Exploitation pétrolière extracôtière en eaux juridiques inexplorées : Le projet Bay du Nord précipitera-t-il un autre conflit fédéral-provincial?

INTRODUCTION

À la fin juillet 2018, Equinor Canada ltée (anciennement Statoil Canada ltée) et le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador ont annoncé un accord cadre pour l’exploitation éventuelle de la découverte de pétrole de Bay du Nord située à environ 270 milles marins (500 kilomètres) au large des côtes1. Devant l’impasse à laquelle sont confrontés les pipelines sous règlementation fédérale proposés et alors que l’exode de capitaux du secteur canadien du pétrole et du gaz suscite de profondes inquiétudes2, l’annonce a été accueillie comme une rare bonne nouvelle pour les industries des ressources du Canada. Le premier ministre a déclaré qu’une nouvelle frontière venait d’être franchie, et qu’une nouvelle ère d’exploration en eau profonde venait de s’ouvrir dans un nouveau bassin, la passe Flamande : « L’avenir de notre exploitation extracôtière commence aujourd’hui3 ».

On estime les réserves récupérables de la découverte de Bay du Nord, ainsi que de celle de Baccalieu tout près qui serait incluse dans le projet, à environ 300 millions de barils4. Les taux de production sont estimés entre 90 000 et 188 000 barils par jour sur 20 ans, les premiers barils de pétrole devant atteindre les marchés en 2025. Les dépenses préalables à la mise en valeur et de mise en valeur sont estimées à 6,8 milliards de dollars. Une décision finale d’investissement (approbation du projet) par Equinor et son partenaire de projet Husky Oil Operations Limited est attendue en 2020. La province détiendrait une part de 10% des capitaux propres du projet.

Hormis son importance pour l’avenir de l’industrie du pétrole extracôtier de Terre-Neuve-et-Labrador, le projet serait également important sur le plan juridique; il s’agirait probablement de la première exploitation pétrolière et gazière à être entreprise à plus de 200 milles marins au large des côtes.

Par conséquent, la production du champ pétrolifère de Bay du Nord déclencherait l’obligation pour le Canada en vertu de l’article 82 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM)5 d’effectuer des paiements à la communauté internationale en fonction de la production. Bien que le cadre juridique général pour l’exploration et l’exploitation des ressources du fond marin du plateau continental du Canada à plus de 200 milles marins des côtes soit bien établi, le Canada n’a pas encore pris de dispositions pour s’acquitter de cette obligation particulière.

Dans l’élaboration de son approche à cet effet, le Canada fera face à deux défis importants :

  1. Qui, du gouvernement et de l’industrie, devra assumer le coût financier pour s’acquitter de l’obligation du Canada en vertu de l’article 82?
  2. Eu égard aux dispositions de l’Accord atlantique6, en vertu duquel Terre-Neuve-et-Labrador a droit à « la totalité des revenus tirés de l’exploitation des ressources extracôtières comme s’il s’agissait de ressources exploitées sur terre… », comment le fardeau fiscal sera-t-il assumé entre les gouvernements fédéral et provincial? 

CNUDM – DROITS SUR LE PLATEAU CONTINENTAL

En vertu de l’article 77 de la CNUDM, les États côtiers exercent « des droits souverains aux fins de l’exploration et de l’exploitation » des ressources naturelles du plateau continental adjacent. L’article 76 définit le plateau continental comme étant constitué des fonds marins et de leur sous-sol qui s’étendent au-delà de la mer territoriale « sur tout le prolongement naturel du territoire terrestre [d’un État côtier] jusqu’au rebord externe de la marge continentale » jusqu’à une distance minimale de 200 milles marins. Lorsque la marge continentale s’étend effectivement au-delà de 200 milles marins, le rebord externe doit être déterminé au moyen d’une formule complexe combinant l’épaisseur des sédiments et les distances allant jusqu’à 350 milles marins – et peut-être même plus loin dans le cas de certaines composantes naturelles de la marge continentale7. Les zones du plateau continental au-delà de 200 milles marins sont désignées sous le nom de plateau continental étendu, ou PCE.

Les droits sur le plateau continental sont indépendants de la zone économique exclusive (ZEE) établie au titre de la partie V de la CNUDM, souvent appelée la « limite de 200 milles ». Bien que la découverte de Bay du Nord se trouve au-delà de la limite externe de la ZEE du Canada, elle se situe clairement à l’intérieur des limites externes des droits sur le plateau continental du Canada en vertu de la CNUDM. Les revendications du Canada à cet égard ne sont pas contestées.

Le Canada a incorporé ces droits dans le droit national, plus particulièrement au titre de la Loi sur les océans8 et de diverses lois s’appliquant à l’aliénation des droits sur le pétrole extracôtier et la conduite d’opérations dans l’exercice de ces droits9.

ARTICLE 82

L’article 82 de la CNUDM exige des États côtiers qu’ils acquittent des contributions en espèces ou en nature au titre de l’exploitation de ressources non biologiques au-delà de 200 milles marins. Ces contributions sont acquittées chaque année, commençant à 1% par année jusqu’à la 12e année. Les contributions se stabilisent à 7% par la suite et doivent être acquittées par le canal10 de l’Autorité internationale des fonds marins aux États parties à la CNUDM « selon des critères de partage équitables…11 ».

À ce jour, le Canada n’a adopté aucun mécanisme pour actualiser son obligation au titre de l’article 82. Toutefois, depuis un certain nombre d’années, l’Office Canada – Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers (OCTNLHE) a émis des avis pour des parcelles comprenant des zones au-delà de 200 milles marins pour lesquelles les titulaires de licences de production pourraient avoir à « verser des paiements ou des contributions afin que le Canada puisse s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 82 » de la CNUDM12. Ces avis stipulent que cette exigence pourrait être imposée « dans le cadre de lois, de règlements, de conditions de licence ou autrement… ». Les avis ne donnent pas plus de détails. 

QUI DEVRAIT PAYER?

L’obligation internationale au titre de l’article 82 est imposée directement au Canada (c’est-à-dire au gouvernement fédéral) comme État partie à la CNUDM13. Toutefois, il revient au Canada de décider en fonction de sa politique nationale comment il s’acquittera de son obligation – et plus précisément s’il en assumera le coût financier lui-même ou s’il refilera la facture à l’industrie. Comme nous le verrons plus bas, il semble qu’il ne soit pas possible de refiler la facture à l’industrie dans le cadre de l’Accord atlantique tel qu’il existe en ce moment et que cela aurait une incidence négative sur le rendement fiscal de Terre-Neuve-et-Labrador pour toute production au-delà de 200 milles marins.

DEUX PERSPECTIVES DE L’ARTICLE 82

La perspective de contrepartie

L’article 82 est souvent perçu comme le résultat d’un règlement de contrepartie pour une question ayant imprégné les négociations de la CNUDM14. Selon cette perspective, la contribution à la communauté internationale exigée par l’article 82 était le prix payé aux États côtiers ayant de vastes marges continentales (y compris le Canada) se voyant octroyer des droits de souveraineté sur le plateau continental au-delà de 200 milles marins. L’industrie, comme premier bénéficiaire direct de l’exercice de ces droits, comme le veut l’argument, devrait payer ce prix.

Le Canada n’a pas souscrit publiquement à cette perspective de l’article 82. Toutefois, plusieurs rapports en 2014 citaient un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement ayant écrit dans un courriel que « les contributions au titre de l’article 82 devraient provenir des bénéfices découlant de l’activité extracôtière associée15. »

L’autre perspective

Toutefois, cette perspective de contrepartie de l’article 82 ne concorde pas avec le bilan historique et est directement contredite par les positions officielles avancées par le Canada tout au long des négociations de la CNUDM. Le Canada a toujours maintenu qu’il avait déjà acquis et exercé des droits de souveraineté jusqu’aux limites externes de sa marge continentale bien avant que les négociations concernant la CNUDM ne commencent en 1973.

En effet, le Canada a commencé à exercer des droits de souveraineté sur des zones au-delà de 200 milles marins en octroyant des permis d’exploration dans les années 1960. En 1970, des permis avaient été délivrés pour presque toutes les zones prospectives au large de la côte est jusqu’à une distance de plus de 350 milles marins. La figure 1 présente la carte, publiée par le ministère fédéral de l’Énergie, des Mines et des Ressources, des « Permis fédéraux d’exploration pétrolière et gazière » pour le golfe du Saint-Laurent et l’Atlantique en date du 1er janvier 1970.

La figure 1 montre qu’en date du 1er janvier 1970, le Canada avait revendiqué et exerçait activement des droits de souveraineté sur de vastes zones s’étendant plus de 200 milles marins au large des côtes.

 

Tout au long des négociations de la CNUDM, le Canada a toujours, et de façon répétée, maintenu qu’il détenait déjà des droits de souveraineté; le Canada a dit clairement qu’il ne cherchait pas à acquérir de tels droits par l’intermédiaire de la CNUDM. Par exemple, à la veille de la troisième séance de la CNUDM III à Genève en 1975, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures a annoncé :

Nous sommes prêts à envisager cette possibilité [de partage des recettes] et nous sommes prêts à soutenir ce principe en faveur d’un arrangement. Les deux conditions – et je le souligne – selon lesquelles le Canada serait prêt à soutenir un tel principe seraient : premièrement, que toute entente conclue ne dérogerait pas de nos droits de souveraineté établis allant jusqu’à la marge; et deuxièmement, que les contributions financières iraient principalement aux pays en voie de développement, plus particulièrement aux moins développés d’entre eux16.

Le fondement de la position du Canada est décrit dans un document déposé par le Canada à la veille de la première séance de la CNUDM III en décembre 1973 :

La position canadienne concernant les limites du plateau continental est fondée sur la Convention de 1958 même, sur la décision de 1969 de la Cour internationale de Justice dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (qui définissait le plateau continental comme un prolongement naturel submergé de la masse continentale) et sur la pratique de l’État. Le Canada revendique et exerce des droits sur l’ensemble de la marge continentale, ce qui comprend non seulement le plateau continental physique mais aussi la pente et le glacis du continent, en fonction de ces trois fondements juridiques17.

Manifestement, le Canada ne comptait pas sur la CNUDM pour acquérir des droits sur le plateau continental étendu18.

Cela suggère donc que le Canada avait autre chose à gagner de la conclusion fructueuse des négociations de la CNUDM. Les autres intérêts matériels, et on pourrait dire plus immédiats, du Canada tout au long de la période pendant laquelle la CNUDM a été négociée (1973 à 1982) comprenaient la protection de l’industrie canadienne d’extraction extracôtière du nickel19, la gestion de ses pêches côtières, la liberté de navigation, la souveraineté dans l’Arctique et la protection du milieu marin. Si la CNUDM n’avait pas été conclue, les coûts pour que le Canada protège ses intérêts, y compris les dépenses de défense20, auraient probablement augmenté; en évitant de tels coûts, le gouvernement du Canada lui-même a bénéficié directement de la CNUDM.

De ce point de vue, l’article 82 ne représentait qu’un prix à payer, non pour l’acquisition de droits de souveraineté sur le plateau continental étendu, mais pour l’ensemble des avantages que le Canada tire de la CNUDM. Dans cette perspective, le coût pour se conformer à l’article 82 devrait être payé par le Canada, au nom de tous les bénéficiaires.

Cette autre perspective de l’article 82 s’appuie également sur le fait que la CNUDM a toujours été considérée comme une entente globale qui ne pouvait pas être morcelée en une série de compromis particuliers. Par exemple, dans l’introduction de la première publication du texte officiel de la CNUDM en 1983, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour le droit de la mer a écrit :

Le concept d’entente globale a envahi tous les travaux d’élaboration de la Convention et ne se limitait pas seulement aux considérations de fond. Il est devenu le leitmotiv de la conférence et imprègne en fait le droit de la mer tel qu’il existe aujourd’hui21.

Le Canada a toujours soutenu cette perspective conceptuelle de la Convention, comme le reflètent les nombreux discours de ministres et de représentants, au cours des négociations de la CNUDM ainsi qu’à la suite de la conclusion de la Convention22.

L’ACCORD ATLANTIQUE

Néanmoins, si le Canada décidait de refiler la facture de l’article 82 à l’industrie comme composante des conditions fiscales de l’exploitation pétrolière et gazière dans le plateau continental étendu, il se buterait aux conditions de l’Accord atlantique, en vertu desquelles Terre-Neuve-et-Labrador se voit conférer le pouvoir d’établir ces conditions fiscales et le droit à la totalité des recettes afférentes.

Parmi les objectifs de l’Accord atlantique de 1985, on note celui indiquant « que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador puisse établir et percevoir les recettes issues des ressources comme si ces ressources se trouvaient sur terre, au sein de la province…23 ». En vertu du paragraphe 2 de l’Accord atlantique de 200524, Terre-Neuve-et-Labrador « continuera de recevoir la totalité des recettes issues des ressources extracôtières comme s’il s’agissait de ressources exploitées sur terre… ». Les lois fédérales et provinciales assurant l’application de l’Accord rendent ces dispositions exécutoires25.

Ces dispositions confirment donc sans équivoque que le Canada ne pourrait pas refiler la facture pour s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 82 à l’industrie sans l’accord de Terre-Neuve-et-Labrador. Par ailleurs, c’est la province, et non le Canada, qui devrait assurer la mise en œuvre d’une telle proposition au moyen d’arrangements fiscaux avec l’industrie.

La question qui se pose donc immédiatement est la suivante : Pourquoi Terre-Neuve-et-Labrador accepterait-elle? En fait, il y a une raison bien évidente pour laquelle elle hésiterait à le faire.

Les recettes brutes générées par toute exploitation pétrolière extracôtière sont déterminées par les prix du marché, indépendamment de la volonté des gouvernements et des promoteurs. Par conséquent, la portion de ces recettes pouvant être partagée entre les gouvernements et les promoteurs (après avoir déduit les coûts d’exploitation et un rendement raisonnable du capital) est fixe. Si les coûts de l’obligation au titre de l’article 82 étaient imposés directement à l’industrie, il en résulterait une réduction proportionnelle de la portion des recettes à partager avec la province. Les fonds issus de l’article 82 seraient prélevés de fonds pouvant être perçus autrement par la province; le fait d’imposer les coûts pour l’obligation au titre de l’article 82 à l’industrie obligerait Terre-Neuve-et-Labrador à assumer, à tout le moins, une partie de ces coûts.

Toute suggestion à savoir que ce résultat pourrait être évité en exigeant tout simplement que l’industrie absorbe la totalité des coûts pour l’article 82 passerait outre à la réalité économique. La distance des côtes a une incidence directe sur le coût des opérations extracôtières. À vrai dire, les arrangements fiscaux pour les opérations au-delà de 200 milles marins au large des côtes devraient être moins et non plus lourds que pour les opérations à moins de 200 milles marins au large des côtes.

Il importerait aussi de considérer pourquoi Terre-Neuve-et-Labrador hésiterait à accepter toute proposition d’Ottawa pouvant avoir des répercussions financières négatives sur la province. La CNUDM a été signée par le Canada le 10 décembre 1982 et il était déjà clair qu’elle entrerait en vigueur et qu’elle serait ratifiée par le Canada lorsque l’Accord atlantique a été conclu en 1985. Toutefois, l’Accord ne dit rien quant à la possibilité que les coûts pour l’obligation du Canada au titre de l’article 82 soient assumés, directement ou indirectement, par Terre-Neuve-et-Labrador. Au contraire, l’Accord stipule clairement que la province « peut établir et percevoir les recettes issues de ressources comme si ces ressources se trouvaient sur terre, au sein de la province… ». Le Canada avait l’occasion en 1985 de règler la question à savoir qui devrait assumer les coûts pour l’obligation au titre de l’article 82 et ne l’a pas fait.

La province a un argument de taille à savoir que tout transfert par le gouvernement fédéral des coûts au titre de l’article 82 serait interdit par l’Accord atlantique.

EXAMEN DE L’ACCORD ATLANTIQUE

L’Accord atlantique de 2005 prévoit que l’entente soit révisée au plus tard le 31 mars 201926. Le 13 février 2018, le premier ministre Dwight Ball a annoncé à la Newfoundland and Labrador Oil and Gas Industries Association que la province avait écrit au premier ministre du Canada en vue d’amorcer le processus de révision dans le but d’améliorer les avantages des activités extracôtières pour la province.

Le premier ministre Ball aurait mentionné que la révision avait pour but de permettre à la province d’obtenir plus d’argent27. Il est donc peu probable que la province soit ouverte à toute proposition voulant qu’elle assume, directement ou indirectement, toute partie des coûts concernant la conformité à l’article 82.

Le premier ministre de la province et le premier ministre du Canada se sont réunis par la suite, mais tout ce qui a été publié à propos de cette réunion a été une déclaration attribuée au premier ministre de la province à savoir que l’Accord « recevait l’attention nécessaire aux plus hauts échelons des gouvernements provincial et fédéral28. »

PRÉCÉDENTS INTERNATIONAUX

Deux territoires de compétence29 avec d’importantes activités pétrolières et gazières extracôtières ont établi des cadres pour l’application éventuelle de l’article 82. Les deux transfèrent le coût pour l’obligation au titre de l’article 82 aux exploitants. Toutefois, les deux reconnaissent qu’en fin de compte, le fardeau financier doit être tiré des recettes qui reviendraient autrement directement au gouvernement.

La Norvège

Au cours du plus récent cycle d’octroi de licences en Norvège pour des zones dans la mer de Barents, annoncé le 22 juin 2017, un avis mentionnait qu’une licence « pouvait être exigée » afin de couvrir les frais relatifs à l’obligation de la Norvège au titre de l’article 82. L’avis indiquait également que « le coût pouvait être déduit à même les taxes sur les hydrocarbures30. » Le paragraphe ne prévoit pas le transfert des coûts pour la conformité à l’article 82, mais tout simplement que « la licence pouvait être exigée dans le but de couvrir cette dépense. »

Les États-Unis

Les États-Unis n’ont pas adhéré à la CNUDM31. La possibilité d’accéder ultérieurement à la Convention a toutefois été reconnue dans de récentes adjudications de concessions comprenant des zones se trouvant à plus de 200 milles marins des côtes dans le golfe du Mexique.

Plus récemment, en février 2018, le Secrétaire à l’intérieur a annoncé le projet d’adjudication de concession 250, prévue le 16 août 2018, pour des zones dans le golfe du Mexique32. La stipulation de concession no 6 dans l’avis d’adjudication proposé prescrit des dispositions qui s’appliqueraient si les États-Unis devaient adhérer à la CNUDM « avant ou pendant la vie d’une concession octroyée par les États-Unis pour un bloc ou une partie d’un bloc situés au-delà de la ZEE, comme il est défini dans la CNUDM…33 ». Ces dispositions exigent du concessionnaire qu’il verse au gouvernement des États-Unis un montant correspondant à la valeur du paiement exigé par l’article 8234. Il est ensuite prévu que le concessionnaire reçoive un crédit de redevance [contre des redevances autrement payables] au montant du paiement de la redevance liée à la CNUDM…35 ».

Caractéristique commune

Les régimes de la Norvège et des États-Unis prévoient que les concessionnaires et les titulaires de licences respectifs recevront un crédit au montant de tout paiement lié à l’article 82, comme déduction dans le calcul de la taxe sur les hydrocarbures dans le cas de la Norvège et comme redevances autrement payables dans le cas des États-Unis. Dans les deux cas, l’intention est clairement de voir à ce que tout paiement lié à l’article 82 n’entraîne pas de coûts supplémentaires pour l’industrie, sauf si le paiement est supérieur à tout montant autrement payable en vertu de la concession ou de la licence. Cette caractéristique reconnaît qu’en fin de compte, tout paiement lié à l’article 82 doit être traité comme une composante des gains du gouvernement et non un coût différentiel imposé à l’industrie.

CONCLUSION

L’accord cadre pour l’exploitation du projet de Bay du Nord annoncé le 26 juillet 2018 semble passer outre à la question de savoir qui assumera les coûts pour la mise en œuvre de l’article 82, ce qui donne à penser que Terre-Neuve-et-Labrador prendra la position selon laquelle la question ne devrait pas être règlée entre la province et les promoteurs du projet, laissant ainsi au Canada la seule responsabilité d’éponger ces coûts.

Si tel est le cas, une autre confrontation fédérale-provinciale au sujet de la mise en valeur des ressources semblerait inévitable.

* Conseiller en règlementation de l’énergie, Calgary; corédacteur en chef, Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie. Cet article est inspiré de la recherche publiée antérieurement sous Harrison, « Article 82 of UNCLOS: The day of reckoning approaches », (2017) 10 J of World Energy Law and Business 488.

  1.  Conseil exécutif, Ressources naturelles, communiqué, « Premier Ball Marks First Step into New Frontier for Oil and Gas Industry » (26 juillet 2018), en ligne : <http://www.releases.gov.nl.ca/releases/2018/exec/0726n01.aspx>.
  2.  Voir, par exemple, l’Association canadienne des producteurs pétroliers, communiqué, « CAPP Report: Canada falling behind » (26 février 2018), en ligne : <https://context.capp.ca/articles/2018/feature_capp-economic-report>.
  3.  Communiqué, supra note 1.
  4.  Une description détaillée du projet se trouve dans le Résumé de la description de projet d’Equinor Canada ltée avec l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, juin 2018, en ligne : <https://www.ceaa.gc.ca/050/documents/p80154/123011F.pdf>. Voir aussi Terre-Neuve-et-Labrador, ministère des Ressources naturelles, Bay du Nord Framework Agreement: Technical Briefing, Terre-Neuve-et-Labrador, ministère des Ressources naturelles, juillet 2018, en ligne : <https://www.nr.gov.nl.ca/nr/energy/petroleum/offshore/projects/Final%20BdN%20Framework%20Agreement%20Technical%20Briefing%20July%202018.pdf>.
  5.  Convention sur le droit de la mer, 10 décembre 1982, 1833 UNTS 397 (entrée en vigueur sous le nom de Convention des Nations Unies sur le droit de la mer : 1er novembre 1994), en ligne : <http://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf>.
  6.  Protocole d’entente entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador sur la gestion des ressources pétrolières et gazières extracôtières et le partage des recettes (« Accord atlantique ») (11 février 1985), en ligne : <https://www.servicenl.gov.nl.ca/printer/publications/aa_mou.pdf>; Voir aussi l’Arrangement entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador sur les recettes extracôtières (« Accord atlantique de 2005 ») (14 février 2005), en ligne: <https://www.gov.nl.ca/atlanticaccord/agreement.htm>.
  7.  Le paragraphe 6 de l’article 76 de la CNUDM établit une limite externe générale du plateau continental de 350 milles marins, mais stipule par la suite que cette limite ne s’applique pas « aux hauts-fonds qui constituent des éléments naturels de la marge continentale, tels que les plateaux, les seuils, les crêtes, les bancs et les éperons. » Le Canada compte sur sa clause conditionnelle pour étendre sa revendication du plateau continental au bonnet Flamand, qui se prolonge bien au-delà de 350 milles marins.
  8.  Loi sur les océans, LC 1996, c 31.
  9.  Voir aussi la Loi fédérale sur les hydrocarbures, LRC 1985, c 36 (2e supp); Loi sur les opérations pétrolières au Canada, LRC 1985, c O-7.
  10.  Dans les premières versions anglaises de l’article 82, le mot « to » a été utilisé puis changé intentionnellement à « through ». Voir « Issues Associated with the Implementation of Article 82 of the United Nations Convention on the Law of the Sea », Étude technique no 4 de l’AIFM, Autorité internationale des fonds marins, Kingston, Jamaïque, 2009, à la p 20, en ligne : <https://www.isa.org.jm/sites/default/files/files/documents/tstudy4.pdf>; voir aussi l’exposé dans « Implementation of Article 82 of the United Nations Convention on the Law of the Sea », Étude technique no 12 de l’AIFM, Autorité internationale des fonds marins, Kingston, Jamaïque, 2012, à la p 27, en ligne : <http://www.isa.org.jm//files/documents/EN/Pubs/TS12-web.pdf>.
  11.  Le rôle principal de l’Autorité internationale des fonds marins en vertu de la CNUDM se rapporte à l’exploitation des ressources du fond marin dans la zone dépassant les limites du territoire de compétence nationale, c’estàdire au-delà de la limite externe du plateau continental. Voir plus particulièrement la CNUDM, supra note 5, PARTIE XI, art 4. La seule responsabilité de l’Autorité relativement à l’article 82 est de désigner les bénéficiaires des contributions faites en vertu de l’article 82 et de servir de véhicule par lequel les contributions sont faites. À ce jour, aucun bénéficiaire de contributions faites en vertu de l’article 82 n’a été désigné.
  12.  Plus récemment dans l’appel de candidature no NL18-CFN03 publié en août 2018, en ligne : <https://www.cnlopb.ca/wp-content/uploads/landissuance/cfn03legal.pdf>, au para 6. La pratiquevisant à publier un tel avis semble avoir commencé avec l’appel d’offres NL13-01 en mai 2013.
  13.  Le fait que l’obligation au titre de l’article 82 revient au gouvernement fédéral est reconnu dans les avis émis par l’OCTNLHE, supra note 12, qui stipule que des contributions peuvent être exigées « afin que le Canada puisse s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 82… ».
  14.  Voir, par exemple, Aldo Chircop, « Equity on the extended continental shelf? How an obscure provision in UNCLOS provides new challenges for the ocean governance », Sustainable Oceans: Reconciling Economic Use and Protection, Dräger Foundation, 2013.
  15.  Daily Oil Bulletin, 12 août 2014.
  16.  Discours du secrétaire d’État aux Affaires extérieures à l’occasion d’une conférence de presse à Genève en mai 1975 (soulignement ajouté).
  17.  Le document de position a été publié en annexe H aux délibérations du Comité parlementaire permanent des Affaires extérieures et de la Défense nationale, 6 novembre 1973.
  18.  Du point de vue du Canada, la CNUDM pourrait, tout au plus, confirmer les droits établis du Canada.
  19.  À l’époque, le Canada était le plus grand producteur/exportateur de nickel dans le monde et la possibilité d’extraire du nickel du fond marin évoquait le spectre d’importantes perturbations du marché. L’industrie canadienne du nickel envisageait aussi de participer elle-même à des entreprises d’exploration et d’exploitation minières du fond marin. Voir aussi, Ontario, The Future of Nickel and the Law of the Sea, Mineral Policy Background Paper No 10, Toronto, ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, février 1980; voir aussi Barry G. Buzan et Barbara Johnson, Canada at the Third Law of the Sea Conference: Policy, Role, and Prospects, Occasional Paper Series no 29, Kingston, Law of the Sea Institute, University of Rhode Island, décembre 1975. Les activités d’exploration et d’exploitation pour les minerais du fond marin dans des zones au-delà du territoire de compétence nationale ne se sont effectivement pas concrétisées comme prévu pendant la CNUDM III.
  20.  Dans une entrevue de 1979 à la radio de la CBC, J.A. Beesley, chef de la délégation canadienne à la CNUDM III, faisant mention de possibles différends si une entente n’était pas conclue, a parlé « des genres de différends qui mèneront fort probablement à la force ».
  21.  Le droit de la mer : Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, Nations Unies, New York, 1983, à la p xix.
  22.  Voir, par exemple, le discours du secrétaire d’État aux Affaires extérieures devant le Halifax Board of Trade, 25 février 1975.
  23.  Supra note 6 au para 2(e).
  24.  Ibid.
  25.  Voir la Loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique Canada – Terre-Neuve-et-Labrador, LC 1987, c 3; Canada-Newfoundland and Labrador Atlantic Accord Implementation Newfoundland and Labrador Act, RSNL 1990, c C-2.
  26.  Supra note 6 au para 8.
  27.  CBC News, « Dwight Ball wants Trudeau to review Atlantic Accord », CBC News (13 février 2018), en ligne : <https://www.cbc.ca/news/canada/newfoundland-labrador/dwight-ball-wants-sit-down-with-trudeau-1.4534195>.
  28.  Ashley Fitzpatrick, « Meeting with PM about more than Atlantic Accord: N.L. premier », The Telegram (11 avril 2018), en ligne : <http://www.thetelegram.com/news/meeting-with-pm-about-more-than-atlantic-accord-nl-premier-201151/>.
  29.  La Continental Shelf Act, 1964 de la Nouvelle-Zélande exige du ministre qu’il précise les redevances dans les permis et les licences pour des zones du plateau continental au-delà de 200 milles marins « au taux spécifié » dans le permis ou la licence. En précisant le taux, le ministre « doit tenir compte des droits et obligations de la Nouvelle-Zélande au titre de l’article 82 de la [CNUDM] », 1964, no 28, article 5A, inséré le 1er août 1996 par l’article 4 de la Continental Shelf Amendment Act 1996 (1996 no 71), modifié par les paragraphes 7(1) et (2) de la Continental Shelf Amendment Act 2013 (2013 no 16).
  30.  Norwegian Petroleum Directorate, communiqué, « 24th licensing round – announcement » (22 juin 2017), en ligne : <http://www.npd.no/en/Licensing-rounds/Licensing-rounds/24th-Licencing-round/Announcement/>.
  31.  La question à savoir si les États-Unis devraient adhérer à la CNUDM a semé la controverse. Voir, par exemple, Stewart M Patrick, « (Almost) Everyone Agrees: The U.S. Should Ratify the Law of the Sea Treaty », The Atlantic (10 juin 2012).
  32.  Bureau of Energy Management, « Lease Sale 250 », en ligne : <https://www.boem.gov/Sale-250/>.
  33.  États-Unis, Department of the Interior Bureau of Ocean Energy Management, zone externe du plateau continental du golfe du Mexique, Lease Stipulations, Gulf of Mexico, Region-wide Oil and Gas Lease Sale 250: Final Notice of Sale, en ligne : <https://www.boem.gov/Sale-250-Lease-Stipulations/>.
  34.  Ibid, au para E.
  35.  Ibid, au para J.

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