California Burning de Katherine Blunt

Le sous-titre, « The Fall of PG&E — and what it means for America’s power grid » (la chute de PG&E — et ce que cela signifie pour le réseau électrique des États-Unis), est très révélateur. Le livre se lit comme une nécrologie d’entreprise.

C’est une histoire de malheur du début à la fin, avec une lueur d’espoir à la fin quand on regarde l’avenir de la société de services publics appartenant à des investisseurs du nord de la Californie sous la direction d’un nouveau chef de la direction.

Le livre se concentre sur les incendies de forêt provoqués par PG&E au cours des dernières années, dont plusieurs ont donné lieu à des poursuites pénales contre l’entreprise. Ainsi, il se penche en profondeur sur les lignes de transmission qui étaient si mal entretenues que lorsque les incendies se sont produits, l’entreprise ne savait même pas quel était leur âge. Dans un cas, l’incendie a été causé par un minuscule crochet qui s’est brisé parce qu’il avait dépassé sa durée de vie utile depuis longtemps.

L’incendie qui a réduit en cendres la ville Paradise, du comté de Butte s’est déroulé en 2018. Il a incité une personne à observer qu’on pouvait compter sur PG&E pour transformer le paradis en enfer. L’incendie a tué 85 personnes, s’est étendu sur 150 000 acres et a causé 16 milliards de dollars de dommages. L’entreprise a tenté de dissimuler sa culpabilité mais a été reconnue coupable et a fait faillite, la deuxième fois en deux décennies.

Le livre aborde également l’explosion d’un gazoduc à San Bruno, près de l’aéroport de San Francisco, qui s’était produite plus tôt, en 2010. L’incendie qui a suivi a détruit 38 maisons et en a endommagé 70. Il a tué huit personnes, tout en en blessant des dizaines. Lorsque les enquêtes ont commencé, il est apparu que l’entreprise n’avait même pas de dossiers systématiques sur l’historique de ses pipelines. On a fini par découvrir que la canalisation avait été posée en 1956 et qu’elle était mal soudée.

PG&E est probablement la seule compagnie d’électricité qui a fait faillite deux fois. En effet, un grand film hollywoodien a été réalisé à son sujet[1] et il existe une référence voilée à ses travers dans un autre film. C’est une entreprise qui, pendant des années, n’a pas eu un mais deux chef de la direction, un pour la société mère et un pour le service public (qui était la seule filiale).

Ses chef de la direction se sont succédé au gré des crises qui s’enchaînaient. Leurs allées et venues ont conféré une notoriété peu enviable à la compagnie. Chaque nouveau chef de la direction arrivait en fanfare — quatre fois sur cinq, il venait d’un autre État. Leurs incroyables primes à l’embauche faisaient souvent la une des journaux. Ils partaient avec l’opprobre sur le visage mais avec une incroyable indemnité de départ qui atténuait la douleur. L’un d’entre eux est parti avec une indemnité qui s’élevait à 35 millions de dollars.

Le chef de la direction le plus notoire a été Peter Darbee. PG&E l’a fait venir d’une entreprise de téléphonie et l’a nommé directeur financier. Avec le temps, il s’est élevé au rang de chef de la direction. Darbee, soucieux de faire sa marque, a engagé Accenture, une société de conseil en gestion très coûteuse, pour refaire la culture de la compagnie d’électricité en la « transformant ». Au moins cent millions de dollars ont été dépensés en frais de consultation sans que les résultats ne soient à la hauteur de ces largesses. Apposée entre les ascenseurs de chaque étage, une affiche de « transformation » qui, malgré sa complexité, ne disait rien de tangible.

Accenture a tenté de comparer le processus de l’entreprise à celui de ses pairs, mais a découvert que PG&E ne disposait même pas de données sur l’état de ses fils et pipelines. La tenue de registres n’était pas une priorité. Il n’y avait pas de budget pour cela.

L’arrogance de Darbee était légendaire. Il était largement détesté chez PG&E. Il s’entourait de MBA issus des meilleures écoles et ils travaillaient à l’élaboration de présentations astucieuses qu’il donnait lors de forums dans tout le pays. Un autre signe de son arrogance était que les cadres avaient la priorité lorsqu’ils appuyaient sur le bouton de l’ascenseur. L’ascenseur arrivait immédiatement à leur étage, et à son bord il y avait parfois d’autres employés qui avaient voulu aller à un autre étage.

Dans sa quête d’une plus grande gloire, Darbee a licencié pas moins de 45 dirigeants pour transformer PG&E. Malheureusement, avec leur licenciement, l’entreprise a perdu beaucoup de connaissances institutionnelles car il les a surtout remplacés par des personnes issues des milieux de la finance ou des télécommunications.

Le livre n’entre pas dans les détails de son époque à la tête de l’entreprise. Grâce à des personnes qui travaillaient au service public, j’ai appris que les nouveaux cadres ne pouvaient pas faire la différence entre un kWh et un kW, et encore moins comprendre les volts, les VAR et la puissance réactive. Les frais de demande, les tarifs en fonction de l’heure de consommation, la tarification dynamique et la tarification en temps réel étaient des concepts tout aussi étrangers.

Selon un cadre supérieur de la compagnie d’électricité, Darbee a inspiré le patron aux cheveux pointus du dessin animé Dilbert, dont le créateur, Scott Adams, avait travaillé avec Darbee chez PacBell.

Le livre n’aborde pas les raisons pour lesquelles le système de choix par agrégation communautaire appelé Community Choice Aggregation (CCA) a commencé à prendre son essor en Californie, en commençant par le comté de Marin. Ce mouvement a été motivé en grande partie par un sentiment anti-service public, ainsi que par la crainte que les tarifs soient trop élevés et que l’électricité livrée ne soit ni verte ni d’origine locale.

Il est de notoriété publique que PG&E estimait qu’elle risquait de perdre tous ses clients au profit de ces nouveaux entrants. Elle s’est battue bec et ongles pour écarter la menace du CCA, a dépensé des millions pour sa campagne anti-CCA, et a échoué. Une loi d’État a été adoptée pour mettre fin au harcèlement de PG&E. Aujourd’hui, plus de 60 % des clients de son territoire de service sont maintenant desservis par des CCA.

Il y a environ dix ans, les sécheresses sont devenues une caractéristique acceptée de l’hydrologie de la Californie. Le livre nous apprend que PG&E a engagé une société d’ingénierie, Quanta, pour examiner le risque d’incendie de forêt associé à son système de transport d’énergie. Quanta a constaté que le risque était élevé puisque 60 % du système de transport d’énergie a été construit entre 1920 et 1950 et que près de 30 % du reste a été construit au cours des deux premières décennies du XXe siècle. Au milieu de tout cela, PG&E a été pénalisée par la California Public Utilities Commission (CPUC) pour avoir détourné vers les actionnaires près de 500 millions de dollars destinés à la gestion de la végétation.

Le livre évoque la rotation rapide des PDG de l’entreprise. Après la catastrophe des feux de forêt de 2017, la PDG Geisha Williams, qui avait été amenée de Floride quelques années auparavant, a été escortée vers la sortie tard un dimanche. Bill Johnson a été amené de la Tennessee Valley Authority, où il était l’employé fédéral le mieux payé. Auparavant, il avait été PDG de Florida Power, qui avait fusionné avec Duke Power, pour créer Duke Energy. Il a été nommé PDG de Duke Energy mais a été licencié dans l’heure qui a suivi pour des raisons qui n’ont pas été divulguées. Il est parti avec une indemnité de départ de plusieurs millions de dollars.

Johnson a mis en place le programme de coupure de courant pour la sécurité publique appelé Public Safety Power Shutoff (PSPS) chez PG&E, ce qui signifie que des milliers de clients ont dû endurer des jours sans électricité. Cela allait s’avérer être sa perte. Lors d’une réunion publique, une femme s’est plainte de l’inconfort qu’elle et ses jeunes enfants avaient dû endurer pendant un événement PSPS de plusieurs jours. Sa réponse, « au moins votre maison n’a pas brûlé », était dénuée d’empathie et totalement dénuée de tact.

Il a été remplacé par Patti Poppe, la cinquième PDG de PG&E en une décennie. Elle occupait le poste de PDG de Consumers Energy, la deuxième plus grande compagnie d’électricité du Michigan, dont la taille représente un tiers de celle de PG&E. Comme tous les nouveaux arrivants chez PG&E, elle a commencé à remanier l’équipe de direction, en faisant venir des cadres de Floride et de Californie du Sud. Sur les médias sociaux, elle a commencé à poster des selfies d’elle-même avec le personnel de base de l’entreprise dans différents endroits. Sa rémunération de 51 millions de dollars pour la première année a fait la une des journaux.

Elle apparaît désormais régulièrement dans les publicités de l’entreprise à la télévision. Dans le livre, elle est citée comme ayant déclaré que l’entreprise ne peut rien faire pour empêcher les arbres de tomber sur ses lignes électriques. Elle va donc enfouir 10 000 miles de lignes de distribution pour un coût de 20 milliards de dollars. Certains experts sont d’avis que les coûts pourraient être encore plus élevés, peut-être de 15 à 20 milliards de dollars supplémentaires.

En théorie, l’enfouissement réduirait le risque que les lignes déclenchent un incendie en touchant les arbres ou la végétation et réduirait également la nécessité de dépenser de l’argent pour la gestion de la végétation à perpétuité.

Elle permettrait à l’entreprise de garder une plus grande partie de ses lignes sous tension lorsque les vents de Diablo soufflent, évitant ainsi de devoir déclarer des événements PSPS. Mais le livre indique clairement que la mise sous terre ne serait pas une tâche facile. Il n’est pas certain que même la moitié des lignes puissent être enterrées. L’enfouissement nécessitera de nombreux permis, des autorisations des propriétaires fonciers (y compris le gouvernement fédéral), une ingénierie complexe et une grande quantité de travail. Pendant ce temps, PG&E est pressé de mettre à niveau son système pour électrifier les autres 95 % de ses clients.

De plus, le fait de ne mettre sous terre que les lignes de distribution n’éliminera pas le risque de déclencher des incendies de forêt. Les lignes de transport sont très difficiles à enterrer et ne sont pas incluses dans le plan de mise sous terre de l’entreprise. Ainsi, les fils de PG&E peuvent toujours déclencher des incendies de forêt.

Vient ensuite la question du coût. L’entreprise demande déjà aux organismes de réglementation de l’État 7,6 milliards de dollars de nouveaux investissements jusqu’en 2026, ce qui devrait augmenter les factures des clients de 5 % chaque année. À cela s’ajouteront de 20 à 35 milliards de dollars pour l’enfouissement du réseau de distribution. Tous ces investissements sont susceptibles d’augmenter les tarifs payés par les clients de 50 % d’ici 2026. Mais la PDG Poppe a ceci à dire : « Nous savons que nous avons longtemps soutenu que l’enfouissement était trop coûteux. C’est ici que nous disons qu’il est trop cher de ne pas enfouir » [traduction].

Reste à savoir si les organismes de réglementation approuveront ce montant colossal. Ce que cela fera aux factures des clients est tout à fait certain : elles vont monter en flèche. PG&E a déjà des tarifs d’électricité parmi les plus élevés du pays. Quel sera l’effet de cette hausse des tarifs sur les objectifs de l’État visant à remplacer les appareils de chauffage au gaz par des pompes à chaleur électriques? De combien les charges énergétiques des consommateurs vont-elles augmenter? La hausse des factures accélérera-t-elle le passage aux panneaux solaires sur les toits, voire le départ des clients derrière leurs propres micro-réseaux? Le livre n’aborde pas ces questions.

Dans de nombreuses parties du territoire desservi par la compagnie d’électricité, les lignes de distribution sont déjà enfouies dans le sol. Pourtant, elles ont subi des coupures de courant, même dans des conditions météorologiques normales.

Dans les zones où les lignes électriques sont aériennes, on voit souvent les fils passer à travers les arbres ou très près des arbres. Les poteaux sont souvent en bois et, bien souvent, ils sont penchés dans la chaussée à un angle dangereux. Des sommes insuffisantes ont été consacrées à la gestion de la végétation. Ce point n’est pas abordé dans le livre.

Le livre ne cherche pas non plus à savoir pourquoi l’entreprise a une culture de l’arrogance qui remonte aux années 1980, bien avant les faillites, l’explosion de San Bruno et l’incendie de Paradise. Les désastres de PG&E sont devenus un irritant pour les services publics du monde entier. Un expert en énergie a documenté 20 erreurs de gestion de PG&E qui ont coûté des milliards de dollars aux clients (mais qui ont souvent rapporté de l’argent aux actionnaires)[2].

Au début de l’histoire de PG&E, David Roe, avocat du Fonds de défense de l’environnement, a écrit « Dynamos and Virgins », une critique du modèle commercial de l’entreprise : construire, construire et construire. C’est ainsi que toutes les compagnies d’électricité ont gagné de l’argent. Ce parti pris existe même lorsque des options moins coûteuses, telles que l’efficacité énergétique, la réponse à la demande et l’énergie solaire à petite échelle, peuvent réduire considérablement la nécessité de construire des centrales électriques, des lignes de transport et des lignes de distribution, ainsi que les installations associées.

Les problèmes remontent plus loin dans le temps, avec la construction de la centrale nucléaire de Diablo Canyon. L’estimation initiale du coût était d’un milliard de dollars. Mais en raison d’erreurs majeures dans la construction, elle a fini par coûter plus de cinq fois plus cher.

Une grande partie de cette « couleur » est absente du livre de Katherine Blunt, qui se fonde principalement sur des entretiens avec les victimes des catastrophes de l’entreprise, des incendies de forêt et des explosions de pipelines, sur des entretiens avec les procureurs, les juges et les jurys, et sur un examen diligent des documents publics. La dimension client est absente. Cela empêche le livre de plonger profondément dans la culture de l’entreprise, qui était visible bien avant les incendies de forêt.

Même avec ces limites, le livre est à lire absolument. Il documente dans les moindres détails les nombreuses gaffes qui ont terni, peut-être de manière irrévocable, l’image de l’une des plus grandes compagnies d’électricité et de gaz d’Amérique, dont la zone de service comprend la célèbre Silicon Valley.

D’autres dirigeants de services publics devraient le lire également, afin de savoir ce qu’il ne faut pas faire. Et, plus important encore, chaque responsable de la réglementation devrait le lire. À bien des égards, la mise en accusation de PG&E exposée dans le livre est une mise en accusation tout aussi forte de la CPUC. Indirectement, le livre met également en cause les gouverneurs qui les ont nommés et les législateurs qui ont adopté les lois permettant la mauvaise conduite de PG&E, non pas une ou deux fois mais de nombreuses fois.

 

* Ahmad Faruqui, PhD, est un économiste itinérant qui possède quatre décennies d’expérience en matière de conseil, de recherche et d’enseignement.

  1. L’entreprise a été reconnue coupable de la contamination des eaux souterraines.
  2. Richard McCann, « PG&E apologizes, yet again » (2019), en ligne (blog) : Economics Outside the Cube <www.mcubedecon.com/2019/10/14/pge-apologizes-yet-again/>.

 

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