L’Environmental Appeal Board de la C.-B. invalide le permis d’utilisation des eaux de Nexen dans l’appel déposé par la première nation de Fort Nelson

Aperçu

Le 3 septembre 2015, l’Environmental Appeal Board de la Colombie-Britannique (Commission d’appel en matière d’environnement le « EAB ») a rendu une décision (la « décision »)1 qui établit un précédent accueillant un appel déposé au nom des membres de la Première Nation de Fort Nelson (la « PNFN ») concernant la décision du gestionnaire régional adjoint des eaux (le « gestionnaire ») de délivrer un permis commercial d’utilisation des eaux (le « Permis »). Le Permis avait été délivré par le gestionnaire à Nexen Inc. (« Nexen »), une entreprise pétrolière et gazière établie à Calgary. Il permettait le prélèvement de 2,5 millions de mètres cubes d’eau par année du bassin versant de la rivière Tsea au nord de la Colombie-Britannique afin que cette eau soit utilisée dans les opérations de fracturation de Nexen. Dans une décision détaillée, l’EAB a invalidé le Permis aux motifs que ses modalités et conditions étaient « fondamentalement viciées » et qu’il manquait d’arguments techniques, ainsi qu’aux motifs que la Couronne avait omis de consulter de bonne foi la PNFN concernant le Permis.

À maintes reprises dans sa Décision, l’EAB formule des commentaires utiles pour l’industrie, plus particulièrement pour les demandeurs souhaitant obtenir des permis d’utilisation des eaux auprès du ministère (soulignant même que son exposé avait pour but d’« offrir des directives générales, dans l’éventualité où Nexen demanderait un nouveau permis d’utilisation des eaux »)2 ou pour ceux souhaitant s’opposer à la délivrance d’un permis. Par exemple, en évaluant les arguments techniques du Permis, l’EAB offre des directives sur le type, la portée et la fiabilité des renseignements requis à l’appui d’une demande de permis d’utilisation des eaux, eu égard aux objectifs du cadre de délivrance de permis compris dans la Water Act RSBC 1996, c 483. Puisque les données nécessaires peuvent varier considérablement selon les circonstances environnantes (incluant des facteurs tels que la quantité d’eau retirée, la source d’eau, l’importance culturelle du territoire et la faune environnante), ces directives offrent à l’industrie un cadre utile que celle-ci devra consulter afin de recueillir les renseignements nécessaires à l’appui de la demande de délivrance d’un permis (ou, à l’inverse, un arsenal en vue de contester le bien-fondé des renseignements reçus à l’appui). La Décision offre également des recommandations utiles concernant les aspects procéduraux du processus de consultation, tout en insistant sur l’importance pour les parties concernées de fournir activement les renseignements. Elle apporte également des suggestions pour assurer la transparence et la clarté des rôles dans le processus de consultation, ce qui est important pour les demandeurs s’engageant dans une consultation à titre de délégué d’une Couronne provinciale.

En raison du caractère détaillé de la Décision, un résumé des faits contextuels est fourni ci‑dessous, suivi d’un exposé des principales questions et des conclusions de l’EAB.

Contexte

Le bassin versant de la rivière Tsea consiste en une série de rivières et de lacs se trouvant dans le nord-est de la Colombie-Britannique à environ 90 km au nord-est de Fort Nelson, au sein du territoire traditionnel de la PNFN3. En 2009, Nexen, une filiale active en propriété exclusive de la China National Offshore Oil Corporation, a obtenu une approbation à court terme de la part du Oil and Gas Commission (Commission sur le pétrole et le gaz) en vertu de l’article 8 du Water Act. Cette approbation a permis à Nexen de prélever de l’eau de surface à cinq endroits compris dans le bassin versant de la rivière Tsea. Cette eau a été stockée et utilisée par Nexen dans ses opérations de fracturation hydraulique de gaz naturel4. Toutefois, l’approbation était à court terme (un an) et limitait le changement au niveau de surface des lacs à un maximum de 0,1 mètre5.

En avril 2009, Nexen a voulu prolonger ses droits de prélèvement d’eau en demandant au ministère des Forêts, des Territoires et des Opérations de ressources naturelles (le « Ministère ») de lui délivrer un permis en vertu de l’article 12 de la Water Act6. Après quelques modifications, la demande de Nexen visait l’autorisation de prélever jusqu’à 2,5 millions de mètre cubes d’eau par année du lac Tsea Nord7. À l’appui de sa demande, Nexen a soumis différents rapports analysant les données du bassin versant de la rivière Tsea (et dans une mesure qui n’était pas disponible, des données d’un autre ruisseau situé à environ 150 km au sud du bassin versant du Tsea Nord) et utilisé divers modèles pour estimer le volume d’eau pouvant être dérivé par Nexen8.

Les représentants du Ministère, la PNFN et Nexen ont échangé des communications et tenu des réunions pendant les trois années suivantes concernant la demande9. Un résumé de ces communications se retrouve dans la décision10. Vers la fin de ces communications, en fin janvier 2012, le Ministère a envoyé une lettre à la PNFN l’avisant qu’il avait terminé son examen préliminaire. La lettre énonçait les conclusions préliminaires du Ministère des répercussions néfastes qu’avait le Permis sur le poisson, l’habitat du poisson et le milieu ambiant les qualifiant de minimales, de même que l’avis du Ministère à savoir que le Permis proposé n’aurait pas d’effets nuisibles appréciables sur la capacité de la PNFN d’exercer ses droits issus d’un traité dans la région. La correspondance demandait l’avis de la PNFN relativement aux conclusions préliminaires avant que le Permis ne soit délivré11.

La date à laquelle cette correspondance de janvier 2012 a été reçue a fait l’objet d’un désaccord entre la PNFN et le Ministère, et au cours des trois mois suivants, les représentants du Ministère et la PNFN ont correspondu entre eux en vue de fixer une date pour se rencontrer afin de discuter des conclusions préliminaires du Ministère. Cette rencontre n’a jamais eu lieu, et le 11 mai 2012, le Gestionnaire a délivré le Permis autorisant Nexen à prélever jusqu’à 2,5 millions de mètres cubes d’eau par année au lac Tsea Nord pour une période s’étendant jusqu’au 31 décembre 201712. Ayant délivré le Permis, le Gestionnaire a fait parvenir à la PNFN une lettre qui comprenait une justification de sa décision, réitérant ses conclusions selon quoi tout effet nuisible sur les droits issus du traité de la PNFN et l’habitat du poisson serait minimal, ainsi que son opinion sur la consultation avec la PNFN, l’a jugeant adéquate13.

L’appel

Peu après, la PNFN en a appelé de la décision du Gestionnaire de délivrer le Permis pour les motifs suivants :

  1. Le Gestionnaire a omis d’évaluer les effets directs et cumulatifs éventuels du Permis sur le bassin versant de la rivière Tsea;
  2. Le Gestionnaire n’a pas respecté l’honneur de la Couronne au moyen d’une consultation constructive avec la PNFN avant de délivrer le Permis14.

Suivant la délivrance du Permis et l’interjection de l’appel, le nord-est de la Colombie- Britannique a fait face à un période de sécheresse au cours de l’été 2012. La PNFN a fait connaître ses préoccupations au Ministère à savoir que Nexen avait continué de prélever de l’eau pendant cette période. Lorsque les données de Nexen ont été examinées par la suite, le Ministère a déterminé que l’entreprise n’avait pas respecté les conditions assorties de son Permis en laissant les niveaux de sortie d’eau de la rivière Tsea Nord descendre sous le seuil admissible 15. Par conséquent, en avril 2013, le Ministère a rendu une ordonnance (l’« Ordonnance ») enjoignant Nexen de mettre en œuvre six mesures correctives afin d’éviter toute inobservation des conditions du Permis à l’avenir, avant de procéder à des prélèvements d’eau à l’été 2013. Ces mesures ont été mises en œuvre par Nexen16.

La Décision

Le 3 septembre 2015, presque 20 mois après la fin de l’audience en janvier 2014, un comité représentatif de l’EAB a rendu une Décision détaillée de 115 pages. L’audition de l’appel avait pris 19 jours pour présenter les témoignages oraux et la volumineuse preuve documentaire17. Pour en arriver à la conclusion d’infirmer et d’invalider le Permis de Nexen, l’EAB a soigneusement examiné plusieurs questions importantes, y compris :

  • La compétence de l’EAB d’examiner des décisions dont l’appel ne relève pas expressément d’elle;
  • Le rôle de l’EAB dans l’audience de l’appel d’une décision de délivrer un permis d’utilisation des eaux;
  • Les arguments techniques du Permis, compte tenu des objectifs de la Water Act, ainsi que du type et de l’exactitude des renseignements requis à l’appui du Permis;
  • Le bien-fondé du processus de consultation entre la Couronne provinciale et la PNFN, en mettant l’accent sur les aspects procéduraux.

Ces questions sont abordées plus en détail ci-dessous.

Question préliminaire : compétence et nature du processus d’appel

Avant de passer aux mérites de l’appel dans la Décision, l’EAB s’est penchée sur une question préliminaire concernant l’Ordonnance de mesures correctives rendue par le Ministère en 2013. Dans l’examen de sa compétence à déterminer la validité de l’Ordonnance dans le cadre de l’appel, l’EAB a conclu que l’Ordonnance était une décision autonome du Ministère, distincte de la Décision d’accorder le Permis. Étant donné que la PNFN n’avait pas interjeté appel pour l’Ordonnance rendue (seulement le Permis), l’EAB a conclu qu’une évaluation des mérites de l’Ordonnance ne relevait pas de sa compétence18. Cette décision rappelle qu’il est important de considérer toutes les décisions connexes qui pourraient être portées devant l’EAB lorsqu’un appel est envisagé.

L’EAB a également fourni des commentaires utiles sur la large portée de son rôle dans le cadre d’un appel, confirmant que celui-ci n’est pas limité à l’examen de décisions portées en appel ou du processus décisionnel afin d’en relever les erreurs et qu’il ne se limite pas à la preuve déposée devant le décideur initial. L’EAB est habilitée en vertu de l’article 92(7) de la Water Act à entendre un appel comme une audience de novo ainsi que par l’article 92(8) à prendre la décision qui s’impose et que le Gestionnaire aurait dû prendre à l’examen de la demande de Nexen19. En vertu de ces deux articles de la Water Act, l’EAB est habilitée à évaluer elle-même les arguments techniques du Permis en fonction de l’ensemble de la preuve dont elle est saisie20. Toutefois, en ce qui concerne l’appel de la PNFN relativement aux consultations, l’EAB y joue un rôle plus limité. Elle a confirmé qu’à titre de tribunal quasi-judiciaire, elle ne s’engage pas directement dans les consultations avec les Premières Nations et que le processus d’appel ne pouvait pas remplacer les consultations21. Le rôle de l’EAB est plutôt de vérifier que le Ministère s’est acquitté de son obligation de consulter la PNFN22. Cela peut être en contraste avec le rôle d’autres organismes moins indépendants (et qui ne sont donc pas quasi-judiciaires), comme la Oil and Gas Commission23.

Question 1 : Arguments techniques du Permis

En ce qui concerne un des enjeux majeurs qui a été soulevé dans le cadre de l’appel, l’EAB s’est penchée sur la question des arguments techniques du Permis à savoir si ce dernier devait être invalidé aux motifs suivants : « il va à l’encontre des objectifs de la Water Act, il n’y a pas suffisamment de données pour en évaluer adéquatement les effets et/ou il est fondé sur une conception qui présente des imperfections ». En l’occurrence, l’EAB a clarifié la situation en ce qui concerne les objectifs de la Water Act, l’ampleur et la certitude des renseignements requis à l’appui d’une demande pour un Permis.

Objectifs de la Water Act

Les parties ont ancré leurs arguments sur les mérites du Permis se basant sur l’objet de la Water Act et son rôle dans le processus de délivrance de permis. Bien que toutes les parties se soient entendues sur le fait que l’objet premier de la loi était l’attribution de droits d’utilisation des eaux, elles ne s’entendaient pas sur l’objectif environmental du Water Act. L’EAB a clarifié cette question en décrivant le « but premier » du cadre de délivrance de permis de la Water Act comme l’attribution et la réglementation des droits privés d’utiliser les eaux24, mais a précisé que des facteurs environnementaux peuvent être pris en considération dans la décision de délivrer ou non un permis25.

Parallèlement, la Décision a également pris en compte dans quelle mesure le Ministère peut considérer l’effet cumulatif des activités sur l’environnement pour délivrer le Permis ou non. L’EAB a conclu qu’il était conforme aux objectifs de la Water Act que le Gestionnaire ait à considérer la demande totale sur la source d’eau et l’incidence sur le débit de cours d’eau et l’habitat environnant. Toutefois, elle a déterminé que la loi n’obligeait pas le Gestionnaire à considérer les effets environnementaux ne découlant pas du Permis en soi, comme les effets environnementaux d’un développement pétrolier et gazier accru (comme la construction de routes, d’oléoducs et de puits) sur le bassin versant, étant donné que ces activités sont réglementées par d’autres lois26, ce qui laisse entendre que le demandeur d’un permis d’utilisation des eaux devrait s’assurer de mettre en place les mesures nécessaires afin de faire face à toutes les demandes de prélèvement d’eau, ce qui comprend l’effet cumulatif de ces prélèvements. Cependant, le demandeur n’est pas tenu d’accroître son évaluation des effets cumulatifs afin de tenir compte d’autres types d’activités non visées par un permis d’utilisation des eaux, étant donné que rien ne justifie la prise en compte de l’effet de ces activités par le Gestionnaire.

Renseignements à l’appui et degré de certitude

Ayant à l’esprit les objectifs de la Water Act, l’EAB s’est tournée vers l’évaluation de la documentation fournie à l’appui de la Demande, en tenant compte plus particulièrement du volume, du type de renseignements et leurs degrés de certitude ; le tout étant requis avant que le Gestionnaire ne puisse décider d’accorder ou non le Permis. La PNFN a fermement soutenu que les renseignements examinés par le Gestionnaire étaient « insuffisants et inadéquats pour bien comprendre les effets éventuels du Permis » sur l’environnement, surtout les effets hydrologiques sur le bassin versant et la faune dans la région27. Elle a également maintenu que le Permis ne respectait pas le principe de précaution28, une doctrine en droit environmental international qui prévoit que lorsqu’une activité risque de causer préjudice au public ou à l’environnement, il incombe à ceux qui souhaitent mener de telles activités (dans le cas présent, Nexen) d’établir qu’aucun préjudice ne sera causé.

Comme point de départ, l’EAB a souligné que la Water Act n’exige pas directement du demandeur qu’il fournisse tout renseignement au sujet des effets environnementaux éventuels de la demande. Toutefois, le Gestionnaire a une large discrétion d’exiger de plus amples renseignements en vertu de la loi, y compris des renseignements en matière d’environnement, spécifiquement à la lumière de sa conclusion que des facteurs environnementaux peuvent avoir une pertinence29. Étant donné que chaque permis doit être examiné tenant compte de son propre contexte et ses circonstances (comprenant les facteurs tels que les caractéristiques de la source d’eau, la quantité d’eau visée par le permis, les autres demandes d’utilisation des eaux et tous les travaux connexes)30, la quantité et le type de données requises peuvent également varier selon les circonstances. À titre d’exemple, la Décision oppose une demande qui détourne 500 gallons d’eau par jour pour des fins domestiques à celle qui détourne 2,5 millions de mètres cubes d’eau par année à des fins industrielles, ce qui illustre que les exigences en matière de renseignements seront différentes dans chaque cas31. Par conséquent, afin d’évaluer les renseignements à l’appui requis pour une demande, le demandeur doit tenir compte de la proportionnalité et adapter la portée et l’exactitude de sa documentation aux circonstances de l’affaire.

Quant aux faits en l’espèce, l’EAB a souligné que Nexen envisageait d’utiliser un grand volume d’eau en provenance d’un lac relativement petit ce qui contrastait avec les données limitées disponibles sur le bassin versant de la rivière Tsea. Également, il n’y a aucun permis similaire pouvant servir d’exemple qui a été délivré dans la région32. Ces circonstances semblaient indiquer que le Gestionnaire aurait dû obtenir une plus grande quantité de renseignements au sujet des effets environnementaux du Permis. Toutefois, l’EAB a reconnu qu’il n’était pas pratique pour le Gestionnaire d’obtenir un grand degré élevé de certitude sur de telles questions :

Bien qu’il soit prudent dans de telles circonstances d’exiger d’un demandeur qu’il fournissede plus amples renseignements sur la source d’eau et les effets possibles du permis proposé, le Comité conclut qu’il n’est pas pratique et qu’il est incompatible avec l’objectif des dispositions de délivrance de permis de la Water Act d’exiger des demandeurs de retarder les développements indéfiniment en attente d’études tentant de prévoir les effets de façon concluante33 [Traduction].

L’EAB a également exprimé son inquiétude selon laquelle un processus de délivrance de permis trop onéreux pourrait pousser les pétrolières et les sociétés gazières à demander des approbations multiples à court terme en vertu de l’article 8 de la Water Act, plutôt que d’entreprendre le processus de cueillette de données et de procéder aux études qui s’imposent pour obtenir un permis pluriannuel, résultat qui serait indésirable du point de vue de la gestion des eaux34.

Par ailleurs, bien qu’un grand volume de données auraient pu réduire l’incertitude associée à la délivrance d’un permis, l’EAB a reconnu qu’il y aurait toujours un certain degré d’incertitude en matière d’environnement35. Elle a rejeté l’application du principe de précaution, concluant qu’« il n’y a aucune indication que la loi ait pour objet l’application de ce principe aux décisions de délivrance de permis d’utilisation des eaux »36. Malgré cela, l’EAB a clairement insisté sur le fait que le Gestionnaire aurait dû adopter une approche conservatrice et préventive dans la prise de sa décision avant d’émettre le Permis, plus particulièrement à la lumière du grand niveau d’incertitude qui entourait les circonstances37. Par conséquent, bien qu’un demandeur ne soit pas tenu de prédire avec certitude quels seront les effets d’un permis ni de réfuter tous les risques de préjudice, les chances d’obtenir un permis augmenteront si les incertitudes associées au permis sont prises en compte adéquatement au moyen d’une approche de précaution dans la proposition des conditions et de la portée du permis.

Les mérites techniques d’un permis

Reconnaissant que la présentation d’éléments concluants, propre au site ne constituait pas une exigence afin d’obtenir quelque type de permis qu’il soit, l’EAB a indiqué que la question cruciale était la suivante : « [c]omment procéder prudemment avec des données moins que parfaites »38 dans l’application des principes ci-dessus pour évaluer les mérites techniques du Permis. Même si elle a refusé de conclure que les demandeurs étaient tenus de fournir certains types de renseignements en matière d’environnement ou d’établir une certitude à cet effet afin d’obtenir un permis, elle a toutefois adopté une approche relativement stricte pour déterminer si le Gestionnaire avait été suffisamment réceptif aux diverses préoccupations en matière d’environnement et incertitudes soulevées par la PNFN.

L’évaluation des arguments techniques du Permis par l’EAB compte pour une grande portion de la Décision. Elle est de nature technique et porte particulièrement sur les données utilisées par Nexen et les conditions du Permis s’y afférant. Toutefois, si une partie souhaite obtenir des études convaincantes à l’appui d’une demande d’utilisation des eaux (ou pour contester la validité des études préparées par d’autres), la critique de l’EAB sur les méthodologies et modélisations utilisées ainsi que des termes techniques du Permis, mériterait bien un examen approfondi afin d’éviter d’embûches similaires39.

En résumé, l’EAB a conclu qu’il y avait nombre d’erreurs et d’incompatibilités dans les études soumises par Nexen et que ces problèmes n’avaient pas été réglés par les données subséquentes fournies en appel40. Sur le plan hydrologique, elle a soutenu que le Permis était « peu rationalisé » parce qu’il était fondé sur des données insuffisantes41. En ce qui concerne la faune, elle était en désaccord avec la conclusion du Gestionnaire selon lequel il n’y aurait pas de répercussions sur le poisson ou son habitat, concluant plutôt que celui-ci ne disposait pas de renseignements sur ces répercussions. De plus, selon les renseignements fournis à l’appel, l’EAB a déterminé qu’il y avait effectivement un risque réel d’effets nuisibles42. L’EAB a également soutenu que le Gestionnaire avait omis de tenir compte des répercussions possibles du Permis sur le castor (une espèce « clé » dans la région) et la végétation environnante43. Les données n’appuyaient pas une conclusion selon laquelle le Permis assurerait une protection adéquate contre les effets nuisibles sur les milieux aquatiques et riverains44. Par conséquent, l’EAB a conclu que « le Permis devrait être invalidé en raison de défauts fondamentaux sur le plan conceptuel et opérationnel »45.

Question 2 : le degré de consultation

La deuxième question essentielle soulevée par la PNFN dans le cadre de l’appel visant l’émission du Permis était que la consultation de la Couronne provinciale n’avait pas été adéquate, puisqu’elle avait « omis la nature et la portée des droits issus du traité [de la PNFN], omis d’évaluer adéquatement les effets possibles du Permis sur ces droits et/ou omis de s’acquitter de l’obligation de consultation »46.

Niveau de consultation requis

L’EAB a d’abord considéré le niveau de consultation qui était requis dans cette situation. Pour que le Gestionnaire puisse déterminer le niveau approprié, l’EAB a conclu qu’il devait comprendre la nature et la portée des droits issus du traité sur lesquels le Permis pouvait avoir un effet nuisible47, ce qui n’a été fait en l’espèce. Ce manquement a été considéré comme la responsabilité partielle de la Couronne provinciale, vu que le Ministère avait omis de considérer certains renseignements pertinents qui étaient connus de cette dernière et qu’il avait utilisé d’autres renseignements non pertinents et erronés48. Toutefois, l’EAB a également attribué une partie du blâme à la PNFN parce qu’elle avait omis de divulguer des renseignements pertinents concernant l’exercice de ses droits issus du traité au Ministère49. Plus loin dans la Décision, cette conclusion a fait partie du fondement du rejet par l’EAB de la demande en adjuge les dépens de la PNFN, soulignant l’importance pour toutes les parties, y compris une Première Nation, de s’assurer de communiquer activement et adéquatement tous renseignements pertinents au cours d’une consultation.

L’EAB met en évidence l’importance de bien comprendre les droits issus d’un traité ancestral touchés avant de déterminer la portée d’une consultation. Cette dernière conclu que la zone entourant le bassin versant de la rivière Tsea était moins développée qu’à d’autres endroits sur le territoire traditionnel de la PNFN, et ainsi avoir une plus grande importance pour la PNFN dans l’exercice de ses droits issus d’un traité ancestral que d’autres zones moins développées sur le territoire50. Ce facteur semble avoir fortement influencé la conclusion de l’EAB sur la portée de la consultation. L’EAB a également considéré le fait que l’utilisation des eaux par Nexen était destinée à la consommation (c’est-à-dire qu’elle ne serait pas retournée dans le bassin versant après son utilisation) et a conclu que les possibles effets nuisibles du Permis n’étaient pas spéculatifs. Le risque que les prélèvements réalisés en vertu du Permis puissent avoir un effet nuisible sur le milieu riverain, la végétation, le poisson et d’autres espèces dans la région était bien réel51. Toutefois, elle a considéré cette information en tenant compte du fait qu’il n’y avait pas de preuves suggérant que le Permis avait effectivement empêché la PNFN de réaliser ses activités traditionnelles dans cette zone ou que cela se produirait ultérieurement52. Soupesant ces facteurs, l’EAB a conclu que le niveau de consultation requis se trouvait au milieu du spectre53.

Le processus de consultation

Pour ce qui est du processus de consultation en soi, l’EAB a insisté sur la nécessité d’y apporter une certaine flexibilité ainsi qu’un niveau suffisant de transparence afin que « chaque partie puisse comprendre les besoins et les attentes de l’autre partie, plus particulièrement en ce qui concerne les besoins en matière de renseignements et les délais escomptés pour les réponses et les décisions »54. Bien qu’elle ait confirmé qu’il n’y avait aucune norme de perfection exigée de la part des parties, l’EAB a toutefois indiqué que le processus avait souffert d’un manque de compréhension et de clarté en ce qui concerne les besoins et les attentes des parties. Cette conclusion s’appliquait également au rôle actif que Nexen avait joué dans les discussions avec la PNFN tout au long du processus de demande. Toutefois, comme le Ministère n’avait jamais clairement délégué les différents aspects du processus de consultation à Nexen, l’EAB s’inquiétait du fait que la PNFN aurait pu croire que Nexen ne s’y engageait qu’au service de ses propres intérêts, plutôt que pour consulter la PNFN à titre de délégué de la Couronne55. L’EAB a conclu que le Ministère aurait dû faire un meilleur effort pour discuter des rôles et des attentes des parties afin d’assurer la transparence du processus56.

La Décision démontre comment un processus de consultation peut dérailler en raison d’un manque de clarté. L’EAB a fourni aux parties un important conseil pour éviter de tels problèmes, suggérant que le Ministère aurait pu négocier une entente de consultation avec la PNFN ou, à tout le moins, proposer un cadre ou un processus clair pour la consultation dès le début57. Du point de vue d’un demandeur, il lui serait conseillé de s’assurer que ce processus ou cette entente décrive clairement tous les aspects du processus de consultation qui lui ont été délégués.

Obligation de consulter de bonne foi

Peu importe le niveau de consultation requis, l’EAB a confirmé que la Couronne provinciale devait toujours consulter de bonne foi, « avec l’intention de traiter en substance des préoccupations des peuples autochtones dont le territoire est visé »58. Bien que l’EAB ait conclu que la Couronne provinciale l’avait fait pour la majorité du processus de la Demande, la situation a changé au début 2012, au moment où la correspondance de janvier 2012 a été envoyée à la PNFN. L’EAB a décrit le Ministère, au cours de cette période, comme ayant « l’intention de mettre fin au processus de consultation et de délivrer le Permis ». De plus, elle conclut que ce dernier a adopté le point de vue que de plus amples consultations « ne feraient que retarder l’inévitable émission du Permis »59. Sa fermeture d’esprit face aux nouveaux renseignements a été estimée par l’EAB comme un manquement au principe de bonne foi, de respect de l’honneur de la Couronne et de l’objectif général de réconciliation60. Ce fut particulièrement le cas en raison du manque d’urgence de la décision, étant donné que Nexen avait continué de mener ses activités suite à l’approbation à court terme en vertu de l’article 8, et que, par conséquent, aucun préjudice important ne serait subi par suite de ce retard61. Suite à l’omission du Ministère de consulter de bonne foi, l’EAB a conclu que le processus de consultation avait été « inadéquat et fondamentalement vicié »62.

Cette conclusion fait état du besoin de la Couronne provinciale (et si applicable d’un demandeur agissant comme délégué de la Couronne) à être disposée à admettre toutes les possibilités tout au long du processus de consultation, de tenir compte et d’agir en fonction des renseignements obtenus, même très tard au cours du processus de consultation.

La Décision et ses conséquences

Ayant conclu que le Permis et le processus de consultation avaient tous deux été « fondamentalement viciés »63, l’EAB s’en est remise au remède approprié. Alors que la PNFN demandait l’infirmation de la délivrance du Permis, Nexen a fait valoir qu’elle subirait un préjudice important dans ce cas64.

Soupesant ces arguments, l’EAB a mis l’accent sur la grande quantité d’eau qui était détournée d’une petite source d’eau, aux termes d’un Permis qui était entaché d’un vice et qui manquait d’argument technique, créant ainsi un risque considérable de préjudice à la région. Elle a également fait mention du processus de consultation gravement vicié65. D’un autre côté, elle a reconnu le préjudice que Nexen pouvait subir par suite de l’annulation du Permis. Toutefois, elle a conclu que ce préjudice était minimisé par le fait qu’une grande partie des travaux de Nexen avaient été réalisés à un moment où Nexen menait toujours ses activités en vertu de son approbation à court terme, et qu’elle aurait donc quand même engagé ces dépenses peu importe qu’elle ait obtenu ou non le Permis. Qui plus est, malgré tous les vices du Permis, l’EAB a souligné que Nexen avait bénéficié du Permis pendant plus de la moitié de sa durée66. Dans toutes les circonstances, l’EAB a conclu que la décision du Gestionnaire d’émettre le Permis devrait être infirmée en raison de défauts techniques graves ainsi que du processus de consultation vicié67.

* Erica C. Miller est avocate au sein de Farris, Vaughan, Wills and Murphy LLP à Vancouver, elle pratique essentiellement en litige commercial et en réglementation de l’énergie. Elle est reconnaissante de l’apport et du support deLudmila B. Herst, avocate et Jason K.Yamashita, avocet en vue de l’écriture du present article.

  1. Chief Sharleen Gale c Assistant Regional Water Manager & Nexen, décision no 2012-WAT-013(c) Environmental Appeal Board (BC Environmental Appeal Board) en ligne : EAB <http://www.eab.gov.bc.ca/water/2012wat013c.pdf> [en anglais seulement] [Gale].
  2. Ibid au para 339.
  3. Ibid aux paras 3 et 7.
  4. Ibid aux paras 18-19.
  5. Ibid au para19.
  6. Ibid aux paras 18-19.
  7. Ibid au para 31.
  8. Ibid aux paras 20-26.
  9. Ibid au para 33.
  10. Ibid aux paras 33-86.
  11. Ibid aux paras 65-66.
  12. Ibid aux paras 87-88.
  13. Ibid au para 90.
  14. Ibid au para 93.
  15. Ibid aux paras 108-113.
  16. Ibid aux paras 115-117.
  17. Ibid au para 157.
  18. Ibid au para 127.
  19. Ibid aux paras 157-158.
  20. Ibid au para 158.
  21. Ibid au para 159.
  22. Ibid au para 428.
  23. Voir Saulteau First Nations c Oil and Gas Commission, 2004 BCSC 92 aux paras 130-138 , conf. 2004 BCCA286
  24. Gale, supra note 1 au para 162.
  25. Ibid au para163.
  26. Ibid aux paras 168-170.
  27. Ibid au para 172.
  28. Ibid au para 179.
  29. Ibid au para 176.
  30. Ibid au para 177.
  31. Ibid au para 177.
  32. Ibid au para 178.
  33. Ibid au para 178 [C’est nous qui soulignons]
  34. Ibid au para 180.
  35. Ibid au para 182
  36. Ibid au para 179.
  37. Ibid au para 183.
  38. Ibid au para 193.
  39. Voir Gale, supra note 1 aux paras 185-339.
  40. Gale, supra note 1 au para 296.
  41. Ibid au para 297.
  42. Ibid aux paras 302, 321.
  43. Ibid au para 327
  44. Ibid au para 338.
  45. Ibid au para 337.
  46. Ibid au para 337.
  47. Ibid au para 449.
  48. Ibid au para 451.
  49. Ibid au para 452.
  50. Ibid au para 435.
  51. Ibid au para 435.
  52. Ibid au para 439.
  53. Ibid au para 440.
  54. Ibid au para 441.
  55. Ibid au para 447.
  56. Ibid au para 448.
  57. Ibid aux par. 443 et 444.
  58. Ibid au para 468, citant Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010 au para 168.
  59. Gale, supra note 1 au para 474.
  60. Ibid au para 484.
  61. Ibid au para 483.
  62. Ibid au para 485.
  63. Ibid aux paras 337, 485.
  64. Ibid au para 486.
  65. Ibid au para 490.
  66. Ibid aux paras 491-492.
  67. Ibid au para 494.

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