Analyse de Saul Griffith intitulé Electrify: An Optimist’s Playbook for Our Clean Energy Future[1]

Un plaidoyer passionné en faveur de la mise hors service et du remplacement de tous les équipements existants dans la chaîne des combustibles fossiles — de l’exploration et de la production à l’utilisation — le livre de Saul Griffith intitulé Electrify: An Optimist’s Playbook for our Clean Energy Future (2021) (ci-après Electrify) est tout le contraire de Unsettled (2021) de Steven E. Koonin Ph.. Les deux auteurs scientifiques représentent des points d’appui dans le débat sur la question de savoir si la société doit rapidement réduire sa dépendance aux hydrocarbures pour répondre à ses besoins énergétiques et atténuer la présence de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère.

Griffith[2], contrairement à Koonin, n’hésite pas à prescrire des solutions concrètes; son livre en est rempli. En effet, l’auteur caractérise Electrify comme un « plan d’action pour lutter pour l’avenir », ainsi qu’une feuille de route technique vers un avenir énergétique propre[3]. Dans sa première salve (la préface, pp. xi – xiii), il invoque le langage de la préparation à la guerre pour souligner à la fois l’ampleur et l’urgence de ses recommandations :

[Traduction]

« Les États-Unies n’ont besoin de rien d’autre qu’une mobilisation concertée de la technologie, de l’industrie, de la main-d’oeuvre, de la réforme réglementaire et, surtout, de la finance[4]. »

Pour réussir cette transformation, Griffith déclare : « Nous devons tripler la quantité d’électricité fournie aux États-Unis[5]. Ce qu’il faut, c’est un projet d’ingénierie de “lancement vers la lune” pour fournir un nouveau réseau énergétique avec de nouvelles règles — un réseau qui fonctionne davantage comme Internet[6] » [traduction]. Toutefois, conformément à son sous-titre — « un livre de jeu optimiste » — Griffith affirme que si ses remèdes sont adoptés, l’énergie sera moins chère et plus abondante à long terme, en indiquant que « si la technologie, le financement et les réglementations sont adaptés, chaque famille américaine pourra économiser des milliers de dollars chaque année[7] ». Il envisage également une avalanche d’emplois pour aider le pays à se remettre de la « pandémie et de la crise économique », citant l’avis d’un collègue selon lequel « pas moins de 25 millions d’emplois bien rémunérés » découleront de la conversion de tous les systèmes énergétiques américains à des solutions d’« énergie propre[8] ».

De temps en temps, l’enthousiasme de Griffith peut déborder sur des déclarations étranges. Par exemple, dans sa préface, il se dit qu’« [avec] notre avenir en péril […] Les milliardaires peuvent rêver de s’échapper sur Mars, mais le reste d’entre nous […] nous devons rester et nous battre » [traduction]. Les lecteurs se diront peut-être que l’atmosphère de Mars est moins hospitalière que celle de la Terre, même dans les pires scénarios décrits par les climatologues.

Conformément à son appel à une action radicale et globale, Griffith demande l’arrêt de la construction ou de l’acquisition de « machines ou technologies » qui utilisent des combustibles fossiles. « Il n’y a pas de temps, plaide-t-il, pour que tout le monde installe une chaudière au gaz naturel de plus dans son sous-sol; il n’y a pas de place pour une nouvelle centrale d’“appoint” au gaz naturel […] Quelle que soit la machine à combustible fossile que vous possédez, que ce soit en tant que gestionnaire de réseau, petite entreprise ou foyer, cette machine fossile doit être votre dernière[9] » [traduction].

LES « DONNÉES SCIENTIFIQUES » SONT DISPONIBLES, LES DANGERS SONT IMMINENTS

Griffith insiste sur le fait que « nous ne pouvons plus débattre de la science », même si « pour certaines personnes, les arguments scientifiques ne seront jamais suffisants[10] » [traduction]. Il fait preuve d’une foi totale dans les modèles climatiques et leurs prédictions souvent effrayantes :

[Traduction]

« Les scientifiques ont rédigé un grand nombre de travaux sur le réchauffement de la planète et peuvent prédire le climat futur à partir des estimations de nos émissions actuelles de carbone. Nous savons, avec certitude, que nous nous dirigeons vers de multiples catastrophes environnementales et humaines[11]. »

En guise d’avant-goût du désastre imminent, Griffith présente une litanie de calamités météorologiques spécifiques que les habitants de la planète ont endurées ces dernières années, ou qu’ils devront affronter plus fréquemment à l’avenir, selon lui, si on laisse les températures moyennes mondiales augmenter au-delà des lignes rouges tracées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies (c.-à-d. 1,5 °C ou, au pire, 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels)[12]. Selon Griffith, de telles calamités sont directement liées à l’accumulation d’émissions excessives de GES. Selon Electrify, le choix qui s’impose est le suivant : soit les nations peuvent continuer sur la voie périlleuse qu’elles empruntent actuellement, soit — grâce à une action audacieuse et visionnaire — elles peuvent non seulement éviter une prolifération de crises environnementales, mais aussi enclencher un cycle économique vertueux :

[Traduction]

C’est l’occasion de revitaliser nos villes, de rajeunir nos banlieues et de redonner vie à nos petites villes. Nous pouvons reconstruire une classe moyenne prospère et ouverte à tous, comme nous l’avons connue après la Seconde Guerre mondiale, avec des dizaines de millions de nouveaux emplois de qualité […] Si les États-Unis font correctement, les coûts énergétiques de chacun diminueront. Chacun a un rôle à jouer dans l’effort de guerre[13].

Ainsi, au coeur du livre se trouve un message populiste — souvent répété — selon lequel les changements nécessaires pour éviter une crise climatique ne seront pas une pilule amère, mais plutôt une voie vers une société — plus saine et financièrement plus solvable.

GAINS D’EFFICACITÉ À PROFUSION

Un autre pilier de l’optimisme de Griffith est son anticipation de gains d’efficacité substantiels réalisables dans une économie énergétique plus verte. Toutefois, cela n’a rien à voir avec l’efficacité axée sur la conservation et le « faire avec moins » prônés à partir des années 1970, lorsque le pétrole est devenu une denrée plus rare et plus chère à la suite des manipulations du marché par l’OPEP. Au contraire, Griffith prophétise un « nouveau récit » :

[Traduction]

[…] une « histoire sur ce que nous avons à gagner — un avenir électrifié plus propre avec des maisons confortables et des voitures rapides — qui vaut mieux que des cauchemars sur ce que nous avons à perdre. Nous avons un chemin vers la décarbonisation qui nécessitera des changements, certes, mais pas des privations[14]. »

Le rejet par Griffith de l’efficacité en tant que sacrifice est suivi d’un examen approfondi des modes de production et de consommation actuels des combustibles — ventilés par secteurs individuels de l’économie (p. ex. industriel, commercial et résidentiel) et par application (p. ex. chauffage ou refroidissement des locaux, transport ou processus de fabrication)[15]. Il s’avère que l’auteur a passé une bonne partie de sa carrière à étudier les caractéristiques des carburants et la consommation d’énergie par secteur, et qu’il a beaucoup à dire sur le sujet. Un argument distinctif d’Electrify est que le développement d’un mélange de combustibles plus verts ne devrait pas se concentrer sur la production de combustibles liquides ou gazeux décarbonisés; c.-à-d. les types de combustibles qui pourraient plus facilement remplacer les combustibles fossiles dans l’infrastructure existante. Griffith fonde ce conseil sur l’efficacité — plus précisément sur sa conviction que les étapes de la production, du transport et de la conversion de ces combustibles en énergie utile entraînent des pertes excessives à chaque phase. En résumé, l’auteur estime que les « machines » qui fonctionnent grâce à la combustion de combustibles liquides ou gazeux — qu’ils soient à base de pétrole ou de l’une des alternatives plus vertes — gaspillent trop d’énergie par rapport à une conversion généralisée à des infrastructures fonctionnant à l’électricité (provenant de préférence du vent ou du soleil).

Griffith utilise des graphiques (parfois assez chargés) pour illustrer les flux et les pertes d’énergie survenant dans la chaîne de valeur, de l’extraction et du raffinage au transport et à l’utilisation. Malgré la complexité des détails de cette présentation, Griffith a une idée maîtresse à faire passer : que grâce à une électrification beaucoup plus importante couplée à une production d’électricité décarbonée, « nous n’avons probablement besoin que de 42 % de l’énergie primaire dont nous avons besoin aujourd’hui […][16] » [traduction]. Après avoir présenté ce point de données saisissant, il renonce à être aussi « granulaire », reconnaissant que la demande énergétique globale d’un pays fluctue en fonction des progrès technologiques, des nouvelles inventions et des nouveaux passe-temps[17] :

[Traduction]

En tenant compte de ces variables, il est plus simple de dire que les Américains n’auront besoin que de la moitié de l’énergie qu’ils utilisent aujourd’hui, si nous électrifions tout, tout en améliorant nos vies. Quelle victoire[18].

De cette manière résolument optimiste, Electrify nous rassure en nous disant que nous n’aurons pas à réduire la taille de nos maisons ou à baisser les thermostats, que nos voitures pourront être « plus sportives lorsqu’elles seront électriques », que la qualité de l’air s’améliorera, que nous n’aurons pas à nous tourner vers les transports en commun ou à « porter un pull Jimmy Carter », et que nous n’aurons même pas à « interdire l’avion »[19].

DÉVELOPPER LE RÉSEAU

Pour obtenir les avantages globaux que Griffith envisage en électrifiant l’économie de l’énergie, il reconnaît que nous aurons besoin de beaucoup plus d’énergie — en fait, de trois fois la quantité actuelle de production d’électricité[20]. Par conséquent, il consacre un chapitre sur la question à savoir où se procurer toute cette énergie — « Where Will We Get All That Electricity? » — pour réfléchir à cette question importante.

Puisque l’énergie de l’avenir doit être entièrement décarbonisée dans la vision du monde de Griffith, il s’attend à ce que l’approvisionnement soit assuré par les principales énergies renouvelables — éolienne, solaire, hydroélectrique — et « éventuellement » aussi par le nucléaire (en tenant compte de cette dernière, car toutes les régions ne disposent pas de ressources solaires, éoliennes ou hydroélectriques suffisantes)[21]. Dans les zones proches de l’océan, il s’attend à ce que « l’éolien en mer soit probablement le grand producteur[22] ». Dans une digression sur la question de savoir si l’énergie nucléaire a sa place dans le tableau d’ensemble, Griffith fait allusion à une vive controverse entre professeurs d’université sur la question de savoir si « le solaire, le vent et l’eau » peuvent, à eux seuls, fournir la capacité et la fiabilité requises. Lorsqu’un professeur de Stanford, Mark Jacobson, a soutenu que ces ressources renouvelables étaient en effet à la hauteur de la tâche, cette proposition a suscité « une réaction vicieuse […] même pour les standards académiques mesquins […][23] » [traduction]. L’auteur laisse entendre que Jacobson est peut-être « trop anti-nucléaire », mais il laisse ensuite entendre qu’il pourrait être « plus facile que nous le pensons » d’atteindre la fiabilité à partir des seules énergies renouvelables, renvoyant finalement à un chapitre ultérieur pour plus de détails sur cette question[24].

Revenant à sa vision du mélange de production de l’avenir, Griffith observe que le « gros du travail » sera effectué par le solaire et l’éolien, que la « majorité » de l’énergie renouvelable proviendra de ces deux ressources ainsi que de la géothermie et de l’hydroélectricité (complétée par « un nucléaire modéré et quelques biocarburants comme filet de sécurité ») et, enfin, que « l’équilibre exact » sera déterminé par des considérations régionales, les forces du marché et l’opinion publique[25].

Quoi qu’il en soit, Electrify prévoit que « les panneaux solaires et les éoliennes » deviennent omniprésents au États-Unis. Un réseau entièrement solaire nécessiterait l’occupation d’environ 1 % de la masse terrestre, soit l’équivalent de l’espace occupé par les routes[26]. Les toits, les stationnements et les bâtiments commerciaux et industriels feraient doublement office de collecteurs de panneaux solaires, tandis que les terres actuellement utilisées pour les cultures accueilleraient également des parcs éoliens. En chiffres ronds, Griffith estime que les États-Unis devraient produire de 1 500 à 1 800 gigawatts (GW) pour alimenter sa société tout électrique, ce qui nécessiterait 15 millions d’acres de panneaux solaires dans un scénario tout solaire, ou 100 millions d’acres de parcs éoliens (dans un scénario tout éolien)[27]. Si ces chiffres semblent écrasants, Griffith nous rappelle que le terrain de jeu — l’ensemble de la masse terrestre des États-Unis — contient 2,4 milliards d’acres.[28]

En cherchant à savoir où pourraient aller tous ces panneaux solaires, Griffith a tout d’abord mis en place — et renversé — deux hommes de paille. Sa première hypothèse extrême est celle d’une station centrale dans le désert de l’Arizona qui alimenterait « toute l’Amérique »; l’autre, qui, selon lui, a la faveur de certains écologistes, est un modèle entièrement distribué (c.-à-d. limité aux toits des bâtiments occupés). Mais la première solution ne fonctionne pas, affirme-t-il, car la transmission et la distribution seraient d’un coût prohibitif; et l’autre solution — un modèle entièrement distribué — serait intenable, car il n’y a tout simplement pas assez d’espace sur les toits des résidences ou des petites entreprises pour tout le monde; des installations industrielles et commerciales, entre autres, seront également nécessaires. Sa conclusion, sans surprise, est que l’expansion du système nécessitera une approche tous azimuts : quelques installations centralisées (vraisemblablement pas dans des déserts reculés), ainsi que l’exploitation de « toute l’énergie distribuée que nous pouvons exploiter[29] ». Les terre-pleins centraux des autoroutes et les aires de stationnement sont également à prendre en compte dans le spectre des possibilités de Griffith[30].

De même, Griffith fait l’inventaire des terres susceptibles d’accueillir des parcs éoliens — en mettant l’accent sur les terres cultivées actives et inactives, ainsi que sur les parcelles de pâturage — et estime qu’elles sont plus que suffisantes[31]. Quant à la possibilité que des attitudes de type « pas dans ma cour » puissent résister à la perspective de voir des éoliennes parsemer le paysage, il propose cette série de répliques : (1) les combustibles fossiles « sont omniprésents et polluent l’arrière-cour de chacun »; (2) la société a « appris à vivre avec de nombreux changements » dans le paysage; (3) nous aurons en retour « une énergie moins chère » et un air plus pur et (4) « nous devrons équilibrer l’utilisation des terres avec les besoins énergétiques »[32]. Reste à savoir si ces arguments trouveront un écho dans l’Amérique rurale — en particulier dans les États producteurs d’hydrocarbures — ou s’ils convaincront les défenseurs de l’environnement qui préfèrent ne pas voir de panoramas d’éoliennes partout où ils vont. D’autre part, certains agriculteurs et éleveurs peuvent être avides de tout revenu supplémentaire provenant des installations d’énergie éolienne. Cela pourrait donner lieu à une sacrée bataille politique à l’avenir.

Dans une discussion plus longue sur la viabilité à long terme de l’énergie nucléaire — une technologie mature et à faible émission de carbone maintenant en place — Griffith observe que le coût total s’est avéré beaucoup plus élevé que prévu (« probablement plus cher que les énergies renouvelables »), même s’il concède que les coûts d’exploitation sont faibles et que la production est fiable[33]. Il s’attaque également au paradigme traditionnel des planificateurs de systèmes qui soutiennent qu’une certaine énergie de « base » est essentielle, affirmant que cette question est désormais débattue par les experts. À l’appui de l’hypothèse selon laquelle l’approvisionnement en charge de base ne sera pas nécessaire à l’avenir, il cite la « capacité de stockage inhérente aux véhicules électriques », les « charges thermiques variables » dans les foyers, les entreprises et les installations industrielles, ainsi que la « capacité potentielle des biocarburants de secours et de diverses batteries »[34]. Sa conclusion est que « nous avons probablement besoin de moins d’énergie de base que l’on ne croit, voire de rien du tout » [traduction].

Reprenant ce thème, Griffith souligne que le Japon et l’Allemagne ont tous deux fermé leurs unités nucléaires, tandis que la Chine « ralentit le développement de la technologie nucléaire[35] ». Cependant, Electrify aurait pu fournir un contexte plus complet à cet égard. La fermeture et l’examen de la sécurité de toutes les unités nucléaires du Japon à la suite de la catastrophe de Fukushima en 2011, bien qu’achevés, étaient provisoires : bien que de nombreuses unités nucléaires aient finalement été déclassées, neuf réacteurs sur cinq sites avaient repris leur exploitation commerciale en mars 2021[36]. En outre, une agence gouvernementale a observé que le Japon devra activer davantage de capacités nucléaires pour remplacer sa production au gaz et au charbon s’il veut atteindre ses objectifs dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat[37]. L’Allemagne, pour sa part, s’est heurtée à toute une série de problèmes de fiabilité et de difficultés économiques en poursuivant sa décision controversée de démanteler sa capacité nucléaire, tout en recourant à davantage de capacités de combustion de combustibles fossiles pour compléter son important parc d’énergies renouvelables. Enfin, il semble utile de mentionner que la France et d’autres pays européens n’ont pas renoncé à la production nucléaire.

Aussi sceptique soit-il, Griffith se garde bien de prédire la fin de l’énergie nucléaire. Il prédit que (1) pour des « raisons de sécurité nationale », les États-Unis n’élimineront pas l’énergie nucléaire et (2) qu’au-delà des frontières américaines, les nations très densément peuplées — ou celles qui « manquent de ressources renouvelables » — devront soit recourir au nucléaire, soit accéder aux énergies renouvelables grâce aux importations[38]. Il garde également la porte ouverte à la décarbonisation des technologies qui, selon lui, ne peuvent pas se suffire à elles-mêmes pour le moment. Peut-être que les énergies renouvelables liquéfiées ou la séquestration du carbone, admet-il, finiront par faire leurs preuves, mais il ajoute sans ambages : « Il est trop tard et trop dangereux de compter sur les miracles[39] » [traduction]. Il clôt le chapitre par une rafale de rhétorique écolo-populiste, fustigeant d’abord ceux qui prétendent, à l’aide d’« arguments cyniques et spécieux » et d’une « désinformation massive », que les énergies renouvelables ne peuvent pas « tout faire », puis réprimandant « le monopole des services publics parrainé par l’État qui accorde des taux d’intérêt bas aux grands projets plutôt qu’aux consommateurs qui ont besoin de remplacer leur chauffage au gaz par des systèmes solaires et des pompes à chaleur[40] » [traduction].

FIABILITÉ EN TOUT TEMPS

Étant donné que Griffith rejette l’idée selon laquelle les énergies renouvelables ne peuvent pas faire pour le réseau ce que l’énergie de base fait, il n’est guère surprenant qu’il consacre un chapitre[41] à imaginer en quoi consiste la fiabilité dans un environnement à forte intensité d’énergies renouvelables. Il commence par qualifier les « personnes qui résistent à la décarbonisation » pour des raisons de fiabilité de « dinosaures » qui « ont souvent des intérêts particuliers »[42]. Poursuivant sur ce mode, il évoque le « grand marché » du 20e siècle qui a donné aux services publics un monopole en échange de l’assurance que le service serait à la fois continu et abordable pour les « mal desservis »[43]. Cet « accord a plutôt bien fonctionné », concède-t-il, au cours du siècle dernier, mais il accuse les « entreprises de services publics » et les coopératives rurales de disposer d’un « ensemble hétéroclite d’incitations » qui les empêche de se décarboniser rapidement pour faire face au changement climatique[44].

Griffith se concentre ensuite sur une série de concepts qui, selon lui, permettront au réseau de répondre en permanence à la demande, même s’il dépend dans une bien plus large mesure de ressources « intermittentes ». Les clés résident à la fois dans l’augmentation, par un facteur de « trois à quatre fois », de la quantité d’énergie produite et dans la réimagination du réseau :

[Traduction]

« Nous n’y parviendrons pas en réglant l’ancien réseau; il faudra reconstruire le réseau avec les nouvelles règles du XXIe siècle et une technologie de type Internet[45]. »

Griffith décrit tout d’abord l’irrégularité inhérente aux charges résidentielles, et il reconnaît qu’elles seront encore plus irrégulières si, comme il le recommande, toutes les formes de consommation d’énergie domestique (plus le transport) sont converties en électricité. Il dépeint une demande plus forte le matin, une demande d’électricité presque nulle à 15 heures et une forte augmentation de la demande (y compris la recharge des véhicules électriques) lorsque la famille rentre chez elle le soir[46]. Enfin, du côté de l’offre, il esquisse les variabilités naturelles quotidiennes et saisonnières de la production d’énergie éolienne et solaire avant de se demander comment faire correspondre toutes ces variations de charge et d’offre.

La solution, selon lui, consiste à créer « beaucoup de stockage » pour les énergies renouvelables[47]. Ce n’est pas une nouveauté pour le secteur de l’énergie dans son ensemble, souligne-t-il, en notant les quantités considérables de stockage de gaz naturel et de pétrole aux États-Unis, ainsi que les piles de charbon à côté des centrales au charbon[48]. Le stockage par batterie chimique, bien qu’il soit « assez cher », admet-il, voit son coût baisser rapidement, et « le déploiement à grande échelle […] devient une possibilité réaliste[49] » [traduction]. Mais le problème, poursuit-il, c’est que les batteries sont adaptées pour « compenser » les variations horaires ou diurnes, et non pour servir de réservoirs de stockage à long terme, car elles sont trop coûteuses. Cependant, il prévoit qu’un jour, dans un avenir pas trop lointain, le stockage domestique par batteries associé à l’énergie solaire sur les toits battra le coût actuel de l’électricité du réseau public[50].

Le chapitre passe ensuite en revue les autres types de stockage d’énergie, qu’il s’agisse de batteries ou autres. La première est représentée principalement par les véhicules électriques (VE) servant de batteries supplémentaires pour alimenter le réseau (Griffith prévoit que des centaines de millions de VE le feront, fournissant ainsi une nouvelle source d’approvisionnement importante, une fois que la flotte de transport américaine sera convertie à l’électricité). Les autres types sont le « stockage thermique », le stockage hydroélectrique par pompage et un assortiment d’autres technologies qu’il ne considère pas comme prêts pour l’heure de pointe[51]. Enfin, l’auteur évoque les biocarburants — du bois aux déchets agricoles en passant par les eaux usées — comme substituts des batteries pour « combler les lacunes saisonnières […][52] ».

Pour en revenir à la gestion de la demande, Griffith suggère également de faire fonctionner les grosses charges des usines pendant la journée afin de profiter de la nouvelle abondance d’énergie solaire, observe-t-il : « nous avons réagi à l’énergie bon marché la nuit en créant des équipes de nuit dans l’industrie lourde afin que celle-ci puisse consommer cette énergie », mais dans un « monde alimenté par l’énergie solaire et éolienne, nous aurons l’occasion de repenser certaines de ces décisions »[53] [traduction]. Toutefois, les lecteurs pourraient s’arrêter sur l’idée que les équipes de nuit ont été créées pour profiter d’une énergie moins chère. Bien qu’il s’agisse d’un avantage dans les endroits où des taux modulés selon l’heure du jour sont en vigueur (ou des contrats spéciaux ont été négociés), les industries lourdes, à forte intensité de capital, avec des quarts sur 24 heures et une production continue, sont principalement organisées de cette manière pour réduire les coûts unitaires en répartissant les coûts fixes sur le plus grand nombre d’unités possible. En outre, certains grands procédés industriels se prêtent à un fonctionnement continu plutôt qu’à des cycles de montée et de descente[54]. De même, Griffith surestime probablement la flexibilité des fabricants qui peuvent modifier les calendriers de production pour mieux se synchroniser avec les flux et reflux de la production intermittente lorsqu’il affirme : « Les fabricants peuvent toujours produire la même quantité de biens à long terme, mais ils peuvent adapter leurs principales charges à l’offre d’énergie disponible au fil du temps[55] » [traduction].

Pour mettre en place un tel réseau futur basé sur des énergies renouvelables entièrement (ou en grande partie) intermittentes, Griffith, comme on pouvait s’y attendre, préconise également la construction d’une infrastructure de transmission beaucoup plus importante — surtout pour tirer parti des diversités interrégionales que procurent les énergies éoliennes et solaires[56]. Il préconise en outre, en tant qu’idée « radicale », de dépasser les limites de la capacité solaire et éolienne à développer, en vue de satisfaire même les pics hivernaux (lorsqu’un système uniquement basé sur les énergies renouvelables est mis à rude épreuve en raison de la baisse de la disponibilité du soleil, au moment où les demandes de chauffage et d’éclairage augmentent). Griffith propose deux raisonnements pour étayer cette proposition « radicale » : tout d’abord, le coût additionnel de la construction d’installations éoliennes et solaires supplémentaires pour faire face aux pics hivernaux serait moins élevé que celui de la construction de batteries de stockage suffisantes[57]; et deuxièmement, l’excédent solaire estival qui en résulterait pourrait être utilisé à bon escient « pour la production d’hydrogène ou d’ammoniac ou même pour l’élimination du carbone de l’atmosphère » [traduction] (c.-à-d. la séquestration du carbone) — des stratégies qu’il avait auparavant reléguées au rang d’impraticables ou d’improbables.

L’INFRASTRUCTURE SE TROUVE À LA MAISON

L’auteur d’Electrify a beaucoup à dire sur le coût et le financement d’une décarbonisation de fond en comble des foyers et des entrées. Qu’il s’agisse de l’énergie solaire universelle installée sur les toits ou des fours et chauffe-eau électriques, Griffith prévoit un cycle de remplacement massif, accompagné, ce qui n’est pas une coïncidence, d’un boom de l’emploi et de la prospérité qui en découle dans tous les secteurs de l’économie. L’un de ses préceptes fondamentaux est que notre conception de l’« infrastructure » doit être élargie pour englober ces nouveaux appareils domestiques entièrement électriques, y compris le stockage sur batteries et les VE[58].

Le fait de qualifier ces équipements domestiques d’« infrastructures » est le tremplin de Griffith pour demander l’adoption de nouvelles politiques publiques vastes pour financer leur achat. Les garanties de prêt et les subventions fédérales accordées aux propriétaires de maisons (et aux propriétaires de logements locatifs, lorsque les maisons ne sont pas des propriétés individuelles) sont des catalyseurs essentiels pour rendre le cycle de remplacement abordable. Tout au long de l’ouvrage, Griffith compare la décarbonisation de l’économie à un effort de guerre, de sorte que la requalification des dispositifs énergétiques domestiques en infrastructures semi-publiques renforce ce thème : c.-à-d. qu’il est du devoir du gouvernement, en cas d’urgence publique, de susciter la mobilisation et de conduire le changement[59]. Avec son air typiquement joyeux, il écrit :

[Traduction]

« La redéfinition des infrastructures nous permet d’envisager la notion intrigante selon laquelle les États-Unis ne sont peut-être qu’à un taux d’intérêt près d’une cure climatique […] Le financement de qualité des infrastructures au coût le plus bas est crucial[60]. »

Dans le chapitre suivant (ch. 10 « Too Cheap to Meter »), Griffith explique en détail que, grâce à la technologie actuelle, la production d’énergie solaire et éolienne à l’échelle d’un service public surpasse déjà celle du gaz naturel et du charbon en termes de coûts[61]. Mais sa quête ultime est de convaincre les lecteurs que pratiquement tous les toits américains devraient être équipés de panneaux solaires afin de réaliser des économies encore plus importantes que celles offertes par les énergies renouvelables à l’échelle du réseau. Sa vision est résumée dans cet extrait :

[Traduction]

« Voici le point de transformation de l’énergie solaire sur les toits : parce qu’il n’y a pas de coûts de transmission et de distribution, il peut être phénoménalement bon marché. Même si le coût de la production à l’échelle des services publics était gratuit, nous ne savons pas comment vous le transmettre et vous le vendre à un prix inférieur au coût de l’énergie solaire sur les toits. Cela ne signifie pas que le monde entier fonctionnera grâce à l’énergie solaire et aux ressources distribuées, mais cela signifie que si nous cherchons à mettre en place le système énergétique le moins coûteux, une grande partie de l’énergie américaine proviendra de nos toits et de nos communautés[62]. »

Le chapitre décrit ensuite la manière dont les coûts de la production d’énergie éolienne et solaire ont chuté de façon spectaculaire ces dernières années, et on y prévoit qu’ils continueront à chuter, « réduisant probablement de moitié le coût des énergies renouvelables — un clou dans le cercueil des combustibles fossiles[63] » [traduction].

Dans son chapitre de conclusion, « Bringing it all Home »[64], Griffith déploie un effort de modélisation élaboré pour démontrer comment un grand programme de dépenses d’investissement avec un financement à faible coût pour équiper les maisons en vue d’une production et d’une utilisation maximales des énergies renouvelables permettrait, à long terme, de « nous faire économiser de l’argent à tous » par rapport au statu quo[65]. Le chapitre est instructif en ce qu’il décrit l’éventail complet des coûts des ménages, la place de l’énergie dans le budget total et la mesure dans laquelle les coûts énergétiques pourraient être réduits en adoptant pleinement les recommandations du livre[66]. La synthèse des données effectuée par Griffith indique que l’énergie solaire sur les toits devrait couvrir environ 75 % des besoins énergétiques totaux des foyers et, en calculant un coût à long terme de 5 cents/kWh pour cette énergie produite à domicile (sur la base d’un coût de financement de 2,9 %), tout en supposant un coût moyen national de 14 cents/ kWh pour l’électricité fournie par les services publics, il obtient une économie annuelle estimée par foyer d’au moins 1 000 dollars et, « si nous nous en sortons très bien », de 2 500 dollars[67].

Nécessairement, une telle modélisation est pleine d’hypothèses. Griffith admet que ses hypothèses sont « poussées », mais « pas sans précédent »[68]. Ce qui pourrait laisser les lecteurs perplexes, c’est ce qu’il advient des coûts de transmission et de distribution qui, selon le livre, sont des éléments importants du coût de l’énergie livrée, sans parler des coûts fixes liés au maintien de stations centrales prêtes à l’emploi. Griffith ne tient apparemment pas compte de ces coûts lorsqu’il s’agit de calculer les économies massives supposées pour les utilisateurs finaux[69]. Mais les propriétaires d’énergie distribuée dépendent toujours du réseau pour l’énergie de secours, c.-à-d. l’énergie produite la nuit ou par temps nuageux, à moins qu’ils ne soient prêts à se découpler et à compter sur les batteries de leur véhicule électrique (ou sur les générateurs domestiques à combustible fossile) pour traverser les heures sans soleil. Mais même Griffith ne va pas aussi loin.

L’argument de Griffith en faveur d’une participation importante du gouvernement dans le financement de l’électrification des foyers et des voitures s’appuie également sur des considérations de « justice climatique ». Il souligne à juste titre que les riches sont les mieux placés pour assumer les « coûts d’investissement initiaux » des panneaux solaires, des véhicules électriques et autres gadgets de décarbonisation, car « ils ont accès à des crédits faciles et à des prêts immobiliers »[70] [traduction]. En effet, certains Américains bien nantis peuvent se permettre de payer leur VE de luxe grâce à leurs économies et à leurs liquidités. Pourtant, comme le souligne l’auteur, c’est le segment de la population à faible revenu qui bénéficierait le plus de toute économie de coûts attribuable à l’électrification. Et il est évident qu’une conversion massive à des systèmes domestiques et de transport entièrement électriques nécessite une approche de ne « laisser aucun ménage pour compte ». Griffith saisit donc le moment des « taux d’intérêt historiquement bas », qui coïncident avec la pandémie de 2020-2021, pour « financer les technologies et les infrastructures domestiques qui décarboniseront nos futurs modes de vie »[71] [traduction].

COMPENSER LES ANCIENNES ENTREPRISES ÉNERGÉTIQUES

Il est peut-être surprenant, étant donné les fréquentes expressions de mépris de Griffith à l’égard de l’« industrie des combustibles fossiles », qu’Electrify propose un programme de compensation pour les « actifs abandonnés » des anciennes sociétés d’hydrocarbures. Selon lui, agir autrement reviendrait à provoquer le genre de calamité financière que les États-Unis (et une grande partie du monde développé) ont connu lors de la crise du marché hypothécaire et du krach boursier de 2008. « Il est clair, déclare-t-il, que nous ne pouvons pas simplement couper l’herbe sous le pied de l’industrie qui nous a donné la modernité. Nous avons besoin d’un plan[72] » [traduction].

L’auteur jette quelques hypothèses sur les marges bénéficiaires des réserves prouvées (des chiffres qui ne sont pas forcément compensatoires, étant donné la hausse spectaculaire des prix du pétrole et du gaz depuis la mi-2021), et il arrive à une hypothèse de rachat de plusieurs milliards de dollars. La section est loin d’être étoffée; elle ressemble davantage à un geste — une offre d’ouverture dans une négociation imaginaire. De plus, on ne sait pas exactement qui paierait les billions ou si les entreprises énergétiques internationales et publiques (p. ex. les entreprises russes, saoudiennes et vénézuéliennes) allaient recevoir des versements ou si le plan de sauvetage était limité aux entreprises démocratiques occidentales.

Le délai dans lequel les entreprises de combustibles fossiles seraient rachetées n’est pas non plus très clair. Ailleurs, Electrify implique ce qui équivaut à un retrait progressif, les nouvelles machines à « énergie propre » étant achetées lorsque les anciennes atteignent la fin de leur vie utile[73]. Cela pourrait prendre des décennies. Pourtant, dans le chapitre sur la compensation de l’industrie, tout en applaudissant l’esprit des campagnes de « désinvestissement » visant à « priver lentement l’industrie des combustibles fossiles du précieux capital dont elle a besoin », l’auteur affirme que cette stratégie est trop lente pour être efficace au vu de « l’urgence et du caractère inévitable du changement climatique […] »[74] [traduction].

Dans un chapitre particulièrement intéressant pour la communauté des régulateurs (« Rewrite the Rules ! »[75]), Griffith passe en revue les diverses lois et réglementations fédérales et locales et les déclare largement inadaptées pour accélérer la transition vers un monde d’énergie propre. Le chapitre aborde de nombreux aspects, des codes de construction à la tarification, et s’en prend notamment au « comptage net » — généralement considéré comme une aubaine pour les producteurs d’énergie solaire domestique — qui n’est pas « suffisant », car les clients qui offrent un excédent d’énergie au réseau ne se voient proposer que la valeur de gros, et non de détail, de leur kWh. De même, la tarification en fonction de l’heure de consommation « n’est pas non plus suffisante », selon Griffith, car « tout le monde n’a pas le choix » du moment de la consommation[76].

Au lieu de cela, Griffith préconise une construction qu’il appelle la « neutralité du réseau », qu’il considère évidemment comme une démocratisation du système électrique, tout comme Internet l’a fait pour l’information et le commerce[77]. Dans le cadre de ce système, les ménages, comme les services publics, pouvaient acheter et vendre de l’énergie entre eux. Les services publics, admet-il, « n’aiment pas cette idée, en particulier ceux qui essaient également de protéger leurs activités dans le domaine du gaz naturel », mais cet intérêt personnel patenté ne devrait pas, selon Griffith, intimider le public et l’empêcher d’imposer une réflexion plus avant-gardiste :

[Traduction]

« Mais rappelez-vous que « nous, le peuple », régulons les services publics, donc nous n’avons pas à les craindre. Nous pouvons les contrôler; nous devons simplement exprimer notre volonté collective »[78].

CONCLUSION

L’ambitieux « livre de jeu » de 269 pages de Griffith pour un avenir énergétique décarboné, qui comporte plusieurs volets, est à la fois exhaustif et épuisant. Le défi du lecteur consiste en partie à trier, dans les boisseaux remplis de faits, de chiffres, de graphiques et d’opinions, ce qui est incontestable de ce qui est plus controversé ou « hors sujet ». Les arguments qui relèvent de ces deux dernières catégories obligeront les lecteurs à réfléchir et, si leur expertise est limitée, à chercher d’autres sources pour s’informer davantage — et à se préparer au débat.

Griffith n’est pas le plus objectif des guides. Dans un domaine qui fait généralement appel à l’empirisme, à l’équilibre, à des hypothèses conservatrices et à des jugements sobres, il apparaît souvent comme un meneur de claque et un prophète d’un mouvement qu’il considère littéralement comme le sauveur du monde. Le sérieux et la passion qu’il apporte à sa tâche semblent authentiques. Et il est bon de savoir que, même si Electrify s’enfonce dans les profondeurs techniques et politiques de son sujet, le style d’écriture de Griffith est d’une clarté et d’une aisance louables — souvent plaisantin et parfois même profane — car il s’efforce de détendre l’atmosphère et de forger une camaraderie avec son lectorat.

Parfois, Griffith se trompe tout simplement. Il fait inexplicablement référence à « l’Accord de Paris de 2016 [sic] pour éviter une crise climatique »[79]. Dans son chapitre sur la préparation à la « guerre », il nous dit qu’en 1939, « l’humeur du pays, en particulier parmi les démocrates du New Deal, était contre l’intervention dans les affaires internationales » [traduction]. Alors que le sentiment de ne pas s’impliquer en Europe à la fin des années 1930 avait des adhérents de gauche et de droite, le président Roosevelt — le leader du New Deal — a cherché à s’impliquer davantage, alors qu’il naviguait entre les vents contraires politiques qui s’opposaient à une aide active aux Alliés[80]. Le chapitre de Griffith suscitant l’enthousiasme pour une explosion des dépenses publiques afin de lutter contre le chômage et de sortir le pays de la récession[81] semble presque pittoresque au début de l’année 2022, alors que le chômage est faible, que les bons emplois se font rares et que l’inflation (en partie due aux mesures de relance du gouvernement) est une réelle préoccupation. Dans une annexe[82], Griffith s’en prend violemment à la séquestration et à l’utilisation du carbone (même en tant que complément à la combustion de combustibles carbonifères) et dénonce la fracturation et le gaz naturel — tous des piliers énergétiques du XXe siècle (ou, dans le cas de la séquestration du carbone, une technologie de pointe prometteuse)[83].

Il convient de garder à l’esprit deux mises en garde importantes. Premièrement, Griffith est un scientifique et un ingénieur, mais pas un climatologue, et il ne tente pas de réexaminer le consensus sur les GES. Au contraire, il adhère sans réserve à ses prédictions les plus sombres et s’en sert comme d’un tremplin pour mettre au défi le secteur énergétique en place d’accepter une série de changements. Deuxièmement, son analyse et ses prescriptions en matière de réforme visent expressément les États-Unis. Bien que le changement climatique soit manifestement un problème mondial, le reste de la planète ne fait l’objet que d’une attention superficielle. Son postulat est que si les États-Unis font le ménage, le reste du monde suivra. Les lecteurs peuvent se demander si cette prémisse tient la route.

Pour ceux qui sont déjà enclins à accepter que le changement climatique soit le défi le plus redoutable pour l’humanité, l’absolutisme de l’auteur et sa dévotion à l’action radicale se révéleront stimulants. Ses stratégies de remédiation, teintées d’un optimisme ensoleillé, permettront aux lecteurs persuadés d’entrer dans la mêlée avec des concepts spécifiques, ainsi que des statistiques et des graphiques à profusion. D’un autre côté, les pragmatiques de l’énergie et les sceptiques du changement climatique devraient trouver l’ouvrage utile en tant que recueil des positions que les défenseurs de l’énergie verte défendront dans les forums publics, alors autant se familiariser avec elles.

 

  1. L’article qui suit est une réimpression avec la permission de celui qui est paru dans l’Energy Law Journal, Volume 43, No 1.

* Kenneth A. Barry est l’ancien conseiller principal en matière d’énergie de Reynolds Metals Co. à Richmond, VA, et il a été conseiller dans la section de réglementation de l’énergie du bureau de Hunton Andrews Kurth à Washington, D.C. Il a également été collaborateur régulier de deux publications nationales sur le droit de l’énergie.

  1. La jaquette du livre décrit Griffith comme un « inventeur, entrepreneur et ingénieur », fondateur de Rewiring America (une organisation à but non lucratif dont la mission est de « décarboniser l’Amérique en électrifiant tout »). Dans le texte, il se présente comme un « expert en systèmes énergétiques ». Saul Griffith, Electrify: An Optimist’s Playbook for Our Clean Energy Future, Cambridge, MIT Press, 2021 à la p 2 (« Electrify »).
  2. Ibid aux pp xi, 2.
  3. Ibid à la p xi.
  4. L’ouvrage de Griffith vise directement les politiques et les pratiques des États-Unis, même s’il élargit parfois sa perspective.
  5. Ibid à la p xiii.
  6. Ibid.
  7. Ibid. Toutefois, pour illustrer la rapidité avec laquelle les choses changent dans l’économie, au début de l’année 2022 (date de la présente étude), le taux de chômage est revenu à un niveau inférieur à 10 % aux États-Unis, et le plus grand défi consiste à trouver des candidats pour occuper les nombreux postes vacants.
  8. Ibid à la p 2.
  9. Ibid à la p 11.
  10. Ibid. À ce stade, le livre renvoie les lecteurs à un « abécédaire de la science du climat » à l’annexe C.
  11. Ibid aux pp 12, 14.
  12. Ibid à la p 20. Dans le chapitre qui suit immédiatement sur les occasions que représentent les urgences (« Emergencies Are Opportunities for Lasting Change », aux pp 21–28), Griffith propose un montage de moments de l’histoire des États-Unis où les dirigeants ont répondu à des défis ou à des crises par des programmes majeurs, impliquant souvent des fardeaux financiers importants. Le « New Deal », la mobilisation pour la Seconde Guerre mondiale et la course à l’espace sont quelques exemples de cette tournée des points d’inflexion de l’histoire du XXe siècle.
  13. Ibid à la p 47.
  14. Voir généralement ibid aux pp 51–61 (chapitre « Electrify! »).
  15. Ibid à la p 61.
  16. Ibid.
  17. Ibid.
  18. Ibid. Pour l’application dans les avions, Griffith précise que les biocarburants, plutôt que les batteries, constitueront un remplacement durable.
  19. Ibid à la p 63.
  20. Ibid à la p 65.
  21. Ibid.
  22. Ibid.
  23. Ibid.
  24. Ibid à la p 66.
  25. Ibid.
  26. Ibid.
  27. Ibid. Pour nous aider à visualiser l’espace terrestre requis, Griffith inclut une page avec des carrés de différentes tailles indiquant la quantité de terre, proportionnellement, consacrée aux terres cultivées, aux forêts, aux pâturages, aux parcs ruraux, aux villes, aux routes, etc. Ibid à la p 67.
  28. Ibid à la p 68. Il se peut que certains propriétaires ne veuillent pas voir de panneaux solaires orner leur propre toit ou celui de leurs voisins, mais la considération esthétique n’est pas abordée. En outre, dans la mesure où les systèmes de distribution sont déjà installés là où les gens vivent, il n’est pas évident qu’une approche relativement plus centralisée de l’implantation des capteurs solaires coûterait trop cher du côté de la transmission et de la distribution.
  29. Ibid.
  30. Ibid à la p 69.
  31. Ibid aux pp 69–70.
  32. Ibid.
  33. Ibid.
  34. Ibid à la p 71. Dire que la Chine « ralentit » semble être une exagération. Une étude rapide de la littérature en ligne permet d’apprendre que la Chine met l’accent sur la construction de centrales nucléaires pour se diversifier et s’affranchir de sa forte dépendance actuelle à l’égard des combustibles fossiles. Elle a fait part de son intention de construire un grand nombre de nouveaux réacteurs dans le cadre de l’engagement qu’elle a pris lors de la conférence mondiale sur le changement climatique qui se tiendra à Glasgow en 2021. Voir « Nuclear power in China » (dernière modification le 10 mars 2022), en ligne : Wikipedia <en.wikipedia.org/wiki/Nuclear_power_in_China>.
  35. Voir « Japan’s Nuclear Power Plants in 2021 » (31 mars 2021), en ligne : Nippon <www.nippon.com/en/japan-data/h00967/>.
  36. Voir « Nuclear power in Japan » (dernière modification 9 mars 2021), en ligne : Wikipedia <en.wikipedia.org/wiki/Nuclear_power_in_Japan>.
  37. Electrify, supra note 2 à la p 71.
  38. Ibid à la p 72.
  39. Ibid.
  40. Ibid aux pp 75–95.
  41. Ibid à la p 76.
  42. Ibid.
  43. Ibid.
  44. Ibid à la p 77.
  45. Ibid à la p 78. En l’occurrence, dans son livre Electrify, il ne tient pas compte des nouvelles habitudes de télétravail des travailleurs de bureau engendrées par la pandémie; de même, un cycle diurne aussi simplifié ne semble pas reconnaître que les charges de chauffage ou de climatisation restent actives l’après-midi, selon la période de l’année, dans la plupart des climats — bien que Griffith reconnaisse presque simultanément que « les charges thermiques [électriques] sont grandes et lourdes ».
  46. Ibid à la p 83.
  47. Ibid.
  48. Ibid.
  49. Ibid à la p 84.
  50. Ibid aux pp 84–85. Ce chapitre ne montre pas clairement comment le stockage thermique fonctionne comme celui d’électricité, à moins que Griffith ne parle simplement d’incitations à l’interruption de la demande et au déplacement de la charge. Quelques pages plus loin, l’auteur aborde la « réponse à la demande » en tant que méthode de gestion de l’inadéquation entre la charge et l’offre.
  51. Ibid à la p 86.
  52. Ibid à la p 87.
  53. Cet examinateur connaît bien l’industrie de l’aluminium, par exemple, qui est conçue pour une production en continu. L’industrie négocie pour obtenir de l’électricité à moindre coût associée à un service continu et peut supporter certaines interruptions temporaires, mais pas pendant plusieurs heures d’affilée. Une journée nuageuse entraînant une pénurie prolongée d’énergie solaire pourrait être une catastrophe pour une fonderie d’aluminium.
  54. Ibid à la p 87.
  55. Ibid aux pp 90–91.
  56. Ibid à la p 93. Notamment, Griffith utilise un coût de production hypothétique pour l’éolien et le solaire de seulement 2 à 4 cents par kWh; ce qui semble peu, même pour l’énergie solaire à l’échelle du service public, et ne tient pas compte des coûts d’investissement supplémentaires liés à la transmission.
  57. Ibid aux pp 98–101.
  58. Plus loin dans son livre, Griffith consacre un chapitre entier — « Mobilizing for World War Zero » — à l’approfondissement de ce point, au cas où les lecteurs l’auraient perdu jusqu’à présent. Ibid aux pp 163–72.
  59. Ibid à la p 101.
  60. Ibid aux pp 104 et s. Les comparaisons des coûts de production sont toujours un sujet compliqué, et dépendent fortement des hypothèses. On peut voir immédiatement que la comparaison dans le chapitre en question utilise le « coût nivelé de l’énergie » pour la capacité éolienne, solaire et de combustibles fossiles. Mais une grande partie de la capacité des centrales au gaz naturel et au charbon est déjà construite et en service; par conséquent, leur coût d’exploitation variable est également pertinent pour une comparaison.
  61. Ibid à la p 105.
  62. Ibid à la p 109. Griffith oublie de mentionner qu’une grande partie de la réduction des coûts de l’énergie solaire est due à la prise de contrôle du secteur par la Chine. Voir Daniel Yergin, The New Map, New York, Penguin Random House, 2020 aux pp 396-97, indiquant que près de 70 % des panneaux solaires sont fabriqués en Chine; plus de 80 % par des entreprises chinoises à l’intérieur ou à l’extérieur de la Chine, et que près de 95 % des cellules solaires, qui constituent le coeur des cellules solaires, y sont produits. Yergin note que « le coût des panneaux solaires a connu une baisse extraordinaire de 85 % entre 2010 et 2019, principalement grâce à la fabrication et à la capacité massive de la Chine et aux améliorations techniques », ainsi qu’à ce qu’une organisation de défense des énergies renouvelables a qualifié de « prix défiant toute concurrence » en raison de la surcapacité de la Chine. Ibid aux pp 397–98.
  63. Electrify, supra note 2 aux pp 112–29 (chapitre 10).
  64. Ibid à la p 112.
  65. Le chapitre contient même un tableau décrivant l’utilisation de l’énergie par les ménages, État par État, ventilée par source de combustible. Ibid à la p 116.
  66. Ibid aux pp 121–22.
  67. Ibid.
  68. Outre la citation du « point de transformation » ci-dessus (Ibid à la p 105), Griffith souligne (Ibid à la p 104) que même les coûts « remarquablement bas » de l’énergie solaire à l’échelle du réseau peuvent être battus par la production domestique : « Bizarrement, cependant, l’énergie solaire sur les toits peut être encore moins chère, car si vous produisez vous-même de l’électricité, vous n’avez pas à payer pour la distribution » (Ibid).
  69. Ibid à la p 125.
  70. Ibid à la p 129. Les lecteurs en 2022 noteront toutefois que les taux d’intérêt quasi nuls invoqués par Griffith sont en train de passer à des taux plus élevés, l’inflation devenant une préoccupation dominante.
  71. Ibid à la p 133.
  72. Voir par ex l’argument de Griffith selon lequel le paiement du gouvernement pour le coût de la transition « ne s’élèverait qu’à environ 300 milliards de dollars par an pendant les 15 années de mobilisation » [traduction]. Ibid à la p 154, ou lorsque Griffith suggère que le prix élevé du « Green New Deal » doit être relativisé : « […] ce montant sera étalé sur 15 à 20 ans. Il s’agit principalement de dépenses que le pays allait faire de toute façon — tout le monde va acheter une nouvelle voiture ou deux au cours de ces 20 ans, et des appareils électroménagers, et fera des rénovations de maisons […] » [traduction] Ibid à la p 153.
  73. Ibid aux pp 133–34.
  74. Ibid aux pp 137–44.
  75. Ibid à la p 142.
  76. Ibid aux pp 143–44.
  77. Ibid à la p 143.
  78. Ibid à la p 14. L’entente été conclu en décembre 2015.
  79. À l’inverse, le sénateur Robert Taft, éminent leader républicain, s’est opposé ardemment à toute implication des États-Unis dans le conflit en Europe, jusqu’au bombardement de Pearl Harbor en décembre 1941, bien que l’isolationnisme de Taft lui attire les feux croisés des républicains libéraux. Voir généralement Sarah Churchwell, Behold, America, New York, Basic Books, 2018 pour un compte rendu du soutien ou de la tolérance des États-Unis envers les régimes fascistes en Europe à cette époque.
  80. Electrify, supra note 2 aux pp 145–61 (chapitre 15 : « Jobs, Jobs, Jobs »).
  81. Ibid aux pp 193–94.
  82. Voir Yergin, supra note 63 à la p 405 (« Le pacte climatique de Paris de 2015 a donné un nouvel élan au développement du “captage et du stockage du carbone”, ou CSC. À peu près à la même époque, un “U” pour “utilisation” a été ajouté à l’acronyme… CSUC prend de nombreuses formes aujourd’hui. Par exemple, le carbone capturé est utilisé pour fabriquer des produits comme le ciment et l’acier. la “capture directe dans l’air”, qui consiste à extraire le CO2 de l’air, semblait fantaisiste, mais des progrès ont été réalisés et des unités sont mises à l’échelle » [traduction].)

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