Quelle est la « valeur ajoutée » apportée par les organismes de règlementation des services publics?

I. INTRODUCTION

En 2022, à la suite d’une discussion avec l’organisme de règlementation des services publics de Mongolie concernant l’importance de l’évaluation des performances des services publics, un délégué a demandé comment les organismes de règlementation évaluaient, de leur côté, leur propre performance.

Il a été étonnamment difficile de répondre à cette question. Les indicateurs traditionnels utilisés par les organismes de règlementation — tels que le délai d’exécution des procédures ou le coût de la règlementation — semblaient bien loin de mesurer leur valeur ajoutée. Si l’on s’en tient à ces seuls critères, l’absence de règlementation serait la solution la plus souhaitable.

Il y a de nombreuses années, Jim Rohn a déclaré : « Nous sommes payés pour apporter de la valeur au marché » [traduction][1]. Quelle est donc la valeur ajoutée apportée par les organismes de règlementation des services publics ?

Afin de définir les principaux résultats attendus des organismes de règlementation de services publics, nous devons remonter dans le temps jusqu’aux travaux fondamentaux de James Bonbright[2]. Ces résultats pourraient servir de base pour mesurer la valeur ajoutée d’un organisme de règlementation de services publics et, par conséquent, fournir des détails sur les performances d’un organisme de règlementation de services publics.

II. BONBRIGHT ET LES RÉSULTATS ATTENDUS DES ORGANISMES DE RÈGLEMENTATION

La règlementation économique des services publiques a été instaurée au début du XXe siècle pour faire face au risque que représentaient les monopoles naturels pour la société. L’ouvrage de Bonbright sur les principes de tarification des services publics intitulé Principles of Public Utility Rates[3] publié pour la première fois en 1961, s’articulait autour d’un modèle de monopoles[4] d’électricité verticalement intégrés et traitait de la tarification essentiellement comme un exercice d’équilibre entre la capacité des entreprises de services publics à attirer des capitaux et celle des contribuables[5], le tout dans le cadre de « l’intérêt public ». Comme l’a déclaré Bonbright dans Principles of Public Utility Rates, le respect total ou partiel des principes de la politique de tarification sert l’intérêt public[6].

Le chapitre de Bonbright intitulé Criteria of a Fair Return[7] (les critères du rendement équitable) constitue un point de départ pour l’élaboration des principaux résultats attendus d’un organisme de règlementation des services publics. Pour commencer, afin de nous concentrer sur les principaux résultats attendus d’un organisme de règlementation, nous reformulons les critères de Bonbright comme suit :

Critères de rendement équitable de Bonbright Principaux résultats attendus des organismes de règlementation
Assurer la stabilité financière. Garantir la stabilité financière des entreprises de services publics règlementées.
Encourager les pratiques de gestion efficaces. Inciter les entreprises de services publics à fonctionner efficacement et dans l’intérêt du public.
Promouvoir le rationnement des consommateurs. Encourager une consommation intelligente de l’énergie.
Fournir aux contribuables un niveau tarifaire raisonnable, stable et prévisible. Viser des tarifs sur lesquels les consommateurs peuvent compter, sans surprises.
Garantir l’équité pour les investisseurs. Promouvoir des conditions de concurrence équitables pour tous les acteurs du secteur des services publics.

 

Ces résultats sont liés à la mission principale des organismes de règlementation des services publics, qui consiste à gérer le risque de monopole pour les contribuables et la société dans son ensemble, tout en veillant à ce que les entreprises de services publics puissent réunir des capitaux suffisants pour accomplir leur mission. Lorsque l’organisme de règlementation a d’autres responsabilités (comme faciliter l’accès au marché), des résultats supplémentaires peuvent lui être exigés.

Chacun de ces cinq éléments est décrit plus en détail ci-dessous.

1. Garantir la stabilité financière des entreprises de services publics règlementés

Bonbright affirme que parmi ces cinq principes, une place importante — peut-être même la toute première — doit être accordée à la stabilité financière d’une entreprise de services publics :

la fixation de tarifs inférieurs à un niveau permettant à une entreprise de services publics de recouvrer ses frais d’exploitation légitimes et d’atteindre un rendement sur investissement suffisant pour maintenir un crédit d’entreprise sain, se traduira sur le long terme, par une entreprise incapable de remplir ses obligations de servir la communauté [traduction][8].

Bonbright indique également que le non-respect du principe de stabilité financière peut avoir d’autres conséquences négatives pour les clients, notamment un coût de financement plus élevé, une détérioration de la fiabilité et des coûts plus élevés dans l’ensemble s’il en résulte un écart par rapport à la planification à long terme la moins coûteuse.

En effet, la présence d’entreprises de services publics détenues par l’État qui éprouvent des difficultés financières est souvent le signe d’un territoire de compétence qui ne dispose pas d’un organisme de règlementation indépendant efficace. Des exemples de ce problème peuvent être observés en Papouasie-Nouvelle-Guinée et au Sri Lanka[9].

Scott Hempling, professeur au centre de droit de l’Université Georgetown où il enseigne le droit relatif aux services publics, relève huit questions que les tribunaux ont posées pour évaluer si les tarifs des services publics sont suffisants pour maintenir leur stabilité financière :

  • Les recettes sont-elles suffisantes pour développer le service et maintenir le fonds de roulement ?
  • Les recettes sont-elles suffisantes pour garantir que les services offerts aux clients ne seront pas compromis ?
  • Les flux de trésorerie sont-ils suffisants pour les opérations et le paiement des dettes ?
  • Le ratio d’endettement reflète-t-il la solidité financière?
  • Les notations des obligations sont-elles suffisantes pour maintenir l’intégrité financière du service public?
  • La qualité des bénéfices — en particulier les travaux en cours et les provisions pour fonds utilisés pendant la construction en pourcentage du revenu net — est-elle suffisante pour maintenir l’intégrité financière du service public?
  • Le ratio de couverture des intérêts est-il solide?
  • Existe-t-il d’autres facteurs affectant la valeur de l’entreprise?[10]

Ceux-ci pourraient être utilisés pour déterminer, pour chaque service public règlementé, s’il existe un problème de viabilité financière.

Cependant, cela ne signifie pas à ce que la solution de l’organisme de règlementation des services publics aux problèmes de viabilité financière doit toujours être l’augmentation de ses tarifs. Les organismes de règlementation ne sont pas tenus de garantir le rendement des entreprises de services publics devant la pression de la concurrence. Ils offrent simplement à ces organismes la « possibilité » d’obtenir un rendement équitable[11].

L’Office of Gas and Electricity Markets (l’Ofgem), l’organisme de règlementation britannique, ajoute qu’il est important que le cadre de la règlementation n’offre pas de rendements excessifs, ne récompense pas l’inefficacité ou le « renflouement » d’une entreprise qui a connu des difficultés financières en raison de son propre comportement[12].

Les réponses des organismes de règlementation aux problèmes de viabilité financière relevés peuvent donc inclure diverses approches, comme augmenter les tarifs; équilibrer les tarifs; déprécier des actifs; ou, lorsque les problèmes de viabilité financière sont le résultat de restrictions sur les augmentations de tarifs imposées par le gouvernement, en alerter le gouvernement concernant le problème.

2. Inciter les entreprises de services publics à fonctionner efficacement et dans l’intérêt du public

Le deuxième résultat attendu est d’inciter les entreprises de services publics à fonctionner efficacement et dans l’intérêt du public.

Les organismes de règlementation ont la capacité unique de proposer des incitatifs financiers pour encourager un service public à aller dans une direction ou une autre. Cependant, pour utiliser cet outil efficacement, l’organisme de règlementation doit comprendre clairement non seulement quels sont les résultats souhaités pour les entreprises de services publics, s’il est compétent pour encourager ces résultats, mais aussi les outils qu’il peut utiliser pour inciter un service public à les offrir.

Résultats d’Intérêt Public

Pour que la règlementation soit efficace, il est essentiel que l’organisme de règlementation comprenne bien à quoi devraient ressembler les résultats axés sur l’intérêt public (sous les limites de son mandat de règlementation) pour chaque service public qu’il règlemente. Scott Hempling suggère à l’organisme de règlementation déterminé de se poser la question suivante :

Ai-je une définition de « l’intérêt public » ? Ai-je rendu ma définition transparente en la présentant à mes collègues commissaires et aux parties qui comparaissent devant ma commission ? Ma définition correspond-elle à celle de mes collègues commissaires ? Dans la négative, ai-je déterminé les différences ? [traduction][13].

La boîte à outils favorisant l’intérêt public décrit l’approche utilisée par la nouvelle autorité Néo-Zélandaise de l’électricité pour définir son rôle. Cette boîte à outils pourrait aider les organismes de règlementation qui cherchent à élaborer leur propre définition de l’intérêt public[14].

Cette boîte à outils comprend une liste de contrôle pour favoriser l’intérêt public, qui pourrait servir à définir les résultats qui relèvent de la compétence d’un organisme de règlementation économique. Pour la règlementation économique, ces résultats comprennent :

  • le respect des exigences légales;
  • l’équité (prix évitant toute discrimination indue);
  • l’efficacité économique (décisions d’exploitation et d’investissement efficaces du service public, décisions efficaces des clients, innovation);
  • la fiabilité et la sécurité;
  • la satisfaction des clients[15].

Soutenir l’efficacité économique constitue un résultat clé de la règlementation économique. Cependant, la transition vers l’énergie propre rend plus difficile la détermination des résultats efficaces dans l’intérêt public.

Par exemple, alors que la règlementation des services publics était traditionnellement agnostique en ce qui concerne le choix du combustible par le client, il peut désormais être dans l’intérêt public d’encourager les clients à opter pour des combustibles plus propres lorsqu’ils prennent des décisions en matière d’investissement. La nécessité pour les organismes de règlementation d’avoir une meilleure visibilité sur ces nouveaux risques est décrite dans un article récent intitulé « Stuck in the 1950’s : Updating Regulatory Mandates for the 21st Century » (coincé dans les années 1950 : actualiser les mandats règlementaires pour le XXIe siècle)[16].

De plus, si les organismes de règlementation économique ne sont peut-être pas chargés d’aborder des questions sociales plus larges, étant donné leur rôle premier de suppléance au marché concurrentiel, les considérations d’intérêt public suggèrent qu’ils doivent prendre en compte l’acceptabilité de leurs décisions par l’opinion publique.

Les investisseurs sur les marchés concurrentiels considèrent de plus en plus les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) comme un élément essentiel pour construire une entreprise plus durable. Ainsi, les organismes de règlementation doivent également s’interroger sur la nature de ces attentes sociales, sur l’opportunité d’inciter les entreprises de services publics à y répondre et, le cas échéant, sur la capacité de l’entreprise à les satisfaire.

Cadre règlementaire

Une fois que l’organisme de règlementation a déterminé les résultats souhaités pour chaque service public qu’il règlemente, il peut évaluer si le cadre règlementaire existant fournit des incitations appropriées pour que les entreprises de services publics atteignent ces résultats.

L’organisme de règlementation dispose d’une série d’outils pour mettre en place un cadre règlementaire qui encourage une gestion efficace des services publics. Cependant, l’organisme de règlementation doit connaître le fonctionnement de ces règlements. Comme le dit Malcolm Sparrow :

l’organisme de règlementation doit maîtriser chacune des différentes structures de règlementation — connaître les forces et les faiblesses de chaque modèle — et être capable de déterminer quels modèles fonctionneraient le mieux pour les différentes catégories de risque [traduction][17].

M. Sparrow souligne qu’il n’existe pas de « meilleure » approche règlementaire pour un secteur particulier, voir même au sein d’une seule entreprise. Il précise qu’au sein de chaque entreprise, les risques sont multiples et qu’il n’y a aucune raison de supposer qu’un modèle adapté à une catégorie de risque est le meilleur modèle pour d’autres catégories de risque[18].

Quels sont donc les outils dont disposent les organismes de règlementation des services publics? Ces outils peuvent comprendre :

  • La règlementation des coûts du service : L’organisme de règlementation examine le budget de la compagnie et lui donne la possibilité de recouvrir ses coûts approuvés avec un rendement du capital investi par le biais de la règlementation. Ce modèle n’incite que faiblement la compagnie à trouver des économies de coûts opérationnels entre les dossiers tarifaires, et fournit une forte incitation à favoriser la construction d’actifs par rapport à d’autres solutions axées sur la demande.
  • Les tarifs pluriannuels : Les niveaux de tarifs sont fixés en fonction d’une formule sur une période pluriannuelle (par exemple, des augmentations annuelles liées à l’inflation) afin d’encourager le service public à rechercher des économies de coûts opérationnels. Des mesures de niveau de service, telles que la fiabilité et le service à la clientèle, garantissent que les économies ne sont pas réalisées au détriment de la qualité du service. Cela incite le service public à trouver des économies opérationnelles, mais peut décourager les investissements dans l’innovation et l’efficacité énergétique. Une variante de cette approche consiste à plafonner les coûts contrôlables (au lieu des niveaux de tarifs) afin de supprimer l’effet dissuasif de l’efficacité énergétique, mais peut également décourager une électrification bénéfique.
  • Les mécanismes d’incitation à la performance : Il peut s’agir d’un « complément » aux deux approches ci-dessus. Le service public est autorisé à percevoir des montants supplémentaires si certains résultats sont atteints (tels que la réalisation d’objectifs d’efficacité énergétique, la réduction du délai de raccordement pour la production décentralisée ou la mise en place d’une consultation significative auprès des clients).
  • Les règles et sanctions : L’organisme de règlementation peut élaborer des règlements que le service public doit respecter, telles que des normes de fiabilité obligatoires.
  • Les cadres fondés sur les risques : Pour les risques tels que la cybersécurité, les conditions météorologiques extrêmes et les incendies de forêt, l’organisme de règlementation pourrait également inclure des cadres fondés sur les risques, tels que ceux décrits dans l’article Hackers and Extreme Weather (pirates informatiques et conditions météorologiques extrêmes)[19].

L’organisme de règlementation peut également décider de ne pas du tout règlementer un service public (par exemple lorsqu’il est détenu par des clients ou qu’il ne fournit pas un service monopolistique) ou de ne le règlementer que dans certaines circonstances (par exemple, si une plainte est reçue).

Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive de tous les outils règlementaires possibles. Par exemple, l’autorité de règlementation britannique l’Ofgem a constaté en 2010 que le cadre règlementaire existant ne soutenait pas l’innovation et a donc procédé à d’importants changements, dont un ensemble de mesures de stimulation de l’innovation[20].

L’essentiel est que l’organisme de règlementation examine si la structure règlementaire existante fournit à la direction du service public les incitations appropriées pour obtenir les performances souhaitées. Si ce n’est pas le cas, l’organisme de règlementation pourrait vouloir y remédier.

Étude de cas – Organisme de règlementation de la Grande-Bretagne

La Grande-Bretagne est un exemple d’organisme de règlementation qui revoit constamment son ensemble d’outils de règlementation à la lumière de l’évolution du contexte.

En réponse aux objectifs de décarbonisation, la Grande-Bretagne est en train de créer une nouvelle entité qui sera responsable de la planification à long terme des réseaux de gaz naturel et d’électricité — appelée Future System Operator. Ces plans de réseau préciseront l’infrastructure de réseau nécessaire pour atteindre les objectifs de carboneutralité à long terme au coût global le plus bas pour les consommateurs[21].

L’organisme britannique de règlementation de l’électricité et du gaz (Ofgem) est en train de revoir son cadre de règlementation à la lumière de ce changement. L’Ofgem indique que l’opérateur de réseau futur (et non la compagnie d’électricité) disposera désormais d’une connaissance approfondie des actifs et des conditions de la demande, ce qui lui permettra d’envisager des cadres règlementaires qui n’étaient pas envisageables jusqu’à présent[22].

Il s’agit notamment d’envisager un cadre règlementaire de type « planifier et livrer », dans lequel l’expansion du réseau s’effectue conformément aux plans de réseau descendants préparés par l’opérateur de réseau futur. Cette approche vise à réduire le risque que les investissements nécessaires ne soient pas réalisés[23].

Bien que cela puisse sembler comme un pas en arrière — par rapport à la règlementation incitative présentement utilisée en faveur d’une approche plus prescriptive — cela démontre comment les cadres règlementaires peuvent et devraivent évoluer avec les conditions changeantes du marché.

3. Encourager une consommation intelligente de l’énergie

Le troisième résultat attendu d’un organisme de règlementation des services publics est d’encourager une consommation intelligente de l’énergie, ce que Bonbright appelle le « critère de rationnement du consommateur »[24].

Bonbright décrit cela comme des tarifs qui encouragent toute consommation pour laquelle les contribuables sont prêts à payer les coûts marginaux évitables, et qui découragent toute consommation pour laquelle les contribuables ne sont pas prêts à payer ces coûts. Les recettes totales doivent également couvrir les coûts totaux.

Comme l’explique Scott Hempling :

Les clients ne sont pas des bénéficiaires passifs des services publics. Ils créent la demande qui entraîne des coûts pour les entreprises de services publics. Tout comme les habitudes de conduite individuelles facilitent ou entravent le flux de circulation, facilitant ou ralentissant les déplacements de tous les autres, la consommation des clients influence les structures des coûts, les opérations, les plans d’investissement et le financement de l’entreprise de services publics. Les clients vigilants contribuent à la compétitivité des marchés, tandis que les clients indifférents soutiennent l’inertie — cette force puissante qui maintient l’opérateur historique en place [traduction][25].

Alors, comment l’organisme de règlementation peut-il savoir s’il encourage une consommation intelligente de l’énergie? Les organismes de règlementation peuvent vérifier si un service public, dans le cadre de sa tarification et de ses programmes d’efficacité énergétique et d’électrification, propose les bonnes incitations à ses clients.

Bonbright, lorsqu’il discute de ses principes de conception des tarifs[26], déclare que l’efficacité est mieux soutenue lorsque les tarifs reflètent les coûts marginaux dans la mesure du possible. Cependant, bien que cette approche soit théoriquement valable, les clients peuvent ne pas réagir efficacement à des signaux de prix précis en raison de biais comportementaux, de l’inattention et des coûts de transaction. Les niveaux de revenus des clients peuvent également affecter l’élasticité des prix[27].

De plus, même sur des marchés de gros de l’énergie concurrentiels avec des prix marginaux locaux transparents, il peut être difficile de déterminer le coût marginal des externalités (telles que les émissions environnementales) et des investissements forfaitaires dans la distribution régionale.

Par exemple, les compagnies d’électricité pourraient se retrouver dans une situation circulaire consistant à concevoir des tarifs ne comportant qu’une faible différence entre les heures de pointe et les heures creuses, en partant du principe que la réaction des clients sera trop faible pour différer les coûts du réseau[28].

Par conséquent, l’approche soutenue ici consiste à adopter une démarche plus holistique. Au lieu de se contenter d’évaluer la conception des tarifs des services publics pour voir s’ils signalent les coûts marginaux appropriés, la règlementation pourrait se demander si les tarifs existants favorisent un comportement efficace des consommateurs.

Par exemple, y aurait-il un avantage net à tirer de tarifs marginaux plus élevés (pour promouvoir l’efficacité énergétique), de réduire les tarifs marginaux de l’électricité (pour promouvoir l’électrification), ou de modifier les écarts entre les heures de pointe et les heures creuses (pour favoriser le décalage de la charge de consommation)?

Hempling affirme que les organismes de règlementation des services publics devraient régulièrement rechercher et déterminer les meilleures pratiques des clients, puis agir pour induire ces comportements.

Bonbright soutient également ce point de vue en déclarant qu’il est pratiquement impossible d’exagérer l’importance de la fonction de modification comportementale des prix sur tous les agents économiques, en notant que les tarifs sont souvent basés sur des coûts historiques, mais qu’ils ont l’impact le plus profond sur les comportements futurs.

L’organisme de règlementation devrait également envisager d’autres outils pour promouvoir l’utilisation intelligente de l’énergie, tels que des programmes d’efficacité énergétique ou de changement de combustible visant les services publics. L’article « Effectiveness and Balance »[29] (efficacité et équilibre) décrit comment les organismes de règlementation peuvent évaluer les programmes d’efficacité énergétique des entreprises de services publics afin de déterminer s’ils favorisent une consommation intelligente de l’énergie.

Voici d’autres questions qu’un organisme de règlementation des services publics pourrait se poser pour déterminer si les tarifs/programmes des entreprises de services publics encouragent une utilisation intelligente de l’énergie :

  • Tarifs de facturation nette : Le tarif de détail est-il une approximation raisonnable de la valeur de l’électricité produite par le producteur décentralisé (y compris les avantages liés au réseau et aux avantages accessoires)?
  • Tarifs d’électrification : Ces tarifs sont-ils fixés entre les coûts marginaux (au minimum) et les coûts autonomes? Ces tarifs tiennent-ils compte des options concurrentielles des clients?
  • Tarifs pour les véhicules électriques (VE) : Les tarifs fixés pour les bornes de recharge publiques reflètent-ils l’avantage qu’un service public peut tirer de l’adoption accrue des VE et de la recharge à domicile?

L’organisme de règlementation devra également veiller à ce que les tarifs proposés par les entreprises de services publics répondent aux attentes environnementales, sociales et de gouvernance du public. Comme le note Bonbright, l’élaboration d’une politique tarifaire saine nécessite le recours à des compromis judicieux, car il ne s’agit pas d’une science exacte, mais de la conciliation d’objectifs différents.

4. Viser des tarifs sur lesquels les consommateurs peuvent compter, sans surprises

Le quatrième résultat attendu d’un organisme de règlementation de services publics est de viser des tarifs d’énergie (stables et prévisibles) sur lesquels les consommateurs peuvent compter, sans surprises.

Les organismes de règlementation des services publics disposent d’outils pour promouvoir la stabilité des tarifs que les entreprises des marchés concurrentiels n’ont pas. Ils peuvent notamment autoriser le service public à reporter des coûts ou des recettes à des périodes ultérieures. Cependant, il convient de faire preuve de prudence dans le recours à ces outils, car ils pourraient fausser les signaux de tarification et soulever des questions d’équité intergénérationnelle.

L’organisme de règlementation pourrait donc se demander si le cadre règlementaire assure un niveau optimal de stabilité des tarifs, tout en préservant les signaux de prix pour les clients, en équilibrant correctement les risques entre les clients et le service public, et en soutenant l’équité intergénérationnelle.

De plus, l’organisme de règlementation peut jouer un rôle dans la prévisibilité des tarifs en veillant à ce que la conception des tarifs soit compréhensible pour les clients et en informant ces derniers de toute augmentation significative prévue des tarifs à l’avenir. Cela est d’autant plus important lorsque la transition vers l’énergie propre exerce une pression à la hausse sur les tarifs.

5. Promouvoir des conditions de concurrence équitables pour tous les acteurs du secteur des services publics

Bonbright déclare que les quatre premiers principes sont axés sur le consommateur — des choses qu’un client voudrait de toute façon. Le dernier principe est plutôt axé sur le soutien de l’histoire de la loi sur la tarification en tant que moyen de protéger les propriétaires de biens de services publiques contre la confiscation de leurs actifs.

Plus précisément, les entreprises de services publics ont l’obligation de desservir les clients sur leur territoire, et l’organisme de règlementation a l’obligation de leur donner la possibilité d’obtenir un rendement équitable. Tout ce qui n’est pas l’occasion d’obtenir un rendement équitable équivaut à une confiscation. L’organisme de règlementation doit s’assurer qu’il s’acquitte de cette obligation pour chaque entreprise de services publics qu’il règlemente.

La transition énergétique soulève des questions quant à l’approche règlementaire appropriée pour garantir l’équité envers les investisseurs, par exemple en ce qui concerne les actifs délaissés potentiels pour les compagnies de gaz et le risque de construire en prévision d’une consommation qui pourrait ne pas se matérialiser, en particulier pour les compagnies d’électricité. Par exemple, l’Ofgem déclare que

lorsque nous considérons la dépréciation, nous nous concentrerons sur la meilleure façon d’équilibrer les coûts payés par les consommateurs actuels et futurs, en tenant compte de la durée de vie économique prévue des actifs et de l’incertitude quant à l’utilisation (et l’utilité) future des actifs [traduction][30].

L’organisme de règlementation des services publics doit être attentif à ces questions et veiller à ce que le risque suive la récompense.

III. PRINCIPALES CONCLUSIONS

L’objectif de présent article consiste à répondre à la question de l’organisme de règlementation de la Mongolie : comment les organismes de règlementation des services publics évaluent-ils leurs propres performances?

Il n’est pas facile de répondre à cette question. Comme l’indique Scott Hempling, « la mesure de la valeur est nécessaire, mais l’ampleur de la valeur est insaisissable. Continuons à réfléchir » [traduction][31].

Le présent article vise à contribuer à cette réflexion en décrivant cinq résultats clés attendus des organismes de règlementation de services publics, sur la base des travaux précurseurs de Bonbright :

  • Garantir la stabilité financière des entreprises de services publics règlementées.
  • Inciter les entreprises de services publics à fonctionner efficacement et dans l’intérêt du public.
  • Encourager une consommation intelligente de l’énergie.
  • Viser des tarifs sur lesquels les consommateurs peuvent compter, sans surprises.
  • Promouvoir des conditions de concurrence équitables pour tous les acteurs du secteur des services publics[32].

Nous encourageons les organismes de règlementation des services publics à évaluer leurs propres performances par rapport à ces objectifs. Cette évaluation permet aux organismes de règlementation de concentrer leurs ressources limitées sur les domaines où ils peuvent apporter le plus de valeur, car ce qui est mesuré est fait.

 

* Jackie Ashley possède plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la règlementation du secteur de l’énergie et est l’auteure de cinq articles publiés sur la règlementation des services publics et la transition énergétique. Mme Ashley a notamment participé aux dialogues nationaux et internationaux de la British Columbia Utilities Commission (BCUC) sur la transition énergétique. Avant de rallier les rangs de la BCUC, elle a acquis une vaste expérience en matière de règlementation, de surveillance du marché et de conception des tarifs auprès de BC Hydro et de l’autorité néo-zélandaise de l’électricité. Vous pouvez joindre Mme Ashley à : jackieashley5@gmail.com.

David Morton est un ingénieur professionnel ayant plus de 45 ans d’expérience qui se spécialise dans la règlementation des services publics et les politiques énergétiques. Il a dirigé la BCUC et a mené plusieurs enquêtes importantes pour le gouvernement de la Colombie-Britannique. Il travaille actuellement auprès d’associations internationales de règlementation de l’énergie et participe fréquemment à des conférences et à des séances de formation à l’échelle mondiale.

  1. Gnana Raju, « Paid for Bringing Value to Marketplace-Jim Rohn » (20 mai 2020) à 0:02s, en ligne (vidéo) : <www.youtube.com/watch?v=YK3F-y9E3QA>.
  2. James C Bonbright, Albert L Danielsen et David R Kamerschen, Principles of Public Utility Rates 2e éd, Public Utilities Reports, Inc., 1988 [Bonbright].
  3. James C Bonbright, Principles of Public Utility Rates, Columbia University Press, 1961 [Principles of Public Utility Rates].
  4. David M Mandy, Producers, Consumers, and Partial Equilibrium, Academic Press, 2017, ch 14.
  5. Don Schultz, Woodrow W Clark & Arnie Sowell, Sustainable Communities Design Handbook, éd par Woodrow W Clark, Green Engineering, Architecture, and Technology, 2010, ch 7.
  6. Voir Principles of Public Utility Rates, supra note 3 à la p 27.
  7. Bonbright, supra note 2.
  8. Ibid.
  9. Voir Rabindra Nepal et al, « Independent power producers and deregulation in an island based small electricity system: The case of Papua New Guinea » (janvier 2023) 172 Energy Policy 113291 aux pp 2, 5, 12. Voir aussi World Bank Group, « Creating Markets In Sri Lanka: Private Sector-Led Inclusive Growth from Islands of Excellence », Washington, Country Private Sector Diagnostic, (1 juillet 2022) aux pp 15, 53–54, en ligne (pdf) :<documents1.worldbank.org/curated/en/099537108052210728/pdf/IDU0542219930fd3b0484b09a88096bd1a1066e9.pdf>. Voir aussi « How Siri Lanka’s electricity tariffs are expected to be revised: interview » (9 février 2023) en ligne : EconomyNext <www.economynext.com/how-sri-lankas-electricity-tariffs-are-expected-to-be-revised-interview-111873>.
  10. Scott Hempling, Regulating Public Utility Performance: The Law of Market Structure, Pricing and Jurisdiction, 2e éd, American Bar Association: Section of Environment, Energy and Resources, 2013 aux pp 231–33.
  11. Voir Market Street Railway Co v Railroad Commission, 324 USSC 548 (1945).
  12. Ofgem, « Guide to the RIIO-ED1 electricity distribution price control » (18 janvier 2017) à la p 59, en ligne (pdf) : <www.ofgem.gov.uk/sites/default/files/docs/2017/01/guide_to_riioed1.pdf>.
  13. Scott Hempling, Preside Or Lead?: The Attributes and Actions of Effective Regulators, 2e éd, 2013 aux pp 203–09.
  14. Jackie Ashley et Carl Hansen, An Energy Regulator’s Public Interest Toolkit: Energy, COVID, and Climate Change, Conférence, (2021), en ligne (pdf) : IAEE Energy Forum <iaee2021online.org/download/contribution/fullpaper/1081/1081_fullpaper_20210418_220003.pdf>.
  15. Ibid.
  16. Michelle Nock, « Stuck in the 1950’s: Updating Regulatory Mandates for the 21st Century » (2023) à la p 24, en ligne (pdf) : IAEE Energy Forum <www.iaee.org/en/publications/newsletterdl.aspx?id=1060>.
  17. Malcolm K. Sparrow, Fundamentals of Regulatory Design, 2020 au ch 5.
  18. Ibid.
  19. Voir Jackie Ashley et Michelle Nock, « Hackers and Extreme Weather: Using a Risk Based Framework to Protect Consumers from Both » (2021) à la p 44, en ligne (pdf) : IAEE Energy Forum <www.iaee.org/en/publications/newsletterdl.aspx?id=978>.
  20. Voir Ofgem, « RIIO–2 framework decision » (2018), aux pp 30–33, en ligne (pdf) :<www.ofgem.gov.uk/sites/default/files/docs/2018/07/riio-2_july_decision_document_final_300718.pdf>.
  21. Voir Ofgem, « Future System Operator: Government and Ofgem’s response to consultation » (avril 2022), en ligne (pdf) : <assets.publishing.service.gov.uk/media/624c840ce90e075f1120592f/future-system-operator-consultation-govt-response.pdf>.
  22. Ibid.
  23. Voir Ofgem, « Consultation on frameworks for future systems and network regulation: enabling an energy system for the future » (10 mars 2023), en ligne (pdf) : <www.ofgem.gov.uk/sites/default/files/2023-03/Consultation%20on%20frameworks%20for%20future%20systems%20and%20network%20regulation.pdf>.
  24. Bonbright, supra note 2 à la p 205.
  25. Voir supra note 9 à la p 59. Voir aussi supra note 10.
  26. Bonbright, supra note 2.
  27. Zsuzsanna Csereklyei, « Price and income elasticities of residential and industrial electricity demand in the European Union » (février 2020) 137 Energy Policy.
  28. Jackie Nock, « Rate Setting for an Electrified World » (2022) à la p 31, en ligne (pdf) : IAEE Energy Forum <www.iaee.org/en/publications/newsletterdl.aspx?id=1022>.
  29. Jackie Ashley, « Effectiveness and Balance: A Canadian Regulator’s Approach to Review of Energy Efficiency Funding Proposals » (2020) à la p 44, en ligne (pdf) : IAEE Energy Forum <www.iaee.org/en/publications/newsletterdl.aspx?id=921>.
  30. Ofgem, « Regulating energy networks for the future » (octobre 2010), aux pp 36, 40, en ligne (pdf) : <www.ofgem.gov.uk/sites/default/files/docs/2010/10/decision-doc_0.pdf>.
  31. Supra note 10.
  32. Voir Bonbright, supra note 2 à la p 203.

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