesure que le réseau évolue vers la carboneutralité.

 

* Charles Deland est directeur associé de recherche à l’Institut C.D. Howe de Calgary. Une version antérieure de cet article a été publiée par l’Institut C.D. Howe dans son bulletin daté du 19 décembre 2023, voir : <www.cdhowe.org/intelligence-memos/charles-deland-alberta-needs-stable-policy-approach-power>.

  1. « Règlement sur l’électricité propre » (19 août 2023) 157:33 Gazette du Canada, en ligne : Gouvernement du Canada <www.gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2023/2023-08-19/html/reg1-fra.html>.
  2. Note de service de G. Kent Fellows à Nathan Neudorf, ministre de l’Abordabilité et des Services publics de l’Alberta, « Renewables Moratorium Risks Harming Alberta’s Investment Climate » (21 août 2023), en ligne : Institut C.D. Howe <www.cdhowe.org/intelligence-memos/g-kent-fellows-renewables-moratorium-risks-harming-albertas-investment-climate>.
  3. Alberta Sovereignty within a United Canada Act, SA 2022, c A-33.8
  4. Jessica Kennedy, Larissa Lees, Nathan Green et Siobain Quinton, « Change on the Horizon for Alberta’s Electricity Regulatory Regime in 2024 » (23 novembre 2023), en ligne : Bennet Jones <www.bennettjones.com/Blogs-Section/Change-on-the-Horizon-for-Albertas-Electricity-Regulatory-Regime-in-2024>.
  5. « Market Pathways » (dernière modification le 30 janvier 2024), en ligne : AESO <www.aesoengage.aeso.ca/market-pathways>.
  6. Gouvernement de l’Alberta, « Transmission Policy Review: Delivering the Electricity of Tomorrow » (23 octobre 2023), en ligne (pdf) : ABlawg <ablawg.ca/wp-content/uploads/2023/11/Transmission-Policy-Green-Paper-2023.pdf>.
  7. « AUC inquiry into the ongoing economic, orderly and efficient development of electricity generation in Alberta » (23 octobre 2023), en ligne (pdf) : AUC < efiling-webapi.auc.ab.ca/Document/Get/795151>.
  8. Glen Hodgson à Travis Toews, ministre des Finances et président du Conseil du Trésor de l’Alberta, « Time to Review ATB Financial: Is It Still Needed as a Crown Corporation? » (13 janvier 2022), en ligne : Institut C.D. Howe <www.cdhowe.org/intelligence-memos/glen-hodgson-time-review-atb-financial-it-still-needed-crown-corporation>.

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