Capitalisation de l’infonuagique : les défis réglementaires

INTRODUCTION DES RÉDACTEURS

La dernière fois que les rédacteurs de la Publication trimestrielle sur la réglementation de l’énergie ont publié une courte biographie des auteurs, c’était il y a un an, lorsque nous avons publié une étude1 préparée par deux cabinets d’avocats, l’un au Canada et l’autre aux États-Unis. Cette étude examinait les défis réglementaires qui empêchaient l’introduction en temps voulu de la technologie de stockage de l’électricité dans le réseau électrique.

La présente étude2 porte sur une technologie différente connue sous le nom de « infonuagique ». Il est intéressant de savoir que cette technologie peut être utilisée par les compagnies d’électricité et de gaz. L’étude arrive à point nommé. L’Alberta3 et l’Ontario4 ont tous deux entamé des procédures visant à améliorer le processus réglementaire pour l’arrivée de nouvelles technologies.

La première étape consiste à comprendre ce qu’est l’infonuagique. Au cours de la dernière décennie, une nouvelle technologie numérique avec des logiciels d’application basés sur Internet et hébergés par des fournisseurs indépendants a remplacé les installations informatiques standard utilisées par les compagnies d’électricité et de gaz.

Il y a une raison pour laquelle cette nouvelle technologie est exploitée par des fournisseurs indépendants. L’infonuagique est importante et coûteuse et elle nécessite une maintenance importante et complexe. Cependant, il s’avère qu’elle est plus efficace que les installations autonomes. Les réductions de coûts seraient de l’ordre de 40 %.

La réduction des coûts n’est qu’un des avantages. Une caractéristique importante de cette nouvelle technologie est qu’elle offre une plus grande sécurité et une meilleure protection contre les menaces à la cybersécurité. Cette caractéristique deviendra encore plus importante au fil du temps.

Le défi réglementaire auquel l’infonuagique est confrontée est unique. Actuellement, les services publics obtiennent un taux de retour intéressant sur leurs investissements dans des installations autonomes. S’ils louent des services au moyen de l’infonuagique, ils perdent ce rendement financier, puisqu’ils ne sont pas propriétaires de l’actif. Le recouvrement des coûts est généralement limité à la récupération des paiements de location grâce aux frais d’exploitation. Le volet réglementaire dissuade l’adoption de nouvelles technologies plus efficaces.

La présente étude examine plus que les coûts et les avantages de la nouvelle technologie. Elle examine également avec soin l’éventail des solutions réglementaires possibles et prend en considération les différentes mesures adoptées par les organismes de réglementation en Ontario5 et au Québec, ainsi qu’à l’État de New York6, en Pennsylvanie7 et en Illinois8.

L’attention récente portée à cette question par les responsables de la réglementation canadienne et américaine a été suscitée par une résolution de novembre 2016 de la National Association of Utility Regulatory Commissioners (NARUC) qui représente les commissaires de service public des États américains. Dans cette résolution, la NARUC a demandé aux responsables de la réglementation des services publics de prendre en considération les éléments suivants9:

[Traduction]

« Est-ce que l’infonuagique et les solutions sur site devraient recevoir un traitement comptable réglementaire similaire, pour qu’elles puissent toutes deux bénéficier d’un taux de rendement et être payées à même le budget d’investissement d’un service public? »; et est-ce que « les règles comptables réglementaires existantes pourraient être interprétées, le cas échéant, pour permettre aux services publics de capitaliser les logiciels basés sur l’infonuagique? ».

Dans le préambule de cette résolution, la NARUC a souligné ce qui suit :

« CONSIDÉRANT que, selon les directives actuelles, un service public peut classer les investissements dans le matériel ancien et les logiciels de soutien sur site comme une dépense en capital, sur laquelle il peut recevoir un taux de rendement; toutefois, si un service public investit dans des technologies basées sur le nuage, il traite généralement l’investissement comme une dépense d’exploitation, sur laquelle il ne reçoit pas de rendement; »

« CONSIDÉRANT que la disparité des traitements comptables réservés à ces deux approches crée une incitation réglementaire pour les services publics à investir dans des solutions logicielles sur site et crée des obstacles financiers involontaires qui empêchent les services publics de réaliser les avantages que tant d’autres secteurs connaissent avec les logiciels infonuagiques; »

Comme on l’indique ci-dessus, les préoccupations relatives aux incitatifs financiers, et en particulier la perte de revenus des actionnaires associée aux investissements traditionnels en capital, ont été un facteur clé dans l’adoption de la résolution.

Les auteurs de l’étude ont également fait un bon travail de prospection auprès des services publics canadiens pour déterminer leur position sur cette question. En résumé, l’étude a révélé ce qui suit10:

Parmi les parties prenantes des services publics consultées, un consensus quasi unanime s’est dégagé pour que les services publics canadiens soient autorisés à reporter les coûts liés à l’infonuagique et à obtenir un rendement réglementé (composé d’un rendement de la dette et des capitaux propres) similaire à celui des investissements sur site en informatique, qui font partie des budgets d’investissement des services publics par opposition à l’exploitation, la maintenance et l’administration. Il existe une forte volonté d’« uniformiser les règles du jeu » entre les investissements informatiques dans le nuage et les investissements informatiques sur site. Les parties prenantes ont déclaré que, si le traitement comptable réglementaire continue à traiter les investissements dans le nuage différemment des investissements dans l’informatique sur site, cela ralentira l’adoption de l’infonuagique dans le secteur des services publics. En particulier, comme les coûts liés à l’adoption de l’infonuagique continuent d’augmenter en raison de la migration de systèmes de plus en plus importants vers le nuage, l’approche comptable réglementaire actuelle en matière d’exploitation, de maintenance et d’administration sera davantage un obstacle, ce qui entraînera des conséquences imprévues.

Les parties prenantes ont noté que, dans la mesure où les applications hébergées dans le nuage par rapport aux équipements sur site peuvent remplir à peu près le même objectif commercial, le traitement comptable réglementaire devrait traiter ces deux approches de livraison de manière similaire. Les personnes interrogées ont fait valoir que les coûts de la solution infonuagique ont simplement un profil différent; ils deviennent des coûts permanents au lieu d’être des coûts uniques. Afin de prendre les meilleures décisions pour les contribuables, le traitement comptable ne doit pas entrer en ligne de compte dans le processus décisionnel de la direction. Les parties prenantes ont souvent fait remarquer que, pour les services infonuagiques, les traitements réglementaires actuels ont évolué plus lentement que la technologie elle-même.

Cette étude était trop volumineuse pour être incorporée dans la Publication trimestrielle sur la réglementation de l’énergie de la manière habituelle. En conséquence, nous fournissons ce lien vers le rapport :
https://energyregulationquarterly.ca/wp-content/uploads/2020/04/CEA_CGA_-Capitalizing-the-Cloud-Report-FR_04.23.20.pdf

Nous espérons que ce résumé orientera les lecteurs dans la bonne direction.

Pendant de nombreuses années, les responsables de la réglementation de l’énergie ont été confrontés à la question de savoir quels actifs sont « utilisés de manière utile » comme critère de base pour déterminer quels actifs devraient faire partie de l’assiette tarifaire11. Mais comme l’a fait remarquer la Commission de l’énergie de l’Ontario il y a dix ans, les responsables de la réglementation ont toujours eu une certaine souplesse12.

Le problème est que nous vivons dans un monde aux changements technologiques rapides. Il est de plus en plus évident que le processus réglementaire n’a pas apporté les ajustements nécessaires pour s’adapter aux nouvelles technologies.

La présente étude est une première étape importante pour aborder la transition vers de nouvelles installations informatiques complexes et coûteuses qui dépassent souvent la compétence des services publics individuels en termes de capital et de ressources techniques. Il est également important de se rappeler que cette transition peut rendre plus sûrs les actifs réseau nécessaires aux fonctions critiques dans un monde où les menaces à la cybersécurité sont nombreuses.

  1. Paul Kraske et al, « Le stockage de l’electricité en Amérique du Nord » (2019) 7:1 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie 61, en ligne (pdf) : <www.energyregulationquarterly.ca/wp-content/uploads/2019/03/ERQ_Volume-7_Numero_1_2019.pdf>.
  2. KPMG, « Capitalisation de l’infonuagique » (mars 2020), en ligne (pdf) : Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie  « www.energyregulationquarterly.ca/wp-content/uploads/2020/04/CEA_CGA_-Capitalizing-the-Cloud-Report-FR_04.23.20.pdf ».
  3. Market Surveillance Administrator, « Distribution System Inquiry Proceeding 24116 Submission » (17 juillet 2019), en ligne (pdf) : AUC <auc.ab.ca/Proceeding24116/ProceedingDocuments/24116_x005F_X0160_MSADSIModuleOneSubmission_0172.pdf>.
  4. Commission de l’énergie de l’Ontario, lettre, « Utility Remuneration and Responding to Distributed Energy Resources Consultation Initiation and Notice of Cost Awards Process Board File Numbers: EB-2018-0287 and EB-2018-0288 » (15 mars 2019), en ligne (pdf) : <www.oeb.ca/sites/default/files/OEB-Ltr-Remuneration-DER-20190315.pdf>.
  5. Ibid.
  6. New York State Department of Public Service, « Staff White Paper on Ratemaking and Utility Business Models » (28 juillet 2015) à la p 42, en ligne (pdf) : <documents.dps.ny.gov/public/MatterManagement/CaseMaster.aspx?MatterCaseNo=14-m-0101>.
  7. Juge de droit administratif Katrina L. Dunderdale, «R-2018-3000124 et al PA PUC et al v Duquesne Light Company RD » (18 octobre 2018) à la p 30, en ligne (pdf) : Pennsylvania Public Utility Commission <www.puc.state.pa.us/pcdocs/1590205.pdf>.
  8. Bureau of Public Utilities, « Staff Report to the Commission Regulatory Accounting Treatment for Cloud-Based Computing Systems » (17 juin 2019) à la p 1, en ligne (pdf) : Illinois Commerce Commission <icc.illinois.gov/docket/P2017-0855/documents/288004>.
  9. National Association of Utility Regulatory Commissioners, « Resolution Encouraging State Utility Commissions to Consider Improving the Regulatory Treatment of Cloud Computing Arrangements » (16 novembre 2016), en ligne (pdf) : <pubs.naruc.org/pub.cfm?id=2E54C6FF-FEE9-5368-21AB-638C00554476>.
  10. KPMG, supra note 2 à la p 31.
  11. British Columbia Hydro v West Coast Transmission, [1981] 2 CF 646, 36 NR 33; Alberta Power Ltd. v Alberta Public Utilities Board (1990), 66 DLR (4e) 286, 72 Alta LR (2e) 129.
  12. Commission de l’énergie de l’Ontario, « The Regulatory Treatment of Infrastructure Investment in Connection with Rate Regulated Distributors and Transmitters in Ontario » (15 janvier 2010), en ligne (pdf) : <www.oeb.ca/oeb/_Documents/EB-2009-0152/Board_Report_Infrastructure_Investment_20100115.pdf>.

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