Le Nova Scotia Utility and Review Board (UARB) a statué que l’investissement de 93 millions de dollars de la Nova Scotia Power Incorporated (NSPI) dans le projet South Canoe, un projet d’énergie éolienne, était une dépense en immobilisations qui devrait être prise en compte dans la base tarifaire de la NSPI2 South Canoe figurait parmi trois projets de producteurs d’électricité indépendants (PEI) approuvés par l’Administrateur de l’énergie renouvelable (AER) de la Nouvelle-Écosse. Cape Breton Explorations Ltd (CBE), une entreprise dont le projet de PEI avait été rejeté, a porté en appel la décision de l’UARB auprès de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse. Elle a également porté en appel la décision d’approuver la demande de confidentialité de la NSPI à l’égard de certains documents. La Cour d’appel a statué que la décision de l’UARB selon laquelle cet investissement devrait être pris en compte dans la base tarifaire de la NSPI était déraisonnable et a annulé la décision de l’UARB3.
Cadre législatif
En vertu de la Nova Scotia Electricity Act4 et des Renewable Electricity Regulations5, au moins vingt-cinq pour cent de l’électricité distribuée par NSPI en 2015 devait être produite à partir de sources renouvelables6. Environ la moitié (300 GWh) devait être le fait de PEI. Par définition, les PEI sont des producteurs d’électricité à même des énergies renouvelables à faible impact dont un maximum de 49 % des titres avec droit de vote sont détenus par un service public7. Au moyen d’un processus concurrentiel, l’AER détermine de quels PEI la NSPI sera tenue, en vertu de l’article 14B(12) du Electricity Act, d’acheter de l’électricité produite à partir de sources renouvelables aux termes d’un accord d’achat d’énergie (AAE) standard approuvé par l’UARB. En vertu de l’article 4B(13) du Electricity Act, l’UARB doit permettre aux services publics [traduction] « de récupérer à même sa base tarifaire les coûts liés aux contrats de services publics mentionnés à l’article 12 à la lumière des critères approuvés par l’UARB en vertu de la Public Utilities Act (loi sur les entreprises de service public) ».
Le libellé de l’article 35 de la Public Utilities Act :
[Traduction]
Aucune entreprise de service public ne peut entreprendre de travaux de construction, d’amélioration ou d’agrandissement liés à des actifs qui servent ou qui pourraient servir à la fourniture ou la prestation de services, lorsque ces travaux exigent des dépenses de plus de deux cent cinquante mille dollars, sans obtenir au préalable l’autorisation de l’UARB8.
Décision de l’UARB
L’AER a approuvé les soumissions de parc éolien de 78 MW d’Oxford et de 24 MG de Minas Basin qui, ensemble, constituent le Projet d’énergie éolienne South Canoe. En vertu de son investissement de 93 millions de dollars, la NSPI détenait la moitié des 34 turbines du projet, à savoir une part de 49 % des actifs associés au projet. Elle a présenté une demande à l’UARB pour faire reconnaître cet investissement en tant que dépense en immobilisations recouvrable auprès des contribuables en vertu de l’article 35 de la Public Utilities Act.
CBE a contesté la compétence de l’UARB d’examiner la demande de la NSPI. Elle a fait valoir qu’en vertu de l’article 4B(13) du Electricity Act, elle ne pouvait être facturée aux contribuables que l’électricité fournie par un PEI, et non les coûts des actifs utilisés pour produire cette électricité9. Elle a soutenu que l’article 35 du Public Utilities Act ne s’appliquait qu’à l’électricité produite par la NSPI et non à l’électricité obtenue d’un PEI par la NSPI.
L’UARB a accueilli la demande de la NSPI. À son avis, l’article 4B(13) de la Electricity Act autorise la NSPI à recouvrer ses coûts associés au PEI et non seulement le coût d’achat d’électricité auprès d’un PEI10. Elle a fait valoir que, sinon, l’investissement de la NSPI dans des PEI, en contravention du [traduction] « principe fondamental de la réglementation des services publics », ne serait pas réglementé, ce qui l’autoriserait à réaliser des profits sur ses ventes aux contribuables et pourrait, ultimement, se traduire par des profits en excédent du taux de rendement autorisé de la NSPI.
L’UARB a ensuite statué que l’article 35 de la Public Utilities Act devait s’appliquer11. À cette fin, l’organisme s’est reporté à la définition statutaire de « service » qui englobe [traduction] « la production, le transport ou la fourniture d’énergie électrique destinée directement ou indirectement au public par un service public ». Elle s’est aussi fiée à la définition statutaire de « service public » qui englobe toute personne qui est propriétaire ou qui exploite, gère ou contrôle [traduction] « une centrale ou du matériel de production, de transport, de livraison ou de fourniture d’électricité ou d’énergie destinée […] soit directement, soit indirectement, au public ». De l’avis de l’UARB, les actifs dont la NSPI était propriétaire étaient utilisés soit directement, soit indirectement par la NSPI pour fournir un service au public. Que l’électricité en question doive être produite par un PEI n’était « pas pertinent ».
Décision de la Cour d’appel
Lors de l’appel interjeté par CBE, la CBE, le NSPI ainsi que le juge Farrar, écrivant au nom de la Cour, ont tous convenu que la norme de contrôle de la décision serait celle du caractère raisonnable.12. Malgré tout, la décision de l’UARB a été soumise à un examen aussi précis et détaillé que l’aurait été si la norme de révision judiciaire été celle de la décision correcte. Le juge Farrar a conclu que la décision en faveur de la NSPI ne faisait pas parti de la gamme des décisions possibles- i.e. dans la gamme de décision raisonnable que l’UARB aurait pu rendre parce qu’elle avait façons mal interprété tant l’article 4B(13) du Electricity Act que l’article 35 du Public Utilities Act.
Eu égard à l’article 4B(13), l’erreur commise par l’UARB concernait son interprétation, à savoir que la NSPI allait recouvrir le coût de son investissement dans le projet South Canoe même si la disposition ne fait que référence aux coûts engagés par la NSPI pour l’achat d’électricité auprès d’un PEI aux termes d’un AAE, une interprétation qui [traduction] « altère profondément le sens de l’article »13. Quant à l’article 35 du Public Utilities Act, la Cour a fait valoir qu’une [traduction] « simple lecture » de l’article14 révèle manifestement qu’il ne s’applique qu’aux dépenses liées à [traduction] « des actifs servant ou pouvant servir à la prestation ou la fourniture d’un service quelconque », et que l’électricité produite par un PEI était un service fourni par un PEI et non par la NSPI. L’erreur commise par l’UARB pour en arriver à la conclusion contraire comptait plusieurs volets.
Dans un premier temps, la NSPI obtenait le beurre et l’argent du beurre : elle pouvait tenir compte de l’électricité de South Canoe par son obligation d’acheter 300 GWh d’électricité de sources renouvelables auprès de PEI et il s’agissait d’un service fourni au public aux fins du recouvrement du coût de son investissement auprès des contribuables15.
Dans un deuxième temps, parce qu’il était clair que l’article 35 ne s’appliquerait pas si la NSPI détenait des actions d’un PEI, il n’y aurait plus « de justification au titre des politiques publiques » de l’interpréter de façon à ce qu’il s’applique advenant que la NSPI détienne des actifs plutôt que des actions16. À cet égard, la Cour s’est demandé si le projet South Canoe, étant donné que ses actifs appartenaient à 49 % à la NSPI, aurait dû être traité, en fait, comme un PEI par l’AER. Cette interprétation a été remise en cause même si dans la définition de PEI figurant dans le Renewable Electricity Regulations ne limitait que l’actionnariat des services publics dans les PEI, et ce, seulement au-dessus du seuil de 49 %, le niveau de propriété des actifs détenus par la NSPI.
Dans un troisième temps, la Cour a conclu qu’une « lecture simple » selon laquelle l’électricité produite par un PEI était un service fourni par le PEI et non par la NSPI était fondée sur un examen plus approfondi et contextuel du contexte législatif plus large17. Elle reposait sur la définition d’un PEI, définition qui stipulait qu’un PEI devait être « un producteur d’électricité à même des énergies renouvelables à faible impact … qui vend de l’électricité … à des services publics aux fins de sa vente au détail aux clients des services publics », établissant ainsi que la NSPI était un intermédiaire entre les PEI et leurs clients. L’interprétation simple reposait aussi sur le fait que la Public Utilities Act était fondée sur le modèle de réglementation en vertu duquel les services publics soient indemnisés pour le coût de production de l’électricité qu’ils vendent. Selon la Cour, cela renforce la conclusion que la compensation par rapport à l’électricité achetée auprès d’un IPP était une question exhaustivement régie par le Electricity Act et Electricity Regulation. Par ailleurs, le fait que la NSPI était propriétaire des turbines de South Canoe n’importait pas pour la question d’applicabilité du Public Utilities Act, et ce, pour trois raisons18 : en premier lieu, parce qu’en vertu d’un AAE, l’électricité livrée à la NSPI provient de turbines dont la NSPI serait – parfois oui, parfois non – la propriétaire, sans différenciation; en deuxième lieu, parce que dans la définition de service public, il est question d’une personne détenant des actifs et non d’une personne détenant des actifs de concert avec une autre; et, en troisième lieu, parce qu’appliquer la Public Utilities Act en fonction de la propriété des actifs détenus par la NSPI serait l’équivalent de réglementer un PEI comme s’il s’agissait d’un service public, alors que les PEI, en tant que fournisseurs au détail, sont expressément exclus de la définition de service public figurant dans la Electricity Act.
La Cour était aussi d’avis que l’interprétation de l’UARB de l’article 35 était contraire à l’intention du législateur lorsqu’a été modifiée la Electricity Act en vue de confier à l’AER la responsabilité de l’achat d’électricité auprès des PEI19. L’intention était d’adopter un code exhaustif pour l’achat d’électricité produite par des PEI, code qui serait à la fois distinct de la réglementation et parallèle à celle-ci, applicable à la NSPI en vertu de la Public Utilities Act. Dans ce contexte, l’article 4B(13) de la Electricity Act visant le recouvrement par la NSPI de ses coûts liés à l’achat d’électricité produite par un PEI devaient être interprétées comme étant exhaustives au titre des droits de la NSPI de recouvrer les coûts associés aux PEI. Trois autres éléments viennent renforcer cette conclusion :
- Dans la Public Utilities Act, il n’est pas question des énergies renouvelables alors que dans le règlement d’application de la Electricity Act, il est question du recouvrement par la NSPI de ses coûts de production d’électricité à partir de ressources renouvelables et de ses coûts d’approvisionnement20;
- Il aurait été simple d’intégrer expressément dans la Electricity Act et son règlement d’application le recouvrement par la NSPI du coût des actifs des PEI, mais ce n’est pas le cas21;
- La définition de PEI, en tant qu’entité qui vend de l’électricité à un service public aux fins de revente au public, révèle l’intention de faire payer le public lorsqu’il achèterait cette électricité plutôt que d’intégrer son coût de production dans la base tarifaire du service public acheteur22.
La conclusion selon laquelle l’article (13) devait être considéré comme étant exhaustif était aussi corroborée par le libellé de la Stratégie sur les énergies renouvelables de la Nouvelle-Écosse. On y décrit la production d’électricité à partir de ressources renouvelables par la NSPI sous la surveillance de l’UARB et l’achat d’électricité auprès de PEI au moyen d’appels d’offres concurrentiels pilotées par l’AER comme constituant des processus parallèles en vue d’obtenir la meilleure valeur pour les contribuables lors de l’application des normes régissant la production d’énergie à partir de ressources renouvelables23.
Enfin, la Cour a fait peu état de la préoccupation de l’UARB selon laquelle la non-application de l’article 35 autoriserait la NSPI à réaliser des profits non réglementés24. Elle a cité des décisions antérieures de l’UARB imposant à la NSPI l’obligation de composer avec les risques liés aux actifs qu’elle avait acquis pour illustrer que ni la Public Utilities Act, ni le « principe de base de la réglementation des services publics » ne faisait obstacle à la propriété d’actifs non intégrés à la base tarifaire. La réalisation de profits non réglementés à partir de tels actifs ne pose pas problème, selon la Cour, car [traduction] « ce n’est pas l’argent des contribuables qui est à risque; le contribuable ne courant pas le risque de subir de pertes, il ne peut bénéficier des gains engendrés »25. Par ailleurs, l’interprétation conséquentialiste de l’article 35 par l’UARB est invalidée car elle contrevient à l’article 4B(13) de la Electricity Act; elle va à l’encontre d’une interprétation harmonieuse du cadre législatif plus large, et elle ne tient pas compte de l’intention du législateur d’encadrer la réglementation du coût du service par l’UARB et les appels d’offres concurrentiels lancés par l’AER en tant que mécanismes de réglementation parallèles et de rechange26.
Analyse
Dans la foulée de la reformulation en matière de révision du contrôle judiciaire par la Cour suprême du Canada suite à l’affaire Dunsmuir c Nouveau-Brunswick27, la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse en l’instance figure parmi de nombreuses autres où les tribunaux de contrôle judiciaire ont rapidement et aisément conclu, souvent avec l’assentiment des parties, que la norme de contrôle devait être le caractère raisonnable. On ne constate toutefois aucune déférence dans la façon d’appliquer cette norme de contrôle judiciaire à la décision de l’UARB. Même si la Cour a rejeté l’argument écrit de la CBE, sans avoir fait de pression au moment de la plaidoirie, à savoir que la question en litige était une question de compétence dont le bien-fondé devait être examiné à la lumière de la décision Dunsmuir28, elle a entrepris de contrôler le caractère raisonnable de la décision de l’UARB plus ou moins comme si elle devait en contrôler le bien-fondé. Elle ne s’en est pas tenue, tant s’en faut, à se demander si l’UARB avait justifié son interprétation de la loi applicable. Elle a plutôt mené sa propre analyse indépendante et exhaustive en vue de motiver l’interprétation à laquelle, à son avis, l’UARB aurait dû arriver. En d’autres termes, elle a contrôlé la décision de l’UARB d’une façon similaire au contrôle judiciaire par la Cour suprême du Canada du bien-fondé des décisions dans les affaires ATCO Gas and Pipelines Ltd. c Alberta (Energy and Utilities Board)29 et Barrie Public Utilities c Association canadienne de télévision par câble30. C’était avant que l’on ne consacre, dans l’affaire Dunsmuir, la norme du caractère raisonnable comme étant la norme de contrôle judiciaire présumée en matière réglementaire. Cela illustre bien la mince différence entre Dunsmuir et le choix de la norme de contrôle en matière de réglementation dans le secteur énergétique même si, au bout du compte, on procède au contrôle du caractère raisonnable plutôt que du bien-fondé des décisions.
On est en droit de penser que cela est plus probable en raison du succès de Dunsmuir qui a rendu l’application de la norme du caractère raisonnable tellement claire que les tribunaux acceptent ou optent si souvent, moyennant analyse minimale, pour cette norme, comme en l’espèce. On évite ainsi de devoir examiner les facteurs motivant une déférence qui, s’ils faisaient l’objet d’une analyse, pourraient influer sur la façon dont l’examen du caractère raisonnable est mené. Par exemple, en l’espèce, comme les parties ont convenu d’adopter la norme du caractère raisonnable, il en est résulté qu’il n’était pas nécessaire de se pencher sur la compétence spécialisée de l’UARB, sur la dimension polycentrique de son mandat ou sur la nature particulière de la question de droit tranchée par l’UARB, à savoir s’il s’agissait d’une question d’interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat plutôt que d’une question de droit de nature générale. Peut-être qu‘il résulterait de l’analyse de tels facteurs lors du choix de la norme de contrôle qu’ils soient aussi pris en compte en vue de bien adapter au contexte le contrôle centré sur le caractère raisonnable. Au minimum, une telle analyse pourrait assurer un certain niveau de déférence.
Un autre facteur, dans ce genre de cas, pourrait être la rigueur des explications de l’organisme de réglementation quant à son interprétation de textes législatifs, surtout lorsqu’il en arrive à des conclusions contre-intuitives à propos de questions de droit où les explications et les justifications devraient être plus étoffées pour être qualifiées de raisonnables par des juges qui ne sont pas des experts. Abstraction faite de l’approche de la Cour en matière de contrôle du caractère raisonnable, son analyse de la loi applicable à la demande de la NSPI révèle que la décision de l’UARB est fondée sur des interprétations qu’il aurait été difficile de justifier, même si elles n’étaient pas, comme l’a suggéré la Cour, impossibles à justifier. Il demeure que l’argumentation de l’UARB au titre de la question cruciale de l’application de l’article 35 de la Public Utilities Act était brève et conclusive. On n’y abordait pas en profondeur les arguments concurrents, par exemple, ceux traitant de l’achat d’électricité produite à partir de ressources renouvelables auprès de PEI en vertu des dispositions exhaustives du Electricity Act et du Electricity Regulations. Bien entendu, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)31, il n’était pas tenue de le faire. Bien qu’en tenant compte de l’obligation réitérée dans Newfoundland and Labrador Nurses’, faite aux tribunaux d’exposer les raisons ayant justifié une décision avant de les infirmer, de telles raisons restreignent la portée de l’examen par les instances révisionnelles aux raisons qui sont proportionnées aux questions qu’elles doivent trancher. Il s’ensuit que cela pourrait inciter les tribunaux à déborder du cadre du contrôle et à se livrer à un exercice de prise de décision indépendant.
Une observation connexe est que les organismes de réglementation devraient savoir, à la lumière de cette instance et d’autres cas, que des interprétations purement fonctionnelles de textes législatifs qui ne cadrent pas avec le libellé, le contexte et l’objet des dispositions en cause seront vulnérables à l’étape du contrôle32. En l’instance, l’UARB en est presque arrivée à la conclusion que l’article 35 devait s’appliquer sinon il en résulterait des conséquences ne cadrant pas avec les principes de réglementation. La Cour n’a pas souscrit à l’idée que les conséquences que craignait l’UARB étaient réelles. De la même façon, la Cour n’a pas accepté que le texte législatif pouvait être interprété de façon à éviter ces conséquences s’il ne pouvait être interprété autrement.
Cela est peut-être révélateur que le fondement réglementaire de l’interprétation de l’article 35 de l’UARB soit le point le plus discutable de la critique de l’UARB par la Cour. En rejetant la préoccupation de l’UARB à propos de l’autorisation donnée à la NSPI de détenir des actifs ne faisant pas partie de sa base tarifaire, la Cour n’a pas tenu compte de la différence entre les actifs requis pour produire de l’électricité et les actifs utilisés par la NSPI pour produire de l’électricité mais dont l’acquisition a été motivée par des raisons commerciales plus larges. De façon plus générale, en abordant les questions dans la perspective de la volonté de l’UARB d’autoriser la NSPI à obtenir « le beurre et l’argent du beurre », la Cour n’a pas tenu compte des avantages pour les contribuables de l’application de l’article 35 à l’investissement de la NSPI dans le projet South Canoe. Plus précisément, elle n’a pas tenu compte du fait que la NSPI en bénéficierait en recouvrant ses dépenses en immobilisations, ni que les contribuables en bénéficieraient aussi car le profit de la NSPI sur ces dépenses en immobilisations respecterait la limite générale imposée à la NSPI au titre de ses profits.
De façon plus générale, la Cour a abordé les questions d’interprétation des lois sans compréhension apparente du contexte factuel plus large des avantages que procure aux contribuables l’investissement de la NSPI dans des projets de PEI, par exemple, en réduisant le coût de ces projets car les PEI profitent des coûts d’emprunts moins élevés de la NSPI. L’importance de la chose est illustrée par le rôle joué par la NSPI avant qu’elle ne présente sa demande visant à faire intégrer son investissement dans le projet South Canoe dans sa base tarifaire, à savoir faciliter la réalisation d’autres projets de PEI en en devenant un investisseur pour assurer leur viabilité financière.
Ce contexte aurait peut-être pu être pertinent afin de comprendre la décision du législateur d’autoriser la NSPI à détenir jusqu’à 49 % des entités participant à des projets de PEI, de ne pas limiter le niveau de propriété des actifs des PEI par la NSPI, et d’autoriser la NSPI à recouvrer le coût d’achat d’électricité produite par des PEI sans expressément lui interdire de recouvrer le coût de ses investissements dans des actifs de PEI. L’UARB comprendrait mieux ce contexte qu’une instance révisionnelle. Elle y a fait allusion, sans vraiment expliciter, dans sa décision en faveur de la demande de la NSPI à propos du projet South Canoe. Il aurait pu en résulter un impact sur l’appel de CBE qui était moins étoffé qu’il aurait pu l’être. Plus précisément, il aurait pu en résulter un contrôle judiciaire où il n’aurait pas été tenu suffisamment compte des arguments favorables à la manifestation d’une certaine déférence à l’égard des conclusions de l’UARB concernant une question de droit où l’UARB a rendu une décision favorable à la NSPI mais favorable, aussi, aux contribuables.
Le Nova Scotia Utility and Review Board (UARB) a statué que l’investissement de 93 millions de dollars de la Nova Scotia Power Incorporated (NSPI) dans le projet South Canoe, un projet d’énergie éolienne, était une dépense en immobilisations qui devrait être prise en compte dans la base tarifaire de la NSPI2 South Canoe figurait parmi trois projets de producteurs d’électricité indépendants (PEI) approuvés par l’Administrateur de l’énergie renouvelable (AER) de la Nouvelle-Écosse. Cape Breton Explorations Ltd (CBE), une entreprise dont le projet de PEI avait été rejeté, a porté en appel la décision de l’UARB auprès de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse. Elle a également porté en appel la décision d’approuver la demande de confidentialité de la NSPI à l’égard de certains documents. La Cour d’appel a statué que la décision de l’UARB selon laquelle cet investissement devrait être pris en compte dans la base tarifaire de la NSPI était déraisonnable et a annulé la décision de l’UARB3.
Cadre législatif
En vertu de la Nova Scotia Electricity Act4 et des Renewable Electricity Regulations5, au moins vingt-cinq pour cent de l’électricité distribuée par NSPI en 2015 devait être produite à partir de sources renouvelables6. Environ la moitié (300 GWh) devait être le fait de PEI. Par définition, les PEI sont des producteurs d’électricité à même des énergies renouvelables à faible impact dont un maximum de 49 % des titres avec droit de vote sont détenus par un service public7. Au moyen d’un processus concurrentiel, l’AER détermine de quels PEI la NSPI sera tenue, en vertu de l’article 14B(12) du Electricity Act, d’acheter de l’électricité produite à partir de sources renouvelables aux termes d’un accord d’achat d’énergie (AAE) standard approuvé par l’UARB. En vertu de l’article 4B(13) du Electricity Act, l’UARB doit permettre aux services publics [traduction] « de récupérer à même sa base tarifaire les coûts liés aux contrats de services publics mentionnés à l’article 12 à la lumière des critères approuvés par l’UARB en vertu de la Public Utilities Act (loi sur les entreprises de service public) ».
Le libellé de l’article 35 de la Public Utilities Act :
[Traduction]
Aucune entreprise de service public ne peut entreprendre de travaux de construction, d’amélioration ou d’agrandissement liés à des actifs qui servent ou qui pourraient servir à la fourniture ou la prestation de services, lorsque ces travaux exigent des dépenses de plus de deux cent cinquante mille dollars, sans obtenir au préalable l’autorisation de l’UARB8.
Décision de l’UARB
L’AER a approuvé les soumissions de parc éolien de 78 MW d’Oxford et de 24 MG de Minas Basin qui, ensemble, constituent le Projet d’énergie éolienne South Canoe. En vertu de son investissement de 93 millions de dollars, la NSPI détenait la moitié des 34 turbines du projet, à savoir une part de 49 % des actifs associés au projet. Elle a présenté une demande à l’UARB pour faire reconnaître cet investissement en tant que dépense en immobilisations recouvrable auprès des contribuables en vertu de l’article 35 de la Public Utilities Act.
CBE a contesté la compétence de l’UARB d’examiner la demande de la NSPI. Elle a fait valoir qu’en vertu de l’article 4B(13) du Electricity Act, elle ne pouvait être facturée aux contribuables que l’électricité fournie par un PEI, et non les coûts des actifs utilisés pour produire cette électricité9. Elle a soutenu que l’article 35 du Public Utilities Act ne s’appliquait qu’à l’électricité produite par la NSPI et non à l’électricité obtenue d’un PEI par la NSPI.
L’UARB a accueilli la demande de la NSPI. À son avis, l’article 4B(13) de la Electricity Act autorise la NSPI à recouvrer ses coûts associés au PEI et non seulement le coût d’achat d’électricité auprès d’un PEI10. Elle a fait valoir que, sinon, l’investissement de la NSPI dans des PEI, en contravention du [traduction] « principe fondamental de la réglementation des services publics », ne serait pas réglementé, ce qui l’autoriserait à réaliser des profits sur ses ventes aux contribuables et pourrait, ultimement, se traduire par des profits en excédent du taux de rendement autorisé de la NSPI.
L’UARB a ensuite statué que l’article 35 de la Public Utilities Act devait s’appliquer11. À cette fin, l’organisme s’est reporté à la définition statutaire de « service » qui englobe [traduction] « la production, le transport ou la fourniture d’énergie électrique destinée directement ou indirectement au public par un service public ». Elle s’est aussi fiée à la définition statutaire de « service public » qui englobe toute personne qui est propriétaire ou qui exploite, gère ou contrôle [traduction] « une centrale ou du matériel de production, de transport, de livraison ou de fourniture d’électricité ou d’énergie destinée […] soit directement, soit indirectement, au public ». De l’avis de l’UARB, les actifs dont la NSPI était propriétaire étaient utilisés soit directement, soit indirectement par la NSPI pour fournir un service au public. Que l’électricité en question doive être produite par un PEI n’était « pas pertinent ».
Décision de la Cour d’appel
Lors de l’appel interjeté par CBE, la CBE, le NSPI ainsi que le juge Farrar, écrivant au nom de la Cour, ont tous convenu que la norme de contrôle de la décision serait celle du caractère raisonnable.12. Malgré tout, la décision de l’UARB a été soumise à un examen aussi précis et détaillé que l’aurait été si la norme de révision judiciaire été celle de la décision correcte. Le juge Farrar a conclu que la décision en faveur de la NSPI ne faisait pas parti de la gamme des décisions possibles- i.e. dans la gamme de décision raisonnable que l’UARB aurait pu rendre parce qu’elle avait façons mal interprété tant l’article 4B(13) du Electricity Act que l’article 35 du Public Utilities Act.
Eu égard à l’article 4B(13), l’erreur commise par l’UARB concernait son interprétation, à savoir que la NSPI allait recouvrir le coût de son investissement dans le projet South Canoe même si la disposition ne fait que référence aux coûts engagés par la NSPI pour l’achat d’électricité auprès d’un PEI aux termes d’un AAE, une interprétation qui [traduction] « altère profondément le sens de l’article »13. Quant à l’article 35 du Public Utilities Act, la Cour a fait valoir qu’une [traduction] « simple lecture » de l’article14 révèle manifestement qu’il ne s’applique qu’aux dépenses liées à [traduction] « des actifs servant ou pouvant servir à la prestation ou la fourniture d’un service quelconque », et que l’électricité produite par un PEI était un service fourni par un PEI et non par la NSPI. L’erreur commise par l’UARB pour en arriver à la conclusion contraire comptait plusieurs volets.
Dans un premier temps, la NSPI obtenait le beurre et l’argent du beurre : elle pouvait tenir compte de l’électricité de South Canoe par son obligation d’acheter 300 GWh d’électricité de sources renouvelables auprès de PEI et il s’agissait d’un service fourni au public aux fins du recouvrement du coût de son investissement auprès des contribuables15.
Dans un deuxième temps, parce qu’il était clair que l’article 35 ne s’appliquerait pas si la NSPI détenait des actions d’un PEI, il n’y aurait plus « de justification au titre des politiques publiques » de l’interpréter de façon à ce qu’il s’applique advenant que la NSPI détienne des actifs plutôt que des actions16. À cet égard, la Cour s’est demandé si le projet South Canoe, étant donné que ses actifs appartenaient à 49 % à la NSPI, aurait dû être traité, en fait, comme un PEI par l’AER. Cette interprétation a été remise en cause même si dans la définition de PEI figurant dans le Renewable Electricity Regulations ne limitait que l’actionnariat des services publics dans les PEI, et ce, seulement au-dessus du seuil de 49 %, le niveau de propriété des actifs détenus par la NSPI.
Dans un troisième temps, la Cour a conclu qu’une « lecture simple » selon laquelle l’électricité produite par un PEI était un service fourni par le PEI et non par la NSPI était fondée sur un examen plus approfondi et contextuel du contexte législatif plus large17. Elle reposait sur la définition d’un PEI, définition qui stipulait qu’un PEI devait être « un producteur d’électricité à même des énergies renouvelables à faible impact … qui vend de l’électricité … à des services publics aux fins de sa vente au détail aux clients des services publics », établissant ainsi que la NSPI était un intermédiaire entre les PEI et leurs clients. L’interprétation simple reposait aussi sur le fait que la Public Utilities Act était fondée sur le modèle de réglementation en vertu duquel les services publics soient indemnisés pour le coût de production de l’électricité qu’ils vendent. Selon la Cour, cela renforce la conclusion que la compensation par rapport à l’électricité achetée auprès d’un IPP était une question exhaustivement régie par le Electricity Act et Electricity Regulation. Par ailleurs, le fait que la NSPI était propriétaire des turbines de South Canoe n’importait pas pour la question d’applicabilité du Public Utilities Act, et ce, pour trois raisons18 : en premier lieu, parce qu’en vertu d’un AAE, l’électricité livrée à la NSPI provient de turbines dont la NSPI serait – parfois oui, parfois non – la propriétaire, sans différenciation; en deuxième lieu, parce que dans la définition de service public, il est question d’une personne détenant des actifs et non d’une personne détenant des actifs de concert avec une autre; et, en troisième lieu, parce qu’appliquer la Public Utilities Act en fonction de la propriété des actifs détenus par la NSPI serait l’équivalent de réglementer un PEI comme s’il s’agissait d’un service public, alors que les PEI, en tant que fournisseurs au détail, sont expressément exclus de la définition de service public figurant dans la Electricity Act.
La Cour était aussi d’avis que l’interprétation de l’UARB de l’article 35 était contraire à l’intention du législateur lorsqu’a été modifiée la Electricity Act en vue de confier à l’AER la responsabilité de l’achat d’électricité auprès des PEI19. L’intention était d’adopter un code exhaustif pour l’achat d’électricité produite par des PEI, code qui serait à la fois distinct de la réglementation et parallèle à celle-ci, applicable à la NSPI en vertu de la Public Utilities Act. Dans ce contexte, l’article 4B(13) de la Electricity Act visant le recouvrement par la NSPI de ses coûts liés à l’achat d’électricité produite par un PEI devaient être interprétées comme étant exhaustives au titre des droits de la NSPI de recouvrer les coûts associés aux PEI. Trois autres éléments viennent renforcer cette conclusion :
La conclusion selon laquelle l’article (13) devait être considéré comme étant exhaustif était aussi corroborée par le libellé de la Stratégie sur les énergies renouvelables de la Nouvelle-Écosse. On y décrit la production d’électricité à partir de ressources renouvelables par la NSPI sous la surveillance de l’UARB et l’achat d’électricité auprès de PEI au moyen d’appels d’offres concurrentiels pilotées par l’AER comme constituant des processus parallèles en vue d’obtenir la meilleure valeur pour les contribuables lors de l’application des normes régissant la production d’énergie à partir de ressources renouvelables23.
Enfin, la Cour a fait peu état de la préoccupation de l’UARB selon laquelle la non-application de l’article 35 autoriserait la NSPI à réaliser des profits non réglementés24. Elle a cité des décisions antérieures de l’UARB imposant à la NSPI l’obligation de composer avec les risques liés aux actifs qu’elle avait acquis pour illustrer que ni la Public Utilities Act, ni le « principe de base de la réglementation des services publics » ne faisait obstacle à la propriété d’actifs non intégrés à la base tarifaire. La réalisation de profits non réglementés à partir de tels actifs ne pose pas problème, selon la Cour, car [traduction] « ce n’est pas l’argent des contribuables qui est à risque; le contribuable ne courant pas le risque de subir de pertes, il ne peut bénéficier des gains engendrés »25. Par ailleurs, l’interprétation conséquentialiste de l’article 35 par l’UARB est invalidée car elle contrevient à l’article 4B(13) de la Electricity Act; elle va à l’encontre d’une interprétation harmonieuse du cadre législatif plus large, et elle ne tient pas compte de l’intention du législateur d’encadrer la réglementation du coût du service par l’UARB et les appels d’offres concurrentiels lancés par l’AER en tant que mécanismes de réglementation parallèles et de rechange26.
Analyse
Dans la foulée de la reformulation en matière de révision du contrôle judiciaire par la Cour suprême du Canada suite à l’affaire Dunsmuir c Nouveau-Brunswick27, la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse en l’instance figure parmi de nombreuses autres où les tribunaux de contrôle judiciaire ont rapidement et aisément conclu, souvent avec l’assentiment des parties, que la norme de contrôle devait être le caractère raisonnable. On ne constate toutefois aucune déférence dans la façon d’appliquer cette norme de contrôle judiciaire à la décision de l’UARB. Même si la Cour a rejeté l’argument écrit de la CBE, sans avoir fait de pression au moment de la plaidoirie, à savoir que la question en litige était une question de compétence dont le bien-fondé devait être examiné à la lumière de la décision Dunsmuir28, elle a entrepris de contrôler le caractère raisonnable de la décision de l’UARB plus ou moins comme si elle devait en contrôler le bien-fondé. Elle ne s’en est pas tenue, tant s’en faut, à se demander si l’UARB avait justifié son interprétation de la loi applicable. Elle a plutôt mené sa propre analyse indépendante et exhaustive en vue de motiver l’interprétation à laquelle, à son avis, l’UARB aurait dû arriver. En d’autres termes, elle a contrôlé la décision de l’UARB d’une façon similaire au contrôle judiciaire par la Cour suprême du Canada du bien-fondé des décisions dans les affaires ATCO Gas and Pipelines Ltd. c Alberta (Energy and Utilities Board)29 et Barrie Public Utilities c Association canadienne de télévision par câble30. C’était avant que l’on ne consacre, dans l’affaire Dunsmuir, la norme du caractère raisonnable comme étant la norme de contrôle judiciaire présumée en matière réglementaire. Cela illustre bien la mince différence entre Dunsmuir et le choix de la norme de contrôle en matière de réglementation dans le secteur énergétique même si, au bout du compte, on procède au contrôle du caractère raisonnable plutôt que du bien-fondé des décisions.
On est en droit de penser que cela est plus probable en raison du succès de Dunsmuir qui a rendu l’application de la norme du caractère raisonnable tellement claire que les tribunaux acceptent ou optent si souvent, moyennant analyse minimale, pour cette norme, comme en l’espèce. On évite ainsi de devoir examiner les facteurs motivant une déférence qui, s’ils faisaient l’objet d’une analyse, pourraient influer sur la façon dont l’examen du caractère raisonnable est mené. Par exemple, en l’espèce, comme les parties ont convenu d’adopter la norme du caractère raisonnable, il en est résulté qu’il n’était pas nécessaire de se pencher sur la compétence spécialisée de l’UARB, sur la dimension polycentrique de son mandat ou sur la nature particulière de la question de droit tranchée par l’UARB, à savoir s’il s’agissait d’une question d’interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat plutôt que d’une question de droit de nature générale. Peut-être qu‘il résulterait de l’analyse de tels facteurs lors du choix de la norme de contrôle qu’ils soient aussi pris en compte en vue de bien adapter au contexte le contrôle centré sur le caractère raisonnable. Au minimum, une telle analyse pourrait assurer un certain niveau de déférence.
Un autre facteur, dans ce genre de cas, pourrait être la rigueur des explications de l’organisme de réglementation quant à son interprétation de textes législatifs, surtout lorsqu’il en arrive à des conclusions contre-intuitives à propos de questions de droit où les explications et les justifications devraient être plus étoffées pour être qualifiées de raisonnables par des juges qui ne sont pas des experts. Abstraction faite de l’approche de la Cour en matière de contrôle du caractère raisonnable, son analyse de la loi applicable à la demande de la NSPI révèle que la décision de l’UARB est fondée sur des interprétations qu’il aurait été difficile de justifier, même si elles n’étaient pas, comme l’a suggéré la Cour, impossibles à justifier. Il demeure que l’argumentation de l’UARB au titre de la question cruciale de l’application de l’article 35 de la Public Utilities Act était brève et conclusive. On n’y abordait pas en profondeur les arguments concurrents, par exemple, ceux traitant de l’achat d’électricité produite à partir de ressources renouvelables auprès de PEI en vertu des dispositions exhaustives du Electricity Act et du Electricity Regulations. Bien entendu, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)31, il n’était pas tenue de le faire. Bien qu’en tenant compte de l’obligation réitérée dans Newfoundland and Labrador Nurses’, faite aux tribunaux d’exposer les raisons ayant justifié une décision avant de les infirmer, de telles raisons restreignent la portée de l’examen par les instances révisionnelles aux raisons qui sont proportionnées aux questions qu’elles doivent trancher. Il s’ensuit que cela pourrait inciter les tribunaux à déborder du cadre du contrôle et à se livrer à un exercice de prise de décision indépendant.
Une observation connexe est que les organismes de réglementation devraient savoir, à la lumière de cette instance et d’autres cas, que des interprétations purement fonctionnelles de textes législatifs qui ne cadrent pas avec le libellé, le contexte et l’objet des dispositions en cause seront vulnérables à l’étape du contrôle32. En l’instance, l’UARB en est presque arrivée à la conclusion que l’article 35 devait s’appliquer sinon il en résulterait des conséquences ne cadrant pas avec les principes de réglementation. La Cour n’a pas souscrit à l’idée que les conséquences que craignait l’UARB étaient réelles. De la même façon, la Cour n’a pas accepté que le texte législatif pouvait être interprété de façon à éviter ces conséquences s’il ne pouvait être interprété autrement.
Cela est peut-être révélateur que le fondement réglementaire de l’interprétation de l’article 35 de l’UARB soit le point le plus discutable de la critique de l’UARB par la Cour. En rejetant la préoccupation de l’UARB à propos de l’autorisation donnée à la NSPI de détenir des actifs ne faisant pas partie de sa base tarifaire, la Cour n’a pas tenu compte de la différence entre les actifs requis pour produire de l’électricité et les actifs utilisés par la NSPI pour produire de l’électricité mais dont l’acquisition a été motivée par des raisons commerciales plus larges. De façon plus générale, en abordant les questions dans la perspective de la volonté de l’UARB d’autoriser la NSPI à obtenir « le beurre et l’argent du beurre », la Cour n’a pas tenu compte des avantages pour les contribuables de l’application de l’article 35 à l’investissement de la NSPI dans le projet South Canoe. Plus précisément, elle n’a pas tenu compte du fait que la NSPI en bénéficierait en recouvrant ses dépenses en immobilisations, ni que les contribuables en bénéficieraient aussi car le profit de la NSPI sur ces dépenses en immobilisations respecterait la limite générale imposée à la NSPI au titre de ses profits.
De façon plus générale, la Cour a abordé les questions d’interprétation des lois sans compréhension apparente du contexte factuel plus large des avantages que procure aux contribuables l’investissement de la NSPI dans des projets de PEI, par exemple, en réduisant le coût de ces projets car les PEI profitent des coûts d’emprunts moins élevés de la NSPI. L’importance de la chose est illustrée par le rôle joué par la NSPI avant qu’elle ne présente sa demande visant à faire intégrer son investissement dans le projet South Canoe dans sa base tarifaire, à savoir faciliter la réalisation d’autres projets de PEI en en devenant un investisseur pour assurer leur viabilité financière.
Ce contexte aurait peut-être pu être pertinent afin de comprendre la décision du législateur d’autoriser la NSPI à détenir jusqu’à 49 % des entités participant à des projets de PEI, de ne pas limiter le niveau de propriété des actifs des PEI par la NSPI, et d’autoriser la NSPI à recouvrer le coût d’achat d’électricité produite par des PEI sans expressément lui interdire de recouvrer le coût de ses investissements dans des actifs de PEI. L’UARB comprendrait mieux ce contexte qu’une instance révisionnelle. Elle y a fait allusion, sans vraiment expliciter, dans sa décision en faveur de la demande de la NSPI à propos du projet South Canoe. Il aurait pu en résulter un impact sur l’appel de CBE qui était moins étoffé qu’il aurait pu l’être. Plus précisément, il aurait pu en résulter un contrôle judiciaire où il n’aurait pas été tenu suffisamment compte des arguments favorables à la manifestation d’une certaine déférence à l’égard des conclusions de l’UARB concernant une question de droit où l’UARB a rendu une décision favorable à la NSPI mais favorable, aussi, aux contribuables.
* Professeur agrégé, Schulich School of Law, School of Health Administration et College of Sustainability, Université Dalhousie.