Le Guide to Energy Arbitrations[1] (guide des arbitrages dans le secteur énergétique) du Global Arbitration Review (GAR) maintient son rythme soutenu de publication avec ce qui est maintenant sa cinquième édition (2022) publiée au beau milieu des défis continus auxquels sont confrontés les marchés de l’énergie par suite de la pandémie de la COVID-19, de la perturbation de l’approvisionnement énergétique causée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de l’impact des sanctions russes imposées en conséquence et des réponses à celles-ci. Le domaine de la résolution des litiges dans le secteur de l’énergie en ces temps troublés bénéficiera tout particulièrement des racines profondes ainsi que de l’ampleur et de la portée de cette compilation de premier plan rédigée par J. William Rowley en tant que rédacteur général avec Doak Bishop et Gordon E. Kaiser, tous habilement assistés par un ensemble de conseillers et d’arbitres de premier plan en tant qu’auteurs collaborateurs.
Il s’agit d’un livre sur l’arbitrage international tel qu’il est pratiqué dans son secteur principal, l’énergie, « le modèle idéal de la mondialisation arbitrale[2] » [traduction]. Il y a donc beaucoup à apprendre pour tout praticien de l’arbitrage international grâce à la perspicacité et à l’expérience des auteurs et à la rigueur de ce livre.
L’ouvrage combine un aperçu et des conseils pratiques utiles, une analyse pointue des cas et des développements clés et de précieuses prédictions pour l’avenir, tous fournis par des personnes se trouvant dans les tranchées. Il vise à être non pas un manuel, mais l’ouvrage de référence de bureau essentiel pour les praticiens et les acteurs sur le terrain ainsi que pour les partis et les décideurs politiques.
Comme dans les éditions précédentes, les chapitres fondamentaux de l’ouvrage ont été mis à jour, tant sur le plan thématique que sur celui des développements et des principaux cas. Cette cinquième édition veille à ce que rien ne manque au praticien de l’arbitrage en matière d’énergie, du panorama du domaine dans la préface aux décisions faisant autorité des cours et tribunaux internationaux et nationaux, en passant par les nouveaux instruments internationaux et les développements clés depuis la dernière édition en 2020. Reflétant les évolutions en cours sur la scène internationale, l’ouvrage ajoute un chapitre sur les arbitrages relatifs au gaz naturel liquéfié (GNL).
Le chapitre 1 sert d’introduction au sujet et au secteur pour tout lecteur qui souhaite avoir une vue d’ensemble de l’industrie énergétique internationale et des différends en matière d’investissement liés à l’énergie. Le chapitre commence par la nature de l’industrie énergétique, le rôle joué par les organisations supranationales telles que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), ainsi que l’évolution des rôles et de l’influence des « États hôtes » et des sociétés pétrolières nationales. La deuxième partie est consacrée aux différends en matière d’investissement liés à l’énergie et aborde des sujets tels que les divers instruments internationaux applicables et le rôle des traités bilatéraux d’investissement.
La partie I, « Investor-State Disputes in the Energy Sector » (litiges investisseur-État dans le secteur de l’énergie), consiste en un chapitre sur ces litiges liés à la fiscalité, couvrant les litiges relatifs aux investissements dans le secteur de l’énergie et « l’exercice par l’État de son droit souverain concernant son régime fiscal » [traduction]. L’article rédigé par trois collaborateurs de Dentons se concentre sur la question de savoir quand les différends liés à la fiscalité peuvent être portés devant l’Institut des auditeurs internes (IIA); il examine dans quelles circonstances une mesure fiscale peut constituer une violation des normes de protection de l’IIA, puis entreprend un examen approfondi des décisions arbitrales d’Amérique latine, d’Inde, de Mongolie et d’Afrique.
La partie II, « Commercial Disputes in the Energy Sector » (litiges commerciaux dans le secteur de l’énergie) comprend cinq chapitres avec l’ajout opportun d’un chapitre par les avocats de K&L Gates Ben Holland et Steven Sparling sur les arbitrages relatifs au GNL. Les litiges couverts comprennent les litiges concernant les installations énergétiques, la construction de navires hauturiers, les services publics réglementés, les litiges dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), ainsi que les litiges liés au GNL susmentionnés.
Le chapitre 3, « Construction Arbitrations Involving Energy Facilities » (arbitrages liés aux projets de construction touchant les installations énergétiques) et le chapitre 4, « Offshore Vessel Construction Disputes » (différends liés à la construction de navires hauturiers) ont été révisés et mis à jour. Le premier se consacre aux arbitrages commerciaux entre les participants aux projets de construction d’installations énergétiques, soulignant le fait que l’arbitrage commercial est devenu le principal moyen de résolution de ce type de litige. Doug Jones expose avec talent les considérations commerciales uniques qui s’appliquent aux installations énergétiques, y compris celles qui ont des implications politiques et économiques telles que les conditions d’échange, les subventions et les taxes. En ce qui concerne les litiges relatifs à la construction de navires hauturiers, les auteurs de Haynes and Boone commencent par expliquer pourquoi l’arbitrage est la méthode préférée de résolution des litiges de construction liés au secteur maritime, principalement sous l’égide de la London Maritime Arbitrators Association (LMAA), passant en revue les types de litiges qui surviennent le plus souvent dans le cadre de la construction de navires hauturiers ainsi que la manière dont ils sont résolus. Le chapitre se termine en proposant des stratégies précieuses pour une résolution réussie de ce type de litige par l’arbitrage.
Le chapitre 5, « Disputes Involving Regulated Utilities » (litiges mettant en cause des services publics réglementés) est proposé par Gordon E. Kaiser avec un léger changement de titre dans cette édition, de l’arbitrage des activités réglementées à l’arbitrage impliquant des organismes de réglementation. Le chapitre reflète la centralité des services publics, des générateurs, des transporteurs et des distributeurs, tous soumis à une surveillance réglementaire et concluant des contrats entre eux ainsi qu’avec des tiers dans le cadre de l’exercice de leurs activités (réglementées). Nombre de ces contrats contiendront des clauses d’arbitrage. M. Kaiser se concentre donc ici sur les problèmes particuliers qui se posent dans les litiges impliquant des services publics réglementés, tels que la juridiction et les procédures parallèles, opposant souvent les organismes de réglementation aux arbitres, et soulignant les approches contrastées des tribunaux et des organismes de réglementation américains et canadiens dans ce domaine. Fondamentalement, les litiges impliquant un service public réglementé doivent-ils être soumis à l’arbitrage? Et si oui, y a-t-il des limites ou des contraintes?
Le chapitre de la dernière édition intitulé « NAFTA Energy Arbitrations » (arbitrages de l’ALENA sur l’énergie), également rédigé par M. Kaiser, a été élargi à juste titre ici pour inclure les arbitrages en vertu de l’ACEUM, qui remplace l’ALENA depuis juillet 2020. L’auteur fait le point sur les arbitrages énergétiques de l’ALENA à ce jour, y compris un certain nombre d’arbitrages hérités des dispositions transitoires, puis examine l’incidence sur le secteur de l’énergie de l’élimination, dans le nouvel accord, du chapitre 11 de l’ALENA qui donnait aux investisseurs privés le droit d’intenter des actions dans le pays hôte. Le mécanisme du chapitre 11, en donnant aux investisseurs étrangers et aux groupes d’arbitrage qui entendent leurs réclamations un moyen de passer outre la loi nationale, avait laissé le Canada et les États-Unis insatisfaits, comme le note M. Kaiser. Des cas tels que Mobil Oil[3], Mercer International[4] et Mesa Power[5] illustrent de manière frappante le problème tel qu’il s’est présenté dans le secteur de l’énergie. En revanche, le processus de règlement des différends d’État à État contenu dans le chapitre 20 de l’ALENA a été maintenu et même légèrement amélioré. Le chapitre se termine par un examen des recours disponibles pour les investisseurs lésés en l’absence d’un mécanisme semblable à celui du chapitre 11, comme l’expropriation de facto ou déguisée et d’autres fondements de la common law pour un redressement fondé sur des concepts tels que la bonne foi dans l’exécution du contrat et la faute dans l’exercice d’une fonction publique.
Le chapitre 7 est nouveau en termes d’accentuation. Il développe un sujet introduit précédemment reflétant l’importance du GNL dans le monde d’aujourd’hui. Ici, les auteurs s’appuient sur un chapitre antérieur de Steven P. Finizio et de ses collègues de WilmerHale (dans la troisième édition) fournissant un aperçu détaillé des arbitrages dans ce sous-secteur particulier du marché de l’énergie, qui a acquis une importance géopolitique significative à la suite de l’invasion de l’Ukraine, la Russie étant le plus grand exportateur mondial de gaz naturel par gazoduc. Le conflit a entraîné une croissance importante du marché du GNL en peu de temps et a créé un besoin pressant de construire d’autres installations ou d’agrandir les installations existantes pour recevoir ou regazéifier le GNL. Le chapitre se penche principalement sur les types de litiges liés au GNL qui peuvent conduire à l’arbitrage, tels que le défaut de livraison, les cargaisons manquées, les effets de l’offre excédentaire, le rééchelonnement et le détournement, les problèmes de capacité/d’utilisation des terminaux, les litiges sur les prix et diverses circonstances de force majeure.
La troisième partie est intitulée « Contractual Terms » (dispositions contractuelles) et comprend, comme les éditions précédentes, des chapitres sur l’évolution des arbitrages de révision des prix du gaz naturel et des arbitrages de révision des prix du gaz. Dans le premier, le chapitre 8, Stephen P. Anway, George M. von Mehren, Michelle Glassman Bock et Max Rockall exposent l’évolution des arbitrages de révision des prix depuis le milieu des années 1990, et présentent une analyse et un historique intéressants de la clause de révision des prix, ainsi qu’une vue d’ensemble de l’état actuel et de l’avenir anticipé des cas d’arbitrage de révision des prix, « les litiges commerciaux de plus grande valeur dans le monde d’aujourd’hui » [traduction]. Dans leur section « Asia-the future is now » (l’Asie – l’avenir, c’est maintenant), les auteurs font le point sur ce qu’ils avaient prédit précédemment comme étant le nouveau « champ de bataille pour les arbitrages de révision des prix du GNL » [traduction], à savoir la Chine, le Japon et la Corée du Sud, les trois plus grands importateurs de GNL au monde. Citant l’impact d’événements externes tels que la crise économique et le conflit russo-ukrainien, les auteurs soulignent le rôle démesuré des événements externes, plutôt que des changements dans les clauses contractuelles, les droits légaux ou les actions des parties, comme les principaux moteurs de changement dans ce type d’arbitrage énergétique.
Dans le chapitre 9, « Gas Price Review Arbitrations » (arbitrages relatifs à la révision des prix du gaz), Marco Lorefice, d’Edison SpA, développe le chapitre précédent de la quatrième édition en fournissant des informations précieuses basées sur son expérience personnelle des cas de révision des prix et des contrats de vente et d’achat de gaz à long terme. Après une explication utile de la nature de ces litiges (distincts des réclamations pour force majeure ou difficultés économiques) et du processus de révision des prix, Lorefice souligne que les arbitrages de révision des prix du gaz ne sont « pas seulement un litige juridique ». Au contraire, « une partie importante du litige[…] est basée sur l’économie du marché, l’algèbre et des calculs sophistiqués » [traduction]. Le chapitre comprend de nouveaux éléments sur les déclencheurs, leur relation avec le prix de vente contractuel ainsi qu’une analyse détaillée des questions relatives à la compétence et à l’admissibilité.
Le livre se termine par la partie IV, « Procedural Issues in Energy Arbitration » (questions de procédure dans les arbitrages au sein du secteur énergétique), qui fait suite aux éditions précédentes de cet ouvrage. Le chapitre 10 contient un examen complet et une mise à jour des principaux développements sur les clauses de règlement des différends à plusieurs niveaux en tant que conditions juridictionnelles préalables à l’arbitrage, un sujet de plus en plus important dans les arbitrages internationaux de tous types, par les avocats de Bennet Jones Vasilis F. L. Pappas et Artem N. Barsukov, un sujet abordé pour la première fois dans l’édition 2017 de cet ouvrage. Les auteurs proposent un examen complet du traitement de ces clauses tant par les tribunaux nationaux de divers pays que par les tribunaux arbitraux. Le chapitre se termine par un ensemble de lignes directrices pratiques utiles à la fois pour les praticiens de l’arbitrage et les avocats transactionnels.
La conclusion du chapitre 11 offre un commentaire réfléchi et sévère de M. Kaiser. Dans « The Challenges Going Forward » (défis en allant de l’avant), l’auteur nous rappelle les commentaires précédents sur les défis très réels auxquels sont confrontés les arbitrages en matière d’énergie, à savoir l’augmentation des coûts, le chevauchement des procédures, la partisanerie rampante et ce qu’il appelle le conflit de politique publique : les droits des investisseurs privés qui se heurtent à la législation nationale, entravant parfois la capacité des pays hôtes à poursuivre leurs programmes législatifs et politiques, un problème illustré de la manière la plus frappante par l’ALENA, mais qui, selon l’auteur, ne se limite pas à l’Amérique du Nord. Le défi pour l’arbitrage international en matière d’énergie aujourd’hui, explique M. Kaiser, vient du changement du paysage énergétique, qui passe des combustibles fossiles aux énergies renouvelables. Les énergies renouvelables ont radicalement changé les marchés et les politiques énergétiques à l’échelle mondiale et, selon M. Kaiser, ce changement modifie également « le visage de l’arbitrage ». L’impact des programmes d’incitation mis en place par les gouvernements nationaux pour stimuler le passage aux énergies renouvelables a entraîné une vague d’arbitrages difficiles (100 cas en deux ans!) qui, avec le conflit de politique publique susmentionné, a conduit à un véritable retour de bâton contre l’arbitrage international. Il en résulte que les États tentent de plus en plus de microgérer les règles, la pratique et la procédure de l’arbitrage international, comme en témoignent les nouvelles dispositions du nouvel ACEUM limitant la portée du traitement équitable et national et de la protection et de la sécurité intégrales et, surtout, la restriction de l’utilisation de la clause de la nation la plus favorisée (NPF) pour importer des normes et de la jurisprudence d’autres traités. Selon M. Kaiser, les prochaines années s’annoncent tout aussi difficiles que les précédentes : les conséquences de l’échec de l’Accord de Paris sur les objectifs d’émissions deviennent évidentes et se répercutent sur le monde de l’arbitrage en matière d’énergie et toutes les implications (et peut-être les séquelles) de la guerre en Europe inciteront à développer de nouvelles technologies et de nouvelles sources d’énergie. Les nouveaux investissements massifs prévus dans l’énergie exigeront beaucoup du processus d’arbitrage international.
Les arbitrages dans le secteur de l’énergie et des ressources ont constitué la majorité des arbitrages internationaux au cours des dernières années. On peut s’attendre à ce que cela se poursuive dans les années à venir, voire à ce que cela augmente. Le Guide to Energy Arbitrations du GAR, comme il l’est depuis 2015, continue d’être le guide opportun des praticiens en ce qui concerne tant les développements juridiques et macroéconomiques que la défense des intérêts et la pratique dans ce domaine important de l’arbitrage international.
* Ralph Cuervo-Lorens est associé et avocat spécialisé en réglementation chez McMillan LLP. Il est co-président du groupe environnemental national du cabinet et membre du groupe des ressources naturelles et de l’énergie du cabinet ainsi que du groupe des litiges complexes et des régimes réglementaires.
- J William Rowley, Doak Bishop et Gordon E Kaiser, The Guide to Energy Arbitration, 5e éd. (Londres, UK : Law Business Research Ltd, 2022), en ligne : Global Arbitration Review <globalarbitrationreview.com/guide/the-guide-energy-arbitrations/fifth-edition>.
- Ibid.
- Mobil Investments Canada Inc. v Canada, 2020 ICSID ARB/15/6; Mobil Investments Canada Inc. and Murphy Oil Corporation v Canada, 2015 ICSID ARB(AF)/07/4 [Mobil Oil].
- Mercer International, Inc. v Canada, 2018 ICSID ARB(AF)/12/3 [Mercer International].
- Mesa Power Group LLC (USA) v Government of Canada, 2016 PCA 2012-17 [Mesa Power].