La licence sociale de réglementer : l’énergie et le déclin de la confiance dans les autorités publiques

Introduction

Le présent article est fondé sur une discussion entre experts qui a eu lieu à l’occasion du congrès de l’Association canadienne des membres des tribunaux d’utilité publique (CAMPUT) en 2015 intitulée « La licence sociale de réglementer ». Les panélistes étaient Rowland Harrison, Peter Robinson et Paul Boothe1. L’auteur du présent article a agi à titre de modérateur. Bien que les remarques des panélistes et leurs discussions avec l’auditoire aient apporté beaucoup d’eau au moulin, le présent article est l’oeuvre de l’auteur et aucune partie de celui-ci, sauf où il est clairement indiqué, ne devrait être attribuée à l’un ou l’autre des panélistes.

Le présent article suit l’ordre dans lequel les questions ont été abordées par les panélistes, c’est‑à‑dire :

  • Avons-nous un problème? Y a-t-il des preuves d’un déclin dans la confiance du public à l’égard des systèmes de réglementation de l’énergie?
  • Si nous avons un problème, quelles en sont les causes apparentes? Est-ce que ces causes sont indépendantes des organismes de réglementation ou relèvent plutôt de la société et des politiques – ou internes; liées, par exemple, à des questions de procédure?
  • Pour terminer, quelles sont les voies possibles que les décideurs et les responsables de la réglementation pourraient suivre en vue de rétablir la confiance du public?

D’entrée de jeu, il importe de noter ce qui constitue une hypothèse et une conclusion. Peu importe la mesure dans laquelle le problème existe, il doit être considéré comme une question systémique, laquelle engage non seulement l’ensemble complexe d’autorités réglementaires dont le mandat repose sur le développement énergétique, mais aussi la politique et les régimes politiques sous l’autorité et la supervision desquels les responsables de la réglementation doivent travailler. La question ne concerne pas qu’un seul organisme de réglementation ou une seule autorité compétente, et concerne bien plus qu’une procédure réglementaire.

Quis custodiet ipsos custodies?

La notion même d’une « licence sociale de réglementer » devrait faire réfléchir toute personne ayant connaissance de nombreuses traditions établies du Canada, lesquelles comprennent une pratique coutumière de l’obéissance civile et un respect pour la primauté du droit, ainsi qu’une pratique de l’établissement et du maintien d’institutions réglementaires compétentes et très respectées. Mais, quelque chose a changé ces derniers temps, et bien que le titre « La licence sociale de réglementer » puisse sembler ironique, il n’en constitue pas moins le reflet d’un phénomène social réel : l’érosion apparente de la confiance envers les autorités publiques qui prennent des décisions concernant les projets énergétiques (ainsi que d’autres types de projets, mais nous ne traiterons pas de ceux-ci). Une importante partie de la société canadienne ne fait plus confiance aux gardiens, et nous nous retrouvons au beau milieu d’une recherche un peu confuse pour des solutions de rechange. Qu’est-ce qui s’est passé?

D’abord, y a-t-il vraiment eu une telle érosion de la confiance? Les preuves à ce jour peuvent être une indication mais demeurent grandement anecdotiques. Somme toute, la littérature universitaire a principalement porté sur des questions liées à la confiance du public envers les promoteurs et l’appréhension quant aux possibles conséquences des projets eux-mêmes, allant d’inquiétudes en matière de santé et sécurité aux perceptions de distribution inéquitable des coûts et des bénéfices2. La majorité des débats et discussions aux conférences ont porté sur les pratiques des entreprises. Il y a certaine littérature qui examine la mesure dans laquelle les institutions et les processus réglementaires inspirent ou érodent la confiance, mais presque rien ne traite particulièrement du Canada3. Il y a clairement un besoin urgent d’approfondir les connaissances sur les attitudes à l’égard des processus réglementaires, tant sur le plan général qu’en ce qui concerne des projets particuliers tant au niveau de la société dans son ensemble qu’au niveau communautaire.

Entre-temps, nous disposons de renseignements anecdotiques, dont bon nombre ont été cités par les panélistes de la CAMPUT et qui indique un problème croissant. En raison de la nature provisoire et anecdotique des preuves, le présent article évite de jeter le blâme sur une autorité ou un organisme particulier. À ce point-ci du débat, une bonne partie de ce qui se dit revêt un caractère diffamatoire et de mythe urbain, et rien ne sert de contribuer davantage à l’un ou l’autre de ceux-ci.

Toutefois, nous savons qu’un bon nombre d’organismes de réglementation dans différend territoires de compétence ont été la cible de critiques au cours des dernières années, des critiques exprimées dans les médias et les débats parlementaires. Ceux-ci visent les organismes de réglementation économique d’oléoducs, de lignes électriques et de réseaux de distribution d’énergie; les organismes de réglementation des ressources et les organismes de réglementation environnementaux. Ces critiques couvrent une vaste gamme de préoccupations :

  • Les organismes de réglementation ont perdu une partie de leur indépendance et sont de plus en plus assujettis au favoritisme politique, peu importe les conséquences sur l’intérêt public.
  • Les organismes de réglementation ont été accusés d’exclure des questions des débats – notamment sur la question des émissions de gaz à effet de serre – qui, selon des membres influents du public, devraient être explicitement considérées avant l’approbation de projets.
  • Les organismes de réglementation ont été accusés de mener leurs procédures de façons qui étouffent délibérément les débats et les discussions, y compris en ne respectant pas l’obligation de consulter les Canadiens d’origine autochtone.
  • Les organismes de réglementation ont été accusés d’agir de façon à miner la légitimité d’opposants à des projets.
  • Les organismes de réglementation semblent parfois ne pas avoir les outils – compétences, pouvoirs, systèmes – nécessaires pour assurer une supervision adéquate des projets et tenir les promoteurs de projets responsables de se conformer aux exigences réglementaires.
  • Les gouvernements ont été accusés de réviser les lois de réglementation, tout en évitant les questions légitimes du public ou même du législateur.

Toute cette activité apparait dans ce qu’un des panélistes décrit comme « une explosion » de contestations juridiques. Il y a seulement quelques années, les révisions judiciaires de décisions réglementaires étaient rares, mais à compter du printemps 2015, l’Office National de l’Énergie devait à lui seul composer avec 15 contestations judiciaires à la Cour d’appel fédérale et à la Cour suprême du Canada. Traditionnellement, les tribunaux s’en remettaient à l’expertise et à l’autorité de la réglementation, et cette pratique, fermement établie comme un précédent4, devrait se maintenir. Toutefois, le fait qu’il y ait tant de contestations soulève une question : est-ce que le public perçoit les mêmes qualités dans les organismes de réglementation que le perçoivent les tribunaux?

Dans un effet collatéral presque ironique, ayant contribué (peut-être de façon assez considérable) à la création du problème, les dirigeants politiques du Canada trouvent de plus en plus opportun de laisser entendre que les organismes de réglementation n’ont pas vraiment fait le nécessaire en vue de maintenir leur « licence sociale » pour les projets qu’ils doivent évaluer. Lorsque les politiciens commencent à multiplier les déclarations, on peut facilement y voir là une preuve légitime d’un nouveau phénomène social et politique. En bref, bien qu’il reste du travail à faire pour tester les dimensions du problème et y trouver des solutions, nous pouvons dire, de prime abord, que nous avons un problème et que ce problème prend de l’ampleur.

Quelque chose est en train de se passer ici…

Et nous savons de quoi il s’agit, ou à tout le moins, nous en avons une assez bonne idée.

Une partie de ce qui s’est passé au cours des deux dernières décennies ou presque se résume en un manque d’imagination de la part des gouvernements et des membres de l’industrie de l’énergie. Il y a dix ans, on pouvait facilement déceler une déconnexion entre les préférences énergétiques des citoyens en tant que consommateurs (abordable, fiable) et leurs préférences en matière politique ou publique (propre, vertueux). Il y a vingt ans, il était déjà possible de voir un problème croissant afin d’obtenir des approbations pour de nouveaux projets énergétiques. En fait, ces cas typiques remontent aux années 1970 avec les projets de la Baie James et du pipeline Mackenzie. À l’exception des communautés autochtones dont les préoccupations sont légitimes, le phénomène, de façon plus générale, a largement été attribué (par le gouvernement et l’industrie) à des personnes qui soient n’avaient probablement pas un très grand sens de l’intérêt commun, qui étaient paranoïaques ou tout simplement de mauvaise humeur. C’est ce que reflétaient les étiquettes qui leur avaient été appliquées. Elles étaient toutes distinctement péjoratives et méprisantes, comme NIMBY, NOPE et BANANA5. En d’autres mots, des membres du public, peu nombreux mais au combien bruyants, étaient au coeur du problème, et bien que les gouvernements et l’industrie aient régulièrement tordu des mains à ce sujet, les décideurs demeuraient convaincus que la majorité du public reconnaissait la nécessité des nouveaux projets énergétiques et qu’on trouverait le niveau d’appui politique requis.

Au cours de la dernière décennie, des événements ont miné cette confiance. De plus en plus de projets de différents types sont les cibles d’oppositions virulentes et efficaces de la part d’un grand nombre de communautés locales, dont les communautés autochtones, et en faveur d’intérêts environnementaux. Les raisons ne sont pas difficiles à cerner et nombre d’entre elles ont été citées par les panélistes de la CAMPUT. En résumé, beaucoup de choses ont changé : substantiellement surtout depuis l’émergence du dossier climatique, ainsi qu’au niveau de la société à la lumière des grandes tendances sociales et de l’émergence d’une communauté autochtone plus vigoureuse, qui bénéficie d’un appui juridique et politique. D’un autre côté, il y a encore aujourd’hui un manque d’analyse dans la littérature universitaire qui pourraient effectivement réunir tous les éléments dans une sorte de modèle de comportement social ou décortiquer ces phénomènes afin d’en faire ressortir ce qu’ils pourraient nous apprendre sur les pistes pouvant mener à des solutions. Ce qui suit a pour but de constituer un point de départ.

La source la plus évidente, laquelle est bien établie dans la littérature ainsi que dans une multiples sources d’opinion publique, est le déclin de la confiance et plus particulièrement le déclin de la confiance dans les institutions publiques6. Le déclin de la confiance des institutions publiques a commencé aux États-Unis au début des années 1970 et au Canada peu de temps après. Une source, retraçant les niveaux de confiance sur plusieurs décennies, indiquait que (au début des années 1970) les niveaux de confiance dans la capacité des gouvernements de « faire ce qu’il faut » étaient de l’ordre de 60 p. 100; depuis ce temps, les résultats ont chuté à près de 20 p. 100, et depuis les années 1990, ceux-ci ont rarement dépassé les 30 p. 1007. Les gens ne croient tout simplement pas les gouvernements. Ce qui peut être fait dans ce domaine est un tout autre sujet, mais on pourrait à tout le moins en déduire que les gouvernements s’en vont dans la mauvaise direction lorsqu’ils s’approprient un plus grand pouvoir politique et minent l’indépendance des organismes de réglementation.

Un autre phénomène, probablement connexe, que l’on retrouve dans la littérature8 est l’effondrement de la cohésion sociale; en d’autres mots, un processus de fragmentation accrue visant des groupes d’intérêt ou fondé sur des considérations géographiques. Plus précisément, les communautés locales ont commencé à s’affirmer beaucoup plus vigoureusement qu’elles ne l’ont fait au cours des dernières décennies, et dans un monde de politiques étroitement ciblées, elles sont devenues beaucoup plus efficaces pour se faire entendre. Les communautés autochtones en particulier sont devenues une force politique et juridique, et si les tribunaux n’ont pas en fait accordé un véto aux Premières Nations (non là où il y a un intérêt public raisonnablement articulé et proportionnel)9, le discours de la gauche-caviar semble avoir accepté qu’ils l’aient fait. Dans certains esprits à tout le moins, les considérations locales l’emportent tout simplement sur le plus grand intérêt commun.

Il y a sûrement du bon dans tout cela si l’on accepte que les pratiques du passé laissaient souvent les communautés locales assumer les coûts et les risques alors que la société en général en tirait les avantages, ce qui est particulièrement vrai dans le cas des communautés autochtones pour lesquelles les projets d’énergie et de ressource sont à la fois une menace existentielle pour leurs traditions et la seule solution viable pour assurer la vitalité de leur communauté. D’autre part, dans l’empressement de nombreux commentateurs, y compris des personnalités publiques, de se montrer sensibles aux préoccupations locales, l’intérêt du grand public a été dérouté. Il faudra donc rétablir un certain équilibre afin qu’une attention sincère soit accordée à ces préoccupations locales, sans toutefois y céder les yeux fermés.

Un troisième phénomène sociologique qui semble sous-tendre une partie considérable de l’opposition publique est l’émergence au cours des récentes décennies d’une société obsédée (le mot n’est pas trop fort) par des inquiétudes de menaces pour la santé et sécurité. Les développements de toutes sortes dans le domaine de l’énergie soulèvent des questions quant à la santé et sécurité, et la science entourant ces questions est souvent complexe et ambigüe. Une bonne partie de la littérature10 porte sur ces questions et insiste fortement sur les deux éléments suivants : la nécessité que les voix concernées soient entendues et l’importance d’avoir confiance dans la capacité des autorités de faire ce qu’il faut lorsque vient le temps de régler des questions beaucoup trop complexes pour que la majorité des experts, et encore moins les profanes, ne les comprennent.

Dans ce mélange d’espoirs et (principalement) de craintes, les gouvernements y ont jeté l’un des plus grands échecs en matière de politique depuis plusieurs générations – l’incapacité de traiter de la question du changement climatique avec honnêteté. On peut pointer du doigt dans toutes les directions sans qu’aucun parti politique ou gouvernement au Canada ne puisse se vanter légitimement d’avoir régulièrement agi avec prudence et prévoyance. Les gouvernements ont toujours confirmé la croyance qu’il est peu probable qu’ils fassent la bonne chose : que ce soit en s’engageant trop agressivement à prendre des mesures tout en en ignorant les conséquences, plus particulièrement pour une économie fondée sur les ressources; en ignorant tout simplement les engagements solennels qu’ils ont pris; en prenant des mesures stratégiques dont les conséquences n’étaient pas bien comprises ou en se traînant les pieds tout en cédant à tous les caprices tant des entreprises que des consommateurs. Entre-temps, le public – ou, à tout le moins, une grande partie de celui-ci – est à la recherche d’un forum pour faire connaître ses préoccupations, et en l’absence de tout autre forum, les processus réglementaires pour des projets individuels deviennent le mécanisme par défaut, même s’ils ne sont pas constitués légalement ou de toute autre façon, pour traiter la question.

D’autres échecs politiques renforcent l’effet général. L’incapacité d’arriver efficacement à un règlement avec les communautés autochtones est l’un des échecs les plus évident. Plus amorphes mais suscitant une inquiétude croissante, le dossier peu reluisant de plans régionaux d’aménagement du territoire et de gestion des effets cumulatifs.

Le tout se joue dans l’univers des médias sociaux. Il y a beaucoup – et très peu – à dire qui pourrait être utile au sujet des médias sociaux dans ce contexte. Dans la prochaine section, le présent article propose une sorte de modèle suggérant que dans la majorité des cas, il importe d’aborder la politique publique ou l’intérêt du grand public en tenant compte des trois éléments critiques suivants : une plus vaste perspective géographique (nationale, parfois mondiale); un horizon de longue durée et une capacité d’intégrer un mélange complexe de variables et d’objectifs. La majorité des politiques publiques ne satisfont aucune de ces trois dimensions, et la politique encore moins. Quoi qu’il en soit, pour tout ce qui pourrait être dit de bon ou de mauvais sur les médias sociaux, une chose semble claire : une grande partie de ce qui s’y dégage est intensément personnel, immédiat et simpliste, et par conséquent, l’un de ses effets est un affaiblissement plus prononcé d’une capacité sociale déjà faible à traiter d’éléments sur le plan international, à plus long terme et plus complexes.

Nous vivons dans une société de plus en plus fragmentée, préoccupée par de multiples craintes et croyant – parfois à raison – que les autorités ne feront pas ce qu’il faut. En tant que citoyens, nous sommes appelés à être bien renseignés par rapport à différents domaines, y compris l’énergie – appels qui sont le plus souvent submergés par des priorités personnelles. Dans ce contexte, les projets énergétiques sont souvent confrontés à au moins deux contestation importantes : faire ce qui est juste pour les communautés locales, surtout autochtones, tout en maintenant un sens de l’intérêt du grand public et mieux comprendre les questions environnementales gênantes, notamment le changement climatique et les effets à grande échelle sur les terres, l’eau et l’habitat. Les communications modernes s’insèrent ensuite dans ce mélange. Contrairement à un besoin en matière de politique publique pour une réflexion à plus grande échelle, à plus long terme et capable de traiter de complexités, les moyens que nous utilisons pour nous adresser à nos concitoyens sont devenus (mille excuses à Thomas Hobbes) encore plus caustiques, grossiers et brefs.

Repenser le Léviathan

Sans toutefois préconiser un retour à la monarchie absolue, on peut retrouver dans Hobbes un correctif utile au mouvement émergeant de licence sociale, dont certains des membres semblent croire que toute autre chose serait mieux que nos autorités constituées actuelles et que les communautés locales devraient être les arbitres ultimes de ce qui est acceptable ou non. Ce point de vue semble pernicieux et dangereux. Notre ensemble d’organismes hautement sophistiqués et compétents de réglementation en matière d’énergie (économie, ressources et environnement) a, pendant de nombreuses décennies, soutenu le contrat social relatif au développement énergétique. Bien que le contrat social soit aussi mal en point qu’il en a l’air, cela ne veut pas dire que les concédants de ce contrat devraient être balayés du revers de la main, bien au contraire en fait.

Dans la section précédente, il est fait mention de l’idée d’un modèle de politiques dans lequel divers décideurs agissent dans un espace tridimensionnel, les dimensions étant le temps, la géographie et le degré de complexité. À une extrémité (disons la gauche inférieure) de cet espace, des décisions sont prises dans une perspective à court terme, locale et unidimensionnelle (un emploi, ma santé, les nids de poules dans ma rue). La plupart des transactions privées surviennent dans cette section. À l’extrémité opposée (disons la droite supérieure), on pourrait y retrouver une sorte d’idéal pour l’élaboration de politiques – à long terme, englobant tout le régime politique (et même au-delà de celui-ci) et comprenant des objectifs multiples comme l’économie, la santé et la sécurité, l’environnement et la justice sociale. Les politiques s’approchent très rarement de cet idéal, mais il va sans dire que nos défis en matière d’énergie ne peuvent être relevés que dans ce contexte. Le changement climatique est un phénomène mondial à long terme avec une myriade d’implications pour la société humaine; presque tout ce qui touche l’énergie est un long processus, et les décisions en matière d’énergie ont une incidence sur une vaste étendue géographique dans de multiples dimensions.

Il s’avère que les besoins en matière de politiques et les réalités de la politique ne concordent pas. Comme nous le savons tous, la politique est localisée. Les horizons temporels de la politique, qui ne dépassent jamais le cycle électoral, pourraient maintenant se rapprocher du cycle Twitter. Et si les décisions politiques sont parfois complexes, elles ne le sont qu’intuitivement, et le discours est le plus souvent unidimensionnel afin de concorder avec les durées d’attention modernes11. Les démocraties sont désordonnées et, à bien des égards, mal adaptées aux défis auxquels elles sont confrontées, mais elles fonctionnent, d’une façon ou d’une autre, et les mécanismes qui leur permettent de fonctionner sont les institutions qui ont la capacité d’atteindre la droite supérieure de notre espace décisionnel imaginé.

Voici qu’entre en jeu l’organisme de réglementation indépendant. Les organismes de réglementation varient grandement, mais en général, ils ont une combinaison d’attributs qui les rendent uniques dans la société. Ils traitent de l’intérêt public, comme le définissent les corps législatifs. Ils ont l’expertise et la capacité pour traiter des renseignements complexes. Ils prennent habituellement des décisions sur de très longs horizons temporels. Ils agissent en fonction de règles de procédure soigneusement définies et d’un contexte juridique dans lequel l’équité procédurale est de la plus haute importance. Et en vertu de leur relation indépendante avec les décideurs démocratiques, ils bénéficient d’une certaine immunité contre les pressions du local-isme, du à-cours-terme-isme et du simplisme.

Il y a plusieurs moyens qui pourraient être utilisés pour rétablir la confiance des Canadiens à l’égard du système réglementaire, mais pour savoir comment s’y prendre, il faudra comprendre que les organismes réglementaires peuvent jouer et jouent effectivement des rôles différents. L’un de ceux-ci est transactionnel. Un autre pourrait être qualifié de partie de l’infrastructure de la politique publique.

Le rôle principal des organismes de réglementation est de s’assurer que l’intérêt du public est servi avec le respect des transactions économiques individuelles, dans la première instance, tout au long du processus d’approbation et de façon continue grâce à la surveillance et à l’application des lois. Les organismes de réglementation économique évaluent des projets et donnent des approbations en utilisant des termes comme « commodité et nécessité publiques ». Les organismes de réglementation des ressources protègent l’intégrité des ressources publiques dans leur approbation d’investissements et d’exploitations privés pour extraire des ressources. Et les organismes de réglementation environnementale visent à assurer la protection des plus grandes valeurs environnementales. La plus grande partie de ceci est essentiellement transactionnelle, nécessitant la participation d’un demandeur ou d’un exploitant privé d’un type ou d’un autre et, le plus souvent, un assortiment d’intérêts connexes comme des propriétaires fonciers ou des communautés. Afin de maintenir l’intégrité et la gérabilité de ses processus décisionnels, le responsable de la réglementation doit continuer de se concentrer sur le cas particulier qui l’occupe, travaillant dans un système complexe de lois et de prescriptions juridiques et de politiques qui pèsent nécessairement sur la décision.

Les organismes de réglementation assument également d’autres rôles. Certains sont des sources établies et fiables de données et d’analyses. Certains ont le mandat de fournir des conseils à leurs gouvernements respectifs en utilisant diverses procédures. Ces rôles sous-entendent intrinsèquement une vision du monde à plus long terme, plus large et, à certains égards, plus complexe que ce que sous-entendent les rôles transactionnels. Dans ces rôles, les organismes de réglementation ne peuvent usurper les acteurs démocratiques qui doivent prendre les décisions en matière de politique, mais ils peuvent éclairer ces décisions, ils peuvent constituer des forums utiles où les voix des citoyens peuvent être entendues, ils peuvent servir de dépôts de renseignements fiables et accessibles à tous et ils peuvent contribuer à rendre ce qui s’avère un processus décisionnel politique plus transparent.

Dans la recherche pour des solutions, différentes étapes doivent être suivies par toute personne offrant des conseils.

On doit s’assurer de bien comprendre ce que les responsables de la réglementation font et ne font pas, comment ils le font et pourquoi certaines pratiques doivent être suivies, tant pour des raisons pratiques que d’équité.

Une autre consiste à mieux comprendre ce qui pourrait être appelé l’écosystème de réglementation. Différents organismes de réglementation font différentes choses, souvent en utilisant des méthodes et des procédures qui sont propres à leurs activités particulières; une bonne partie de ce qui pique au vif certains citoyens ne relève pas des responsabilités d’un seul organisme de réglementation. Les chevauchements, et parfois même les collisions, entre les territoires de compétence et les responsabilités sont inévitables; c’est pourquoi la coopération et la division du travail sont des caractéristiques essentielles d’un système qui fonctionne bien.

Pour terminer, il est essentiel de reconnaître que chaque solution possible apporte avec elle certaines tensions inhérentes. Si la politique éclaire les décisions réglementaires, ces décisions sont-elles compromises d’une certaine façon ou sont-elles plus légitimes? Si les organismes de réglementation font partie de débats plus larges, est-ce que cela risque d’influencer d’une façon déraisonnable les décisions dans des applications individuelles ou est-ce que cela contribuerait plutôt à la prise de décisions plus éclairées? Est-ce qu’une procédure plus libérale améliore ou diminue la qualité de l’équité procédurale? Si des membres de comités ou des commissaires individuels communiquent directement avec le public, risquent-ils de compromettre leur objectivité perçue concernant différentes applications? Si les organismes de réglementation n’inspirent pas confiance, alors comment des rôles élargis ou plus indépendants pourraient-ils être perçus comme légitimes? Lequel est la poule et lequel est l’œuf?

Compte tenu de tout ce qui précède, différentes pistes méritent d’être explorées.

Commençons par la notion d’indépendance. Toute intervention publique comporte certains éléments qui pourraient être qualifiés de politiques (dans le sens de l’attribution de valeurs faisant autorité) et tous les acteurs publics doivent, d’une façon ou d’une autre, être tenus responsables. Reste à savoir comment cette responsabilité doit être implantée. Les organismes de réglementation indépendants sont sans contredit l’une des idées de génie des démocraties occidentales, mais ils engendrent inévitablement une certaine méfiance quant à la mesure dans laquelle ils peuvent être non démocratiques et, pour les dirigeants politiques, faire obstacle aux choix politiques. Nous avons constaté une érosion générale de l’indépendance des organismes de réglementation dans plusieurs territoires de compétence canadiens, ce qui n’a rien fait pour améliorer la qualité des décisions et qui a contribué à l’érosion de la confiance du public. Mais il serait trop simpliste de dire – « nous devons accroître l’indépendance réglementaire ». Nous devons rétablir notre compréhension de la raison pour laquelle l’indépendance est utile, voire même nécessaire, de la raison pour laquelle elle ne devrait pas entrer en conflit avec la responsabilité démocratique et des circonstances dans lesquelles le rôle de l’organisme de réglementation est de décider ou de conseiller ceux qui sont les plus directement responsables devant les électeurs.

Les questions de politique et une bonne partie du mal qui a été fait à la confiance du public dans nos organismes de réglementation sont attribuables aux débris provenant de politiques ratées. Mises à part les politiques durables, les transactions réglementaires quotidiennes continueront inévitablement de subir des dommages collatéraux. Les organismes de réglementation peuvent faire partie de la solution ici, mais seulement si les décideurs reconnaissent qu’ils (les décideurs) ont besoin d’aide et qu’avec plus d’air frais et de soleil, les politiques pourraient être plus durables, même si cela limiterait les choix politiques. Certains des meilleurs exemples de politiques efficaces au Canada comportent, quelque part, un processus d’enquête ou d’audience, comme des processus consultatifs informels, des commissions formelles d’enquête ou d’audiences parlementaires (y compris par notre très critiqué Sénat). Les organismes de réglementation, avec leur expertise, leur objectivité, leur indépendance et leur capacité établie d’« entendre » avec équité procédurale, pourraient porter une partie de ce fardeau et, du coup, redorer leur image quelque peu ternie.

Les procédures sont importantes. Mais, les mesures réglementaires ne se valent pas toutes, et les choix procéduraux impliquent d’inévitables compromis. Les organismes de réglementation examinant des demandes de projets doivent imposer des limites à la portée des questions qui leur sont soumises, à la qualité pour contester de ceux qui demandent à être entendus, au coût et au temps. Sans de telles limites, il leur faudrait une éternité pour rendre leurs décisions. Et dans un monde où les Canadiens ont l’habitude de s’attendre à des services énergétiques abordables et fiables et où tous bénéficient de la vente de nos ressources à l’étranger, dans des marchés comportant d’autres (avides) fournisseurs parmi lesquels choisir, « pour toujours » n’est pas une option réaliste. À un certain point, l’intérêt du grand public doit avoir la priorité sur l’intérêt local ou particulier à une question qui a une autre chose à dire. Et au moins une partie du juridisme abrutissant de tout ce travail y est pour confirmer ces garanties d’équité procédurale qui sont si vitales à la question de confiance.

Les organismes de réglementation agissant essentiellement à titre de commissions d’enquête peuvent avoir plus de latitude – pour être moins légalistes, pour examiner des questions plus vastes et pour entendre une plus vaste gamme de parties prenantes dans un contexte moins formel. Ce qui importe, c’est de travailler à améliorer et à approfondir les connaissances sur la nature des différents processus que les organismes de réglementation peuvent entreprendre, les raisons pour lesquelles certaines limites procédurales sont inévitables et en quelles circonstances une créativité et une ouverture procédurales pourraient être une bonne chose.

Les communications sont importantes. La majorité des organismes de réglementation travaillent dans un monde gris quelque part entre les tribunaux et la réalité des citoyens ordinaires. Par conséquent, ils estiment traditionnellement les communications comme quelque chose qui se produit lorsqu’ils rendent leurs décisions et les motifs de celles-ci. Cette situation est en train de changer. Les responsables de la réglementation ne sont pas de mystérieuses et effrayantes personnes, mais pour le citoyen ordinaire ils sont distants et incompréhensibles. Une plus grande exposition – idéalement, aussi directe que possible et sans filtres comme Twitter et Facebook – contribuerait à accroître le niveau de confiance. La communication dans le but d’expliquer des décisions est une question plus délicate. Les décisions sont rédigées afin de satisfaire aux exigences juridiques et une « simple » explication perdra presque toujours une certaine nuance et certains détails pouvant être essentiels à la décision.

Les organismes de réglementation ont une autre fonction en fait de communication, se rapportant davantage à leurs rôles au sein de l’infrastructure des politiques. Les organismes de réglementation sont de grands dépôts de renseignements qui peuvent et qui devraient davantage être mis à la disposition du public. Aider les gens à s’y retrouver dans le taillis de renseignements dont disposent les divers organismes de réglementation et autres n’est peut-être pas en soi de la responsabilité de ceux-ci (il s’agit plutôt du travail des responsables des politiques), mais ils ont à la fois un intérêt et un rôle à jouer dans l’amélioration de l’accès à ces renseignements.

La capacité est importante. Nous en demandons toujours plus de nos organismes de réglementation. L’industrie de l’énergie continuera de présenter de nouvelles demandes, et les exploitations devront être surveillées de plus en plus près afin de s’assurer qu’elles répondent aux attentes du public en ce qui concerne la protection de la santé, de la sécurité et de l’environnement. De plus en plus de personnes demanderont à être entendues sur de plus amples questions. Nous pourrions ajouter de nouvelles fonctions ou des fonctions élargies, ce qui exigera d’autres ressources pécuniaires et une capacité humaine accrue, lesquelles devront être payées par chacun de nous : les acheteurs d’énergie au Canada, les propriétaires de ressources publiques, les actionnaires et les contribuables. L’infrastructure réglementaire qui soutient notre économie énergétique est aussi vitale à son fonctionnement que les routes et les oléoducs et, dans un monde où la confiance du public est devenue l’une des ressources les plus rares qui soient, elle est devenue encore plus vitale.

Parallèlement, si nous croyons que les communautés locales et les citoyens devraient contribuer davantage aux processus décisionnels, ces communautés et ces citoyens devront accroître leur capacité d’intervention s’ils veulent que leurs interventions soient plus constructives. Ils auront besoin de données et de renseignements et de moyens pour les traiter. Ils auront besoin de processus au sein des communautés qui devront eux-mêmes être démocratiques et équitables sur le plan procédural. Et ils auront besoin d’une capacité de représentation perfectionnée. Nous devons examiner de beaucoup plus près tout ce que cela sous-entend en fait de coûts, en tant que société, nous devrions être prêts à payer.

Qui surveille les gardiens?

C’est nous, et nous le faisons en acquérant une meilleure compréhension de leurs fonctions, de ce qu’ils font et ne font pas, de ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire. Nous devons rafraîchir nos connaissances à l’égard des vertus et des limites de l’indépendance réglementaire. Nous devons fournir aux organismes de réglementation des contextes en matière de politique et de droit qui ne s’effondreront pas autour d’eux lorsqu’ils feront leur travail. Les organismes de réglementation doivent aborder les questions procédurales d’une manière plus créative, mais nous devons comprendre jusqu’où ils peuvent aller. Les organismes de réglementation doivent communiquer et nous devons les aider dans ce domaine. Les communautés elles-mêmes doivent assumer une plus grande responsabilité en vue d’être des intervenants constructifs. Et nous devrons payer pour cela.

Tout cela et bien plus ecore, devait apporter de l’eau au moulin pour une nouvelle conversation au sujet de la confiance du public dans les processus et les autorités de réglementation. Il faudrait commencer avec moins de gesticulation de bras et plus d’analyses, ce qui devrait comprendre moins gazouillis et plus conversations.

* Michael Cleland, agrégé supérieur au Collaboratoire sur les recherches et les politiques énergétiques de l’Université d’Ottawa, en collaboration avec Laura Nourallah, candidate au doctorat à l’École d’études sur les politiques à l’Université d’Ottawa.

  1. Rowland Harrison est un ancien membre de l’Office national de l’énergie et a récemment terminé son mandat comme titulaire de la Chaire TransCanada en droit administratif et réglementaireà l’Université de l’Alberta; Peter Robinson est directeur général à la Fondation Suzuki; Paul Boothe a déjà été sous-ministre de l’Environnement à Ottawa et est maintenant directeur du Lawrence National Center for Policy and Management à l’Ivey School of Business à l’Université Western (Ontario).
  2. Nicholas L Cain et Hal T Nelson, « What drives opposition to high-voltage transmission lines? » (2013) 33 Land Use Policy 204; Michael Siegrist, Heinz Gutscher et Timothy C Earle, « Perception of Risk: the Influence of General Grust, and General Confidence » (2005) 8 Journal of Risk Research, 145; K David Pijawka, K D et Alvin H Mushkatel, « Public Opposition to the Siting of the High‐Level Nuclear Waste Repository: The Importance of Trust » (1991) 10 Review of Policy Research, 180; Paul Slovic, « Perceived Risk, Trust, and Democracy » (1993) 13 Risk Analysis 675 [Slovic].
  3. Nicolàs C Bronfman et al, « Understanding Social Acceptance of Electricity Generation Sources » (2012) 46 Energy Policy, 246; Philip Sinclair et Ragnar Löfstedt « The Influence of Trust in a Biomass Plant Application: The Case Study of Sutton, UK » (2001) 21 Biomass and Bioenergy 177; Roger E Kesperson, Dominic Golding et Seth Tuler, « Social Distress as a Factor in Siting Hazardous Facilities and Communicating Risks » (1992) 48 Journal of Social Issues 161.
  4. Pour un examen très utile des circonstances dans lesquelles les tribunaux s’en sont remis (ou non) aux organismes de réglementation, voir : David Mullan, « 2014 Developments in Administrative Law Relevant to Energy Law and Regulation » (2015) 3:1 Energy Regulation Quarterly 17.
  5. Pour les non-initiés : NIMBY (« Not In My Backyard », pas dans ma cour), NOPE (Nowhere On Planet Earth », pas sur la planète Terre) et BANANA (« Build Almost Nothing Anywhere Near Anybody, ne construisez rien nulle part près de qui que ce soit).
  6. Shafak Sajid, Restoring Trust: The Road to Public Support for Resource Industries (2014), la Canada West Foundation, en ligne : Centre for Natural Resources Policy <http://cwf.ca/pdf-docs/publications/CWF Restoring Trust Report v2.pdf>; Neil Nevitte et Mebs Kanji, « Authority Orientations and Political Support: A Cross-National Analysis of Satisfaction with Governments and Democracy » (2002) 1 Comparative Sociology 387; Neil Nevitte, « The Decline of Deference Revisited: Evidence after 25 Years » (2001), World Values Surveys, en ligne : UCI Center for the Study of Democracy <http://www.nevitte.org/wp-content/uploads/2011/04/The-Decline-of-Deference-Revisited.pdf>; David Zussman, « Do Citizens Trust their Governments? » (1997) 40 Canadian Public Administration40(2), 234-254. (en anglais seulement)
  7. Frank Graves, The Trust Deficit: What Does it Mean (May 14 2013), en ligne : Ekos Politics <http://www.ekospolitics.com/wp-content/uploads/full_report_may_14_2013.pdf> (en anglais seulement).
  8. Jane Jenson, Mapping Social Cohesion: The State of Canadian Research (1998), Canadian Policy Research Networks Inc, Study F-3, en ligne : CPRN <http://cprn.org/documents/15723_en.pdf>; Gilles Bourque et Julles Duchastel, « Les identités, la fragmentation de la société canadienne et la constitutionnalisation des enjeux politiques » (1996) 14 Revue internationale des études canadiennes 77; Robert Putnam, « Bowling Alone: America’s Declining Social Capital » (1995) 6 Journal of Democracy 65.
  9. Nation Tsilhqot’in c Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 RCS 256.
  10. Barry G Rabe, « When Siting Works, Canada-Style » (1992) 17 Journal of Health Politics, Policy and Law 119, Slovic, supra note 2; Howard Kunreuther, Paul Slovic et Donald MacGregor, « Risk Perception and Trust: Challenges for Facility Siting » (1996) 7 Risk 109; Christine Rivard et al, « An Overview of Canadian Shale Gas Production and Environmental Concerns » (2014) 126 International Journal of Coal Geology 64.
  11. En date de 2013, pour les Canadiens – huit secondes, une de moins que celle d’un poisson rouge selon une récente étude menée par Microsoft. Kevin Mcspadden, « You Now Have a Shorter Attention Span than a Goldfish » Time Magazine Online (14 mai 2015) en ligne : Time <http://time.com/3858309/attention-spans-goldfish/>.

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