Permettre les contrats bilatéraux dans le marché de l’électricité de l’Ontario

INTRODUCTION

Près de deux décennies après la déréglementation de du marché de l’électricité en Ontario et l’introduction d’un marché de gros concurrentiel, le secteur de l’électricité de l’Ontario continue de se demander comment garantir de manière efficace et fiable l’adéquation des ressources pour les consommateurs d’électricité1. En effet, les coûts associés au réseau électrique de l’Ontario ont été examinés à plusieurs reprises et la Société indépendante d’exploitation du réseau électrique (SIERE) continue de consulter l’industrie sur la mise en œuvre de mécanismes supplémentaires d’adéquation des ressources, principalement des enchères de capacité et des achats concurrentiels par le biais de demandes de propositions (DP)2. Actuellement, l’Ontario s’appuie sur la combinaison de ressources patrimoniales à tarifs réglementés, d’un marché de gros au comptant et de contrats garantis par le gouvernement pour répondre aux exigences provinciales en matière de suffisance des ressources, qui sont fixées par la North American Electric Reliability Corporation (NERC). Ce document postule que le cadre d’adéquation des ressources de l’Ontario aurait avantage à permettre un marché contractuel bilatéral robuste où les participants du côté de la demande, plus précisément les entités de charge et les entités de vente au détail, passent des contrats pour leurs propres besoins d’approvisionnement en électricité3. Par souci de clarté, les contrats bilatéraux sont des contrats conclus pour l’achat et la vente d’électricité ou de produits liés à l’électricité, généralement entre un producteur comme première partie et un preneur (c.-à-d. l’acheteur du produit d’une installation de production) comme contrepartie4. Un marché bilatéral robuste est un mécanisme d’adéquation des ressources efficace et rentable parce qu’il permet d’abord aux participants du côté de la demande (c.-à-d. les entités de charge et de vente au détail) d’accroître la capacité du réseau en agissant comme des acheteurs fournissant des revenus sûrs pour le développement de nouvelles ressources. Et deuxièmement, les participants du côté de la demande peuvent fournir des sources de revenus supplémentaires pour les ressources existantes qui sont gérées économiquement, ce qui leur permet de rester en activité plus longtemps et de différer la nécessité de construire de nouvelles ressources, ce qui est généralement plus coûteux. Par conséquent, le fait de permettre un marché bilatéral robuste devrait être considéré comme un mécanisme supplémentaire d’adéquation des ressources pour l’Ontario dans la consultation de la SIERE sur l’adéquation des ressources, et comme un complément aux mécanismes d’adéquation des ressources existants et prévus en Ontario. Ce document explique d’abord comment un marché contractuel bilatéral robuste est un mécanisme efficace d’adéquation des ressources, car il soutient le développement de nouvelles ressources lorsque cela est nécessaire et reporte le besoin de nouvelles ressources si des ressources rentables sont déjà disponibles, puis il examine le marché bilatéral de l’Ontario dans le cadre actuel d’adéquation des ressources où la SIERE est la seule contrepartie contractuelle viable en Ontario, et enfin il présente comment un marché bilatéral robuste peut fonctionner en Ontario en s’attaquant aux obstacles découlant de la répartition des coûts du réseau et de la structure de l’industrie de l’Ontario.

LES CONTRATS BILATÉRAUX FAVORISENT LE DÉVELOPPEMENT DE NOUVELLES RESSOURCES ET L’EXPLOITATION PROLONGÉE DES RESSOURCES EXISTANTES RENTABLES

Un marché de contrats bilatéraux robuste, tel qu’il est envisagé dans le présent document, implique une activité accrue pour l’achat et la vente d’électricité ou de produits connexes négociés par le biais de contrats bilatéraux entre les producteurs et les consommateurs ou les détaillants en tant que contreparties. Ces contrats contiennent généralement des clauses juridiques portant sur la durée du contrat, le prix de la prestation, les délais d’exécution, le lieu de livraison et d’autres conditions pouvant s’appliquer à la transaction5. Par exemple, les accords d’achat d’énergie (AAE), un type courant de contrat bilatéral, contiennent généralement une durée contractuelle de 10 à 25 ans. Comme le développement de nouvelles ressources de production nécessite souvent des revenus stables et pluriannuels pour obtenir le financement de projets, les contrats bilatéraux sont un outil efficace pour soutenir les nouvelles ressources. En effet, dans son rapport à l’American Public Power Association sur le rôle des contrats bilatéraux dans les marchés déréglementés de l’électricité aux États-Unis, Synapse Energy Economics a constaté que le développement de nouvelles ressources a été soutenu sur la base de contrats à long terme6. Par exemple, les entités de desserte de charge (EDC) aux États-Unis concluent des contrats bilatéraux avec les producteurs dans le cadre d’une planification de réseau intégrée afin de garantir la capacité nécessaire à l’exécution de leurs obligations courantes en matière d’approvisionnement. En outre, les entités de charge et les détaillants compétitifs utilisent des contrats bilatéraux pour se couvrir contre la volatilité des prix au comptant en obtenant un prix fixe de l’énergie à long terme directement d’un producteur; cette activité est particulièrement répandue dans les régions ayant des marchés uniquement énergétiques comme l’Alberta et le Texas, où la volatilité des prix au comptant est élevée.

Collectivement, ce type d’activité transactionnelle est appelé marché bilatéral, et à moins qu’une transaction ne fasse l’objet d’une procédure réglementaire (p. ex. dans le cadre de la planification de réseau intégrée ou de la conception d’un programme d’offre standard), les conditions sont souvent maintenues confidentielles entre les parties au contrat. En outre, les entreprises et les services publics ont de plus en plus recours à des contrats bilatéraux pour obtenir des énergies renouvelables groupées afin de soutenir la durabilité des entreprises et les objectifs politiques (p. ex. les normes relatives aux portefeuilles d’énergies renouvelables), respectivement. En fait, de 2016 à 2019, on estime que le développement d’une capacité supplémentaire de 20 GW d’énergie renouvelable a été soutenu par des entreprises consommatrices aux États-Unis7. Nombre de ces contrats contiennent des clauses s’étendant sur 8 à 12 ans, qui se sont révélées viables pour obtenir du financement et soutenir le développement de nouvelles ressources.

En l’absence de contrats à long terme ou de tarifs réglementés, les promoteurs dépendent de débouchés commerciaux, caractérisés par des revenus suffisamment élevés sur le marché au comptant, ou des paiements de capacité pour récupérer les coûts en capital des nouvelles ressources. Alors que la SIERE prévoit de mettre en place une enchère de capacité à partir de décembre 2020, la conception actuelle ne prévoit qu’une période d’engagement d’un an, par opposition aux revenus pluriannuels souvent nécessaires pour les nouvelles ressources8. En outre, depuis la déréglementation, l’Ontario utilise des contrats à long terme garantis par le gouvernement pour éliminer le risque que comporte le développement de nouvelles ressources par le biais de règlements à prix fixe ou hors marché pour soutenir le recouvrement des coûts, ce qui, avec le surapprovisionnement de ressources, a contribué à diminuer les débouchés commerciaux9.

En outre, les ressources existantes nécessitent des investissements périodiques tout au long de leur durée de vie pour maintenir un fonctionnement fiable. Cela signifie qu’en l’absence de débouchés commerciaux, les ressources existantes ont également besoin de sources de revenus supplémentaires pour couvrir les coûts des investissements supplémentaires nécessaires au maintien de l’exploitation, sinon elles doivent être « mises en réserve » (c.-à-d. qu’elles cessent leurs activités et qu’on retire leur capacité du réseau) si elles ne sont pas rentables. De cette façon, un marché bilatéral robuste fournit des liquidités supplémentaires aux producteurs pour qu’ils puissent acquérir les sources de revenus nécessaires après l’expiration de tout contrat initial. En prolongeant l’exploitation des ressources existantes qui sont gérées économiquement, un marché bilatéral robuste peut différer la nécessité de construire de nouvelles ressources, ce qui est généralement plus coûteux et qui comporte un risque supplémentaire, soit de se retrouver coincé.

Alors que les marchés de capacité ont été introduits dans plusieurs régions américaines déréglementées spécifiquement pour résoudre ce problème en fournissant des revenus supplémentaires par le biais de paiements de capacité, un marché bilatéral robuste offre au moins deux avantages10. Premièrement, les contrats bilatéraux librement négociés permettent un meilleur processus de détermination des prix, car l’acheteur est en mesure d’indiquer sa volonté de payer, contrairement à une enchère de capacité, qui utilise une courbe de demande fondée sur une marge de réserve cible et un prix de référence, où le prix de référence est une approximation du coût de nouvelle entrée d’une ressource de référence (p. ex. la turbine à gaz à cycle simple est la plus courante). Deuxièmement, on reproche de longue date aux marchés de capacité leurs surapprovisionnements de ressources qui entraînent une augmentation globale des coûts. Pour illustrer ce point, il suffit d’examiner les preuves avancées lors de la procédure de l’Alberta Utilities Commission sur les marchés de capacité (23757)11. En analysant les paramètres de la courbe de demande proposée par l’Alberta Electric System Operator (AESO), ENMAX, soutenue par le Market Surveillance Administrator (organisme de surveillance du marché — MSA), a constaté que le marché de la capacité permettrait de dégager un excédent de 127 à 443 MW de capacité, ce qui entraînerait un coût de capacité supplémentaire de 401 millions à 1 134 milliards de dollars par an pour l’Alberta12.

La section suivante traite de l’état actuel du marché bilatéral de l’Ontario.

LE MARCHÉ BILATÉRAL DE L’ONTARIO DANS LE CADRE EXISTANT ET LA SIERE COMME SEULE CONTREPARTIE VIABLE

Dans le cadre législatif actuel, le ministre de l’Énergie (actuellement, ministre de l’Énergie, du Développement du Nord et des Mines [MEDNM]) et la SIERE sont responsables de la planification du réseau13. La SIERE administre un marché de gros concurrentiel et aide le MEDNM à préparer un plan énergétique à long terme (PELT) en publiant des documents de planification tels que des perspectives et des prévisions, et en identifiant les besoins du réseau. Entre-temps, le MEDNM est légalement tenu de publier les PELT tous les trois ans, bien qu’une proposition d’amendement ait été publiée pour révoquer cette exigence de publication aux trois ans14. Il est également habilité à demander à la SIERE (par le biais de directives ministérielles) de s’engager dans des initiatives de passation de marchés concurrentiels ou de conclure directement des contrats avec des producteurs ou des fournisseurs de services d’électricité. Ce dernier mandat a été adopté par la SIERE, qui a fusionné par modification de la loi avec l’Office de l’électricité de l’Ontario (OEO) en 2015, en conservant le nom de SIERE.

Depuis sa création en 2005, l’OEO, dans le cadre de directives ministérielles, s’est engagé dans de nombreuses initiatives de passation de marchés concurrentiels et a conclu des contrats (dont la plupart ont une durée de 20 ans) avec des producteurs, soit directement, soit par le biais de programmes d’offre standard. Selon le rapport d’étape de la SIERE sur l’approvisionnement en électricité sous contrat, la SIERE détenait une capacité contractuelle de 26 750 MW à la clôture de juin 202015. Bien que cela représente plus de la moitié de la capacité installée de l’Ontario en 2019 (40 500 MW), cela ne comprend pas les actifs à tarifs réglementés d’Ontario Power Generation (OPG) (mais inclut ses installations au gaz naturel), les actifs patrimoniaux et les contrats de production indépendante d’électricité détenus par la Société financière de l’industrie de l’électricité de l’Ontario (SFIEO)16. L’ensemble des combustibles utilisés pour la production sous contrat avec la SIERE se compose principalement de gaz naturel (9 450 MW), de nucléaire (6 300 MW), d’éolien (5 333 MW), de solaire (2 673 MW), d’hydroélectricité (2 410), avec de plus petites quantités de bioénergie et d’énergie tirée de déchets (voir la figure 1).

Figure 1 : Capacité contractuelle en Ontario par type de combustible17

Un examen plus approfondi des dispositions en matière de performance et de compensation contenues dans les contrats de la SIERE/l’OEO montre comment elles ont permis aux producteurs de recouvrer la totalité des coûts18. Par exemple, les contrats d’approvisionnement en énergie propre (AEP) ont été conçus pour fournir des paiements de type « capacité » aux installations de production au gaz naturel sur une base de $/MW-mois pendant lesquels le producteur doit offrir son énergie sur le marché au comptant19. La détermination de la somme a été basée sur une exigence de revenu net (ERN) fournie dans la déclaration d’offre économique du promoteur et sur l’évaluation des revenus et des coûts20. En effet, les paiements contractuels d’AEP ont fait en sorte que si le producteur fonctionnait selon son profil contractuel (c.-à-d. la distribution présumée), il obtiendrait alors les niveaux requis de recouvrement des coûts et de profit. De plus, si l’on prend l’exemple des contrats de tarifs de rachat garantis (TRG), qui ont été conçus pour compenser les ressources renouvelables (principalement, le solaire, l’éolien, la biomasse et l’hydroélectricité) sur la base d’un $/MWh d’énergie fournie au réseau. Comme il s’agit de ressources de production variables, le contrat a été conçu de manière à ce que le producteur s’établisse d’abord sur le marché au comptant en tant que preneur de prix, et que la SIERE lui verse ensuite des paiements supplémentaires en fonction de la différence entre les revenus fixés par le marché et un montant de revenus garantis prescrit par le contrat.

En fait, le principal objectif de la création de l’OEO en vertu de la Loi de 2004 sur la restructuration du secteur de l’électricité était de créer une agence centralisée de planification et de passation de marchés qui puisse conclure des contrats en tant que contrepartie financière. Pour couvrir les coûts découlant des paiements contractuels effectués aux producteurs, la Loi de 2004 sur la restructuration du secteur de l’électricité a également créé les frais de rajustement global (RA), qui sont prélevés auprès de tous les consommateurs d’électricité21. Cependant, le fait de fournir des paiements hors marché garantis par contrat aux producteurs a contribué à une boucle de rétroaction négative qui a réduit les possibilités de marché pour les producteurs, a diminué la valeur des contrats bilatéraux pour les entités de charge et de vente au détail, et a établi de facto la SIERE comme seule contrepartie viable en Ontario.

Plus précisément, les paiements hors marché ont permis à un nombre important de producteurs fixant les prix de proposer leur énergie sur le marché de gros à un prix potentiellement inférieur au coût marginal de production. Cette situation, associée à un recours important à des ressources éoliennes et solaires à coût marginal proche de zéro pendant la période de stagnation de la demande, a donc contribué à faire baisser le tarif selon l’heure de la consommation en Ontario (TSHCO) (c.-à-d. le prix au comptant) et a entraîné une diminution des débouchés commerciaux. Par la suite, étant donné la relation inverse entre le RG et le TSHCO en raison de la conception de la compensation des ressources contenue dans les contrats de la SIERE et de l’augmentation de la passation de contrats par la SIERE conformément aux directives ministérielles, la proportion de RG par rapport aux TSHCO a considérablement augmenté. Par exemple, en 2019, le RG représentait environ 80 % à 85 % du coût de gros de l’énergie (voir la figure 2)22. Étant donné que la portion de RG est en grande partie fixe et qu’en vertu du Règlement de l’Ontario 429/0423, les frais de RG ne peuvent pas être évités par une transaction de détail, il y a peu à gagner pour les entités de charge à conclure des contrats bilatéraux uniquement pour se protéger contre le TSHCO, ce qui ne plaide pas en faveur d’un engagement dans la vente au détail d’électricité en Ontario24.

Figure 2 : TSHCO moyen plus RG25

Comme mentionné, la boucle de rétroaction négative décrite ci-dessus continue de renforcer la SIERE en tant que seule contrepartie viable en Ontario. Cette situation est encore compliquée par une caractéristique de la structure de l’industrie ontarienne, où les sociétés de distributions locales (SDL), bien qu’ayant une obligation d’approvisionnement standard en vertu du Code des services d’approvisionnement standard de la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO), n’ont pas l’obligation de garantir l’adéquation des ressources ou de couvrir les prix de l’énergie pour leurs clients, contrairement aux EDC aux États-Unis et donc, entre autres raisons, ne passent pas de contrats de production.

La section suivante examinera comment un marché bilatéral robuste peut être mis en place en Ontario en s’attaquant aux obstacles à la passation de marchés par les entités du côté de la demande.

PERMETTRE UN MARCHÉ BILATÉRAL ROBUSTE EN ONTARIO POUR SOUTENIR LA PASSATION DE CONTRATS DU CÔTÉ DE LA DEMANDE

Malgré la décision de la SIERE d’inclure l’utilisation continue de contrats soutenus par le gouvernement dans le cadre d’adéquation des ressources, il pourrait s’avérer difficile pour la SIERE de conclure d’autres contrats pour les besoins futurs en matière d’adéquation des ressources, compte tenu du montant élevé de coûts fixes dans le RG26. En effet, cette raison a probablement été un important facteur d’incitation pour la mise en œuvre d’un marché de capacité en Ontario depuis l’annonce du Programme de renouvellement du marché (PRM) en 201627. Cela dit, selon les dernières perspectives de planification, la SIERE ne prévoit pas de capacité à combler avant le milieu des années 2020 au moins (nonobstant les impacts prévus de la pandémie de la COVID-19), ce qui est largement attribué à des facteurs d’approvisionnement tels que les unités nucléaires qui sont mises hors service pour être remises à neuf et les contrats qui expirent (voir la figure 3)28. Le moment est donc opportun d’envisager la mise en place d’un marché bilatéral robuste en Ontario, à utiliser conjointement avec les mécanismes d’adéquation des ressources existantes et prévues.

Figure 3 : Capacité installée par type d’engagement 2020–204029

Afin de permettre un marché bilatéral robuste en Ontario, les obstacles qui empêchent actuellement les participants du côté de la demande de s’engager dans des contrats bilatéraux doivent être levés. Comme nous l’avons vu plus haut, les principaux obstacles sont la répartition des coûts du réseau (c.-à-d. les frais de RG) et le rôle des distributeurs d’électricité (c.-à-d. les SDL) en Ontario. Bien que ce document ne prétende pas offrir de solutions originales à ces obstacles, il fait référence à deux options qui ont été proposées séparément pour l’Ontario comme tremplin pour une discussion plus approfondie. La première option, présentée par Brian Rivard au Ivey Energy Policy and Management Centre, consiste à scinder le RG en trois composantes distinctes (c.-à-d. les coûts de capacité, une couverture des prix de l’énergie de l’OPG et les coûts fixes à l’échelle du réseau) et à appliquer une méthode de recouvrement des coûts différente à chaque composante (voir la figure 4)30. La deuxième option, présentée par l’Association de l’énergie de l’Ontario (AEO), consiste à créer un modèle réglementaire pour les EDC en Ontario qui permettrait aux SDL d’assumer volontairement le rôle d’EDC et de s’engager dans des activités d’adéquation des ressources et de passation de contrats31. Comme nous le verrons plus loin, la première option vise à relever les défis liés aux frais de RG et la seconde à relever les défis liés à la structure de l’industrie de l’Ontario, où les SDL, en tant que distributeurs d’électricité, ne s’engagent pas dans des contrats bilatéraux.

Figure 4 : Rajustement global mensuel par composante (mars 2019 à mars 2020)32

Rivard soutient que le RG peut être considéré comme étant composé de trois catégories et sources différentes de coûts de réseau. La première catégorie est celle des coûts de capacité de production, qui sont les coûts engagés pour assurer et maintenir les ressources. Étant donné que le besoin de ressources supplémentaires est déterminé par les clients équipés de compteurs qui consomment l’électricité du réseau pendant les heures de pointe, il est recommandé que cette partie soit récupérée par le biais d’une redevance proportionnelle à la demande auprès des consommateurs qui font en sorte qu’il y a un besoin croissant de recourir à des ressources supplémentaires. La deuxième catégorie est la couverture du prix de l’énergie de l’OPG, qui a été créée afin de partager les revenus gagnés à hauteur et au-dessus des besoins en revenus des actifs patrimoniaux de l’OPG, mais qui, compte tenu des coûts élevés des ressources et du TSHCO (c.-à-d. le prix de gros de l’énergie) en baisse, est passée d’un rabais à un coût. Il est recommandé de recouvrer ce montant de façon volumétrique auprès de tous les consommateurs. La troisième catégorie est celle des coûts fixes à l’échelle du réseau, qui comprennent les coûts engagés en relation avec les objectifs de la politique sociale ou environnementale du gouvernement. Il est recommandé de les recouvrer par un mélange de frais fixes et volumétriques ou de les supprimer complètement du RG et de les transférer dans l’assiette fiscale.

Entre-temps, le document de l’AEO intitulé Recommendations for an Ontario LSE Model (recommandations pour un modèle d’EDC en Ontario) postule que l’Ontario peut bénéficier de la création d’un modèle réglementaire pour les EDC afin de donner aux SDL la possibilité de faire volontairement la transition et de devenir des EDC, caractérisées par l’obligation d’assurer une capacité de ressources supplémentaires pour leurs territoires de distribution respectifs. En pratique, les EDC volontaires seraient responsables de la création de plans de ressources intégrées (PRI) au-delà de leurs plans de réseau de distribution (PRD) habituels qui prendraient en compte les ressources d’approvisionnement supplémentaires. Un autre élément important est la coordination nécessaire qui devrait avoir lieu entre les EDC et la SIERE. Plus précisément, les PRI créés par les EDC devraient être considérés comme des intrants pour les enchères de capacité ou les achats concurrentiels (p. ex. les DP), où tout achat des EDC devrait être comptabilisé et ajusté dans l’objectif de capacité pour la zone de capacité appropriée.

La proposition de répartition du RG de Rivard ouvre une fenêtre sur la manière dont les obstacles découlant de la répartition des coûts du réseau peuvent être abordés en vue de promouvoir la passation de contrats bilatéraux par les entités de charge. Par exemple, prenons une solution où les entités de charge peuvent conclure des contrats bilatéraux en coordination avec la SIERE, et si la ressource contribue à accroître la capacité du réseau, l’entité de charge devrait être autorisée à réduire une partie de ses coûts de RG sur la base d’un des éléments proposés par Rivard. Si, d’une part, cela peut sembler être un mécanisme inéquitable de transfert des coûts plutôt qu’un mécanisme de réduction des coûts, d’autre part, l’ajout de la ressource sous contrat de l’entité de charge peut entraîner le report ou l’évitement de coûts d’investissement dans le réseau qui seraient autrement nécessaires. Cet exemple est présenté à titre d’illustration et nécessite une analyse plus approfondie pour déterminer le compromis entre le coût et les avantages de la mise en œuvre d’un tel programme. De même, le document sur les EDC présente une solution beaucoup plus directe aux défis liés au rôle des SDL dans la structure industrielle de l’Ontario. En adoptant une obligation d’adéquation des ressources, les SDL en tant qu’EDC devront devenir des participants actifs du côté de la demande sur le marché bilatéral afin d’obtenir des ressources supplémentaires. Étant donné que la structure de l’industrie électrique de l’Ontario en matière de répartition des coûts du réseau est régie par la législation, la levée de ces obstacles peut nécessiter des modifications législatives ou des modifications d’autres instruments réglementaires (p. ex. les codes et les licences de la CEO). Ces deux entités du côté de la demande peuvent concevoir des contrats qui offrent des paiements de concert avec les revenus du marché de gros similaires aux contrats de la SIERE et ainsi faire fonctionner les contrats bilatéraux en Ontario sans gonfler davantage le RG. Par exemple, les AAE virtuels (également appelés AAE financiers ou contrats sur différence) sont basés sur un prix d’exercice convenu entre deux parties par rapport au prix au comptant.

Enfin, comme nous l’avons dit, un marché bilatéral robuste peut fonctionner parallèlement aux autres mécanismes d’adéquation des ressources existants et prévus de l’Ontario, qui sont les marchés administrés par la SIERE, y compris les enchères de capacité prévues, les achats concurrentiels (p. ex. les DP) et la capacité du gouvernement d’ordonner à la SIERE de solliciter un achat concurrentiel ou de conclure directement des ententes pour les besoins déterminés du réseau. En ce qui concerne les mécanismes du marché, un marché bilatéral robuste peut fonctionner en parallèle avec un marché de capacité, comme c’est le cas dans les marchés déréglementés du nord-est des États-Unis tels que PJM, NYISO et ISO-NE33. Bien que, sur ces territoires, les marchés de capacité restent les principaux mécanismes d’adéquation des ressources, les contrats bilatéraux étant principalement utilisés pour se couvrir contre le risque de prix à terme et pour soutenir le développement des ressources renouvelables en vue de répondre aux objectifs de la politique d’approvisionnement (p. ex. la norme de portefeuille renouvelable). Cela permet aux producteurs d’échelonner et de couvrir leur capacité en en offrant une partie sur le marché des capacités pour une obligation à court terme et en en sous-traitant une partie pour un engagement à plus long terme. De même, un marché bilatéral plus robuste n’entraverait pas la capacité de la SIERE à conclure des contrats en cas de besoin nécessitant une solution plus centralisée34.

CONCLUSION

Ce document présente la position selon laquelle le cadre d’adéquation des ressources de l’Ontario gagnerait à permettre un marché bilatéral robuste, caractérisé par une activité contractuelle accrue de la part des participants du côté de la demande, en particulier les entités de charge et les entités de vente au détail. Cela contraste avec le modèle actuel où la SIERE est de facto la seule contrepartie contractuelle viable dans la province. Avec un marché bilatéral robuste, les participants du côté de la demande pourraient conclure des accords avec de nouvelles ressources ou des ressources existantes qui sont gérées de manière économique, contribuant ainsi à la capacité du réseau en mettant sur pied de nouveaux projets de production ou en reportant ceux-ci si les ressources existantes sont plus rentables. Un marché bilatéral robuste pourrait également apporter des avantages supplémentaires, tels que des solutions énergétiques innovantes utilisant des technologies émergentes (p. ex. la production couplée au stockage) et une concurrence accrue du côté des acheteurs. Pour permettre un marché bilatéral robuste, il faudrait s’attaquer aux obstacles qui entravent actuellement la capacité des acteurs du côté de la demande. Plus précisément, deux domaines d’exploration potentiels sont la répartition des coûts du réseau et la structure de l’industrie liée au rôle des SDL en Ontario. Cela dit, une restructuration fondamentale telle que celle qui a suivi la déréglementation n’est probablement pas nécessaire, car un marché bilatéral robuste peut fonctionner correctement parallèlement aux mécanismes d’adéquation des ressources actuels (c.-à-d. le marché de l’énergie, les pouvoirs des directives et la capacité contractuelle de la SIERE) et prévus (c.-à-d. le marché de la capacité et les DP) utilisés dans la province. Ainsi, la création d’un marché bilatéral devrait être envisagée dans le cadre de l’Engagement sur l’adéquation des ressources de la SIERE, car cela pourrait aider à gérer efficacement et de manière fiable l’approvisionnement en électricité pour les consommateurs de l’Ontario.

*Nathan est consultant chez Power Advisory LLC, où il offre son soutien dans les domaines des marchés, de la réglementation et des politiques de l’électricité. Il est titulaire d’un diplôme de droit de l’Osgoode Hall Law School et d’une maîtrise en études environnementales de l’Université de York.

  1. L’adéquation des ressources est la capacité du réseau électrique à produire et à fournir de manière fiable de l’électricité aux consommateurs de l’Ontario (p. ex. les secteurs résidentiel, commercial et industriel, le gouvernement, etc.) La déréglementation fait référence à la mise en œuvre de la Loi de 1998 sur la concurrence dans le secteur de l’énergie, LO 1998, c 15 telle qu’elle est apparue le 30 octobre 1998, qui a restructuré la chaîne d’approvisionnement en électricité de l’Ontario en démantelant l’entreprise verticalement intégrée Ontario Hydro et en créant une société indépendante d’exploitation du réseau pour administrer un marché au comptant.
  2. SIERE, « Resource Adequacy Engagement » (28 septembre 2020), en ligne (pdf) : <www.ieso.ca/-/media/Files/IESO/Document-Library/engage/rae/ra-20200928-presentation.pdf?la=en>.
  3. Les entités de charge font référence aux consommateurs d’électricité commerciaux, industriels et institutionnels (c.-à-d. les grands consommateurs). Les entités de vente au détail désignent à la fois les distributeurs d’électricité ayant des obligations d’approvisionnement standard et les détaillants commerciaux.
  4. Un produit lié à l’électricité peut être l’énergie électrique, la capacité (y compris la réponse à la demande), les services auxiliaires tels que les réserves et la régulation des fréquences, ou une combinaison de ces éléments (Voir Ezra Hausman, Rick Hornby et Allison Smith, « Bilateral Contracting in Deregulated Electricity Markets : A Report to the American Public Power Association » (18 avril 2008), en ligne (pdf) : Synapse Energy Economics <citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.179.1344&rep=rep1&type=pdf>; En plus des produits physiques décrits, les contrats bilatéraux peuvent être utilisés pour la couverture financière comme contrats à terme).
  5. Hausman, supra note 4.
  6. Ibid à la p 11.
  7. Renewable Energy Buyers Alliance, « Deal Tracker », (dernière consultation en juin 2020), en ligne : <rebuyers.org/deal-tracker>.
  8. SIERE, « Market Manual 12.0 : Capacity Auctions » (16 septembre 2020), en ligne (pdf) : <www.ieso.ca/-/media/Files/IESO/Document-Library/Market-Rules-and-Manuals-Library/market-manuals/capacity-auction/Capacity-Auction.pdf?la=en>.
  9. Malgré le retrait des centrales au charbon de l’Ontario, l’acquisition de plus de 4000 MW de ressources à coût marginal presque nul a contribué de manière significative à la baisse du prix de gros horaire moyen.
  10. Les marchés de capacité ont été introduits pour résoudre le « problème d’argent manquant », comme on l’appelle dans la littérature économique. Les principaux secteurs américains où les marchés de capacité ont été introduits sont ISO-NE, PJM, et NYISO.
  11. Le 4 juin 2020, le Parti conservateur uni a annulé le mandat du gouvernement précédent de mettre en place un marché de capacité, ce qui a mis fin à la procédure.
  12. ENMAX Energy Corporation, « Rebuttal Evidence » (22 mai 2019), en ligne (pdf ) : <www2.auc.ab.ca/Proceeding23757/ProceedingDocuments/23757_X0517.01_23757-X0517.012019-05-23RevisedRebuttalE_0877.PDF#search=23757%2DX0517%2E01> (numéro de pièce de l’AUC 23757-X0517.01).
  13. Le cadre législatif actuel est régi par la Loi de 1998 sur l’électricité, LO 1998, c 15, annexe A et la Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario, LO 1998, c 15, annexe B, ainsi modifiée par la Loi de 2004 sur la restructuration du secteur de l’électricité, LO 2004, c 23, et la Loi de 2016 modifiant des lois sur l’énergie, LO 2016, c 10.
  14. Le MEDNM a déposé une proposition de modification dans le registre environnemental de l’Ontario pour révoquer les Plans énergétiques à long terme, Règl de l’Ont 355/17, qui fixe le délai de publication du PELT et consulte sur d’autres changements : ero.ontario.ca/notice/019-2149.
  15. SIERE, « A Progress Report on Contracted Electricity Supply, Second Quarter 2020 » (2020), en ligne (pdf) : <www.ieso.ca/-/media/Files/IESO/Document-Library/contracted-electricity-supply/Progress-Report-Contracted-Supply-Q2-2020.pdf?la=en>.
  16. Ibid.
  17. Ibid à la p 10.
  18. Pour une discussion complète sur les différents contrats de l’OEO/la SIERE, voir Ron Clark, Scott Stoll et Fred Cass, Ontario Energy Law: Electricity, Toronto, LexisNexis, 2012.
  19. Le contrat stipulait qu’il devait y avoir un paiement de soutien conditionnel (PSC) de l’OEO au producteur ou un paiement de partage des revenus (PPR) du producteur à l’OEO selon que les revenus du marché étaient suffisants et que le producteur avait exécuté le contrat.
  20. Pour la formule d’indemnisation complète, voir Clark, supra note 18.
  21. Le RG couvre également les coûts liés aux ressources de production nucléaire et hydroélectrique à tarifs réglementés de l’OPG, ainsi qu’à la conservation, à la gestion de la demande et aux autres programmes provinciaux d’électricité.
  22. Cela ne comprend que le TSHCO et le RG et exclut d’autres coûts tels que les frais d’élévation et tous les frais liés au transport et à la distribution.
  23. Adjustments under section 25.33 of the Act, O Reg 429/04.
  24. De même, l’étude de Synapse Energy Economics a révélé que les délais offerts par les détaillants concurrents sont trop courts pour soutenir de nouvelles capacités, voir Hausman, supra note 4.
  25. SIERE, « Price Overview » (2020), en ligne : <ieso.ca/power-data/price-overview/global-adjustment>.
  26. SIERE, supra note 2.
  27. Annoncée à l’origine comme l’enchère de capacité incrémentielle (ECI), elle a ensuite été retirée du champ d’application du PRM et est actuellement prévue comme une enchère de capacité évolutive (ECE).
  28. SIERE, « Annual Planning Outlook – A view of Ontario’s electricity system needs » (janvier 2020), en ligne (pdf) : <www.ieso.ca/-/media/Files/IESO/Document-Library/planning-forecasts/apo/Annual-Planning-Outlook-Jan2020.pdf?la=en>.
  29. Ibid à la p 12.
  30. Brian Rivard, « Don’t leave me stranded : What to do with Ontario’s Global Adjustment? » (juillet 2019), en ligne (pdf) : Ivey Energy Policy and Management Centre <www.ivey.uwo.ca/cmsmedia/3787293/dont-leave-me-stranded-what-to-do-with-ontario-s-global-adjustment.pdf>.
  31. Power Advisory LLC et Aird & Berlis LLP, « Policy Case : Recommendations for an Ontario Load-Serving Entity Model » (septembre 2018), en ligne (pdf) : <energyontario.ca/wp-content/uploads/2018/09/OEA-LSE-Report-September-2018-Final.pdf> (document de discussion préparé pour l’Association de l’énergie de l’Ontario).
  32. SIERE, « Electricity pricing » (2020), en ligne : <www.ieso.ca/en/Learn/Electricity-Pricing/Global-Adjustment-Costs>.
  33. Power Advisory LLC, supra note 31.
  34. Bien que la plupart des contrats aient été attribués par l’OEO/la SIERE par le biais de processus de passation de marchés concurrentiels, l’OEO/la SIERE a également adopté la position selon laquelle elle pouvait, dans certaines circonstances, conclure directement un accord avec un producteur sélectionné. Par exemple, les contrats de la Goreway Station et du Portlands Energy Centre ont été conclus dans le cadre d’une procédure non concurrentielle en raison de problèmes urgents de fiabilité au niveau local.

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