Introduction
L’Office national de l’énergie (l’Office) a récemment approuvé une demande de Pipelines Enbridge Inc. (Enbridge) concernant l’inversion de sa canalisation 9B (de la station de North Westover, en Ontario, à Montréal) et son projet d’accroissement de la capacité proposé pour l’ensemble de la canalisation 9 (de Sarnia à Montréal)1. Cette inversion redonnerait à la ligne 9 son objectif original, au moment de sa mise en service en 1976, qui consistait à acheminer le pétrole brut de l’Ouest aux raffineries de l’Est.
Comme il s’agit d’une proposition visant à redonner à la canalisation existante l’objectif pour lequel elle a été approuvée et construite, on aurait pu s’attendre à ce que l’approbation de la demande soit relativement simple. En fait, la controverse entourant le projet s’est intensifiée à un tel point que l’Office a annulé la dernière partie de son audience orale en raison de préoccupations liées à la sécurité des participants (« due to concerns with respect to the security of attendees »2). L’audience de l’Office s’est terminée par écrit. L’instance relative à l’inversion de la canalisation 9 est une autre preuve que dans le contexte actuel, pratiquement toutes les propositions de canalisation suscitent une controverse publique et présentent des défis sur le plan réglementaire. Les Motifs de décision de l’Office sur ce sujet reflètent ce nouveau contexte.
La décision de l’Office est également importante pour confirmer son approche générale consistant à accepter les réponses du marché aux changements fondamentaux touchant la dynamique de l’offre et de la demande d’énergie en Amérique du Nord, alors que celles-ci continuent d’évoluer. De plus, la décision maintient le refus constant de l’Office de tenir compte de préoccupations comme l’exploitation des sables bitumineux, la politique énergétique, les gaz à effet de serre en amont et ceux découlant de l’utilisation finale du pétrole brut.
Contexte
À la demande et avec l’appui contractuel du gouvernement, la canalisation 9 a été construite à la suite de l’embargo pétrolier imposé par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), en 19733. Connue sous le nom de prolongement Montréal, elle devait répondre aux questions liées à la sécurité d’approvisionnement et aux prix en permettant de transporter le pétrole brut de l’Ouest canadien aux raffineries de l’Est, dans la région de Montréal et éventuellement par transport maritime de Montréal aux raffineries de la Ville de Québec et des Maritimes. L’entente contractuelle entre Enbridge et le gouvernement du Canada sous-tendant la construction initiale de la canalisation 9 a été résiliée d’un commun accord en 1996.
En 1997, en réponse à d’importants changements survenant dans le marché international du pétrole, Enbridge a demandé à l’Office l’autorisation d’inverser le sens d’écoulement de la canalisation 9 de manière à ce que le pétrole brut circule de Montréal vers les grands centres de raffinage de l’Ontario, ce que l’Office a d’ailleurs acceptée.
En raison de l’évolution de l’offre future de pétrole issu de l’Ouest, Enbridge a demandé à l’Office, en 2011, d’inverser vers l’ouest, le sens d’écoulement de la canalisation 9 reliant le terminal de Sarnia à la station de North Westover, afin de répondre à une demande de la raffinerie de Nanticoke de l’Imperial Oil. L’Office a approuvé la demande et l’écoulement vers l’est, sur ce qui a ensuite été désigné par la canalisation 9A, a commencé en août 2013.
Au moment de la demande d’Enbridge dans le cadre de l’instance actuelle, la canalisation 9 était composée de la canalisation 9A, dont le sens d’écoulement est vers l’est entre le terminal de Sarnia et la station de North Westover, et de la canalisation 9B, dont le sens d’écoulement est vers l’ouest allant du terminal de Montréal à North Westover, les deux canalisations acheminant du pétrole à la raffinerie de Nanticoke de l’Imperial Oil. La demande présentée à l’Office dans le cadre de l’instance actuelle visait à obtenir l’approbation d’inverser le sens d’écoulement de la canalisation 9B (vers l’est, de la station de Westover à Montréal), pour accroître la capacité de la canalisation 9 à environ 300 000 barils par jour et réviser le tarif pour permettre le transport de brut lourd.
Questions liées à la sécurité et à l’environnement
La controverse au sujet de la demande d’Enbridge découle principalement de préoccupations publiques à l’égard des répercussions que le projet pourrait avoir sur la sécurité et l’environnement4. Tel que suggéré plus tôt, cela a peut-être été surprenant, étant donné que la canalisation 9 avait été exploitée sans incident majeur pendant plus de 35 ans. Il est toutefois devenu immédiatement apparent que les craintes du public à l’égard de la sécurité de la canalisation et des potentielles conséquences environnementales liées à des ruptures ont profondément changé récemment. Il est également apparu que de nombreux propriétaires de terrains le long de la route de la canalisation 9 n’avaient été conscients de la proximité de la canalisation que de manière générale. En plus de ces derniers, plusieurs administrations locales, la Ville de Montréal et le ministère de l’Énergie de l’Ontario ont fait part de leurs inquiétudes à l’Office, particulièrement en ce qui concerne les consultations et leurs besoins de renseignements supplémentaires à la fois sur le projet tel que proposé et ce, de façon continue.
L’Office a explicitement reconnu le nouveau contexte :
Tout au long de l’instance, l’Office a constaté que de nombreux arguments étaient influencés par le contexte social qui prévalait au moment de l’examen de la demande concernant le projet. L’Office est attentif au fait que les projets de son ressort suscitent une plus grande prise de conscience et davantage de préoccupations, ce qui est le cas du projet visé par la présente instance, qui prévoit la modification et l’exploitation continue d’une canalisation qui traverse de grandes agglomérations, des collectivités rurales et des zones écologiques fragiles… [le] présent chapitre situe le contexte social général dans lequel les participants ont exprimé leurs préoccupations.
Malgré la présence de longue date de la canalisation 9 en Ontario et au Québec, l’instance a suscité, localement, une prise de conscience de cette canalisation qui est déjà en exploitation et assujettie à la réglementation de l’Office… À cette prise de conscience se sont ajoutés des événements majeurs, tels que le déraillement de train à Lac Mégantic, au Québec, en juillet 2013 et la rupture de la canalisation 6B d’Enbridge Energy, Limited Partnership à Marshall, au Michigan, en juillet 2010… événements qui ont souvent été évoqués durant l’instance. La préoccupation résultant de ces évènements est à la base de certaines observations concernant non seulement le projet, mais également la sécurité des canalisations en général.
* * *
Puisque le tracé de la canalisation 9B traverse certaines des zones les plus densément peuplées du Canada, les préoccupations soulevées et exacerbées par ces deux incidents ont, de façon bien compréhensible, été mises en évidence dans de nombreux mémoires déposés devant l’Office5.
En fait, l’expression des préoccupations du public à l’égard du projet sont allés bien au-delà de la simple présentation de demandes auprès de l’Office, au point de perturber l’instance à Montréal et celle de Toronto. Dans sa Mise à jour procédurale relative à la plaidoirie finale, l’Office a cherché à éviter de nouvelles perturbations :
Depuis toujours, l’Office mène ses audiences et les processus qui y sont associés de manière sécuritaire, dans la courtoisie, le respect et la civilité. L’audience ne se déroulera que de manière plus efficiente si ces principes sont respectés par tout le monde, parties et membres du public confondus. Tout en reconnaissant que les questions débattues dans le cadre de cette instance font parfois l’objet d’opinions tranchées, courtoisie, respect et professionnalisme sont de rigueur pendant tous les échanges mettant en cause des parties ou des membres du public, entre eux ou avec du personnel ou des membres de l’Office. Aucun manque à ces égards ne sera toléré à l’audience.
Tous les participants ont droit à une instance de l’Office qui soit juste et efficiente, et celui-ci pourra prendre des mesures, si besoin est, pour que le volet oral de l’audience se déroule dans l’ordre et le respect pour tous. L’Office ne tolérera aucune perturbation qui aurait une incidence négative sur la capacité des parties (Enbridge et les intervenants) à présenter leur plaidoirie finale orale.
Si une partie ou un membre du public perturbe l’instance, l’Office lui demandera de cesser sur-le-champ et pourra prendre d’autres mesures en l’absence du résultat escompté. Il faut aussi savoir que quel que soit le message livré pendant d’éventuelles perturbations à un processus de l’Office, oral ou écrit, il ne sera pas versé au dossier de l’instance et il n’en sera pas tenu compte pendant les délibérations qui suivront l’audience. Par ailleurs, l’Office avise les participants et les membres du public qui assistent aux plaidoiries finales orales que les objets insolites, tels qu’une affiche, une pancarte ou un autre accessoire, ne sont pas appropriés et qu’ils ne seront pas autorisés dans la salle d’audience6.
Malgré cet avertissement, le comportement perturbateur dont ces personnes ont fait preuve a finalement entraîné l’annulation de la dernière journée de plaidoirie orale, tel que mentionné, en raison de préoccupations liées à la sécurité des participants (« due to concerns with respect to the security of attendees »7). Enbridge a par la suite présenté une réplique par écrit.
L’Office était convaincu, sous réserve de certaines conditions, qu’il fallait approuver le projet. Ces conditions8 comprennent des mesures visant à assurer la disponibilité de renseignements sur le projet. Par exemple, Enbridge doit publier un tableau de suivi de ses engagements sur son site Web, continuer de mettre à jour le tableau jusqu’à ce que tous les engagements aient été réalisés, en plus de continuer à mener des consultations auprès des intervenants tout au long du projet.
L’Office a rejeté la demande d’Enbridge qui souhaitait être exemptée de devoir obtenir l’autorisation de mise en service des installations élargies9. Avant de déposer une demande d’autorisation de mise en service, Enbridge doit soumettre plusieurs documents, y compris une évaluation technique à jour de la canalisation, son programme d’essais sous pression, le manuel du système de détection de fuites, un cadre de coordination de la protection de l’environnement et de l’intervention en cas d’urgence, ainsi qu’un plan de mise à jour et de mise en œuvre de son programme de formation continue (y compris les exercices d’intervention d’urgence), de son programme de liaison et de ses activités de consultation relatives à la protection civile et à l’intervention d’urgence10. Bien que la plupart des approbations de cette nature de l’Office puissent comporter des conditions semblables à celles-ci, leurs particularités semblent, dans le cas présent, avoir été influencées par la volonté de l’Office de fournir une assurance plus vaste que le projet serait construit et exploité de façon sécuritaire et qu’il serait respectueux de l’environnement. Dans ses Motifs de décision, l’Office a également pris la peine de décrire son mandat et, en détail, le rôle qu’il est appelé à jouer au chapitre de la sécurité des canalisations et de l’évaluation environnementale de projets, encore une fois apparemment dans le but de rassurer les parties concernées et le grand public11.
Questions autochtones
Onze groupes ou particuliers autochtones ont pris part à l’instance, dont huit ont déposé des éléments de preuve et présenté une plaidoirie finale. Les préoccupations exprimées par ces participants comprenaient l’incidence éventuelle d’un déversement causé par la canalisation 9 sur les activités d’utilisation traditionnelle des terres et sur les ressources archéologiques et patrimoniales. Certaines préoccupations ont également été exprimées au sujet de l’approbation initiale de la canalisation 9 et des activités d’entretien continues qui y sont menées12.
L’office a souligné que l’instance actuelle ne visait pas à évaluer l’exploitation de la canalisation 9 ou de ses activités connexes d’entretien continu13. Il a constaté que le projet actuel n’exige pas d’acquérir de nouveaux droits fonciers permanents et ne touche aucune terre publique, tout en reconnaissant qu’il est situé sur des terres que des groupes autochtones utilisent à des fins traditionnelles. Tous les groupes autochtones susceptibles d’être touchés avaient été suffisamment renseignés.
L’Office a con conclu qu’étant donné la nature et l’envergure du projet, et sous réserve des conditions de l’Office, les effets éventuels du projet sur les droits et les intérêts des groupes autochtones « seront vraisemblablement négligeables et atténués de façon convenable »14.
Les conditions comprenaient une obligation pour Enbridge de déposer, 30 jours avant le début des travaux de construction, un plan de protection de l’environnement propre au projet qui renferme un plan d’urgence en cas de découverte de ressources archéologiques conçu spécialement pour le projet15.
La Première nation des Chippewas de la Thames, un intervenant dans le cadre de l’instance relative à la canalisation 9, a demandé à la Cour d’appel fédérale l’autorisation d’en appeler de la décision de l’Office16. La demande allègue que l’Office n’a pas appliqué les critères adéquats pour déterminer si la Couronne avait rempli son obligation de consultation et d’accommodement17.
Questions commerciales
En plus de refléter comment les attentes actuelles du public, des propriétaires fonciers et des Autochtones façonnent le processus réglementaire relatif aux projets pipeliniers, la demande relative à la canalisation 9 et les Motifs de décision de l’Office témoignent également de la réponse continue des marchés pétroliers à l’Évolution de l’offre. Plus particulièrement, le projet reflétait l’augmentation de l’approvisionnement en pétrole brut provenant de l’Ouest canadien (y compris, éventuellement, la production issue des sables bitumineux) et de la région de Bakken, aux États-Unis, l’écart de prix entre l’approvisionnement intérieur et étranger, ainsi que les pressions de la concurrence exercées sur les raffineries de l’est du Canada. Enbridge a signalé que la canalisation 9B était actuellement sous-utilisée et qu’à moins qu’elle ne soit renversée, elle restera inactive18.
Suncor avait conclu une entente de service de transport (EST) de dix ans, qui, comme elle l’indique, lui offrirait « la possibilité de remplacer avantageusement des approvisionnements en pétrole brut qui sont largement de sources étrangères… afin d’alimenter sa raffinerie de Montréal »19. En tant que propriétaire des six dernières raffineries à Montréal, Suncor a indiqué que la concurrence est « d’autant plus forte qu’elle s’exerce avec des raffineries de la côte Est américaine, du golfe du Mexique et de l’Europe ». Il faut permettre aux raffineries de l’Est du Canada d’avoir un accès à différents approvisionnements en brut « pour demeurer rentables et concurrentielles… ».
Valero (anciennement Ultramar), en tant que propriétaire de la raffinerie à Lévis, près de Québec, a indiqué que sans le projet, sa raffinerie « aurait du mal à demeurer concurrentielle… »20…. Valero avait conclu une entente de service de transport de dix ans et s’était engagée à investir jusqu’à 200 millions de dollars pour accroître la capacité de son terminal de Montréal-Est et de sa raffinerie de Lévis afin de faciliter le déplacement du pétrole brut au moyen de la canalisation 9 de Montréal à Lévis.
Quelques participants ont remis en question les prévisions de l’offre et des prix sous-jacentes de ces positions, mais l’Office les a acceptées comme étant « raisonnables »21. L’Office a toutefois indiqué que de fermes engagements de la part des expéditeurs « revêt[ent] beaucoup plus d’importance [que] [l]a perspective d’une conjoncture de marché propice… ». Il a conclu que le projet « améliorera probablement la position concurrentielle et la survie à long terme des raffineries de Montréal et de Lévis, y compris celles des industries qui y sont associées ».
Enbridge avait également demandé l’autorisation de modifier son tarif pour la canalisation 9 afin de permettre le transport de pétrole brut lourd. L’Office a rejeté les arguments en faveur de l’imposition de restrictions quant aux types de pétrole brut qui pourraient être transportés, indiquant qu’ils seraient « contraires au principe de libre marché suivant lequel les parties choisissent librement les produits qui conviennent le mieux à leurs besoins »22.
En vertu du paragraphe 71(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie23, les oléoducs assujettis à la réglementation de l’Office doivent, sous réserve des règlements de l’Office ou des conditions ou exceptions prévues par celui-ci, être exploités en tant que transporteurs publics. Enbridge a proposé que 25 000 b/j, ou 8,3 % de la capacité annuelle de la canalisation 9, qui est de 300 000 b/j, soient réservés à ses volumes non engagés.
L’Office a accepté les attributions telles que proposées par Enbridge, indiquant que les sociétés pipelinières « comptent de plus en plus sur la conclusion de contrats à long terme pour soutenir la construction de nouvelles installations »24.
Il a fait référence à sa détermination antérieure voulant que « la détermination de la capacité à réserver aux volumes ponctuels (non engagés) était une question de jugement et que cette décision devait tenir compte des particularités de chaque situation ».
Changements au niveau du rôle et des procédures de l’Office
Le processus et la décision de l’Office concernant la canalisation 9 aident notamment à élucider la portée de l’important changement apporté au rôle de l’Office en 2012 et à illustrer l’application par ce dernier des restrictions mises en place au même moment à l’égard des droits de participation aux instances de l’Office.
Les modifications à l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie introduites par la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable25 ont retiré à l’Office son pouvoir de décision quant à la délivrance d’un certificat d’utilité publique pour les projets de canalisation proposés et l’ont remplacé par l’exigence voulant plutôt qu’il fasse une recommandation au gouverneur en conseil26. En ce qui concerne les demandes de certificats d’utilité publique, le pouvoir de décision est maintenant conféré directement au gouverneur en conseil, qui est libre d’accepter ou de refuser une recommandation de l’Office27. La décision relative à la canalisation 9 illustre toutefois qu’en ce qui concerne les installations pipelinières, l’Office dispose toujours d’un important pouvoir de décision direct.
En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, l’Office a toujours le pouvoir de soustraire certaines canalisations et certaines installations connexes à l’application d’articles particuliers de la Loi. Les éléments relatifs à l’inversion et à l’accroissement de la capacité de la canalisation contenus dans le demande d’Enbridge ont été présentés en vertu de ce paragraphe, ils n’entraînent donc pas le déclenchement du processus prévu à l’article 52 en vertu duquel l’Office doit faire une recommandation plutôt que de prendre lui-même une décision. La décision de l’Office concernant la canalisation 9 sur ce qui est clairement une question importante dans l’évolution des marchés pétroliers canadiens et sur la réponse réglementaire aux attentes du public à l’égard du processus est finale28.
En même temps, il y a lieu de noter que les délais réglementaires imposés dans le cadre des modifications de 2012 apportées à la Loi sur l’Office national de l’énergie quant au traitement des demandes de certificat en vertu de l’article 52 ont été également appliqués aux demandes d’exemption où l’Office conserve le pouvoir direct en vertu de l’article 5829. Le délai applicable pour le traitement de la demande relative à la canalisation 9 était de 15 mois, délai que l’Office a d’ailleurs respecté30.
De plus, les modifications de 2012 apportées à la Loi sur l’Office national de l’énergie ont restreint la participation aux instances de l’Office relatives aux installations. L’article 55.2 exige que l’Office entende toute personne « qu’il estime directement touchée par la délivrance du certificat ou le rejet de la demande » et prévoit que l’Office « peut étudier les observations de toute personne qui, selon lui, possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée ».
L’Office a émis une orientation relativement à l’application de l’article31, indiquant qu’il décidera au cas par cas qui peut être directement touché et qu’il peut déterminer si une personne a un intérêt « personnel particulier et détaillé… au-delà de l’intérêt public général ». L’orientation fournit des exemples de personnes qui peuvent être directement touchées et de personnes pour lesquelles l’Office peut déterminer qu’elles possèdent des renseignements pertinents ou une expertise appropriée. Lorsque l’Office détermine si une personne possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée, il tiendra compte de « [L]a valeur ajoutée des renseignements dans le contexte de la décision à rendre ou de la recommandation à présenter par l’Office ».
L’instance concernant la canalisation 9 d’Enbridge a été la première fois que l’on a appliqué l’article 55.2 et l’orientation de l’Office. Dans ses Motifs de décision, l’Office a indiqué ce qui suit :
L’Office a reçu des demandes de participation de la part de 178 personnes intéressées. De ce nombre, 171 personnes ont eu l’occasion d’exposer leur point de vue : 160 personnes ont vu leur demande acceptée telle qu’elle avait été déposée et onze personnes qui avaient sollicité le statut d’intervenant ont été invitées à présenter plutôt une lettre de commentaires. Sept personnes n’ont obtenu aucun statut à l’audience. Au bout du compte, l’instance OH 002 2013 comptait 60 intervenants et 111 auteurs d’une lettre de commentaires32.
L’Office a déterminé que trois organismes préoccupés par les retombées économiques du projet n’ont pas démontré « d’intérêts particuliers et détaillés qui seraient directement touchés par le projet proposé »33. On leur a donc refusé le statut d’intervenant, mais on leur a donné l’occasion de fournir une lettre de commentaires.
La plus importante des décisions de l’Office concernait les demandes relatives au statut d’intervenant présentées par cinq organismes « d’intérêt public » : East End Against Line 9, Environmental Justice Toronto, Conseil des Canadiens, Conseil des Canadiens (section locale de Guelph) et Sierra Club Canada. Ces associations se sont vu refuser le statut d’intervenant parce qu’elles n’avaient pas démontré qu’elles avaient « des intérêts particuliers et détaillés qui seraient directement touchés par le projet, contrairement au simple intérêt public général ». Bien qu’elles aient démontré qu’elles possédaient des renseignements pertinents ou une expertise appropriée, l’Office a mentionné qu’à titre de tribunal spécialisé, il possède l’expertise dans les domaines indiqués par les associations. Toutefois, chacune d’elles a été invitée à présenter une lettre de commentaires.
Avant la promulgation de l’article 55.2, il est peu probable que ce groupe d’organismes se soit vu refuser le statut d’intervenant. Il est cependant clair que le fait de limiter la participation à l’instance relative au certificat aux personnes qui sont « directement touchées » ou qui possèdent « des renseignements pertinents ou une expertise appropriée » aura une incidence significative. Il est également clair que le groupe d’éventuels participants qui seront probablement exclus en vertu de cette restriction est celui composé de divers organismes d’intérêt public et de personnes concernées. Loin de répondre aux attentes en matière de participation d’un grand nombre de tels organismes et de telles personnes, les nouvelles règles ont été vivement critiquées parce qu’elles contrarient les attentes raisonnables de nombreuses personnes ayant des préoccupations légitimes à l’égard des questions dont l’Office est saisi.
Il n’est pas surprenant qu’une demande ait été déposée auprès de la Cour d’appel fédérale s’opposant à la promulgation de l’article 55.2 et à sa mise en œuvre par l’Office dans l’instance relative à la canalisation 9 d’Enbridge34. Les demandeurs sont Forest Ethics Advocacy Association (Forest Ethics), un organisme de la Colombie-Britannique fondé « pour conserver et protéger les milieux naturels du Canada tout en permettant leur utilisation durable » et Donna Sinclair, lesquels se sont vu refuser le droit de participer à l’instance relative à la canalisation 935.
La demande présentée à la Cour d’appel fédérale cherche à faire déclarer l’article 55.2 comme étant inconstitutionnel en vertu de l’élément relatif à la liberté d’expression de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés qui ne peut être justifié en vertu de l’article 1 de la Charte. La demande sollicite également une ordonnance visant l’annulation de la décision de l’Office d’émettre le formulaire de demande de participation et sa décision de rendre la participation à l’instance conditionnelle à la présentation du formulaire rempli. Enfin, la demande sollicite une ordonnance voulant que l’Office « accepte toutes les lettres de commentaires des groupes et des personnes qui cherchent à participer à l’instance relative à la canalisation 9 »36.
Après avoir décrit les canalisations comme la canalisation 9 comme étant « le principal moteur de croissance des sables bitumineux » [traduction] et alléguant diverses conséquences néfastes de cette croissance, la demande de Forest Ethics stipule ce qui suit :
L’expansion dans le secteur des sables bitumineux est une question d’importance nationale. On ne saurait trop insister sur l’incidence qu’elle aura sur l’avenir de notre économie et l’environnement. Au cours de la prochaine décennie, les Canadiens devront faire un choix, soit sauver notre planète soit exploiter la vaste, mais sale, richesse en sables bitumineux du nord de l’Alberta. Les Canadiens devraient avoir leur mot à dire dans cette décision, mais malheureusement, les nouvelles règles de l’Office interrompent la participation du public37.
La demande fait valoir que « la participation à une instance de l’Office est un droit que garantit l’alinéa 2b) » que la participation limitée aux personnes qui sont directement touchées est « arbitraire ». De plus, l’exigence voulant qu’on remplisse le formulaire de demande de participation « crée un effet paralysant sur le discours des personnes qui présenteraient une demande»38.
Peu importe le bien-fondé de ces affirmations, elles semblent reposer en grande partie sur des oppositions d’ordre politique et stratégique à l’article 55.2 et au processus de l’Office relatif à son application. Aucun fondement juridique n’est cité pour aucune de ces revendications. Toutefois, elles peuvent représenter une opinion largement répandue parmi les groupes d’intérêt public et d’autres groupes à l’égard des effets négatifs de l’article 55.2 qui renversent de façon significative l’ouverture antérieure de l’Office à l’égard de la participation à ses instances, ainsi que de l’encouragement à l’égard de la participation.
Conclusion
Le projet d’inversion du sens d’écoulement et d’accroissement de la capacité de la canalisation 9 d’Enbridge et les raisons de l’Office pour l’approuver sont dignes de mention pour plusieurs raisons qui reflètent la dynamique des marchés pétroliers en évolution rapide dans le contexte des changements drastiques au niveau des préoccupations publiques sur le plan de la sécurité des canalisations et des conséquences environnementales potentielles des ruptures. Il n’y a de cela que quelques années, une demande visant à revenir à l’utilisation originale prévue de la canalisation existante et d’accroître sa capacité, sans pour autant avoir besoin de droit de passage supplémentaire, aurait probablement été considérée comme étant de routine et aurait peut-être même pu être approuvée par l’Office sans que ce dernier ne convoque la tenue d’une audience orale39. Au contraire, l’instance de l’Office relative à la proposition actuelle d’Enbridge a suscité une intense controverse, y compris un comportement perturbateur dans la salle d’audience, menant l’Office à annuler une partie de l’audience orale prévue pour des raisons de sécurité.
La réponse de l’Office au « contexte social qui prévalait au moment »40 est rassurante. L’Office a indiqué, par exemple, que les participants à l’instance avaient parlé de la
« nécessité qu’Enbridge établisse des mécanismes de consultation et de communication avec les collectivités touchées qui sont transparents, authentiques, réguliers, structurés, collaboratifs et uniformes »41. Les municipalités étaient particulièrement préoccupées à cet égard en ce qui concerne les plans d’intervention d’urgence. Dans le but apparent de dissiper ces préoccupations publiques et d’autres préoccupations (y compris celles exprimées par des institutions publiques, comme les gouvernements locaux et organismes d’intervention en cas d’urgence), l’Office a expliqué en détail le rôle qu’il joue dans la surveillance de la construction et des activités d’exploitation continue des canalisations, plus particulièrement en ce qui a trait à la sécurité, à l’état de préparation en cas d’urgence et à la protection environnementale. De ce fait, l’Office a souligné ses exigences et ses attentes à l’égard des compagnies. En fin de compte, l’Office se concentrait clairement sur sa propre évaluation des aspects de la proposition d’Enbridge liés à la sécurité et à l’environnement.
Il y a également lieu de noter la décision concernant la canalisation 9 d’Enbridge parce qu’elle réaffirme l’approche de l’Office consistant à permettre aux forces du marché de fonctionner dans un environnement d’offre et de demande pétrolières et gazières en évolution rapide. Il est inévitable que dans l’environnement social d’aujourd’hui, de nombreux projets susciteront la controverse et continueront de faire l’objet d’un examen rigoureux, plus particulièrement en ce qui concerne les aspects liés à la sécurité et à l’environnement. Dans une certaine mesure, la décision de l’Office devrait rassurer l’industrie qu’à condition que les projets résistent à l’examen rigoureux lié à la sécurité et à l’environnement, l’Office continuera de permettre aux forces du marché de fonctionner.
Enfin, il convient de noter qu’il existe un lien entre la dynamique du marché pétrolier et gazier émergent d’aujourd’hui en Amérique du Nord et les préoccupations publiques concernant les canalisations. Dans ses Motifs de décision, l’Office a souligné que la sensibilisation locale à l’égard de la canalisation 9 avait été accrue à la lumière des récents incidents majeurs survenus au Lac-Mégantic (Québec) et à Marshall (Michigan). Cette sensibilisation locale accrue devrait toutefois être vue dans le contexte d’une sensibilisation publique accrue à l’égard des oléoducs et des gazoducs en général, laquelle découle de controverses entourant des projets tels que Keystone XL et Northern Gateway, qui sont bien sûr une réponse à la situation émergente de l’approvisionnement pétrolier en Amérique du Nord. La réalité est que dans le contexte actuel, les oléoducs et les gazoducs, par nature, prêtent à controverse, ce qu’un commentateur décrit comme étant « le paratonnerre de l’agenda politique »42. La décision de l’Office concernant le projet de la canalisation 9 d’Enbridge démontre que les projets solides, ainsi que le processus réglementaire lui-même, peuvent survivre à la tempête.
* Rowland J. Harrison Q.C., est à la tête du projet de recherche de TransCanada en droit administratif et règlementaire, à la faculté de droit de la University of Alberta. Il détient plus de 40 ans d’expérience dans les enjeux relatifs à la réglementation de l’énergie canadienne, comme avocat en pratique privée, haut fonctionnaire du gouvernement et théoricien. De 1997 à 2011, il a assumé deux mandats successifs à titre de membre permanent de l’Office national de l’énergie à Calgary.
Introduction
L’Office national de l’énergie (l’Office) a récemment approuvé une demande de Pipelines Enbridge Inc. (Enbridge) concernant l’inversion de sa canalisation 9B (de la station de North Westover, en Ontario, à Montréal) et son projet d’accroissement de la capacité proposé pour l’ensemble de la canalisation 9 (de Sarnia à Montréal)1. Cette inversion redonnerait à la ligne 9 son objectif original, au moment de sa mise en service en 1976, qui consistait à acheminer le pétrole brut de l’Ouest aux raffineries de l’Est.
Comme il s’agit d’une proposition visant à redonner à la canalisation existante l’objectif pour lequel elle a été approuvée et construite, on aurait pu s’attendre à ce que l’approbation de la demande soit relativement simple. En fait, la controverse entourant le projet s’est intensifiée à un tel point que l’Office a annulé la dernière partie de son audience orale en raison de préoccupations liées à la sécurité des participants (« due to concerns with respect to the security of attendees »2). L’audience de l’Office s’est terminée par écrit. L’instance relative à l’inversion de la canalisation 9 est une autre preuve que dans le contexte actuel, pratiquement toutes les propositions de canalisation suscitent une controverse publique et présentent des défis sur le plan réglementaire. Les Motifs de décision de l’Office sur ce sujet reflètent ce nouveau contexte.
La décision de l’Office est également importante pour confirmer son approche générale consistant à accepter les réponses du marché aux changements fondamentaux touchant la dynamique de l’offre et de la demande d’énergie en Amérique du Nord, alors que celles-ci continuent d’évoluer. De plus, la décision maintient le refus constant de l’Office de tenir compte de préoccupations comme l’exploitation des sables bitumineux, la politique énergétique, les gaz à effet de serre en amont et ceux découlant de l’utilisation finale du pétrole brut.
Contexte
À la demande et avec l’appui contractuel du gouvernement, la canalisation 9 a été construite à la suite de l’embargo pétrolier imposé par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), en 19733. Connue sous le nom de prolongement Montréal, elle devait répondre aux questions liées à la sécurité d’approvisionnement et aux prix en permettant de transporter le pétrole brut de l’Ouest canadien aux raffineries de l’Est, dans la région de Montréal et éventuellement par transport maritime de Montréal aux raffineries de la Ville de Québec et des Maritimes. L’entente contractuelle entre Enbridge et le gouvernement du Canada sous-tendant la construction initiale de la canalisation 9 a été résiliée d’un commun accord en 1996.
En 1997, en réponse à d’importants changements survenant dans le marché international du pétrole, Enbridge a demandé à l’Office l’autorisation d’inverser le sens d’écoulement de la canalisation 9 de manière à ce que le pétrole brut circule de Montréal vers les grands centres de raffinage de l’Ontario, ce que l’Office a d’ailleurs acceptée.
En raison de l’évolution de l’offre future de pétrole issu de l’Ouest, Enbridge a demandé à l’Office, en 2011, d’inverser vers l’ouest, le sens d’écoulement de la canalisation 9 reliant le terminal de Sarnia à la station de North Westover, afin de répondre à une demande de la raffinerie de Nanticoke de l’Imperial Oil. L’Office a approuvé la demande et l’écoulement vers l’est, sur ce qui a ensuite été désigné par la canalisation 9A, a commencé en août 2013.
Au moment de la demande d’Enbridge dans le cadre de l’instance actuelle, la canalisation 9 était composée de la canalisation 9A, dont le sens d’écoulement est vers l’est entre le terminal de Sarnia et la station de North Westover, et de la canalisation 9B, dont le sens d’écoulement est vers l’ouest allant du terminal de Montréal à North Westover, les deux canalisations acheminant du pétrole à la raffinerie de Nanticoke de l’Imperial Oil. La demande présentée à l’Office dans le cadre de l’instance actuelle visait à obtenir l’approbation d’inverser le sens d’écoulement de la canalisation 9B (vers l’est, de la station de Westover à Montréal), pour accroître la capacité de la canalisation 9 à environ 300 000 barils par jour et réviser le tarif pour permettre le transport de brut lourd.
Questions liées à la sécurité et à l’environnement
La controverse au sujet de la demande d’Enbridge découle principalement de préoccupations publiques à l’égard des répercussions que le projet pourrait avoir sur la sécurité et l’environnement4. Tel que suggéré plus tôt, cela a peut-être été surprenant, étant donné que la canalisation 9 avait été exploitée sans incident majeur pendant plus de 35 ans. Il est toutefois devenu immédiatement apparent que les craintes du public à l’égard de la sécurité de la canalisation et des potentielles conséquences environnementales liées à des ruptures ont profondément changé récemment. Il est également apparu que de nombreux propriétaires de terrains le long de la route de la canalisation 9 n’avaient été conscients de la proximité de la canalisation que de manière générale. En plus de ces derniers, plusieurs administrations locales, la Ville de Montréal et le ministère de l’Énergie de l’Ontario ont fait part de leurs inquiétudes à l’Office, particulièrement en ce qui concerne les consultations et leurs besoins de renseignements supplémentaires à la fois sur le projet tel que proposé et ce, de façon continue.
L’Office a explicitement reconnu le nouveau contexte :
Tout au long de l’instance, l’Office a constaté que de nombreux arguments étaient influencés par le contexte social qui prévalait au moment de l’examen de la demande concernant le projet. L’Office est attentif au fait que les projets de son ressort suscitent une plus grande prise de conscience et davantage de préoccupations, ce qui est le cas du projet visé par la présente instance, qui prévoit la modification et l’exploitation continue d’une canalisation qui traverse de grandes agglomérations, des collectivités rurales et des zones écologiques fragiles… [le] présent chapitre situe le contexte social général dans lequel les participants ont exprimé leurs préoccupations.
Malgré la présence de longue date de la canalisation 9 en Ontario et au Québec, l’instance a suscité, localement, une prise de conscience de cette canalisation qui est déjà en exploitation et assujettie à la réglementation de l’Office… À cette prise de conscience se sont ajoutés des événements majeurs, tels que le déraillement de train à Lac Mégantic, au Québec, en juillet 2013 et la rupture de la canalisation 6B d’Enbridge Energy, Limited Partnership à Marshall, au Michigan, en juillet 2010… événements qui ont souvent été évoqués durant l’instance. La préoccupation résultant de ces évènements est à la base de certaines observations concernant non seulement le projet, mais également la sécurité des canalisations en général.
* * *
Puisque le tracé de la canalisation 9B traverse certaines des zones les plus densément peuplées du Canada, les préoccupations soulevées et exacerbées par ces deux incidents ont, de façon bien compréhensible, été mises en évidence dans de nombreux mémoires déposés devant l’Office5.
En fait, l’expression des préoccupations du public à l’égard du projet sont allés bien au-delà de la simple présentation de demandes auprès de l’Office, au point de perturber l’instance à Montréal et celle de Toronto. Dans sa Mise à jour procédurale relative à la plaidoirie finale, l’Office a cherché à éviter de nouvelles perturbations :
Depuis toujours, l’Office mène ses audiences et les processus qui y sont associés de manière sécuritaire, dans la courtoisie, le respect et la civilité. L’audience ne se déroulera que de manière plus efficiente si ces principes sont respectés par tout le monde, parties et membres du public confondus. Tout en reconnaissant que les questions débattues dans le cadre de cette instance font parfois l’objet d’opinions tranchées, courtoisie, respect et professionnalisme sont de rigueur pendant tous les échanges mettant en cause des parties ou des membres du public, entre eux ou avec du personnel ou des membres de l’Office. Aucun manque à ces égards ne sera toléré à l’audience.
Tous les participants ont droit à une instance de l’Office qui soit juste et efficiente, et celui-ci pourra prendre des mesures, si besoin est, pour que le volet oral de l’audience se déroule dans l’ordre et le respect pour tous. L’Office ne tolérera aucune perturbation qui aurait une incidence négative sur la capacité des parties (Enbridge et les intervenants) à présenter leur plaidoirie finale orale.
Si une partie ou un membre du public perturbe l’instance, l’Office lui demandera de cesser sur-le-champ et pourra prendre d’autres mesures en l’absence du résultat escompté. Il faut aussi savoir que quel que soit le message livré pendant d’éventuelles perturbations à un processus de l’Office, oral ou écrit, il ne sera pas versé au dossier de l’instance et il n’en sera pas tenu compte pendant les délibérations qui suivront l’audience. Par ailleurs, l’Office avise les participants et les membres du public qui assistent aux plaidoiries finales orales que les objets insolites, tels qu’une affiche, une pancarte ou un autre accessoire, ne sont pas appropriés et qu’ils ne seront pas autorisés dans la salle d’audience6.
Malgré cet avertissement, le comportement perturbateur dont ces personnes ont fait preuve a finalement entraîné l’annulation de la dernière journée de plaidoirie orale, tel que mentionné, en raison de préoccupations liées à la sécurité des participants (« due to concerns with respect to the security of attendees »7). Enbridge a par la suite présenté une réplique par écrit.
L’Office était convaincu, sous réserve de certaines conditions, qu’il fallait approuver le projet. Ces conditions8 comprennent des mesures visant à assurer la disponibilité de renseignements sur le projet. Par exemple, Enbridge doit publier un tableau de suivi de ses engagements sur son site Web, continuer de mettre à jour le tableau jusqu’à ce que tous les engagements aient été réalisés, en plus de continuer à mener des consultations auprès des intervenants tout au long du projet.
L’Office a rejeté la demande d’Enbridge qui souhaitait être exemptée de devoir obtenir l’autorisation de mise en service des installations élargies9. Avant de déposer une demande d’autorisation de mise en service, Enbridge doit soumettre plusieurs documents, y compris une évaluation technique à jour de la canalisation, son programme d’essais sous pression, le manuel du système de détection de fuites, un cadre de coordination de la protection de l’environnement et de l’intervention en cas d’urgence, ainsi qu’un plan de mise à jour et de mise en œuvre de son programme de formation continue (y compris les exercices d’intervention d’urgence), de son programme de liaison et de ses activités de consultation relatives à la protection civile et à l’intervention d’urgence10. Bien que la plupart des approbations de cette nature de l’Office puissent comporter des conditions semblables à celles-ci, leurs particularités semblent, dans le cas présent, avoir été influencées par la volonté de l’Office de fournir une assurance plus vaste que le projet serait construit et exploité de façon sécuritaire et qu’il serait respectueux de l’environnement. Dans ses Motifs de décision, l’Office a également pris la peine de décrire son mandat et, en détail, le rôle qu’il est appelé à jouer au chapitre de la sécurité des canalisations et de l’évaluation environnementale de projets, encore une fois apparemment dans le but de rassurer les parties concernées et le grand public11.
Questions autochtones
Onze groupes ou particuliers autochtones ont pris part à l’instance, dont huit ont déposé des éléments de preuve et présenté une plaidoirie finale. Les préoccupations exprimées par ces participants comprenaient l’incidence éventuelle d’un déversement causé par la canalisation 9 sur les activités d’utilisation traditionnelle des terres et sur les ressources archéologiques et patrimoniales. Certaines préoccupations ont également été exprimées au sujet de l’approbation initiale de la canalisation 9 et des activités d’entretien continues qui y sont menées12.
L’office a souligné que l’instance actuelle ne visait pas à évaluer l’exploitation de la canalisation 9 ou de ses activités connexes d’entretien continu13. Il a constaté que le projet actuel n’exige pas d’acquérir de nouveaux droits fonciers permanents et ne touche aucune terre publique, tout en reconnaissant qu’il est situé sur des terres que des groupes autochtones utilisent à des fins traditionnelles. Tous les groupes autochtones susceptibles d’être touchés avaient été suffisamment renseignés.
L’Office a con conclu qu’étant donné la nature et l’envergure du projet, et sous réserve des conditions de l’Office, les effets éventuels du projet sur les droits et les intérêts des groupes autochtones « seront vraisemblablement négligeables et atténués de façon convenable »14.
Les conditions comprenaient une obligation pour Enbridge de déposer, 30 jours avant le début des travaux de construction, un plan de protection de l’environnement propre au projet qui renferme un plan d’urgence en cas de découverte de ressources archéologiques conçu spécialement pour le projet15.
La Première nation des Chippewas de la Thames, un intervenant dans le cadre de l’instance relative à la canalisation 9, a demandé à la Cour d’appel fédérale l’autorisation d’en appeler de la décision de l’Office16. La demande allègue que l’Office n’a pas appliqué les critères adéquats pour déterminer si la Couronne avait rempli son obligation de consultation et d’accommodement17.
Questions commerciales
En plus de refléter comment les attentes actuelles du public, des propriétaires fonciers et des Autochtones façonnent le processus réglementaire relatif aux projets pipeliniers, la demande relative à la canalisation 9 et les Motifs de décision de l’Office témoignent également de la réponse continue des marchés pétroliers à l’Évolution de l’offre. Plus particulièrement, le projet reflétait l’augmentation de l’approvisionnement en pétrole brut provenant de l’Ouest canadien (y compris, éventuellement, la production issue des sables bitumineux) et de la région de Bakken, aux États-Unis, l’écart de prix entre l’approvisionnement intérieur et étranger, ainsi que les pressions de la concurrence exercées sur les raffineries de l’est du Canada. Enbridge a signalé que la canalisation 9B était actuellement sous-utilisée et qu’à moins qu’elle ne soit renversée, elle restera inactive18.
Suncor avait conclu une entente de service de transport (EST) de dix ans, qui, comme elle l’indique, lui offrirait « la possibilité de remplacer avantageusement des approvisionnements en pétrole brut qui sont largement de sources étrangères… afin d’alimenter sa raffinerie de Montréal »19. En tant que propriétaire des six dernières raffineries à Montréal, Suncor a indiqué que la concurrence est « d’autant plus forte qu’elle s’exerce avec des raffineries de la côte Est américaine, du golfe du Mexique et de l’Europe ». Il faut permettre aux raffineries de l’Est du Canada d’avoir un accès à différents approvisionnements en brut « pour demeurer rentables et concurrentielles… ».
Valero (anciennement Ultramar), en tant que propriétaire de la raffinerie à Lévis, près de Québec, a indiqué que sans le projet, sa raffinerie « aurait du mal à demeurer concurrentielle… »20…. Valero avait conclu une entente de service de transport de dix ans et s’était engagée à investir jusqu’à 200 millions de dollars pour accroître la capacité de son terminal de Montréal-Est et de sa raffinerie de Lévis afin de faciliter le déplacement du pétrole brut au moyen de la canalisation 9 de Montréal à Lévis.
Quelques participants ont remis en question les prévisions de l’offre et des prix sous-jacentes de ces positions, mais l’Office les a acceptées comme étant « raisonnables »21. L’Office a toutefois indiqué que de fermes engagements de la part des expéditeurs « revêt[ent] beaucoup plus d’importance [que] [l]a perspective d’une conjoncture de marché propice… ». Il a conclu que le projet « améliorera probablement la position concurrentielle et la survie à long terme des raffineries de Montréal et de Lévis, y compris celles des industries qui y sont associées ».
Enbridge avait également demandé l’autorisation de modifier son tarif pour la canalisation 9 afin de permettre le transport de pétrole brut lourd. L’Office a rejeté les arguments en faveur de l’imposition de restrictions quant aux types de pétrole brut qui pourraient être transportés, indiquant qu’ils seraient « contraires au principe de libre marché suivant lequel les parties choisissent librement les produits qui conviennent le mieux à leurs besoins »22.
En vertu du paragraphe 71(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie23, les oléoducs assujettis à la réglementation de l’Office doivent, sous réserve des règlements de l’Office ou des conditions ou exceptions prévues par celui-ci, être exploités en tant que transporteurs publics. Enbridge a proposé que 25 000 b/j, ou 8,3 % de la capacité annuelle de la canalisation 9, qui est de 300 000 b/j, soient réservés à ses volumes non engagés.
L’Office a accepté les attributions telles que proposées par Enbridge, indiquant que les sociétés pipelinières « comptent de plus en plus sur la conclusion de contrats à long terme pour soutenir la construction de nouvelles installations »24.
Il a fait référence à sa détermination antérieure voulant que « la détermination de la capacité à réserver aux volumes ponctuels (non engagés) était une question de jugement et que cette décision devait tenir compte des particularités de chaque situation ».
Changements au niveau du rôle et des procédures de l’Office
Le processus et la décision de l’Office concernant la canalisation 9 aident notamment à élucider la portée de l’important changement apporté au rôle de l’Office en 2012 et à illustrer l’application par ce dernier des restrictions mises en place au même moment à l’égard des droits de participation aux instances de l’Office.
Les modifications à l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie introduites par la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable25 ont retiré à l’Office son pouvoir de décision quant à la délivrance d’un certificat d’utilité publique pour les projets de canalisation proposés et l’ont remplacé par l’exigence voulant plutôt qu’il fasse une recommandation au gouverneur en conseil26. En ce qui concerne les demandes de certificats d’utilité publique, le pouvoir de décision est maintenant conféré directement au gouverneur en conseil, qui est libre d’accepter ou de refuser une recommandation de l’Office27. La décision relative à la canalisation 9 illustre toutefois qu’en ce qui concerne les installations pipelinières, l’Office dispose toujours d’un important pouvoir de décision direct.
En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, l’Office a toujours le pouvoir de soustraire certaines canalisations et certaines installations connexes à l’application d’articles particuliers de la Loi. Les éléments relatifs à l’inversion et à l’accroissement de la capacité de la canalisation contenus dans le demande d’Enbridge ont été présentés en vertu de ce paragraphe, ils n’entraînent donc pas le déclenchement du processus prévu à l’article 52 en vertu duquel l’Office doit faire une recommandation plutôt que de prendre lui-même une décision. La décision de l’Office concernant la canalisation 9 sur ce qui est clairement une question importante dans l’évolution des marchés pétroliers canadiens et sur la réponse réglementaire aux attentes du public à l’égard du processus est finale28.
En même temps, il y a lieu de noter que les délais réglementaires imposés dans le cadre des modifications de 2012 apportées à la Loi sur l’Office national de l’énergie quant au traitement des demandes de certificat en vertu de l’article 52 ont été également appliqués aux demandes d’exemption où l’Office conserve le pouvoir direct en vertu de l’article 5829. Le délai applicable pour le traitement de la demande relative à la canalisation 9 était de 15 mois, délai que l’Office a d’ailleurs respecté30.
De plus, les modifications de 2012 apportées à la Loi sur l’Office national de l’énergie ont restreint la participation aux instances de l’Office relatives aux installations. L’article 55.2 exige que l’Office entende toute personne « qu’il estime directement touchée par la délivrance du certificat ou le rejet de la demande » et prévoit que l’Office « peut étudier les observations de toute personne qui, selon lui, possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée ».
L’Office a émis une orientation relativement à l’application de l’article31, indiquant qu’il décidera au cas par cas qui peut être directement touché et qu’il peut déterminer si une personne a un intérêt « personnel particulier et détaillé… au-delà de l’intérêt public général ». L’orientation fournit des exemples de personnes qui peuvent être directement touchées et de personnes pour lesquelles l’Office peut déterminer qu’elles possèdent des renseignements pertinents ou une expertise appropriée. Lorsque l’Office détermine si une personne possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée, il tiendra compte de « [L]a valeur ajoutée des renseignements dans le contexte de la décision à rendre ou de la recommandation à présenter par l’Office ».
L’instance concernant la canalisation 9 d’Enbridge a été la première fois que l’on a appliqué l’article 55.2 et l’orientation de l’Office. Dans ses Motifs de décision, l’Office a indiqué ce qui suit :
L’Office a reçu des demandes de participation de la part de 178 personnes intéressées. De ce nombre, 171 personnes ont eu l’occasion d’exposer leur point de vue : 160 personnes ont vu leur demande acceptée telle qu’elle avait été déposée et onze personnes qui avaient sollicité le statut d’intervenant ont été invitées à présenter plutôt une lettre de commentaires. Sept personnes n’ont obtenu aucun statut à l’audience. Au bout du compte, l’instance OH 002 2013 comptait 60 intervenants et 111 auteurs d’une lettre de commentaires32.
L’Office a déterminé que trois organismes préoccupés par les retombées économiques du projet n’ont pas démontré « d’intérêts particuliers et détaillés qui seraient directement touchés par le projet proposé »33. On leur a donc refusé le statut d’intervenant, mais on leur a donné l’occasion de fournir une lettre de commentaires.
La plus importante des décisions de l’Office concernait les demandes relatives au statut d’intervenant présentées par cinq organismes « d’intérêt public » : East End Against Line 9, Environmental Justice Toronto, Conseil des Canadiens, Conseil des Canadiens (section locale de Guelph) et Sierra Club Canada. Ces associations se sont vu refuser le statut d’intervenant parce qu’elles n’avaient pas démontré qu’elles avaient « des intérêts particuliers et détaillés qui seraient directement touchés par le projet, contrairement au simple intérêt public général ». Bien qu’elles aient démontré qu’elles possédaient des renseignements pertinents ou une expertise appropriée, l’Office a mentionné qu’à titre de tribunal spécialisé, il possède l’expertise dans les domaines indiqués par les associations. Toutefois, chacune d’elles a été invitée à présenter une lettre de commentaires.
Avant la promulgation de l’article 55.2, il est peu probable que ce groupe d’organismes se soit vu refuser le statut d’intervenant. Il est cependant clair que le fait de limiter la participation à l’instance relative au certificat aux personnes qui sont « directement touchées » ou qui possèdent « des renseignements pertinents ou une expertise appropriée » aura une incidence significative. Il est également clair que le groupe d’éventuels participants qui seront probablement exclus en vertu de cette restriction est celui composé de divers organismes d’intérêt public et de personnes concernées. Loin de répondre aux attentes en matière de participation d’un grand nombre de tels organismes et de telles personnes, les nouvelles règles ont été vivement critiquées parce qu’elles contrarient les attentes raisonnables de nombreuses personnes ayant des préoccupations légitimes à l’égard des questions dont l’Office est saisi.
Il n’est pas surprenant qu’une demande ait été déposée auprès de la Cour d’appel fédérale s’opposant à la promulgation de l’article 55.2 et à sa mise en œuvre par l’Office dans l’instance relative à la canalisation 9 d’Enbridge34. Les demandeurs sont Forest Ethics Advocacy Association (Forest Ethics), un organisme de la Colombie-Britannique fondé « pour conserver et protéger les milieux naturels du Canada tout en permettant leur utilisation durable » et Donna Sinclair, lesquels se sont vu refuser le droit de participer à l’instance relative à la canalisation 935.
La demande présentée à la Cour d’appel fédérale cherche à faire déclarer l’article 55.2 comme étant inconstitutionnel en vertu de l’élément relatif à la liberté d’expression de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés qui ne peut être justifié en vertu de l’article 1 de la Charte. La demande sollicite également une ordonnance visant l’annulation de la décision de l’Office d’émettre le formulaire de demande de participation et sa décision de rendre la participation à l’instance conditionnelle à la présentation du formulaire rempli. Enfin, la demande sollicite une ordonnance voulant que l’Office « accepte toutes les lettres de commentaires des groupes et des personnes qui cherchent à participer à l’instance relative à la canalisation 9 »36.
Après avoir décrit les canalisations comme la canalisation 9 comme étant « le principal moteur de croissance des sables bitumineux » [traduction] et alléguant diverses conséquences néfastes de cette croissance, la demande de Forest Ethics stipule ce qui suit :
L’expansion dans le secteur des sables bitumineux est une question d’importance nationale. On ne saurait trop insister sur l’incidence qu’elle aura sur l’avenir de notre économie et l’environnement. Au cours de la prochaine décennie, les Canadiens devront faire un choix, soit sauver notre planète soit exploiter la vaste, mais sale, richesse en sables bitumineux du nord de l’Alberta. Les Canadiens devraient avoir leur mot à dire dans cette décision, mais malheureusement, les nouvelles règles de l’Office interrompent la participation du public37.
La demande fait valoir que « la participation à une instance de l’Office est un droit que garantit l’alinéa 2b) » que la participation limitée aux personnes qui sont directement touchées est « arbitraire ». De plus, l’exigence voulant qu’on remplisse le formulaire de demande de participation « crée un effet paralysant sur le discours des personnes qui présenteraient une demande»38.
Peu importe le bien-fondé de ces affirmations, elles semblent reposer en grande partie sur des oppositions d’ordre politique et stratégique à l’article 55.2 et au processus de l’Office relatif à son application. Aucun fondement juridique n’est cité pour aucune de ces revendications. Toutefois, elles peuvent représenter une opinion largement répandue parmi les groupes d’intérêt public et d’autres groupes à l’égard des effets négatifs de l’article 55.2 qui renversent de façon significative l’ouverture antérieure de l’Office à l’égard de la participation à ses instances, ainsi que de l’encouragement à l’égard de la participation.
Conclusion
Le projet d’inversion du sens d’écoulement et d’accroissement de la capacité de la canalisation 9 d’Enbridge et les raisons de l’Office pour l’approuver sont dignes de mention pour plusieurs raisons qui reflètent la dynamique des marchés pétroliers en évolution rapide dans le contexte des changements drastiques au niveau des préoccupations publiques sur le plan de la sécurité des canalisations et des conséquences environnementales potentielles des ruptures. Il n’y a de cela que quelques années, une demande visant à revenir à l’utilisation originale prévue de la canalisation existante et d’accroître sa capacité, sans pour autant avoir besoin de droit de passage supplémentaire, aurait probablement été considérée comme étant de routine et aurait peut-être même pu être approuvée par l’Office sans que ce dernier ne convoque la tenue d’une audience orale39. Au contraire, l’instance de l’Office relative à la proposition actuelle d’Enbridge a suscité une intense controverse, y compris un comportement perturbateur dans la salle d’audience, menant l’Office à annuler une partie de l’audience orale prévue pour des raisons de sécurité.
La réponse de l’Office au « contexte social qui prévalait au moment »40 est rassurante. L’Office a indiqué, par exemple, que les participants à l’instance avaient parlé de la
« nécessité qu’Enbridge établisse des mécanismes de consultation et de communication avec les collectivités touchées qui sont transparents, authentiques, réguliers, structurés, collaboratifs et uniformes »41. Les municipalités étaient particulièrement préoccupées à cet égard en ce qui concerne les plans d’intervention d’urgence. Dans le but apparent de dissiper ces préoccupations publiques et d’autres préoccupations (y compris celles exprimées par des institutions publiques, comme les gouvernements locaux et organismes d’intervention en cas d’urgence), l’Office a expliqué en détail le rôle qu’il joue dans la surveillance de la construction et des activités d’exploitation continue des canalisations, plus particulièrement en ce qui a trait à la sécurité, à l’état de préparation en cas d’urgence et à la protection environnementale. De ce fait, l’Office a souligné ses exigences et ses attentes à l’égard des compagnies. En fin de compte, l’Office se concentrait clairement sur sa propre évaluation des aspects de la proposition d’Enbridge liés à la sécurité et à l’environnement.
Il y a également lieu de noter la décision concernant la canalisation 9 d’Enbridge parce qu’elle réaffirme l’approche de l’Office consistant à permettre aux forces du marché de fonctionner dans un environnement d’offre et de demande pétrolières et gazières en évolution rapide. Il est inévitable que dans l’environnement social d’aujourd’hui, de nombreux projets susciteront la controverse et continueront de faire l’objet d’un examen rigoureux, plus particulièrement en ce qui concerne les aspects liés à la sécurité et à l’environnement. Dans une certaine mesure, la décision de l’Office devrait rassurer l’industrie qu’à condition que les projets résistent à l’examen rigoureux lié à la sécurité et à l’environnement, l’Office continuera de permettre aux forces du marché de fonctionner.
Enfin, il convient de noter qu’il existe un lien entre la dynamique du marché pétrolier et gazier émergent d’aujourd’hui en Amérique du Nord et les préoccupations publiques concernant les canalisations. Dans ses Motifs de décision, l’Office a souligné que la sensibilisation locale à l’égard de la canalisation 9 avait été accrue à la lumière des récents incidents majeurs survenus au Lac-Mégantic (Québec) et à Marshall (Michigan). Cette sensibilisation locale accrue devrait toutefois être vue dans le contexte d’une sensibilisation publique accrue à l’égard des oléoducs et des gazoducs en général, laquelle découle de controverses entourant des projets tels que Keystone XL et Northern Gateway, qui sont bien sûr une réponse à la situation émergente de l’approvisionnement pétrolier en Amérique du Nord. La réalité est que dans le contexte actuel, les oléoducs et les gazoducs, par nature, prêtent à controverse, ce qu’un commentateur décrit comme étant « le paratonnerre de l’agenda politique »42. La décision de l’Office concernant le projet de la canalisation 9 d’Enbridge démontre que les projets solides, ainsi que le processus réglementaire lui-même, peuvent survivre à la tempête.
* Rowland J. Harrison Q.C., est à la tête du projet de recherche de TransCanada en droit administratif et règlementaire, à la faculté de droit de la University of Alberta. Il détient plus de 40 ans d’expérience dans les enjeux relatifs à la réglementation de l’énergie canadienne, comme avocat en pratique privée, haut fonctionnaire du gouvernement et théoricien. De 1997 à 2011, il a assumé deux mandats successifs à titre de membre permanent de l’Office national de l’énergie à Calgary.
1 Office national de l’énergie, Enbridge Pipelines Inc. OH-002-2013 (mars 2014), Motifs de décision [ci-après MD], en ligne : ONÉ <https://docs.neb-one.gc.ca/ll-eng/llisapi.dll/fetch/2000/90464/90552/92263/790736/890819/2431831/2428616/Raisons_de_d%C3%A9cision_OH-002-2013_-_A3V1E3.pdf?nodeid=2432128&vernum=-2>.
2 Ibid à la p 15. À noter que dans la version française du document en question, ce passage n’est pas rendu.
3 L’Office examine l’historique de la canalisation 9, MD, supra note 1 aux p 9, 10.
4 Dans sa Mise à jour procédurale No 1, le 4 avril 2013 (<https://docs.neb-one.gc.ca/ll-eng/llisapi.dll/fetch/2000/90464/90552/92263/790736/890819/918701/941089/A5-2_-_Mise_%C3%A0_jour_proc%C3%A9durale_no_1_-Liste_de_questions_et_formulaire_de_demande_de_participation_OH-002-2013_demande_de_Pipelines_Enbridge_Inc._visant_le_projet_d_inversion_de_la_canalisation_9B_-_A3G6J5.pdf?nodeid=941420&vernum=-2>), l’Office avait déterminé qu’il ne se pencherait ni sur les effets environnementaux et socioéconomiques associés aux activités en amont, ni sur l’exploitation des sables bitumineux ou l’utilisation en aval du pétrole transporté par la canalisation, car « [c]e ne sont pas là des questions qui relèvent du mandat de l’Office en matière de réglementation, et elles ne font pas partie du projet tel qu’il a été proposé par le demandeur. » Voir également MD, supra note 1 à la p 85.
5 MD, supra note 1, aux p 2-3.
6 Mise à jour procédurale No 4, 30 septembre 2013 (<https://docs.neb-one.gc.ca/ll-eng/llisapi.dll/fetch/2000/90464/90552/92263/790736/890819/918701/1043114/A47-4_-_Mise_%C3%A0_jour_no_4__A3L5X9_.pdf?nodeid=1043397&vernum=-2>).
7 MD, supra note 1 à la p 15. À noter que dans la version française du document en question, ce passage n’est pas rendu.
8 Les conditions sont énoncées à l’ann IV des MD, supra note 1 aux p 146- 156.
9 Comme l’exige généralement l’alinéa 30(1)b) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985.
10 MD, supra note 1 ann IV.
11 Ibid aux pages 6-12.
12 Ibid à la p 106.
13 Ibid aux p 109-111.
14 Ibid à la p 112.
15 Condition 6, MD, supra note 1 ann IV. Voir également à la p 110.
16 Avis de motion, Première nation des Chippewas de la Thames c. Enbridge Pipelines Inc., Office national de l’énergie, 7 avril 2014.
17 Ibid aux p 14-20.
18 MD, supra note 1à la p 126.
19 Ibid à la p 118.
20 Ibid à la p 118.
21 Ibid à la p 125.
22 Ibid à la p 125.
23 Supra note 9.
24 MD, supra note 1 aux p 136-137.
25 Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, LC 2012, c 19.
26 Loi sur l’Office national de l’énergie, supra note 9 art 52, dans la version modifiée.
27 Les modifications sont examinées dans Harrison, Olthafer et Slipp, Federal and Alberta Energy Project Regulation Reform – At What Cost Efficiency?, 51 Alta L Rev, 249 (2013).
28 Sous réserve de toute demande d’examen ou d’appel. Voir Enbridge Pipelines Inc. – Projet d’inversion de la canalisation 9B et d’accroissement de la capacité de la canalisation 9 – Foire aux questions, en ligne : ONÉ <http://www.neb-one.gc.ca/clf-nsi/rthnb/pplctnsbfrthnb/nbrdgln9brvrsl/nbrdgln9brvrsl-fra.html>.
29 Loi sur l’Office national de l’énergie, supra note 9 art 58(4), (5).
30 Voir Foire aux questions, supra note 28.
31 Soumettre une demande de participation à une audience, en ligne : ONÉ <http://www.neb-one.gc.ca/clf-nsi/rthnb/pblcprtcptn/pblchrng/pblchrng-fra.html>.
32 MD, supra note 1 à la p 14.
33 Les décisions de l’Office sur les demandes de participation sont consignées dans une lettre du 22 mai 2013, en ligne : ONÉ <https://docs.neb-one.gc.ca/ll-eng/llisapi.dll/fetch/2000/90464/90552/92263/790736/890819/918701/956466/A11-2_-_Lettre_%C3%A9mise_%C3%A0_Pipelines_Enbridge_Inc._OH-002-2013_-_A3H8K0.pdf?nodeid=956613&vernum=-2>.
34 Forest Ethics Advocacy Association and Donna Sinclair v. The National Energy Board and the Attorney General of Canada, (13 août 2013). No de dossier : A-273-13 [Forest Ethics], en ligne : forestethics.org <http://www.forestethics.org/sites/forestethics.huang.radicaldesigns.org/files/ForestEthics-Advocacy-NoticeofApplication-Federal-Court-Appeal.pdf>. Au moment de la rédaction, aucune audience n’avait été prévue.
35 Voir supra note 32.
36 Voir supra note 33.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 Les demandes présentées en vertu de l’article 58 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, supra, note 9, sont fréquemment traitées sans la tenue d’une audience orale complète, comme c’est le cas du processus habituel pour les demandes de certificat présentées en vertu de l’article 52. La demande présentée par Enbridge en 2011 pour inverser le sens d’écoulement de la canalisation 9 entre Sarnia et Westover a été traitée dans le cadre d’une audience combinée, soit orale et écrite (OH-005-2011), donnant lieu à une lettre de décision de l’Office en date du 27 juillet 2012.
40 MD, supra note 1 à la p 2.
41 Ibid.
42 The Globe and Mail, 12 août 2013.