Les réalités économiques et politiques de la réglementation : leçons pour l’avenir

1. Introduction

Le premier examen des prix de l’électricité au Royaume-Uni a créé un moment dans l’histoire de la réglementation où ce que nous avons appris du passé et ce que nous espérions pour l’avenir ont convergé et presque explosé. Il y a de cela environ 20 ans, et le gouvernement qui avait terminé la privatisation des sociétés de distribution d’électricité a établi les prix initiaux et les trajectoires des prix à suivre. Il incombait dorénavant aux nouveaux organismes de réglementation formés d’établir les prix pour l’avenir. L’annonce de la décision de laisser l’organisme de réglementation établir les prix semblait sévère à prime abord – elle réduisait les profits et exigeait que les prix diminuent en chiffres absolus pour une période de cinq ans – mais 24 heures après l’annonce, le prix des actions des services publics a commencé à grimper rapidement, et des offres d’achat hostiles provenaient de l’extérieur du pays. De toute évidence, l’avenir semblait plus rentable – beaucoup plus – que ce que l’organisme de réglementation avait prévu.

Qu’estce qui a mal tourné? Du point de vue rien du tout. Il est tout à fait possible que   appliquait une théorie économique bien établie où les entreprises cachent   leurs capacités réelles d’efficacité à moins de pouvoir profiter d’un rendement amélioré. Les tempêtes médiatiques et politiques qui ont suivi ont révélées que la réglementation avait des réalités politiques étroitement liées à ses réalités économiques.

Dans le présent article, j’examine ces réalités pour nous informer sur l’avenir. Il existe certaines réalités que nous ne devons pas abandonner – à savoir que l’information de haute qualité est essentielle à la stabilité réglementaire et pour freiner l’opportunisme politique, que les entreprises répondent aux incitatifs économiques, que les marchés révèlent de la réalité, que les organismes de réglementation restent importants pour compenser les faiblesses des politiques relatives aux services publics et que l’on demande implicitement aux organismes de réglementation de jouer un rôle de leadership qui, s’ils le jouent, le font à leurs propres risques. J’examine chacun de ces éléments dans les paragraphes suivants.

2. L’économie de l’information

Les sources de la réglementation économique des services publics remontent à des siècles en arrière, mais les évènements les plus pertinents sont survenus au cours des 150 dernières années. Dans les premières décennies suivant le développement des services publics, les représentants politiques ont cherché à contrôler les prix et les services directement au moyen de négociations parce qu’ils étaient inquiets qu’une industrie en situation monopolistique, non surveillée, puisse exercer un pouvoir sur le marché au détriment de la collectivité. Parfois, les négociateurs politiques représentaient des villes et à d’autres occasions, des organes législatifs. Quel que soit l’organisme politique concerné, les représentants étaient confrontés à des pressions considérables  : (1) un incitatif à tirer un avantage politique des coûts irrécupérables des services publics (une fois que les investissements avaient été effectués) et à forcer les prix à des niveaux non compensatoires et (2) la connaissance que les services publics disposaient d’un avantage sur le plan de l’information, qu’ils pouvaient exploiter pendant et après les négociations.

Peu importe le mode de contrôle politique direct : (1) les prix sont devenus désuets à mesure que les conditions technologiques et économiques ont changé, ce qui a entraîné des difficultés financières et de mauvais du mauvais service; (2) les politiciens ont été déjoués dans leurs négociations par leurs homologues des services publics et (3) les services publics ont été refusés aux opposants politiques ou offerts gratuitement (ou presque) aux amis politiciens. Les tribunaux ont intervenus à quelques occasions et ont établi des prix et des obligations en matière de service lorsque le comportement de l’entreprise de services publics violait les principes de common law. Mais les tribunaux n’ont pas fait mieux que les organismes politiques : seules les parties prenantes disposant des ressources pour engager des actions en justice recevaient des avantages.

Les problèmes d’information et d’opportunisme ont mené à la création d’organismes de réglementation au début des années 1900 et à ce que l’on appelait la réglementation du coût des services. L’organisme agissait à titre de source d’expertise pour éviter que les entreprises de services publics tirent un avantage informationnel. Il servait également de zone tampon entre les investissements, qui sont effectués sur plusieurs décennies de planification, et la politique, dont la planification ne s’étend que jusqu’au moment de l’élection suivante. L’approche préconisant le coût des services à l’égard de l’établissement des prix, qui utilisait les données comptables et opérationnelles de l’entreprise de services publics, empêchait l’organisme de réglementation et les politiciens d’établir des prix qui ne concordaient pas avec les réalités commerciales. Il s’agit d’un élément qui semble s’être perdu dans la réglementation aujourd’hui : s’appuyer sur les données comptables ne visait pas à contrôler l’entreprise de services publics, mais à contrôler l’organisme de réglementation.

Il manquait la compréhension de bonnes données bien comprises de l’examen initial des prix de l’organisme de réglementation au Royaume-Uni. Ce n’est pas que les données n’étaient pas accessibles : c’est plutôt la nouveauté du système et l’accent mis sur les incitatifs qui ont entraîné de mauvaises données réglementaires. Les investisseurs connaissaient la réalité, comme le révélait le marché boursier, mais l’organisme de réglementation ne la connaissait pas.

3. L’économie des incitatifs

Lorsque la réglementation du coût des services (appelée plus tard la réglementation du taux de rendement) a été élaborée, on a immédiatement reconnu qu’elle diminuait les incitatifs au contrôle des coûts par les entreprises. Cette observation a mené à l’élaboration d’un système qui renforce les incitatifs.

Deux systèmes d’incitatifs ont été utilisés volontairement au début de la régulation et le sont encore aujourd’hui. Une de ces méthodes est l’utilisation d’audits qui peuvent permettre à l’organisme de réglementation de cerner les lacunes d’efficacité si l’organisme de réglementation dispose d’une expertise élevée ou si l’entreprise manque habituellement de rigueur dans sa prise de décisions. Même si l’organisme de réglementation ne décèle pas les lacunes d’efficacités, la possibilité de les découvrir incite l’entreprise à éviter du gaspillage qui pourrait être découvert.

L’autre mécanisme incitatif était appelé à échelle variable, connu sous le nom de partage des gains dorénavant.

Ce système permet à l’entreprise de conserver une portion de ses profits dépassant ce que l’organisme de réglementation avait estimé nécessaire pour maintenir les niveaux d’investissement, si le plus gros des profits provient des ventes ou d’efficacités supérieures à ce qu’avait prévu l’organisme de réglementation.

Plus récemment, les organismes de réglementation ont commencé à utiliser la réglementation par plafonnement de tarif ou plafond des revenus. Le plafonnement du tarif est utilisé lorsque les coûts sont dictés en grande partie par les volumes d’extrants, et le plafond des revenus est également utilisé lorsque l’inverse est vrai. Dans sa forme la plus pure, le plafond limite les prix d’une manière indépendante aux coûts comptables de l’entreprise. Cela fournit un maximum d’incitatif quant à l’efficacité. Mais dans la plupart des cas, le système de plafonnement sert de décalage formel de la réglementation (c.àd. la situation où l’organisme de réglementation répond aux variations de coûts par des variations des prix après un certain retard) en utilisant les données comptables pour réviser les prix uniquement à des dates fixes. Cela réduit les incitatifs à l’efficacité, mais a l’avantage d’empêcher l’organisme de réglementation d’établir des prix qui s’écartent tellement de la réalité économique qu’ils pourraient causer un plus grand préjudice que l’incitatif diminué à l’efficacité.

Les organismes de réglementation utilisent également la référenciation pour fournir de l’information sur ce que les entreprises de services publics sont capables de faire. Avec la référenciation, l’organisme de réglementation utilise l’information d’autres services publics pour estimer l’efficacité technique potentielle du service public réglementé. Essentiellement, cela pousse les entreprises de services publics dans des marchés séparés de se livrer concurrence pour les avantages des organismes de réglementation. La faiblesse de la référenciation est le manque de méthodes précises pour rendre les services publics comparables : la situation de chaque service public revêt une certaine unicité, et si l’on n’en tient pas compte de façon appropriée dans les analyses comparatives, l’organisme de réglementation pourrait choisir des attentes irréalistes qui mettent en péril le service public.

L’organisme de réglementation au Royaume-Uni a très bien compris les incitatifs économiques et a prévu que les entreprises de services publics révéleraient la mesure dans laquelle ils pouvaient être efficaces si l’organisme de réglementation pouvait s’engager à ne pas récupérer les gains d’efficacité pendant une période importante. L’organisme de réglementation avait raison, mais les coûts des relations politiques et publiques étaient élevés. Je les aborde dans une section ultérieure. Avant, il importe d’examiner l’importance d’avoir les bons marchés.

4. L’économie des marchés

De plus, que les marchés révèlent les réalités économiques n’était pas nécessairement un problème pour la réglementation au Royaume-Uni – la concurrence du marché pour la production d’électricité produisait des économies de coût pour les clients, et les marchés financiers ont tout de suite révélé une réalité économique – mais, c’est le mélange de réglementation et de concurrence qui s’est avéré problématique.

La réglementation des télécommunications fournit l’un des exemples les plus clairs des problèmes créés en tentant de réglementer les prix et les services dans un marché concurrentiel. Ne pas comprendre les limites de l’industrie, les attentes des clients et établir des prix non rentables sont des exemples d’erreurs.

En se fondant sur l’historique pour faire cadrer les limites du marché avec les intérêts politiques – qui était viable dans une ère de monopole, mais pas lorsque les marchés sont devenus ouverts à la concurrence – les organismes de réglementation ont établi des territoires de service, des définitions, des divisions administratives et des prix pour les gammes de services locaux, de services interurbains, de services interétatiques et intraétatiques (dans le cas des États-Unis) et des services nationaux et internationaux. Lorsque les organismes de réglementation ont commencé à renoncer au contrôle de l’accès au marché, le système a commencé à se détériorer. Pendant plusieurs années, le système réglementaire s’est livré avec un certain succès en instaurant des subventions élaborés et en imposant des obstacles à la concurrence. Lorsque la technologie a rendu possible le contournement de la réglementation, ce fut la fin. Les services mobiles non réglementés ont montré que les clients ne se souciaient pas des différences entre les services locaux et interurbains, qu’ils étaient prêts à sacrifier une certaine qualité des services pour la commodité. Les prix ne devaient pas cadrer parfaitement avec les coûts économiques pour autant que les clients comprenaient la tarification, qu’ils jugeaient la prévisibilité adéquate et que les recettes étaient suffisamment élevées pour attirer les investissements et suffisamment faibles pour limiter les nouveaux accès. Les efforts des organismes de réglementation pour dégrouper les réseaux afin de faciliter l’accès étaient, au mieux, légèrement utiles au lancement de la concurrence, mais maintenaient également les compétiteurs dans des structures et des technologies de réseaux en situation de monopole des titulaires. On a éventuellement surmonté ce problème qui s’est avérée suffisamment perturbateur pour supprimer les distinctions artificielles entre les services vocaux et de données ainsi que les communications nationales et internationales.

Ces leçons sont pertinentes à l’évolution de la réglementation de l’énergie à deux égards. D’abord, elles montrent que la déréglementation progressive souffre de l’illusion de la connaissance, qui est une anomalie psychologique qui nous mène à croire que nous en savons plus qu’en réalité. Cela se manifeste de nombreuses façons dans la déréglementation, notamment dans le fait que les visions de l’avenir des organismes de réglementation et des parties prenantes sont déformées par leur héritage. Je crois que nous le voyons dans l’utilisation des simples politiques de facturation nette, les tarifs de subventionnement et les subventions pour les frais de carburant. La deuxième leçon est que les organismes de réglementation peuvent être trop prudents avec le processus de déréglementation. Les marchés comportent des risques, et les entreprises et les investisseurs sont bien adaptés pour gérer ces risques. Malheureusement, dans un marché réglementé, il existe également des risques politiques pour les organismes de réglementation et les entreprises de services publics. Ces risques se sont avérés problématiques parce que le marché et le pouvoir politique ne répond pas bien à l’apparence de doute ou d’échec. Ces obstacles à une déréglementation appropriée ont mené Alfred Kahn à inventer l’expression « déréglementation du processus de déréglementation » pour expliquer l’importance de laisser les marchés révéler les réalités qui étaient inconnaissables avant la déréglementation.

5. Réalités politiques de la réglementation

Mes descriptions précédentes sur les leçons économiques font ressortir certaines réalités politiques des services publics et de leur réglementation : (1) le système politique adopte une vision à court terme qui diminue les incitatifs pour l’investissement à long terme; (2) la participation du gouvernement rend possible le comportement de recherche de rente, surtout à mesure que les technologies changent et que la déréglementation s’effectue à un rythme lent et (3) l’énergie (et l’environnement) ont une valeur politique parce qu’ils touchent la vie de chaque personne et soulèvent les passions.

Ces réalités politiques sont l’une des raisons pour lesquelles les gouvernement ont créé des organismes de réglementation des services publics disposant d’autant d’indépendance que la machine politique pouvait tolérer, et qui est conforme au fait de tenir les organismes de réglementation responsables de leurs décisions, mais pas des évènements sur lesquels ils n’ont pas d’incidence ni de contrôle. L’histoire a montré que cet équilibre fait l’objet de tensions qui peuvent parfois déséquilibrer le système : des organismes de réglementation ont été dissous (puis reconstitués), des responsables de la réglementation ont fait l’objet de pressions pour quitter leur poste (pour être remplacés par des personnes n’ayant pas de meilleures capacités ou ayant des partis pris) et la réglementation a fait l’objet d’une microgestion politique. Ce sont les organismes de réglementation euxmêmes qui semblent le mieux placés pour gérer ces pressions en gérant leur capital politique, tenir compte de tous les éléments pour voir le paysage politique d’ensemble et décevoir les gens à un rythme auquel ils peuvent s’adapter. Les organismes de réglementation sont en mesure de dire les vérités peu populaires – que les changements ont un coût, que les recettes doivent couvrir les coûts et ainsi de suite – et ils doivent le faire en adoptant des moyens et un rythme qui maintient la viabilité du système.

6. Conclusion

Le premier examen des prix du Royaume-Uni s’est avéré une étape importante de la réglementation. Il a montré que l’intelligence et le talent – deux qualités que possèdent les responsables de la réglementation – ne remplacent pas la bonne information. Il a également montré le pouvoir des incitatifs et le pouvoir des marchés, qui révèlent tous deux des réalités imprévues. Plus que toute autre chose, l’expérience a montré l’importance d’un organisme de réglementation à la défense de l’intégrité du processus en présence de pressions politiques et publiques. La réglementation déçoit. L’art de la réglementation est de décevoir à un rythme auquel les parties prenantes peuvent s’adapter.

* Mark A. Jamison, Directeur et Professeur récipiendaire du prix Gunter, au Public Utility Research Center, Warrington College à l’Université de la Floride.

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