Demande de la SIERE à la Commission de l’énergie de l’Ontario concernant l’augmentation de ses besoins en revenus et de ses frais de consommation pour 2024 et 2025[1]

En vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’électricité de l’Ontario[2], la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (SIERE) de l’Ontario est tenue de présenter périodiquement à la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) une demande visant à faire approuver ses besoins en revenus, ses dépenses et ses frais de consommation. Jusqu’à tout récemment, cette demande était présentée sur une base annuelle, à la suite de l’approbation annuelle du plan d’activités de la SIERE par le ministère de l’Énergie de l’Ontario. Toutefois, dans sa plus récente demande relative à ses besoins en revenus présentée à la CEO, la SIERE a pour la première fois demandé l’approbation de la CEO pour une période pluriannuelle (2023 à 2025) (la « demande initiale relative aux frais »)[3].

La demande initiale relative aux frais a été déposée le 29 mars 2023. Une conférence de règlement a eu lieu entre la SIERE, le personnel de la CEO et divers intervenants inscrits du 26 au 29 juin 2023, au cours de laquelle une proposition de règlement provisoire englobant toutes les questions litigieuses a été conclue — y compris l’acceptation de la proposition concernant les besoins en revenus de la SIERE pour 2023, 2024 et 2025 de 208,4 millions de dollars, de 218,4 millions de dollars et de 229,7 millions de dollars, respectivement (la « proposition de règlement »). La SIERE a par la suite déposé la proposition de règlement auprès de la CEO le 21 juillet 2023, que la CEO a approuvée dans son intégralité par une décision et une ordonnance datée du 29 août 2023.

La proposition de règlement approuvée par la CEO (l’« entente de règlement ») prévoyait que si des dépenses imprévues ou des changements dans les revenus faisaient en sorte que le solde du compte de report et d’écart projetés (FVDA) de la SIERE devenait négatif pour la première année du cycle triennal, c.àd. l’exercice 2023, alors la SIERE pourrait présenter une nouvelle demande à la CEO pour faire rajuster ses frais pour la dernière année du cycle triennal, c’est-à- dire 2025 (le « mécanisme de rajustement »)[4]. En somme, le mécanisme de rajustement prévoyait que la SIERE pourrait demander à la CEO de rajuster ses frais pour 2025 en cas de dépenses imprévues pour l’exercice fiscal 2023.

Nonobstant le mécanisme de rajustement, la SIERE a déposé une autre demande auprès de la CEO moins de six mois plus tard, le 12 janvier 2024, demandant l’approbation d’augmentations progressives de 4,5 millions de dollars et de 5,4 millions de dollars de ses besoins en revenus pour 2024 et 2025 respectivement[5] Demande d’augmentation progressive des frais »). La SIERE a affirmé que sa demande de financement supplémentaire était directement attribuable à des initiatives précises décrites dans une lettre du 10 juillet 2024 du ministre de l’Énergie adressée à la SIERE pour donner suite au document du ministère de l’Énergie intitulé « Alimenter la croissance de l’Ontario : Plan de l’Ontario pour un avenir énergétique propre » (le « Plan AEP ») publié le même jour. Après avoir reçu la lettre du 10 juillet 2023, la SIERE a présenté au ministre de l’Énergie de l’Ontario un plan d’activités 2023-2025 modifié, qui a été approuvé par le ministre le ou vers le 28 novembre 2023 (« plan d’activités modifié »). Il n’est pas surprenant que divers intervenants aient contesté la demande d’augmentation des frais de la SIERE au motif qu’elle allait à l’encontre du mécanisme de rajustement, qui exigeait que des augmentations pour l’exercice 2023 soient traitées pour la troisième année du cycle triennal. Les intervenants et le personnel de la CEO ont fait valoir que la demande relative à l’augmentation des frais était incompatible avec l’intention des parties d’inclure le mécanisme de rajustement dans l’entente de règlement, à savoir de limiter les circonstances dans lesquelles la SIERE pourrait solliciter une approbation pour rajuster ses frais[6].

De plus, la SIERE a reçu la lettre ministérielle le 10 juillet 2023, environ deux semaines après la conférence de règlement du 26 au 29 juin et plus de dix jours avant de déposer la proposition de règlement auprès de la CEO pour approbation le 21 juillet 2023. Cette démarche est intervenue plus de six semaines avant que la CEO ne rende sa décision du 29 août 2023 rendant obligatoire l’entente de règlement. Le personnel de la CEO et les intervenants ont donc  fait valoir  dans  la  demande d’augmentation des frais que « la SIERE savait que le Plan AEP exigerait du travail avant le dépôt de la proposition de règlement, et la SIERE aurait vraisemblablement pu prévoir les répercussions financières éventuelles du travail associé au Plan AEP au moins avant la décision de la CEO » [traduction][7]. Les intervenants ont fait valoir que la SIERE aurait dû porter à leur attention les répercussions financières éventuelles du Plan AEP avant de déposer la proposition de règlement le 21 juillet, sinon au cours de la conférence de règlement du 26 au 29 juin.

En réponse, la SIERE a fait valoir qu’elle ne se fiait pas au mécanisme de rajustement pour appuyer sa demande d’augmentation des frais. La SIERE a plutôt fait valoir (comme l’a décrit le groupe d’experts de la CEO) :

le mécanisme de rajustement a été conçu comme un garde-fou qui définit des déclencheurs précis qui obligeraient la SIERE à examiner et à évaluer un rajustement de ses frais. Par ailleurs, l’inclusion du mécanisme de rajustement dans la proposition de règlement n’a aucunement empêché la SIERE de présenter une demande pour rajuster ses frais de consommation en réponse à des dépenses importantes imprévues, imputables au budget de fonctionnement ou d’immobilisations, découlant des changements apportés aux politiques gouvernementales [traduction][8].

La SIERE a également adopté la position suivante : « les modalités de la proposition de règlement ne restreignent pas et ne pourraient pas, en droit, restreindre le droit de la SIERE [en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’électricité] de demander l’approbation de l’augmentation des frais de consommation pour 2024 et 2025 après l’approbation du ministre […] du plan d’activités modifié » [traduction][9].

En se fondant sur le paragraphe 25(4) de la Loi sur l’électricité[10], la CEO a soutenu qu’elle avait en fait le pouvoir d’approuver la demande d’augmentation des frais malgré le mécanisme de rajustement. Principalement parce que « [l]a CEO a la responsabilité continue de veiller à ce que les dépenses, les besoins en revenus et les frais de la SIERE soient raisonnables et conformes aux objectifs de la Loi sur l’électricité et de la CEO en vertu de la Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario » [traduction][11].

Néanmoins, la CEO a décrit comme « très discutable » l’approche de la SIERE pour présenter la demande d’augmentation des frais :

[l]a préoccupation de la CEO est qu’une divulgation en temps opportun de la lettre du ministre à la CEO et aux parties à la proposition de règlement aurait pu éliminer le besoin de présenter cette demande fondée sur le paragraphe 25(1) et la mauvaise volonté en résultant qui semble avoir été reflétée dans les observations reçues. Une telle divulgation aurait probablement provoqué des efforts pour permettre la reconnaissance de la lettre en retardant l’approbation par la CEO de toute proposition de règlement jusqu’à ce que les nouveaux renseignements, qui pourraient entraîner des coûts imprévus, deviennent disponibles et soient traités dans la conférence de règlement. La CEO fait également remarquer qu’une proposition de règlement émanant d’une telle conférence aurait fort bien pu prévoir une « porte de sortie » pour permettre l’examen des répercussions financières de la lettre du ministre lorsque les évaluations des coûts appropriées ont été effectuées et que le plan d’activités a été approuvé par le ministre. Une telle ligne de conduite aurait été conforme à un objectif principal d’une conférence de règlement visant à parvenir à un règlement dans l’intérêt public et avec l’accord de toutes les parties prenantes.

[…] il n’était pas interdit à la SIERE d’aviser les parties à la proposition de règlement que la lettre du ministre allait probablement exiger des dépenses supplémentaires, et il est clair que cette exigence était connue avant que la CEO ne rende sa décision sur l’instance EB-2022-0318.

[…]

La réussite des conférences de règlement convoquées par la CEO dépend de la divulgation complète de tous les renseignements pertinents et d’une discussion franche des enjeux (une discussion qui ne peut être mentionnée dans l’instance en dehors de la conférence) et d’une compréhension commune des résultats par les parties. Dans ce cas, le processus choisi par la SIERE pour mettre en œuvre les initiatives énoncées dans la lettre du ministre pourrait entraîner de graves conséquences pour les futures conférences de règlement si les parties ont perdu confiance dans la transparence et la rapidité de la communication de l’information [traduction][12].

Les questions soulevées dans la demande d’augmentation des frais portaient principalement sur l’interprétation législative et contractuelle du mécanisme de rajustement. Cependant, une question fondamentale qui n’a pas été soulevée était de savoir si la SIERE a agi de façon contraire à son obligation de s’acquitter de ses obligations contractuelles en vertu de l’entente de règlement de bonne foi.

Le préambule de l’entente de règlement stipulait explicitement : « le présent document se veut une entente juridique, créant des obligations mutuelles et exécutoires conformément à ses modalités » [traduction][13]. Et nous savons, d’après la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bhasin c Hrynew[14], que les parties à une entente existante sont tenues à « exécuter leurs obligations contractuelles de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire»[15]. L’obligation d’exécution honnête « oblige les parties à faire preuve d’honnêteté l’une envers l’autre dans le cadre de l’exécution de leurs obligations contractuelles »[16] — « il s’agit d’une simple exigence faite à une partie de ne pas mentir à l’autre partie ni de la tromper au sujet de l’exécution de ses obligations contractuelles »[17]. Chaque partie doit tenir dûment compte des intérêts contractuels légitimes de l’autre partie, et la partie ne peut pas « [chercher] de mauvaise foi à nuire à ces intérêts »[18].

Dans le cas de l’entente de règlement, il est raisonnable de conclure que les intervenants avaient un intérêt légitime à limiter la capacité de la SIERE de retourner devant la CEO pour un rajustement des frais uniquement sur la base des circonstances établies dans le mécanisme de rajustement[19]. La SIERE n’a-t-elle pas dûment tenu compte de cet intérêt dans la présentation de la demande d’augmentation des frais? Une telle conduite s’assimilait-elle à une « conduite malhonnête »[20]?

La SIERE pourrait répondre que les principes d’interprétation contractuelle de Bhasin ne s’appliquent pas ou ne devraient pas s’appliquer à la demande d’augmentation des frais parce qu’il s’agit d’une entité règlementée par le secteur public[21] et donc distincte d’une partie contractante commerciale privée. Mais le devoir d’exécution honnête s’applique à tous les contrats, fonctionne indépendamment de l’intention des parties et ne se soustraire aux limites à la liberté contractuelle[22]. En effet, un autre argument pourrait être avancé selon lequel il existait une obligation élevée ou une obligation d’exécution de bonne foi entre la SIERE en tant qu’entité du secteur public qui a un pouvoir discrétionnaire sur les contribuables représentés par les intervenants. Ce déséquilibre du pouvoir ou cette asymétrie de l’information ont été perpétués par le fait qu’il est plus probable qu’improbable que la SIERE ait eu une certaine connaissance du Plan AEP avant de recevoir la lettre du ministre le 10 juillet.

La SIERE peut réfuter la publication immédiate de la lettre du ministre au motif qu’une nouvelle publiée sur le site Web public de la SIERE a divulgué de façon suffisante de l’information aux intervenants et qu’à ce titre, il n’y a pas eu d’asymétrie ou de déséquilibre de l’information. Cependant, la CEO a noté à juste titre que « l’un des objectifs pratiques des instances règlementaires est de regrouper l’information disponible sur le bien-fondé d’une demande. L’hypothèse selon laquelle des renseignements pertinents peuvent également être obtenus par un examen continu de l’information publiée sur les sites Web des demandeurs est une proposition dont la validité est douteuse » [traduction][23]. Cela est conforme à l’arrêt Bhasin, qui reconnaît que l’obligation d’agir de bonne foi peut s’étendre aux négociations précontractuelles.

Il est malheureux que l’obligation d’exécution honnête n’ait pas été examinée plus attentivement dans la demande d’augmentation des frais. Elle le sera peut-être si et quand des circonstances semblables se présenteront — une possibilité bien réelle compte tenu du rythme accéléré auquel les politiques des gouvernements provinciaux évoluent pour répondre aux prévisions de croissance de la demande et à la transition énergétique dans son ensemble.

 

  1. Demande concernant l’augmentation de ses besoins en revenus et de ses frais de consommation pour 2024 et 2025 (1 août 2024), EB-2024-0004, en ligne (pdf ) : Commission de l’énergie de l’Ontario <www.rds.oeb.ca/CMWebDrawer/Record/860710/File/document>.

* Avocate chez Blakes, Cassels & Graydon LLP (« BCG »). Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteure seule et ne reflètent pas nécessairement celles de BCG ou de toute autre personne ou entité. Reena Goyal est une avocate éminente dans le secteur énergétique. Elle cumule près de 20 ans d’expérience et se spécialise dans le droit de l’énergie depuis 2011.

  1. Loi sur l’électricité, L.O. 1998, c 15, annexe A, art 25(1) : « La SIERE soumet à l’examen de la Commission ses prévisions budgétaires pour l’exercice et les droits qu’elle se propose d’exiger au cours de cet exercice au moins 60 jours avant le début de chaque exercice, mais en aucun cas avant que le ministre ait approuvé son plan d’activités proposé pour l’exercice en application de l’article 24 ».
  2. Demande d’approbation des besoins en revenus, des dépenses et des frais de consommation proposés pour les exercices 2023, 2024 et 2025 (29 août 2023), EB-2022-0318, en ligne (pdf) : Commission de l’énergie de l’Ontario <www.rds.oeb.ca/CMWebDrawer/Record/813433/File/document>.
  3. Ibid. (« [S]i le solde du compte FVDA devient négatif au cours de la première année du cycle triennal, la SIERE propose qu’une présentation révisée pendant les années intérimaires suive le processus suivant :
    • le rapport annuel de la SIERE terminé au T1 de l’année 2 confirme que le solde du compte FVDA de l’année 1 est inférieur à zéro;
    • le plan d’activités de la SIERE est révisé et soumis de nouveau au ministre;
    • une fois l’approbation du ministre reçue, la demande révisée est déposée auprès de la CEO;
    • la demande révisée solliciterait :
      • l’approbation de la modification des frais de consommation au cours de l’année 3 pour récupérer une partie ou la totalité des montants qui ont eu une incidence sur le compte FVDA de la SIERE en le ramenant sous zéro. La SIERE avisera la CEO et les parties lorsqu’un plan d’activités révisé aura été approuvé par le ministre » [traduction], à la p 18).
  4. Ainsi que les frais de consommation mis à jour qui en découlent.
  5. Supra note 1.
  6. Ibid à la p 7.
  7. Ibid à la p 4.
  8. Ibid aux pp 3–4 [notes omises].
  9. Ibid. (« [La Commission] peut approuver les besoins proposés en matière de dépenses et de revenus et les frais proposés ou les renvoyer à la SIERE pour un examen plus approfondi avec les recommandations de la Commission » [traduction], à la p 8).
  10. Ibid.
  11. Ibid aux pp 10–11 [notes omises].
  12. Supra note 4 à la p 18.
  13. Bhasin c Hrynew, 2014 CSC 71 [Bhasin].
  14. Ibid au para 63.
  15. Ibid au para 93.
  16. Ibid au para 73.
  17. Ibid au para 65.
  18. Supra note 1 à la p 4.
  19. Bhasin, supra note 14 au para 86.
  20. Supra note 1 à la p 4.
  21. Bhasin, supra note 14 au para 74.
  22. Supra note 1 aux pp 10–11.

 

Laisser un commentaire