Le 16 décembre 2013, le ministre de l’Énergie de l’Ontario, Bob Chiarelli, a confié à l’Ontario Power Authority (OPA) la responsabilité d’élaborer un processus d’approvisionnement concurrentiel pour les nouveaux projets d’envergure sur l’énergie renouvelable, lesquels sont axés sur le cours acheteur, l’expérience du promoteur, la capacité financière et la diligence raisonnable d’un site. Cette directive donnait suite aux consignes transmises plus tôt en 2013 de n’accueillir aucun projet de production d’énergie renouvelable d’envergure dans le cadre du Programme de tarifs de rachat garantis (TRG) de l’Ontario.
Ces changements récents indiquent clairement que le gouvernement de l’Ontario aborde les choses différemment grâce au Programme de TRG – pièce maîtresse de la Loi de 2009 sur l’énergie verte et l’économie verte (LEV) – pour l’approvisionnement en énergie renouvelable à grande échelle.
Cette édition de la Publication trimestrielle sur la réglementation de l’énergie offre une occasion d’analyser et de porter une réflexion sur l’expérience de l’Ontario à l’égard de la LEV, notamment le Programme de TRG, et de puiser d’un certain nombre de notions et de connaissances opportunes concernant les objectifs de la politique inhérents à cette loi.
L’objectif principal de la LEV consistait à promouvoir la production de nouvelles énergies renouvelables à partir de sources situées sur le littoral ou au large des côtes, soit l’énergie éolienne, l’énergie solaire, l’hydroénergie, la biomasse, le biogaz, les biocarburants, l’énergie géothermique et l’énergie marémotrice, ce qui encourageait la conservation et le réseau intelligent; permettait d’augmenter le pouvoir exécutoire du ministre et tenait compte des intérêts des Autochtones et des Métis. La LEV peut être considérée comme un mécanisme de mise en œuvre associé à la politique ontarienne plus générale qui consiste à fermer toutes les centrales alimentées au charbon de la province.
Tout en établissant l’Ontario comme chef de file nord-américain en matière d’énergie renouvelable, la LEV était et demeure, en partie, une politique industrielle visant à garantir de nouveaux investissements et à créer de nouveaux emplois au sein de l’économie verte de l’Ontario. La LEV est le résultat d’une initiative audacieuse mise sur pied au cours d’une période d’incertitude économique profonde en Ontario, et à une échelle plus large, dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. Au cours des cinq dernières années, le ministère, fidèle à l’intention d’utiliser le secteur de l’électricité comme instrument de politique industrielle, a utilisé ses pouvoirs exécutoires plus élevés pour transmettre de nombreuses directives à l’OPA et à la Commission de l’énergie de l’Ontario. Avec, en moyenne, plus de cinq directives par année, la mise en application de la LEV a été, en un mot, tumultueuse. Selon nous, le rythme soutenu des changements à l’égard des autorisations, des prix et de l’approvisionnement en équipement, dans le cadre de la LEV, y était pour beaucoup. Voilà la perspective pratique : ralentir, consulter amplement, comprendre clairement les exigences techniques et de fonctionnement du système, en plus d’ajouter une grande part de production d’énergie renouvelable aux réseaux de transport et de distribution existants en Ontario et de mettre en application de nouvelles politiques importantes de manière à maintenir une stabilité dans le secteur.
La démarche du gouvernement quant à la promotion de la mise en service du réseau intelligent en Ontario a pris une tournure davantage consultative, mesurée et pragmatique. L’Ontario Smart Grid Forum a produit un rapport de visualisation en 2009, un rapport de mise en service en 2011 et un rapport sur l’accès aux données des consommateurs en 2012. Les sociétés de distribution locale (SDL) sont maintenant tenues de déposer des plans portant sur le développement et la mise en service d’un réseau intelligent dans le cadre de leurs demandes tarifaires. En outre, le Fonds de développement du réseau intelligent provincial de 50 millions de dollars, se concentre sur le soutien de projets de démonstration de grande valeur visant à faire progresser l’innovation énergétique en Ontario et ce, en collaboration avec des SDL. Les investissements majeurs ne sont appuyés que si la justification de leur valeur peut être démontrée et jusqu’à ce qu’elle le soit.
Le principal objectif de la LEV devait être atteint dans le cadre d’une démarche beaucoup plus intensive à l’aide du nouveau Programme de TRG mis en branle le 1e octobre 2009; de la création d’un nouveau Bureau de facilitation en matière d’énergie renouvelable au ministère de l’Énergie; du retrait du contrôle de la Loi sur l’aménagement du territoire de la région relative aux installations d’énergie renouvelable; de la rationalisation des autorisations en matière d’environnement applicable à tous les combustibles renouvelables, à l’exception de l’hydroénergie, dans le cadre d’une seule Autorisation de projet d’énergie renouvelable; de l’instauration d’une obligation impérative pour les services publics de recourir aux nouvelles énergies renouvelables; de même que de la signature d’une entente d’investissement majeur en matière d’énergie verte du gouvernement de l’Ontario avec un consortium coréen, notamment, Samsung C&T.
En regard des cinq dernières années, alors que le programme a été une réussite quant à la promotion rapide de la production de nouvelles énergies renouvelables (quoiqu’il y ait eu certains contretemps, plus notamment la suspension de projets éoliens en zone extracôtière en février 2011, laissant au moins un titulaire d’un contrat de TRG dans l’oubli), la LEV a largement contribué, et ce, à un coût important, tant financier que politique. L’OPA rapporte, dans la dernière mise à jour disponible de sa publication trimestrielle remontant au 31 mars 2013, que depuis 2009, elle a conclu 1.706 contrats de TRG pour de vastes sources d’énergies renouvelables représentant 4,54 TW de la production en Ontario. La nouvelle énergie éolienne constitue la plus grande partie (68,5 %) de la capacité contractuelle totale et la nouvelle énergie solaire représente la majorité de la portion restante (26 %).
Ces résultats ont été défendus autant comme étant un succès qu’un fardeau, dépendamment du point de vue. Les producteurs ont obtenu un prix garanti, tandis que l’acheteur a bénéficié d’un flux de rentrées à long terme sans s’exposer aux coûts liés à la participation à un processus uniformisé de DP. Des environnementalistes et d’autres défenseurs de l’énergie renouvelable affirment que la province de l’Ontario a progressé au point de vue de l’établissement d’un système d’électricité plus propre et plus écologique en émettant moins de carbone (en effet, certains laissent entendre que la LEV constitue, de fait, une taxe sur les émissions carboniques). Les planificateurs et les opérateurs de réseaux d’électricité avaient la tâche ardue de gérer et d’intégrer un afflux important de nouvelles capacités de production ne pouvant être réparties (au moins jusqu’à ce que les modifications de la règle du marché SE-91 soient en vigueur), qui arrivera en circulation lorsque l’Ontario se sera remise d’une forte baisse de la demande causée par le ralentissement économique. Les consommateurs peuvent percevoir un réseau électrique plus vert et plus propre, mais à un coût très élevé, attribuable, au moins en partie, aux subventions généreuses versées aux responsables du développement des énergies éolienne et solaire.
Les communautés des Premières Nations et des Métis ont fortement été encouragées à participer à de nouveaux projets sur l’énergie renouvelable par l’entremise du Programme de partenariats énergétiques pour les Autochtones, du Programme de garanties d’emprunt pour les Autochtones et de la création du Programme de TRG qui proposait un additionneur de prix contractuels, une réduction des obligations en matière de sécurité et un retardement des points de priorité et des commandes de capacité réservées. La participation accrue des communautés des Premières Nations et des Métis à de nouveaux projets a généralement été perçue comme un prérequis nécessaire où chacun y trouve son compte pour obtenir le permis social permettant de construire de nouvelles installations de production (et de transport), lesquelles ont des répercussions sur les terres autochtones et leurs territoires traditionnels.
Le Programme de TRG comportait un défi de taille : il prescrivait à l’OPA d’estimer à l’avance le juste prix de chaque technologie renouvelable, ce qui représentait une tâche plutôt laborieuse étant donné les conditions changeantes du marché, les développements technologiques et les coûts. Puisque le Programme de TRG était un programme d’offre standard, l’OPA n’a pas pu suivre, à l’aide de ce programme, le calendrier de l’approvisionnement de nouvelles sources de production étant donné la nature toujours changeante des besoins. De plus, au niveau local, des organismes et des individus peu organisés, particulièrement dans les milieux ruraux de l’Ontario, ont perdu le contrôle de la planification et ont suscité une résistance à l’égard des nouveaux projets qu’ils dirigeaient, particulièrement en ce qui concerne les projets éoliens. L’inquiétude au sujet de l’insatisfaction à l’égard de la production d’énergie éolienne qui s’est manifestée dans l’ensemble de l’Ontario continue à présenter un risque politique sérieux qu’aucun parti ne peut ignorer.
Dans ces circonstances, le plan du gouvernement de remplacer l’important Programme de TRG par des acquisitions planifiées et concurrentielles de projets d’énergie renouvelable à grande échelle, lesquels sont axés sur le prix, l’expérience du promoteur, la capacité financière, la diligence raisonnable d’un site et les considérations et intérêts locaux, représente une approche sensée visant directement à remédier à ces problèmes.
La conservation demeure un objectif provincial central dans le cadre de la LEV. Les programmes de l’OPA à l’échelle provinciale que les SDL ont mis en œuvre demeurent le point de convergence principal des programmes de conservation et de gestion de la demande. Ces programmes de l’OPA sont maintenant exigés comme condition à leurs permis de distribution afin de répondre aux objectifs de combler une partie de la consommation de la province de 6 000 GWh et de 1 330 MW lors des périodes de pointe et aux objectifs de conservation et de gestion de la demande entre 2011 et 2014. Le 5 décembre 2013, l’OPA a annoncé les résultats de 2012 indiquant que les SDL ont réussi à atteindre de façon cumulative 65 % des économies de GWh et 20 % des économies de MW au cours de la deuxième année du programme de quatre ans. Il reste à voir si toutes les SDL réussiront à atteindre leurs objectifs de conservation et de gestion de la demande mandatés et ce qui se produira si une ou plusieurs SDL échoue dans cet objectif.
Dans le contexte d’un système électrique, l’impact de la LEV est mesurable et quantifiable. Dans une large mesure, la promotion de nouvelles énergies renouvelables, les avancées du réseau intelligent, la promotion de la conservation et le soutien des intérêts des Premières Nations et des Métis ont connu du succès. Cependant, il reste à voir si les avantages du Programme de TRG l’emportent sur les coûts à long terme.
Du point de vue d’une politique industrielleconsistant à garantir la création de nouveaux emplois et de nouveaux investissements, certains de ces nouveaux emplois et investissements ont été créés pour faire progresser ces projets de TRG qui comprennent des exigences intégrées en matière de contenu national. Toutefois, la question demeure à savoir si ces emplois survivront à long terme étant donné que le Canada a récemment perdu son appel concernant les règles de l’OMC selon lequel les obligations en matière de contenu national ne sont pas conformes au GATT et au changement du Programme de TRG à grande échelle vers un approvisionnement concurrentiel.
Alors que l’Ontario progresse vers son prochain chapitre qui représente la réforme du secteur de l’électricité, les responsables des politiques peuvent réfléchir à certains enseignements importants puisés de la mise en application de la LEV au cours des cinq dernières années :
- Les difficultés et les risques liés à l’établissement d’un prix offert standard étant donné le changement rapide de la nature des marchés mondiaux sous-jacents. Le virage vers l’approvisionnement concurrentiel de vastes sources d’énergie renouvelable, qui tient compte du cours acheteur, abordera un grand nombre de ces difficultés et risques, même si de nouvelles questions risquent certainement d’être soulevées;
- Les défis liés à la mise sur pied d’initiatives politiques en matière d’électricité de grande envergure, qui ont une portée et une application larges. Le secteur de l’électricité est tout simplement trop important pour tous les Ontariens pour ne pas connaître une certitude et une stabilité politiques;
- Les problèmes techniques, de connexion physique et reliés à l’exploitation du réseau de l’électricité, conjointement avec l’intégration d’une quantité importante de nouvelles productions d’énergies renouvelables dans les réseaux de distribution et de transport ne peuvent être ignorés;
- En plus des consultations habituelles, l’importance et l’influence croissantes des communications dans les médias sociaux et les médias en ligne comme moyen de faciliter l’échange entre les opposants et les promoteurs d’énergie renouvelable ne doivent pas être ignorées.
J. Mark Rodger est associé principal et coprésident du groupe Marchés de l’électricité chez Borden Ladner Gervais LLP à Toronto.