Quand les entreprises de services publics traitent avec les Freemen-on-the-Land et d’autres groupes invoquant des « arguments commerciaux pseudo-juridiques organisés »

Introduction

Les entreprises des services publics sont parfois appelées à traiter avec des personnes qui soutiennent ne pas être assujetties aux lois et règles de droit généralement applicables en société, par exemple l’obligation de payer des impôts ou des factures des services publics. Ces personnes vont tenterd’imposer unilatéralement des obligations juridiques aux autres par le biais de documents et procédures d’apparences officiels et rédigés suivant unjargon s’apparentant à une terminologie juridique. Dans certains cas isolés, ces personnes ont eu même recours à la violence physique.

Les tribunaux ont beaucoup de mal à gérer les diverses tactiques confuses et compliquées de ces individus. Ceci accapare une grande partie du temps des tribunaux et interfère avec d’autres instances, comme des procédures de recouvrement d’impôts, des poursuites criminelles et des causes familiales concernant la pension alimentaire. En 2012, le juge en chef adjoint Rooke de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a rendu une décision détaillée concernant ces tactiques dans l’affaire Meads c  Meads1. Dans cette décision, il décrit ces adeptes comme « une catégorie de plaideurs quérulents » et les a étiquetés comme étant des plaideurs aux « arguments commerciaux pseudo-juridiques organisés » (ACPO)2.

Le présent article traitera des stratagèmes des «ACPO» auxquelles peuvent être confrontées les entreprises de services publics puis comment peuvent faire face à ces situations afin de réduire les coûts et les risques connexes.

Comment reconnaître un adepte d’ACPO?

Bon nombre d’adhérents du «ACPO» sont associés à des groupes informels ou des idéologies, comme les « personnes naturelles », les « citoyens souverains » et les « Freemen on the Land ». Malgré les différentes dénominations qu’ils ont, ils semblent avoir des idées et des approches similaires tiré des mêmes forums de discussions en ligne. Bien que les adeptes d’ACPO semblent avoir des perspectives variés,ils sont unis et peuvent être identifiés par certaines caractéristiques communes3 :

[4] Les plaideurs d’ACPO n’expriment aucune croyance stéréotypée autre qu’un rejet général du tribunal et de l’autorité de l’État et, n’entrent dans aucune association sociale ou professionnelle particulière. Les arguments et prétentions de cette nature apparaissent dans toutes sortes de procédures juridiques et à toutes les instances des cours et des tribunaux. Voici ce qui unifie ce groupe :

  1. l’ensemble des caractéristiques des stratégies (quelque peu différente selon le groupe) qu’il emploie;
  2. les formalités et un langage particuliers, mais peu pertinents qu’il semble croire ou dépeindre comme étant fondamentales;
  3. les sources commerciales desquelles il puise ses idées et son matériel.

Cette catégorie de plaideur partage une autre caractéristique essentielle : il ne respecte les obligations réglementaires, contractuelles, familiales, fiduciaires, morales ou criminelles imposées par l’État que lorsque bon lui semble. Somme toute, il refuse la plupart du temps.

Les caractéristiques des stratégies

  • Les stratégies caractéristiques des adhérents du «ACPO» peuvent comprendre :
  • faire valoir que les lois ne s’appliquent pas puisqu’elles ont étés viciés dans leur adoption ou par l’organe qui légiférait 4.
  • faire valoir qu’ils ne sont assujettis qu’à la « common law », la « loi naturelle » ou la « loi de Dieu »5;
  • faire valoir les municipalités, les provinces ou que le Canada sont des entreprises6;
  • faire valoir que toute interaction est contractuelle7;
  • citer des ouvrages désuets, étrangers ou non applicables commefondements juridiques, par exemple, la Magna Carta, la Constitution des États-Unis, des lois américaines, le Code commercial uniforme, le droit de l’amirauté, la Bible (habituellement la version de King James) et des versions désuètes de la Loi de l’impôt sur le revenu ou du Black’s Law Dictionary8;
  • envoyer des avis qui sont présentés comme des documents ayant force exécutoire tel que des contrats ou des renonciations de droits. Parfois, il y a des délais rigueurs à respecter, sans quoi les conditions contractuelles seront réputées acceptées ou d’autres conséquences suivront. Puis, d’autres documents comme les « grilles tarifaires » ayant pour objet d’imposer des obligations de paiement à d’autres parties9.

Formalités et langage

Les exemples de formalités et de langage employés par les adeptes d’ACPO peuvent comprendre :

  • l’utilisation de stratégies où l’on nomme les individus par des formules inusitées telle que (« :John-jack:doe: »), également, le refus de divulguer certains aspects de leur identité afin de se soustraire à une obligation ou une responsabilité (faire la distinction entre « John Jack Doe » et « JOHN JACK DOE » ou entre leur identité personnelle et professionnelle). Aussi, l’utilisation de noms prétendument protégés par un droit d’auteur ou une marque de commerce, puis en décrivant formalisme des descriptions d’eux-mêmes afin de revendiquer de supposés droits (« John Jack Doe, sui generis, un homme, revendiquant par la présente tous droits nunc pro tunc »)10;
  • l’utilisation de phrases unique comme « homme en chair et en os », « libre arbitre responsabilité pleine et entière », « sovran » (de souverain) ou d’arguments selon quoi les adeptes d’ACPO sont « représentants » ou « garants» d’eux-mêmes11;
  • l’utilisation de formes ou d’éléments irréguliers dans les adresses postales, plus spécifiquement en ce qui concerne le code postal(« près de [v7z 1k4] »)12;
  • l’utilisation hors contexte de documents se voulant juridiques comme des affidavits, des avis d’objection et des privilèges13;
  • l’utilisation hors contexte de termes et de concepts juridiques comme le jugement, l’estoppel, la renonciation de délit, l’immunité et l’expression « réputée acceptée »14;
  • le recours à l’utilisation de documents officiels au moyen de courrier recommandé, de notaires et du notariat, de copies conformes et de l’usage d’empreintes ou de couleurs d’encre particulière dans les documents15.

Sources commerciales

Les tactiques commerciales d’ACPO proviennent de « gourous » motivés par le profit et qui prétendent renseigner les gens sur différentes stratégies afin de contourner les conséquences juridiques et freiner les droits inhérents au gouvernement, aux entreprises et de particuliers. Meads c. Meads traite de ces gourous et de leurs stratégies16 :

[73] Un premier point important est de comprendre que les concepts abordés dans ces motifs sont souvent un produit commercial conçu, commercialisé et vendu par une communauté d’individus, désignés ici sous le nom de « gourous ». Les gourous soutiennent que leurs techniques procurent des récompenses faciles – plus besoin de payer d’impôts, de pensions alimentaires pour enfants ou conjoint ou de respecter le code de la route. Il y a, supposément, des comptes bancaires secrets mais accessibles contenant des fonds pratiquement illimités, si vous connaissez la combine pour y avoir accès. Vous pouvez transformer une facture en un chèque avec une étampe et de l’écriture colorée. Vous ne ferez l’objet de sanctions pénales que si vous acceptez de vous y soumettre. Vous pouvez devenir indépendant de toute obligation imposée par l’État si vous le souhaitez et imposer des demandes à d’autres personnes, à des institutions et à l’État et en forcer l’exécution de façon unilatérale. Tout cela résultant du fait que les gourous proclament qu’ils connaissent des principes et des textes de loi secrets, inconnus du public, mais qui lient l’État, les tribunaux et les personnes.

[74] Et vous pouvez vous procurer tous ces « secrets » moyennant le paiement d’une faible somme au gourou.

[75] Ces allégations sont, bien sûr, des prétentions pseudo-juridiques absurdes. Tout juge étant appelé à examiner les concepts d’ACPO se rendra vite compte que leurs erreurs sont évidentes et manifestes, une fois qu’il en aura épluché les couches de langage étrange et de renvois insensés, et décodé la documentation souvent bizarre qui accompagne un stratagème d’ACPO…

Bien que les adeptes d’ACPO aient été victimes des gourous sur le plan financier, ils sont également responsable d’avoir usés des stratégies d’ACPO et devraient donc être tenus responsables de la perte de temps et d’argent qu’ils causent aux autres.

Principes des adeptes d’ACPO

Les adeptes d’ACPO n’adhèrent pas au fait que la loi et le système juridique s’appliquent à eux. Ils s’y opposent et refusent d’obtempérer à toute « obligation réglementaire, contractuelle, familiale, fiduciaire, morale, criminelle ou imposée par l’État »17. Ils vont mettre de l’avant des arguments selon lesquels le système judiciaire ne s’appliquerait pas à eux puisqu’une loi comme la « common law », la loi naturelle, le droit de l’amirauté, la loi marchande ou les lois telles qu’elles sont énoncées dans une version particulière de la Bible ont suprématie. Ils peuvent prétendre que le gouvernement est illégitime et incapable d’adopter des lois à force exécutoire en raison d’un vice dans les dispositions législatives passées ou dans les serments de représentants, ou de tout autre vice technique. Ultimement, ils sont réunis au sein de même groupe en raison de leurs approches peu courantes à se soustraire de leurs obligations en tant que citoyen.

Documents utilisés par les adeptes d’ACPO

Certains documents sont typiques des tactiques d’ACPO, notamment ceux que reçoivent les services publics. Il s’agit souvent de formulaires remplis ou modifiés par des clients individuels.

Tel que mentionné précédemment, les tenants du mouvement vont tenter d’imposer unilatéralement leurs obligations aux autres, y compris aux agents de police, aux tribunaux et aux officiers publics, constituant une des tactiques fréquentes d’ACPO. Les adeptes d’ACPO peuvent envoyer des documents visant à exiger une amende, à déclarer qu’ils ne sont plus tenu de payer d’impôts ou de s’acquitter d’autres obligations ou même à contracter. Parfois, les documents de cette catégorie sont prétendument exécutoires si le destinataire n’est pas en accord ou ne répond pas à une autre condition dans le délai donné. Le juge en chef adjoint Rooke dans Meads c Meads rapporte ces présumées obligations comme des ententes imposées unilatéralement sans force contraignantes et par conséquent des exemples de « chapeaux magiques » (stratagèmes utilisés comme une immunité juridique)18. Une entente unilatérale ne constitue pas une entente entre deux parties puisqu’elle tient compte des volontés d’une seule partie. Lorsque les adeptes d’ACPO tentent d’utiliser ce type d’entente pour contraindre le tribunal, cette tentative constitue prima facie un outrage au tribunal, bref elle est inefficace19. Il y a peu d’affaires d’ACPO qui touche l’obligation de payer les services publics, probablement parce que ces services sont coupés en cas de défaut de paiement. Toutefois l’une d’elles, l’affaire criminelle R v Leis, l’activiste Stuart Leis a été placé sous détention pour violation d’une ordonnance de sursis lui imposant de ne pas communiquer avec des agents publics sauf dans le cadre normal de leurs fonctions20. Dans cette situation claire d’obligation imposée unilatéralement, M. Leis prétendait avoir nommé le directeur de l’État civil comme son délégué de pouvoir et enjoint les services publics à envoyer ses factures à ce dernier. En guise de défense, il a refusé d’admettre la validité de l’ordonnance de sursis; cet argument a été rejeté par le tribunal inférieur ainsi qu’en appel.

Des adeptes d’ACPO ont également tenté d’imposer unilatéralement des ententes pour acquitter leur dette ainsi que des pénalités aux avocats qui tentaient de recouvrer des créances21.

Une entreprise de services publics de la Colombie-Britannique, BC Hydro, a été la cible de ces tactiques d’ententes imposées unilatéralement. Les individus qui exploitent le site web « BC-Freedom.com » discutent des montants en souffrance de services publics et d’installations de compteurs intelligents (bien que le ou les exploitants du site Web ne s’identifient pas expressément à un groupe d’ACPO particulier et qu’il ne soit pas clairement établi qu’ils cherchent à obtenir l’information fournie moyennant paiement)22. Le site web explique comment, étape par étape, « rendre sans effet des supposés avis de montant en souffrance » et de « rendre sans effet un présumé avis d’approbation du programme de choix de compteur (MCP) de la British Columbia Utilities Commission (BCUC) »23. Cette dernière référence concerne l’approbation par la BC Utilities Commission des frais liés au MCP de BC Hydro, le programme prévoyant que les clients admissibles ont eu le choix entre l’installation d’un compteur intelligent et celle d’un compteur à transmission radio désactivée ou le maintien de leur compteur existant (les deux dernières options nécessitant le paiement de certains frais)24. Les exploitants du site web soutiennent ce qui suit :

  1. lorsqu’un client « déclare nul pour vice de formalisme » un avis de montant en souffrance ou de paiement en retard de BC Hydro et retourne l’original à BC Hydro, l’avis est nul pour vice de forme fatal;
  2. lorsqu’un client envoie de la documentation à BC Hydro par courrier recommandé et que celle-ci est signée par BC Hydro sans être réfutée, le client a mis fin à son obligation de payer les frais liés au compteur traditionnel.

Ces allégations n’ont pas été retenues par les cours et les tribunaux.

La « grille tarifaire » est une forme d’entente unilatérale qui mérite d’être mentionnée. Il s’agit d’une présumée entente exigeant des paiements déterminés au militant d’ACPO si une certaine mesure est prise ou un certain résultat se produit. Les tribunaux se sont tous refuser à mettre en application de telles prétendues ententes25.

La tactique de la grille tarifaire peut être employée par les adeptes d’ACPO dans des affaires concernant des services publics. Par exemple dans une affaire de la Colombie-Britannique, une entreprise exploitant un parc à roulottes a résisté aux mesures d’exécution entreprises par une autorité de sécurité touchant la condition de colonnes d’alimentation et de matériel en refusant de s’y conformer, exigeant des paiements en vertu d’une grille tarifaire pour ensuite engager des procédures judiciaires contre les représentants individuels de l’autorité en matière de sécurité. Le tribunal a rejeté l’application de la grille tarifaire, la traitant de « amalgame insensé visant à gêner ou harceler ceux contre qui ces revendications sont faites » et accordant des dépens26.

Une entreprise de services publics (qui préférait ne pas être nommée) a signalé avoir récemment reçu des formulaires d’« avis de responsabilité » qui comprenaient des grilles tarifaires avec les mentions suivantes :

  1. Des frais de __________________ dollars américains(________) par jour pour tout dommage seront applicables et payables au requérant/ ou à un autre bénéficiaire ou organisme si le requérant/l’a spécifié par écrit.
  2. Si les frais ne sont pas payés dans les 30 jours suivants la présentation d’une accusation fondée, vous consentez à un privilège contre vous, assujetti à un imposition, une saisie, un certificat d’exigence, une consignation, une exécution ou à tout autre recours légal ou commercial, y comprisun acte d’exonération et de cautionnement privé RW 602 596 009 CA.

Les montants inscrits dans les champs en blanc par les différents expéditeurs variaient de 10 000 $ US à 20 000 $ US, mais comprenaient également « 100 onces troy d’or fin à 0,9999 ».

Variations chez les adeptes d’ACPO

Les adeptes d’ACPO changent largement leurs opinions personnelles et politiques ainsi que leurs approches afin de se soustraire à leurs obligations. Ils peuvent avoir des opinions d’extrême droite27 ou d’extrême gauche28. Certains font valoir leursvaleurs religieuses ou croyances29, alors que d’autres fondent leurs tactiques sur les droits des Premières Nations30. Il serait faux de présumer que tous les militants s d’ACPO qui adoptent des tactiques similaires partagent nécessairement les mêmes opinions. Bien que des expériences frustrantes se produisent avec certains membres d’ACPO, il ne faut pas généraliser et répondre de manière démesurée aux autres.

Il se peut que certains adeptes d’ACPO contestent la forme davantage que le fond. Par exemple, ils peuvent penser à tort que le paiement d’une facture sous une dénomination particulière les privera d’un droit dans un autre cadre tout en n’ayant aucune objection contre le paiement de services utilisés. La décision d’accepter sous réserve de payer une facture peut s’avérer la plus appropriée dans certaines circonstances.

Quels sont les risques associés aux adeptes d’ACPO?

Les clients adhérents d’ACPO soulèvent des défis et des risques considérables pour les entreprises de services publics.

Perte de temps

De façon générale, la principale difficulté que repose sur le fait que les adeptes d’ACPO est la perte de temps anormalement élevé au cours duquel rien ou presque rien n’est accompli.Une entreprise de services publics (qui préférait ne pas être nommée) a insisté sur le fait que ses employés du service à la clientèle devaient consacrer de nombreuses heures de travail pour chaque interaction avec ce type de clients. Les adeptes d’ACPO peuvent être astucieux et éloquents, et certains sont très habiles pour reconnaître le fonctionnement et tirer avantage des procédures et des politiques.

En identifiant, les adeptes d’ACPO, on peut limiter la perte de temps et diriger l’attention vers des clients qui susceptibles d’avoir de réelles préoccupations . Bien sûr, il est reconnu que tous les clients devraient être traités en conséquence de la même façon. Les entreprises de services publics peuvent être confrontées à d’agents ou des représentants d’ACPO. Les adeptes d’ACPO ont parfois tenté d’avoir recours à des leaders d’ACPO pour prendre parole en leur nom devant les tribunaux. De façon générale, bien qu’une personne puisse agir en son nom propre, seuls les avocats et les stagiaires en droit, sont autorisés par la loi à représenter des personnes devant un tribunal31. Les services publics peuvent s’en remettre à leurs propres politiques et, le cas échéant, à des lois sur la protection de la vie privée pour limiter leurs interactions avec ces clients.

Afin d’éviter de déployer desefforts de tout le personnel au service à la clientèle, il peut parfois être préférable de n’affecter qu’un employé pour gérer les relations avec les adeptes d’ACPO. Cette personne pourra donc mieux se familiariser avec les adeptes d’ACPO et les interactions antérieures.

Lorsqu’un adepte d’ACPO n’a pas payé ses factures ou autres et qu’il a recours aux tactiques décrites dans le présent article ou dans l’affaire Meads, l’entreprise de services publics devrait s’en remettre à ses pratiques internes de tarification et de débranchement habituelles.

Possibilité de violence

Dans certains cas, des adeptes d’ACPO ont menacé de recourir ou ont eu recours à la violence.

Deux barreaux provinciaux ont mis en garde leurs membres quant aux problèmes de sécurité que peuvent poser les adeptes d’ACPO32. La Law Society of British Columbia a diffusé des conseils de pratique dans lesquelles elle mentionne la croyance courante des adeptes d’ACPO de leur droit absolu de posséder et d’utiliser des armes à feu. Elle renvoie à un contrôle de routine d’un « citoyen souverain » qui a mené au décès de deux agents de police aux États-Unis33. Une publication du Federal Bureau of Investigation (FBI) caractérisait l’extrémisme des citoyens souverains comme un mouvement terroriste national34.

Il y a également eu des situations au Canada d’adeptes d’ACPO qui ont eu recours à la violence au Canada. Eldon Warman, un « citoyen naturel souverain de la common law anglo-saxonne », a été trouvé coupable de voies de fait contre un agent de la paix qui l’avait arrêté pour vérifier son permis de véhicule commercial35. Également, Glenn Fearn a été décrit comme un plaideur d’ACPO dans des procédures civiles liées à des accusations au criminel pour contrebande d’armes et de munitions36. Bien qu’il n’ait pas été soupçonné d’avoir commis ces actes, il a soutenu devant le tribunal qu’il pouvait utiliser une force meurtrière contre les agents des douanes si ces derniers l’arrêtaient illégalement37. Un rapport dans les médias a fait un lien entre Justin Bourque, accusé d’avoir tué trois agents de la GRC, et le mouvement Freeman (bien que ce lien semble avoir été conjectural)38.

Une entreprise de services publics (qui préférait ne pas être nommée) a mentionné avoir eu des   communications répétées avec un adepte d’ACPO dans lesquelles il affirmait enregistrer ses conversations téléphoniques avec les employés. Il a menacé de se suicider publiquement et de rendre public son suicide et ses conversations téléphoniques sur un site web. L’entreprise de service public a communiqué avec la police, qui connaissait déjà cette personne et avait apparemment discuté de la situation avec elle.

Bien qu’ une faible minorité d’adeptes d’ACPO ait menacé de commettre des actes de violence, les entreprises de services publics devraient néanmoins faire preuve de prudence dans leurs interactions avec de telles personnes. Les menaces de violence devraient être documentées et signalées à la police et autorités compétentes. Les entreprises de services publics devraient prendre des précautions accrues lorsqu’elles envoient des employés rencontrer les adeptes d’ACPO connus. Ils doivent s’assurer qu’ils ne se présentent pas seuls sur les lieux et informer d’autres personnes.

Conséquences en cas de mesures inadéquates

Le fait d’ignorer des adeptes d’ACPO et de ne pas prendrede mesures adéquates peut avoir des conséquences fâcheuses. Il ne faut pas les ignorer systématiquement ou les sous-estimer rapidement. Bien qu’il ne faille pas obtempérer ni donner suite à leurs demandes sans fondement, les entreprises de services publics ne sont pas tenus de justifier chacune des mesuresprises. Il est important que les entreprises de services publics respectent leurs obligations juridiques et contractuelles ainsi que des politiques afin d’éviter d’être exposer à des arguments techniques découlant de vices de procédure. Des conseils juridiques devraient être obtenus en cas de doute quant à savoir si des mesures particulières pourraient entraîner des obligations légales.

Ressources

La décision Meads, est volumineuse et donne lieu à une lecture colorée et divertissante. Elle peut servir à ceux qui auront à composer avec des tactiques d’ACPO, surtout au niveau du système judiciaire. Bien qu’elle démystifie bon nombre de tactiques d’ACPO, elle ne mène toutefois pas à la conclusion que l’utilisation de telles tactiques invalide tout droit ou argument valide que pourrait avoir un adepte d’ACPO39. Lorsqu’un adepte d’ACPO formule des revendications ou exprime des positions légitimement défendables, celles-ci doivent être prises en compte et traitées de manière appropriées.

La décision Fearn, une décision de 2014 rendu par le juge Tilleman de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, constitue une autre ressource utile40. Elle comporte un examen plus approfondi de certaines des conclusions contenues dans Meads ainsi que d’autres renvois à la jurisprudence, y compris des décisions récentes.

Recommandations aux entreprises de services publics devant traiter avec des adeptes d’ACPO

Les entreprises de services publics peuvent envisager de mettre en œuvre ces brèves recommandations suivantes pour traiter avec les adeptes d’ACPO :

  • Les préoccupations des adeptes d’ACPO peuvent être réglées au moyen d’un service à la clientèle appropriée. Une récurrence chez les adeptes d’ACPO est le refus de reconnaître son nom ou sa forme. Une entreprise de services publics avait eu des problèmes répétés de ce genre avec un client qui refusait de payer ses factures puisque son nom été inscrit en lettres majuscules. Après de nombreux échanges avec les employés de l’entreprise, il a fini par accepter des paiements mensuels anticipés afin d’éviter de se voir remettre des factures à son nom pour cette raison. Bien sûr, la tactique du déni du nom ne peut avoir aucun bien-fondé possible lorsque l’adepte d’ACPO a fait une demande de service sous ce nom. Les entreprises de services publics peuvent également s’en remettre à leurs politiques de débranchement si un client dit ne pas être la personne ayant demandé le service.
  • Ne pas donner suite à tout nouvel argument mis de l’avant. Il importe de se concentrer sur un règlement pratique et efficace de la question.
  • Fournir aux employés du service à la clientèle les outils nécessaires pour signaler et reconnaître les dossiers d’adeptes d’ACPO aux fins de consultation future. Il faut envisager d’adopter des politiques concernant la documentation des communications avec les adeptes d’ACPO et, plus particulièrement, la sécurité des employés devant interagir avec eux (comme ceux qui doivent se rendre à un endroit associé à un adepte d’ACPO).
  • Examiner le contrat de service et ses obligations, puis maintenir une relation d’affaire normale relativement aux paiement de factures, l’arrêt des services, la reprise des services et ainsi de suite.
  • S’assurer de bien se conformer aux lois, aux règlements et aux politiques applicables. Documenter cette conformité de façon rigoureuse. Les avocats qui ont acquis une vaste expérience des tractations avec des adeptes d’ACPO soulignent que ces derniers semblent avoir une habileté déconcertante à interpréter des lois et des politiques, soulevant parfois des arguments de conformité technique lorsqu’il est dans leur intérêt de le faire.
  • Se rappeler que dans la défense d’une revendication juridique, le demandeur cherche à se soustraire aux ordonnances de la cour ou du tribunal. Dans ce cas, leur capacité à contester la compétence de la cour ou leur propre identité devrait être remise en question. Par exemple, une personne qui tente de se faire passer pour quelqu’un d’autre doit établir une relation contractuelle ou d’autres principes sur lesquels les entreprises de services publics devraient se reposer. Une personne qui soutient que la compétence du tribunal ne s’applique pas à elle ne devrait pas avoir sa cause porté devant le tribunal.
  • Si des procédures judiciaires sont intentées, porter à l’attention du juge (ou du décideur) les causes Meads et Fearn. Bon nombre de stratégies d’ACPO visiblement nouvelles ont été abordées à fond dans ces décisions.
  • Un point particulier sur lequel Meads pourrait être utile concerne l’imposition de sanctions plus élevées aux plaideurs d’ACPO41.

* Jason K. Yamashita est avocat chez Farris, Vaughan, Wills & Murphy LLP à Vancouver. Il tient à remercier les avocates Ludmila B. Herbst et Erica C. Miller pour leurs commentaires et leurs conseils, ainsi que Tamara Navaratnam, stagiaire d’été en droit, pour son aide dans la préparation du présent article.

  1. Meads v Meads, 2012 ABQB 571,[2012] WWR 419 [Meads]. Ce cas a, semble-t-il, été le deuxième cas le plus consulté sur CanLII (une ressource en ligne de jurisprudence canadienne accessible sans frais) en 2013 et 2014, en ligne : Slaw <http://www.slaw.ca/2014/12/16/have-you-read-2014s-top-cases/>.
  2. Meads, supra note 1 au para 1.
  3. Ibid au para 4 tel que cité dans Bossé c Financement Credit Agricole, 2014 NBCA 34 aux para 45-46.
  4. Meads, supra note 1, aux para 298-301, 343-345, 387; Fearn v  Canada Customs, 2014 ABQB 114 [Fearn], aux para 65-74.
  5. Meads, supra note 1 aux para 228, 248 ; Fearn, supra note 4 aux para 47-60
  6. Meads, supra note 1 aux para 178, 222, 384; Fearn, supra note 4 aux para 65-69.
  7. Meads, supra note 1 aux para 222, 379-404 ; Fearn, supra note 4 aux para 65-69.
  8. Meads, supra note 1 aux para 228-229 , 248 ; Fearn, supra note 4 aux para 39, 47-60
  9. Meads, supra note 1 aux para 447-528 ; Fearn, supra note 4 aux para 61-64,195-200.
  10. Meads, supra note 1 aux para 206-213 ; Fearn, supra note 4 aux para 10,160.
  11. Meads, supra note 1 au para 221; ANB v Hancock, 2013 ABQB 97, aux para 8, 71-72 [Hancock] ; Bank of Montreal c. Rogozinsky, 2014 ABQB 771, à l’annexe E.
  12. Meads, supra note 1 aux para 231-237; Fearn, supra note 4, à l’annexe A.
  13. Meads, supra note 1 au para 42, 135, 175, 181, 303, 397, 448, 477, 484-486, 496, 695-713, 482 ; Fearn supra note 4 aux para 6, 178, 211, annexe A; Perreal v Knibb, 2014 ABBR 15, aux para 8-13. Dans la cause Dempsey v Envision Credit Union, 2005 BCSC 1730, une personne a tenté de faire valoir l’applicabilité divine au moyen d’un « avis implicite de statut d’enfant de Dieu ».
  14. Meads, supra note 1 aux para 217-219, 223, 302-370, 508, 477-478, 484-485, 488, 531-543; Fearn supra note 4 au para 42, Hancock, supra note 11 aux para 71-72.
  15. Meads, supra note 1 aux para 11, 211-212, 214-216, 243, 273-274, 344, 546, 688, 696.
  16. Meads, supra note 1 aux para 73-75.
  17. Ibid au para 4.
  18. Ibid aux para 447-528.
  19. Fear, supra note 4 aux para 195-196.
  20. R v Leis, 2008 SKBC 123, conf. 2008 SKCA 103.
  21. Gravlin v Canadian Imperial Bank of Commerce, 2005 BCSC 839.
  22. Site internet: BC-Freedom <bc-freedom.com>.
  23. « Void Alleged Past Due Notices », en ligne : BC-Freedom <https://bcfreedom.files.wordpress.com/2014/03/void-alleged-past-due-notices1.pdf>; « VOIDING alleged BCUC MCP APPROVAL NOTIFICATION », en ligne : BC-Freedom <http://bcfreedom.files.wordpress.com/2014/06/void-alleged-bcuc-mcp-approval-notification.pdf>.
  24. British Columbia Utilities Commission, «Application for Approval of Charges Related to the Meter Choices Program» (25 avril 2014), en ligne : BCUC <http://www.bcuc.com/Documents/Proceedings/2014/DOC_41266_04-25-2014_BCH%20Meter%20Choices_Decision_G-59-14.pdf>.
  25. Meads, supra note 1 aux para 505-51.
  26. Gidda v Hirsch, 2014 BCSC 1286, au para 84.
  27. Warman c Warman, 2005 TCDP 36.
  28. Jackson v Canada (Customs and Revenue Agency), 2001 SKQB 377.
  29. Sandri v Canada (Attorney General), 2009 CanLii 44282 (ON SC), 179 ACWS (3d) 811; Pappas v The Queen, 2006 CCI 692.
  30. The Natural and Sovran-on-the-Land, Flesh, Blood and Bone North American Signatory Aeriokwa Tence Kanienkehaika Indian Man c. Canada, 2011 ONSC 1308; en C.B., deux personnes font valoir qu’elles constituent le gouvernement souverain ©Skwxwú7mesh-Squamish™, en ligne : <http://www.sovsquamishgov.org/> (à ne pas confondre avec le gouvernement de la nation de Squamish).
  31. Voir le Legal Profession Act, SBC 1998, c 9, s 15; Legal Profession Act, RSA 2000, c L-8, s 106.
  32. Law Society of Alberta, « OPCA Litigants – The Phenomenon of Freemen on the Land », en ligne : LSA <http://www.lawsociety.ab.ca/default/whats_new/2013/09/25/opca-litigants-the-phenomenon-of-freemen-on-the-land>; Law Society of British Columbia« The Freeman-on-the-Land movement », en ligne : LSBC <http://www.lawsociety.bc.ca/page.cfm?cid=2627>.
  33. Dave Bilinsky, « The Freeman-on-the-Land movement » (2005) 4 Benchers’ Bulletin 11, en ligne : Law Society of British Columbia <https://www.lawsociety.bc.ca/docs/bulletin/bb_2012-04-winter.pdf>.
  34. Hunter and Heinke, « Sovereign Citizens: A Growing Domestic Threat to Law Enforcement » (septembre 2011) FBI Law Enforcement Bulletin, en ligne : FBI <http://www.fbi.gov/stats-services/publications/law-enforcement-bulletin/september-2011/sovereign-citizens>.
  35. R c Warman, 2000 BCPC 22, autorisation d’interjeter appel citée en 2001 BCCA 510.
  36. Fearn, supra note 4.
  37. Ibid, au par 21.
  38. Joseph Brean, « Moncton shooting accused may be a classic ‘pseudo-commando’ with anti-government Freeman ideology », National Post (5 juin 2014), en ligne : National Post <http://news.nationalpost.com/2014/06/05/moncton-shooting-accused-may-be-a-classic-pseudo-commando-with-anti-government-freeman-ideology/>.
  39. Voir Meads, supra note 1, au para 736.
  40. Fearn, supra note 4.
  41. Meads, supra note 1 aux para 594-600.

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