La Cour d’appel de l’Ontario clarifie les obligations des services publics en matière de protection de la vie privée

Introduction

Le 10 août, la Cour d’appel de l’Ontario a publié sa décision dans l’affaire R c Orlandis-Habsburgo (Orlandis)1. La Cour a maintenu qu’un organisme de service public partageant les données sur la consommation énergétique des résidents avec la police, partage qui a mené à une fouille et à des accusations criminelles, avait violé l’attente raisonnable de protection de la vie privée des résidents.

Bien que l’affaire Orlandis soit survenue dans un contexte criminel, la décision de la Cour aura deux répercussions importantes sur les services publics. Premièrement, l’affaire Orlandis contribue à une tendance croissante de la reconnaissance judiciaire des préoccupations en matière de protection de la vie privée touchant la collecte, l’utilisation et la divulgation des données de consommation énergétique. Bien que les données sur la consommation semblent peu sensibles, les tribunaux ont commencé à reconnaître que des suppositions délicates peuvent être faites à partir de renseignements qui seraient autrement potentiellement non sensibles. Deuxièmement, l’affaire Orlandis a permis d’établir d’autres nouvelles obligations pour les organisations du secteur privé et du secteur public qui divulguent des données sur la consommation énergétique à la police ou à d’autres tiers.

Les faits et la décision

Dans l’affaire Orlandis, les locataires d’une maison en Ontario faisaient de la production de marijuana. Leur fournisseur d’électricité, notant une consommation d’électricité pouvant faire croire à une production de marijuana, a transmis à la police les renseignements sur la consommation d’électricité. À l’aide des renseignements fournis par le service public, la police a obtenu un mandat pour fouiller la résidence, a trouvé les plants de marijuana et accusé les résidents de différentes offenses criminelles. Au cours du procès, les accusés ont plaidé qu’en obtenant les données sur la consommation énergétique du service public sans leur consentement ou avant l’autorisation judiciaire, la police avait violé leur droit, en vertu de la section 8 de la Charte, d’être protégés contre une fouille et une saisie déraisonnable.

Le juge a rejeté le plaidoyer des accusés voulant qu’ils aient une attente raisonnable de protection de leurs renseignements personnels sur leur consommation énergétique, maintenant que les données « [Traduction] n’entraient pas dans le cœur biographique des détails personnels et intimes du mode de vie et des choix personnels des demandeurs ».

Au cours de l’appel, la Cour a maintenu que les accusés étant en droit de s’attendre raisonnablement à la protection de leurs renseignements personnels, et que l’examen et l’utilisation des données par la police n’étaient pas permis par la loi. Toutefois, la Cour a ultimement refusé d’exclure la preuve obtenue lors de la fouille, en fonction de l’état du droit au moment de la fouille.

Discussion

La décision de l’affaire Orlandis est importante pour deux raisons : la reconnaissance explicite d’un intérêt de protection de la vie privée à l’égard des données sur la consommation énergétique et les commentaires de la Cour sur les relations de partage de renseignements acceptables avec les autorités.

Attente raisonnable de protection de la vie privée

La Cour d’appel a maintenu qu’il y avait une attente raisonnable de protection de la vie privée des données sur la consommation d’énergie pour deux raisons. Premièrement, les données sur la consommation énergétique sont des renseignements en mesure d’appuyer des suppositions que certaines activités soient menées à l’intérieur de la maison. Deuxièmement, la relation contractuelle entre le service public et le consommateur n’était pas en contradiction avec une attente raisonnable de protection de la vie privée.

Les données sur la consommation énergétique peuvent produire des renseignements personnels sensibles

La conclusion de la Cour voulant que les données sur la consommation énergétique appuient l’attente de protection de la vie privée n’est pas très éloignée du raisonnement des tribunaux précédents2. Cependant, la reconnaissance sans équivoque par le tribunal d’un intérêt de protection de la vie privée dans l’affaire Orlandis est un signe de la reconnaissance accrue dans la jurisprudence des répercussions de la protection de la vie privée dans la collecte, l’utilisation et la divulgation des données sur la consommation d’énergie.

Bien que le juge du procès dans l’affaire Orlandis ait conclu que les renseignements sur la consommation d’électricité ne comportaient pas de données biographiques importantes, la Cour d’appel, de son côté, est arrivée à la conclusion que « [Traduction] les données sur la consommation énergétique avaient une capacité jugée suffisante pour dévoiler des activités personnelles à l’intérieur de la maison, particulièrement l’existence d’une plantation de marijuana, de soutenir potentiellement l’existence d’une attente raisonnable de protection de la vie privée »3. Au bout du compte, étant donné que les renseignements divulgués comprenaient les données d’utilisation brutes et des suppositions susceptibles d’être tirées à partir de ces données, la Cour a maintenu que les accusés avaient une attente raisonnable de protection de la vie privée relativement aux renseignements sur la consommation énergétique.

La relation contractuelle peut appuyer une attente de protection de la vie privée

Dans l’affaire R c Gomboc, la Cour suprême a maintenu que la nature de la relation entre le consommateur et le service public n’appuyait pas une attente raisonnable de protection de la vie privée. Dans cette affaire, la règlementation régissant le service public mettait la responsabilité sur le dos du consommateur d’interdire au fournisseur d’électricité de partager des renseignements avec la police. En conséquence, la Cour suprême a maintenu que le consommateur ne pouvait pas s’attendre raisonnablement à une protection de la vie privée.

À l’inverse, la Cour d’appel dans l’affaire Orlandis a noté que les documents régissant la relation entre le consommateur et le service ne pointaient pas dans une autre direction que celle d’une attente raisonnable de protection de la vie privée. Bien que la Cour n’était pas arrivée à la conclusion qu’une attente de protection de la vie privée existait uniquement sur la force des documents, les services publics devraient prendre note du raisonnement de la Cour voulant que la relation contractuelle entre le client et le fournisseur de service et la cadre règlementaire régissant les services aident à déterminer les conditions relatives à la collecte, à l’utilisation et à la divulgation.

Dans le cadre de l’affaire Orlandis, la politique sur la protection de la vie privée du service public faisait référence à l’utilisation et à la divulgation des renseignements personnels uniquement « [Traduction] aux fins de fournir les services »4 moyennant six exceptions pour la divulgation à des tiers. De plus, la licence de distribution du service public faisait mention que le « [Traduction] détenteur de la licence ne doit pas utiliser de renseignements concernant un client […] obtenus pour une seule fin ou à d’autres fins sans obtenir le consentement écrit du client »5. La Cour a également constaté que la section 4.3.1 du Code des réseaux de distribution de la Commission de l’Énergie de l’Ontario (CEO) autorisait la divulgation d’un « [Traduction] possible usage d’électricité non autorisé » à Mesures Canada, à l’Office de la sécurité des installations électriques, aux autorités policières et aux « [Traduction] détaillants touchés par les consommateurs du service qui font un usage d’électricité non autorisé ou à toute autre entité »6.

Relations de partage de renseignements acceptables avec la police

La Cour dans l’affaire Orlandis s’est plus particulièrement concentrée sur la relation entre le service public et la police, et a commenté les formes acceptables de relations de partage de renseignements entre les services publics et des tiers.

Dans l’affaire Orlandis, un spécialiste sur la protection des revenus employé par le service public surveillait les données de consommation pour relever des tendances de consommation « élevée » et « faible », et partageait ces données régulièrement avec la police lorsqu’il suspectait la présence d’une plantation de marijuana, à la lumière des tendances. Le service public et la police ont finalement développé une « pratique usuelle » où la police pouvait demander des renseignements à l’occasion (souvent sans ordonnance de communication) et, à d’autres occasions, le service public pouvait envoyer volontairement les renseignements sans une demande initiale de la police. Ces communications initiales menaient souvent à des demandes de renseignements plus détaillés auxquelles le service public obtempérait toujours.

La Cour a évalué cette relation de partage de renseignements à la lumière des obligations du service public en vertu de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée (LAIMPVP)7 et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) fédérale8. Les deux lois interdisent la divulgation de renseignements personnels sans consentement, mais elles contiennent certaines exceptions permettant la divulgation de ces renseignements à la police dans certaines circonstances. Dans son évaluation du régime de partage de renseignements du service public, la Cour a fait des commentaires qui pouvaient restreindre la portée de telles exceptions règlementaires à l’avenir. Ces commentaires concernent la divulgation à la suite d’une demande de la police, et la divulgation sur la propre initiative du service public.

Demandes de la police

En premier lieu, la Cour a tenu compte de l’exception prévue au sous-alinéa 7(3)(c.1)(ii) de la LPRPDE, lequel permet la divulgation sans consentement préalable à un établissement gouvernemental qui a mentionné la source de « l’autorité légitime » étayant son droit d’obtenir ses renseignements. Le sous-alinéa 7(3)(c.1)(ii) de la LPRPDE oblige la police à faire une demande « aux fins du contrôle d’application du droit canadien […] de la tenue d’enquêtes liées à ce contrôle d’application ou de la collecte de renseignements en matière de sécurité en vue de ce contrôle d’application ».

La Cour a reconnu que la LPRPDE obligeait le service public à protéger la confidentialité des renseignements de ses clients en l’absence d’une demande légitime de la police. Elle a maintenu que la pratique non officielle suivie par le service public et la police n’était pas conforme aux exigences d’« autorité légitime » de la LPRPDE.

En second lieu, la Cour a évalué la relation de partage de renseignements à la lumière de l’exception de divulgation de la police prévue dans la sous-section 32(g) de la LAIMPVP. La Cour a noté que l’exception de la LAIMPVP semblait plus large que celle de la LPRPDE du fait qu’elle n’obligeait pas la police à déterminer une source d’« autorité légitime » pour obtenir les renseignements. À la place, la sous-section 32(g) de la LAIMPVP permet la divulgation par une institution publique à la police « aux fins de faciliter une enquête menée en vue d’une action en justice ou qui aboutira vraisemblablement à une action en justice ». Il n’y a aucune exigence règlementaire à l’effet que l’organisation ait des motifs suffisants de croire que les renseignements concernent un crime, ou que les renseignements aient été demandés officiellement par la police.

Toutefois, la Cour d’appel a réduit l’interprétation de la LAIMPVP pour l’aligner sur la LPRPDE. La Cour a souligné que le but des deux lois consistait à protéger la vie privée, et que ce but serait annulé par une lecture très large des exceptions concernant l’exigence d’un consentement pour divulguer des renseignements personnels. En conséquence, la Cour a maintenu que la sous-section 32(g) n’envisage pas une entente continue de partage de renseignements personnels avec la police. D’ailleurs, la Cour a été très claire relativement à la sous-section 32(g) notant qu’elle n’envisageait pas la « pratique habituelle » non officielle qui a été développée entre le service public et la police, alors que les renseignements étaient fournis sur la croyance que « [Traduction] la police pouvait avoir un certain intérêt pour les renseignements ». À la place, en vertu de la LAIMPVP, l’institution publique devait rendre un jugement indépendant et éclairé, après avoir reçu une demande précise dans le contexte d’une enquête criminelle particulière, à savoir si elle exerçait sa discrétion de divulguer les renseignements.

Divulgation à la propre initiative de l’organisation

L’alinéa 7(3)(d) de la LPRPDE permet à une organisation, à sa propre initiative, de divulguer des renseignements personnels à une institution gouvernementale sur « des motifs raisonnables de croire que le renseignement est afférent à une contravention au droit fédéral […] ».

La Cour a maintenu que cette disposition ne permettait pas l’entente de partage de renseignements non officiel entre le service public et la police. Le service public avait développé une pratique qui consistait à simplement transmettre les renseignements s’il croyait que les données pouvaient intéresser la police. La Cour a mentionné que l’alinéa 7(3)(d) obligeait une organisation à « [Traduction] prendre […] des décisions indépendantes de divulguer des renseignements, en fonction de sa conclusion que des motifs raisonnables existants permettaient de croire que les appelants étaient engagés dans une activité criminelle ». De plus, la Cour a noté que les organisations pouvaient divulguer des renseignements si elles avaient mis en place une politique officielle permettant la divulgation des données de consommation d’énergie ou d’autres renseignements dans les circonstances prescrites par la LPRPDE, mais n’a pas mesuré les éléments d’une telle politique ou le niveau de certitude requis pour établir des « motifs raisonnables » de croire.

Conséquences de la décision

Les organisations devraient prendre note que les tribunaux sont de plus en plus enclins à reconnaître que les consommateurs ont une attente de protection de la vie privée relativement à leurs données de consommation d’énergie, ce qui peut l’emporter sur l’intérêt du service public ou du public de signaler une activité criminelle potentielle à la police. En raison de cette attente de protection de la vie privée, les services publics doivent examiner soigneusement leurs politiques et procédures internes ayant trait à la divulgation de renseignements de client à des tiers.

Établissement des procédures pour la divulgation à des tiers

Police

L’affaire Orlandis suggère que les services publics ne peuvent pas simplement transmettre des conseils ou des renseignements suspects. La décision de la Cour laisse entendre que les organisations du secteur privé et les institutions publiques ont le lourd fardeau de prendre des décisions juridiques et factuelles indépendantes que les renseignements personnels, peu importe le niveau de sensibilité, sont une preuve d’activité criminelle avant de fournir de tels renseignements à la police.

De plus, bien que la Cour reconnaisse qu’une organisation puisse divulguer des renseignements à la police de sa propre initiative, il est clairement établi qu’une telle divulgation volontaire doit être faite en se basant sur des motifs raisonnables de croire que les renseignements sont liés à un crime.

En conséquence, les organisations doivent mettre en place des politiques claires et uniformes de divulgation de renseignements personnels en conformité avec les exceptions de divulgation législatives interprétées plus étroitement. Les employés doivent recevoir une formation spécifique sur ce qui constitue des motifs raisonnables de croire que les renseignements concernent un crime. De plus, afin de mieux se conformer aux commentaires de la Cour sur la LPRPDE et sur la LAIMPVP, les services publics devraient désigner un représentant de la protection de la vie privée pour gérer tous les régimes de partage de renseignements avec les autorités. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a publié des directives sur la manière de choisir un représentant, précisant qu’il faut qu’il s’agisse d’un « décideur principal » en mesure d’« intervenir sur les questions de protection de la vie privée dans l’ensemble de l’organisation » et des ressources dédiées pour mettre en œuvre les obligations en matière de confidentialité9.

Autres tiers

Les services publics peuvent être particulièrement préoccupés par leur capacité à divulguer des renseignements sur les clients à des tiers autres que la police, comme des propriétaires, compte tenu des risques que des activités nécessitant une consommation énergétique importante peuvent poser aux gens et aux biens. Le juge de l’affaire Orlandis a noté qu’une utilisation énergétique excessive peut poser un danger d’incendie ou électrique aux habitations voisines, ou causer des dommages importants à la propriété. Ainsi, les services publics peuvent souhaiter divulguer l’utilisation non autorisée à des tiers comme des propriétaires d’immeubles à logements habités par des locataires. Tel que clairement énoncé dans le raisonnement de la Cour, la relation contractuelle du service public avec les locataires et leurs permis de distribution individuels émis par l’organisme de règlementation en matière d’énergie soulignent la portée de la divulgation afin de permettre le partage avec des tiers. Les services publics doivent examiner leurs politiques en matière de protection de la vie privée et leurs permis afin de mettre en œuvre ces plans de divulgation, tout en demeurant au courant de leurs obligations en vertu de la législation sur la protection de la vie privée applicable.

* Molly Reynolds est une associée principale chez Torys LLP à Toronto, elle est autorisée à pratiquer en Ontario et à New York. Sa pratique porte sur les litiges et la conformité juridique en matière de confidentialité, sur les pratiques exemplaires en matière de sécurité et sur l’encadrement de l’intervention en cas d’infraction.

**Caitlin Morin est une associée chez Torys LLP à Toronto. Sa pratique porte sur tous les aspects des questions relatives à l’emploi, aux avantages sociaux et aux régimes de retraite. Mme Morin a complété sa formation en droit à l’Université McGill et elle est autorisée à pratiquer en Ontario.

***Amir Eftekharpour est un stagiaire en droit chez Torys LLP à Toronto. Il a terminé son droit à l’Université de Toronto, et a obtenu un baccalauréat avec honneur (science politique) de l’Université Western.

  1. R c Orlandis-Habsburgo, 2017 ONCA 649 [Orlandis].
  2. R c Gomboc, 2010 SCC 55.
  3. Orlandis, supra note 2, paras 66-68.
  4. Orlandis, ibid, n 3.
  5. Orlandis, ibid, para 87.
  6. Commission de l’Énergie de l’Ontario, Distribution System Code, section 4.3.1.
  7. Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée, LRO 1990, c M.56.
  8. Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5.
  9. Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Outil d’autoévaluation – LPRPDE (Ottawa, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, 2008), en ligne : <https://www.priv.gc.ca/fr/sujets-lies-a-la-protection-de-la-vie-privee/lois-sur-la-protection-des-renseignements-personnels-au-canada/la-loi-sur-la-protection-des-renseignements-personnels-et-les-documents-electroniques-lprpde/aide-sur-la-facon-de-se-conformer-a-la-lprpde/pipeda_sa_tool_200807/>.

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