INTRODUCTION
Le 29 juin 2021, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a publié les motifs du jugement dans l’affaire Yahey v British Columbia[2]. Dans sa décision, la juge Burke a statué que la province de la Colombie-Britannique a enfreint les droits de la Première Nation de Blueberry River issus du Traité 8, en permettant des décennies de développement industriel sur le territoire traditionnel de la nation.
La juge Burke a conclu que le Traité 8 protège le mode de vie de la Première Nation de Blueberry River contre toute ingérence forcée, y compris les droits de ses membres de chasser, de piéger et de pêcher. Ces droits étaient garantis par les termes écrits du Traité 8 et d’autres promesses orales faites par la Couronne aux parties prenantes du Traité 8 lors de sa négociation en 1899 et 1900. Fait important, la juge Burke a conclu que, bien que le Traité 8 confère à la Colombie-Britannique le pouvoir de « prendre des terres » aux termes du Traité 8, le pouvoir de le faire n’est « pas infini » et « doit être exercé d’une manière qui respecte les promesses et les protections associées à ce traité »[3] [traduction]. Par conséquent, le droit de la Colombie-Britannique de prendre des terres est limité : elle ne peut pas prendre tellement de terres que les membres de la Première Nation de Blueberry River ne peuvent plus exercer de façon significative leurs droits en vertu du Traité 8.
PRINCIPAUX POINTS À RETENIR
Voici quelques points principaux à retenir de cette décision importante :
- La Colombie-Britannique doit élaborer et mettre en œuvre une méthode complète d’évaluation des effets cumulatifs du développement sur les droits des Autochtones, en particulier les droits issus de traités. La Cour a ordonné qu’elle le fasse dans un délai très court (6 mois), et les autres gouvernements provinciaux et territoriaux peuvent envisager de suivre cet exemple.
- Cette évaluation des effets cumulatifs sur les droits des Autochtones devra peut-être être intégrée à toutes les décisions relatives à l’autorisation de développement sur les terres soumises à ces droits. À ce titre, les ministères, les organismes de réglementation et les tribunaux ne pourront peut-être plus limiter l’évaluation d’un projet à ses seuls impacts individuels, mais devront plutôt évaluer les effets cumulatifs de l’approbation de ce projet (avec les projets et activités passés, présents et raisonnablement prévisibles) sur les droits issus de traités. En plus d’ajouter considérablement aux informations requises par les décideurs statutaires, cela peut nécessiter de concilier les intérêts de certains peuples autochtones qui souhaitent poursuivre ou soutenir le développement des ressources sur leur territoire, et d’autres qui peuvent souhaiter atténuer les impacts cumulatifs sur leurs droits issus de traités, ou même s’opposer carrément à la poursuite du développement parce que certains seuils d’effets cumulatifs ont été dépassés.
- Les promoteurs qui souhaitent développer des projets sur des terres soumises à des droits issus de traités commenceront sans doute à examiner comment un projet particulier peut s’intégrer dans le schéma plus large de développement du paysage. Les projets qui causent des effets minimes en soi, et qui peuvent avoir été autorisés dans le passé sur cette base, peuvent ne pas être justifiables s’il y a déjà eu un développement important dans une zone particulière, surtout s’il est proposé dans une zone clé pour l’exercice des droits issus de traités.
Pour cette raison, ces promoteurs devraient porter une attention particulière à tout cadre d’évaluation élaboré par la Colombie-Britannique en réponse à cette décision.
CONTEXTE
Le territoire de la Première Nation de Blueberry River est situé dans le nord-est de la Colombie-Britannique, au-dessus du bassin gazier de Montney. Cette région fait l’objet d’une importante exploration et extraction de pétrole et de gaz depuis de nombreuses décennies. La Première Nation de Blueberry River est signataire du Traité 8[4], et la base de ses revendications dans cette affaire était centrée sur les droits négociés en vertu de ce traité, et sur les obligations de la Couronne envers la Première Nation de Blueberry River à cet égard.
Dans cette affaire, la Première Nation de Blueberry River a allégué qu’au fil du temps, la Colombie-Britannique a autorisé le développement industriel sans tenir compte des droits issus de traités de la Première Nation. En particulier, elle a allégué que les effets cumulatifs du développement ont eu des répercussions négatives importantes sur les capacités de ses membres à exercer leurs droits de façon significative, et que la Colombie-Britannique avait par conséquent violé le Traité 8 et porté atteinte à ces droits de façon injustifiée. Par conséquent, la Première Nation de Blueberry River a présenté une réclamation pour violation, soutenant que les activités de développement supplémentaires sur son territoire devaient être arrêtées.
PRINCIPES IMPORTANTS
L’emplacement est important – Zones critiques sur le territoire de la Première Nation de Blueberry River
Comme nous l’avons noté, la position de la Première Nation de Blueberry River dans cette affaire était que ses membres n’étaient plus en mesure d’exercer de manière significative leurs droits issus de traités. Elle a présenté des preuves de lieux spécifiques d’une importance capitale pour l’exercice de ces droits. Ces endroits se rapportaient en grande partie à une zone appelée « zone de revendication de la Première Nation de Blueberry River », que la juge Burke a jugé correspondre généralement à la zone que les membres de la Première Nation de Blueberry River utilisaient et occupaient au moment de la négociation du Traité 8. La juge Burke a noté que l’étendue de ce territoire et les endroits spécifiques à l’intérieur de celui-ci étaient tous deux importants pour l’évaluation de toute violation des droits issus de traités, et que l’information s’y rapportant devait provenir des membres de la Première Nation de Blueberry River eux-mêmes (y compris, plus précisément, des récits historiques des aînés).
Bien que la Colombie-Britannique ait soutenu qu’une Première Nation ne pouvait pas présenter de revendications sur les zones « centrales » ou privilégiées de son territoire, la juge Burke n’était pas d’accord, affirmant que :
« Lorsqu’on est confronté à des allégations selon lesquelles des zones importantes ou centrales du territoire traditionnel d’une nation sont touchées ou détruites, dire : « Allez ailleurs, vous avez un grand territoire » n’est pas une réponse en soi[5] » [traduction].
En d’autres termes, la question de savoir si les membres de la Première Nation de Blueberry River pouvaient encore exercer leurs droits dans d’autres zones (qui pouvaient avoir une importance culturelle, écologique ou spirituelle moindre) n’était pas pertinente. Cette conclusion correspond à la jurisprudence antérieure, y compris les commentaires de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Première Nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien)[6], où le juge Binnie a rejeté un argument similaire déclarant qu’ « il n’est pas logique d’un point de vue pratique de dire aux chasseurs et trappeurs Mikisew que, bien que leurs propres territoires de chasse et lignes de piégeage soient maintenant mis en péril, il leur est permis d’envahir les territoires traditionnels d’autres premières nations loin de leur propre terrain (une suggestion qui aurait été encore plus irréalisable en 1899)[7]. »
Le critère en matière de violation – Une diminution significative ou importante des droits conférés par le traité
Une question centrale et nouvelle dans l’affaire Yahey concernait le test approprié pour prouver la violation des droits en vertu d’un traité, en particulier lorsque la violation en question n’est pas censée découler d’un projet ou d’un événement précis, mais plutôt des effets cumulatifs de plusieurs projets ou événements qui se sont produits sur une longue période de temps.
Le critère en matière de violation a été développé pour la première fois dans l’affaire R c Sparrow[8], où le tribunal a énoncé trois considérations clés pour une analyse :
- si la limitation du droit est déraisonnable;
- si la limitation impose un préjudice injustifié;
- si la limitation prive les titulaires du droit de leur moyen préféré d’exercer ce droit.
Dans l’affaire R c Badger[9], une affaire concernant des peuples autochtones ayant reçu une contravention pour des infractions liées à la faune alors qu’ils exerçaient leurs droits en vertu du Traité 8, la Cour suprême du Canada a confirmé que le test Sparrow s’applique à une violation présumée des droits issus de traités. Plus tard, dans l’affaire Première Nation crie Mikisew, la Cour suprême du Canada a examiné à nouveau le Traité 8 dans le contexte de la proposition d’une route d’hiver, et a noté que lorsqu’une Première Nation n’a aucun droit réel de chasser, de pêcher ou de piéger sur son territoire, intenter une action pour violation du traité est une intervention légitime.
Dans l’affaire Yahey, s’appuyant sur l’arrêt Première Nation crie Mikisew, la Colombie-Britannique a soutenu qu’une action en violation exige la preuve qu’il ne reste aucun droit significatif de chasser, de pêcher ou de piéger. La Première Nation de Blueberry River a répliqué que la bonne façon d’interpréter l’arrêt Première Nation crie Mikisew est de se concentrer sur la question de savoir s’il reste un droit significatif, et non si les droits peuvent être exercés.
La juge Burke a rejeté l’argument de la Colombie-Britannique, estimant plutôt que l’arrêt Première Nation crie Mikisew « a laissé la porte ouverte aux détenteurs de droits issus de traités pour intenter des actions alléguant que leurs droits ont été violés, mais n’a pas fixé le seuil de ces actions en violation comme exigeant la preuve qu’aucun droit ne subsiste »[10] [traduction]. La juge Burke a noté que le test approprié pour une infraction occupe un « juste milieu » entre deux extrémités d’un spectre. D’une part, l’infraction n’est pas établie par une quelconque interférence avec les droits en question; d’autre part, un demandeur n’est pas tenu de prouver que la Couronne a pris tellement de terres qu’il ne reste plus aucune possibilité de chasser, de pêcher ou de piéger.
En appliquant ce test, la juge Burke a souligné qu’il est essentiel pour un tribunal d’inclure le contexte dans son analyse. Pour ce faire, un tribunal doit tenir compte d’un certain nombre de facteurs, notamment :
- les régimes réglementaires gouvernementaux applicables, dans leur ensemble;
- l’historique du développement sur les terres en question;
- l’utilisation et la répartition historiques des ressources pertinentes.
Ainsi, le test approprié consiste à examiner s’il y a eu une diminution importante ou significative des droits lorsqu’ils sont considérés dans le cadre du mode de vie dont ils découlent et sur lequel ils sont fondés[11].
En appliquant ce test à la réclamation de la Première Nation de Blueberry River dans l’affaire Yahey, la juge Burke a conclu que l’étendue des terres prises par la Colombie-Britannique pour le développement industriel rendait les parties restantes, non développées, insuffisantes pour permettre aux membres de la Première Nation de Blueberry River d’exercer de façon significative leurs droits, comme promis en vertu du Traité 8. Pour en arriver à cette conclusion, la juge Burke a examiné des données de 2018 qui indiquaient que 85 % de la zone de revendication de la Première Nation de Blueberry River se trouvait à moins de 250 mètres d’une perturbation industrielle et 91 % à moins de 500 mètres. La juge Burke a conclu que les effets cumulatifs du développement industriel autorisé par la province ont considérablement entravé la capacité des membres de la Première Nation de Blueberry River à exercer leurs droits de chasse, de pêche et de piégeage, ce qui a constitué une atteinte injustifiée à ses droits en vertu du Traité 8.
La juge Burke a estimé que la Colombie-Britannique n’avait pas respecté ses obligations en vertu du Traité 8 à plusieurs égards, par exemple :
- Pendant au moins une décennie, la Colombie-Britannique a été informée des préoccupations de la Première Nation de Blueberry River concernant les effets cumulatifs du développement, mais n’a pas répondu d’une manière conforme à l’honneur de la Couronne et aux termes du Traité 8;
- Malgré les arguments contraires de la Colombie-Britannique, les processus de consultation provinciaux « n’ont pas permis d’évaluer de façon conséquente les effets cumulatifs du développement dans la région visée par la revendication de la Première Nation de Blueberry River »[12] et « les régimes de réglementation provinciaux ne tiennent pas suffisamment compte des droits issus de traités ou des effets cumulatifs du développement industriel »[13] [traduction];
- « L’approche au coup par coup, projet par projet » de la Colombie-Britannique pour consulter la Première Nation de Blueberry River concernant les effets de l’autorisation du développement dans sa zone de revendication était inadéquate.
La juge Burke a conclu que le cadre réglementaire existant de la Colombie-Britannique ne tenait pas suffisamment compte des effets cumulatifs et que les effets cumulés de la prise de décisions discrétionnaires en vertu de diverses lois ont mené à une atteinte aux droits de la Première Nation de Blueberry River. En vertu des décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires Sparrow, Badger et Première Nation crie Mikisew, une fois qu’une atteinte a été établie, le fardeau de la preuve revient à la Couronne, qui doit démontrer que l’atteinte est justifiée. Toutefois, dans cette affaire, la Colombie-Britannique n’a pas tenté de justifier la violation, soutenant plutôt « qu’elle ne pouvait pas présenter une défense de justification avant que l’étendue [des droits revendiqués par la Première Nation de Blueberry River] ne soit connue[14]. » [traduction]
La juge Burke n’était pas d’accord, estimant plutôt que « le point de départ est que les peuples autochtones ont droit à ce qui leur a été accordé dans le traité ». À ce titre, « la province doit être considérée comme connaissant les promesses que la Couronne a faites aux peuples autochtones et qu’elle est tenue de respecter aujourd’hui[15]. » [traduction]
ORDONNANCES DE LA COUR
À la suite de ces conclusions, la juge Burke a accordé quatre ordonnances déclaratoires :
- Violation du Traité 8 par la Colombie-Britannique – En causant et/ou en permettant les effets cumulatifs du développement industriel sur les droits issus de traités de la Première Nation de Blueberry River, la Colombie-Britannique a violé ses obligations envers cette dernière en vertu du Traité 8, y compris ses obligations honorables et fiduciaires. Les mécanismes de la Colombie-Britannique pour évaluer et prendre en compte les effets cumulatifs font défaut et ont contribué à la violation de ses obligations en vertu du Traité 8;
- Violation injustifiable – La Colombie-Britannique a accaparé des terres à un point tel qu’il n’y a pas de terres suffisantes et appropriées dans la région visée par la revendication de la Première Nation de Blueberry River pour permettre à cette dernière d’exercer de façon significative ses droits issus de traités. La Colombie-Britannique a donc porté atteinte de façon injustifiée aux droits issus de traités de la Première Nation de Blueberry River en permettant aux impacts cumulatifs du développement industriel de diminuer de façon significative l’exercice par la Première Nation de ses droits issus de traités dans la région visée par la revendication;
- Aucune autre autorisation (mise en œuvre retardée) – La Colombie-Britannique ne peut continuer à autoriser des activités qui violent les promesses incluses dans le Traité 8, y compris ses obligations honorables et fiduciaires associées au Traité 8, ou qui portent atteinte de manière injustifiée à l’exercice, par la Première Nation de Blueberry River, de ses droits issus du traité;
- Nouveaux mécanismes requis – Les parties doivent agir avec diligence pour consulter et négocier dans le but d’établir des mécanismes exécutoires en temps opportun pour évaluer et gérer l’impact cumulatif du développement industriel sur les droits issus de traités de la Première Nation de Blueberry River, et pour assurer le respect de ces droits constitutionnels[16].
La juge Burke a suspendu la déclaration n°3 pour six mois afin de permettre aux parties de « négocier des changements qui reconnaissent et respectent les droits issus de traités de la Première Nation de Blueberry River[17]. » [traduction]
Un nouveau précédent en matière d’effets cumulatifs
La juge Burke a noté que dans les cas précédents où des groupes autochtones ont allégué une violation des droits issus de traités, ces revendications étaient fondées sur l’approbation d’un seul projet ou sur une disposition législative précise. Cette affaire peut donc être utilisée pour faire valoir que les effets cumulatifs du développement autorisé sur un territoire en particulier ont porté atteinte aux droits issus de traités.
Pouvoir discrétionnaire structurant des décideurs provinciaux
Par suite de l’affaire Yahey, les décideurs peuvent devoir restructurer les systèmes de réglementation pertinents pour fournir une orientation précise portant sur l’exercice de pouvoirs discrétionnaires, afin de minimiser ou d’éviter d’autres atteintes. Cette situation découle des vives critiques formulées par la juge Burke à l’égard des structures décisionnelles de la Colombie-Britannique en matière de développement des ressources naturelles. Se référant aux commentaires formulés pour la première fois par la Cour suprême dans l’affaire R c Adams[18], la juge Burke a conclu que la Colombie-Britannique « ne pouvait pas simplement adopter un régime administratif discrétionnaire non structuré qui risquait de porter atteinte aux droits des Premières Nations. La loi ou le règlement devait plutôt fournir des directives précises concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui visait à tenir compte de l’existence des droits[19]. » [traduction]
En effet, dans cette affaire, la juge Burke était particulièrement préoccupée par le niveau de discrétion accordé aux décideurs individuels, qui ne tenait pas suffisamment compte des effets cumulatifs et des impacts sur les droits de la Première Nation de Blueberry River. La juge Burke a déclaré qu’ « en fin de compte, ces processus sont à la discrétion de la province et de ses organismes, sans que la Première Nation de Blueberry River puisse clairement faire valoir ses droits issus de traités. Cela doit changer[20]. » [traduction]. La juge Burke a ajouté ce qui suit :
« La province continue d’avoir tout le pouvoir, et on dénote finalement peu d’incitation à changer le statu quo. Il y a un besoin évident d’engagements juridiques opportuns, définitifs et exécutoires qui reconnaissent et accommodent les droits issus de traités de la Première Nation de Blueberry River[21]. » [traduction]
En fin de compte, la juge Burke a conclu que la Couronne « doit se prémunir contre un pouvoir discrétionnaire non structuré et fournir un guide au décideur »[22]. Des directives précises concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire doivent donc être élaborées pour corriger les pratiques actuelles de la Colombie-Britannique à cet égard.
La Colombie-Britannique a maintenant six mois pour envisager des ajustements à ses systèmes réglementaires applicables. Ce faisant, elle devra s’engager, avec la Première Nation de Blueberry River, à établir un mécanisme d’évaluation des effets cumulatifs du développement, et des moyens de protéger les droits issus de traités.
Bien que la juge Burke ait clairement indiqué que des changements de cette nature sont nécessaires, on ne sait pas quels changements seront apportés à la fois à la méthode d’évaluation de l’impact cumulatif de la Colombie-Britannique et aux systèmes réglementaires pertinents. De plus, on ne sait pas quelles parties participeront à la négociation de ces changements au-delà des parties en cause dans cette affaire (d’autres groupes autochtones, le gouvernement fédéral et les intervenants de l’industrie seront sans aucun doute très intéressés par les changements proposés).
Par conséquent, cette décision devrait avoir un impact important sur les industries en cause dans le développement des ressources, en particulier dans le territoire du Traité 8. À l’heure actuelle, le gouvernement provincial considère le gaz naturel liquéfié comme un élément clé de la croissance économique de la Colombie-Britannique. Comme de grandes sources de pétrole et de gaz sont encore disponibles sur le territoire du Traité 8, le gouvernement et l’industrie devront évaluer comment aller de l’avant avec un tel développement à la lumière de l’affaire Yahey. Les représentants de l’industrie peuvent appréhender un régime de réglementation et d’évaluation des effets cumulatifs nouvellement modifié lorsqu’ils cherchent à participer au développement du territoire du Traité 8. Il n’est pas clair si cette décision affectera les projets de développement qui ont déjà été approuvés.
Répercussions pour les Premières Nations voisines
Les Premières Nations de l’ensemble du Traité 8 pourraient maintenant vouloir contester de la même manière le développement industriel à proximité de leurs communautés. Cependant, l’affaire Yahey a donné lieu à un long procès au cours duquel une quantité extraordinaire de preuves ont été présentées, y compris des preuves soumises par des aînés de la Première Nation de Blueberry River remontant à de nombreuses années. On ne sait pas si, ou dans quelle mesure, les circonstances auxquelles fait face la Première Nation de Blueberry River peuvent être comparables à d’autres zones du territoire du Traité 8. On ignore également si la Colombie-Britannique sera en mesure de mettre en place un nouveau processus réglementaire dans le délai de six mois accordé par la Cour.
D’autre part, certains groupes autochtones voisins peuvent envisager des possibilités économiques associées au développement industriel, ou y participer déjà. Tout nouveau processus réglementaire devra tenir compte du fait que certaines Premières Nations ont choisi de prendre part à des initiatives de développement économique susceptibles d’avoir un impact sur les droits issus de traités, et qu’elles peuvent donc être considérées comme faisant partie d’un ensemble d’effets cumulatifs qui portent atteinte aux droits des Premières Nations voisines. Cette question risque de s’avérer complexe.
Répercussions plus grandes pour les autres juridictions du Traité 8 – Alberta, Saskatchewan et Territoires du Nord-Ouest
Bien que cette décision soit centrée sur la Colombie-Britannique, les répercussions sont probablement plus grandes, étant donné que le territoire couvert par le Traité 8 s’étend sur une grande partie du nord de l’Alberta, de la Saskatchewan et des Territoires du Nord-Ouest. Les Premières Nations adhérant au Traité 8 dans ces autres juridictions pourraient s’appuyer sur la prise en compte par la juge Burke des impacts cumulatifs et de la limitation correspondante de la clause de « prise en charge » pour étayer les arguments de violation. En outre, des clauses similaires de « reprise » sont présentes dans plusieurs autres traités numérotés au Canada. Il reste à voir comment cette décision affectera l’interprétation et la protection des droits en vertu de ces autres traités, où la « reprise » peut être interprétée différemment selon le contexte du traité et les promesses orales faites au moment de la signature.
CONCLUSION
Sous réserve de tout appel interjeté par la Colombie-Britannique, l’interprétation de la Cour dans l’affaire Yahey du droit régissant la violation des droits issus de traités, et des obligations de la Couronne en vertu du Traité 8, est susceptible d’éclairer d’autres tribunaux canadiens statuant sur des réclamations de violation des droits issus de traités par des impacts négatifs cumulatifs découlant de décisions de la Couronne autorisant le développement des ressources. En tant que telle, cette décision a potentiellement des répercussions de grande portée dans tout le pays.
- Une version antérieure de cet article a été publiée dans le bulletin de Gowlings WLG, voir : gowlingwlg.com/fr/insights-resources/articles/2021/bc-court-cumulative-effects-infringe-treaty-rights/.
*Wally Braul, Maya Stano, Josh Jantzi et Paul Seaman sont associés chez Gowlings à Vancouver et à Calgary. Mark Youden est un avocat du cabinet. - Yahey v British Columbia, 2021 BCSC 1287 [Yahey].
- Ibid aux para 3, 1809.
- Un traité au sens de la Loi constitutionnelle de 1982, art 35, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11. Les obligations de la Couronne en vertu du Traité 8 ont force de loi constitutionnelle.
- Yahey, supra note 2 au para 595.
- 2005 SCC 69 [Première Nation crie Mikisew].
- Ibid au para 47.
- [1990] 1 RCS 1075, 70 DLR (4e) 385.
- [1996] 1 RCS 771, 133 DLR (4e) 324.
- Yahey, supra note 2 au para 508.
- Ibid au para 541.
- Ibid au para 1735.
- Ibid au para 1880.
- Ibid au para 1832.
- Ibid aux para 1833-34.
- Ibid aux para 1884, 1888.
- Ibid au para 1895.
- [1996] 3 RCS 101, 138 DLR (4e) 657.
- Yahey, supra note 2 au para 465.
- Ibid au para 1416.
- Ibid au para 1417.
- Ibid au para 1767.