Le gouvernement fédéral du Canada a proposé ces dernières années une série de politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Parmi celles-ci, il y a les crédits d’impôt à l’investissement (CII) énoncés dans le budget 2022 en vue d’accroître les investissements dans le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC) au sein d’installations industrielles.
Les récentes mesures législatives[1] sur les crédits d’impôt doivent être sérieusement modifiées si l’on veut donner aux investisseurs les précisions et les incitations dont ils ont besoin pour réaliser les investissements à grande échelle qu’exige le CUSC.
En effet, les grands projets de captage du carbone se heurtent à de nombreux obstacles, notamment l’absence d’exemples concrets à ce sujet dans le monde. Le financement n’est qu’un des obstacles, et les crédits d’impôt ne sont qu’un levier politique. Or, dans leur proposition actuelle, ces crédits devraient être réduits de moitié et prennent fin trop tôt. Ils exigent également des rapports d’une lourdeur administrative inhabituelle et présentent des dispositions déroutantes pour les investisseurs. Dans l’ensemble, ces restrictions limitent sérieusement l’utilité de ces crédits d’impôt dans le monde réel.
Les crédits d’impôt à l’investissement rapportent à une entreprise une partie de ce que celle-ci dépense pour des projets admissibles. Cela devrait réduire le coût final du projet et, en théorie, accroître la probabilité que les investisseurs s’engagent à investir.
Par ailleurs, le gouvernement propose des crédits limités dans le temps pour le captage du carbone. Ainsi, les projets qui permettent le captage du carbone directement dans l’air ambiant bénéficient de crédits d’impôt de 60 % entre 2022 et 2030, tandis que les autres projets (comme ceux prévus dans le cadre de l’exploitation des sables bitumineux) profitent de crédits de 50 %. Les autres dépenses de transport et de stockage donnent droit à un crédit d’impôt de 37,5 %. Après 2030, ces taux diminuent de moitié et disparaissent complètement en 2041.
La planification, la construction et l’achèvement de grands projets s’échelonnent sur de longues périodes, même dans les meilleures circonstances, et les projets de captage du carbone sont susceptibles de prendre encore beaucoup plus de temps. Tout d’abord, les promoteurs doivent composer avec une chaîne d’approvisionnement limitée et une main-d’œuvre expérimentée. Deuxièmement, les politiques de réduction des émissions aux États-Unis et dans l’Union européenne entraînent également une augmentation de la demande de matériaux et de travailleurs. De plus, ceux qui proposent des projets de captage direct de l’air se butent à une période de développement encore plus longue, la technologie n’ayant pas encore été commercialisée.
En outre, les investisseurs de nombreuses provinces, comme l’Ontario, n’ont toujours pas droit au crédit d’impôt parce que leur province travaille encore à l’élaboration des cadres réglementaires nécessaires.
Pour que le crédit d’impôt ait une chance de fonctionner, le gouvernement fédéral doit en prolonger la valeur maximale d’au moins cinq ans. Une fenêtre trop limitée n’est pas le seul obstacle au CII proposé. Le fait de ne pas répondre à certaines exigences en matière de main-d’œuvre (un concept issu de l’Inflation Reduction Act des États-Unis ) réduit le taux de 10 points de pourcentage supplémentaires.
Pour bénéficier des taux maximaux en vertu de ces crédits d’impôt à l’investissement, les entreprises doivent payer au moins le « salaire en vigueur » en fonction de certaines conventions collectives antérieures et veiller à ce qu’au moins 10 % des heures travaillées par les gens de métier soient effectuées par des apprentis inscrits. Cela s’accompagne d’exigences supplémentaires en matière de conformité et de rapports. Des fardeaux supplémentaires comme celui-ci minent l’efficacité, car ils s’accompagnent de la production de rapports superflus et d’incertitudes quant au montant réel du crédit d’impôt.
Les investisseurs s’inquiètent également d’un ensemble complexe et déroutant de dispositions qui pourraient décourager l’investissement, comme celles qui permettent de « récupérer » la valeur dans certaines circonstances. En réponse aux consultations, certains intervenants ont déclaré :
« Des dispositions portant sur la récupération, des calendriers d’élimination progressive différents, des critères d’admissibilité stricts et déroutants, des exigences en matière d’échange des connaissances et un risque d’audit élevé ne sont que quelques-unes des dispositions qui pourraient décourager les entreprises et les investisseurs de profiter des CII. Entre-temps, des questions subsistent quant au cumul de certains CII entre eux et avec des programmes fédéraux tels que le Fonds stratégique pour l’innovation et des projets soutenus par la Banque de l’infrastructure du Canada, le Fonds de croissance du Canada ou les gouvernements provinciaux »[2] [traduction].
Les investisseurs, les gouvernements provinciaux et les contribuables qui envisagent de mettre en place leurs propres programmes de soutien doivent connaître les risques à l’avance. Le captage du carbone présente déjà suffisamment de risques pour que l’Agence du revenu du Canada n’en rajoute pas une couche. La législation à ce sujet doit être aussi simple que possible.
La réduction des émissions de GES au Canada n’est ni bon marché ni facile. Les progrès ont été plus lents que beaucoup ne le souhaiteraient, en particulier dans des secteurs comme l’industrie de la transformation ou des sables bitumineux, où la demande d’énergie pour le chauffage ou d’autres processus est élevée, et où il existe peu de solutions de rechange. Si le gouvernement fédéral souhaite réellement que le secteur privé investisse dans la réduction des émissions, le Canada doit adopter une approche plus souple et moins contraignante, conçue pour supprimer les obstacles plutôt que pour les ériger.
POUR L’AVENIR
Pour donner au crédit impôt relatif au captage du carbone une chance équitable de fonctionner, la législation devrait accroître la durée maximale du crédit, supprimer les exigences inutiles en matière de main-d’œuvre et simplifier ou éliminer les mécanismes qui prêtent à confusion.
* Charles Deland est directeur associé de la recherche à l’Institut C.D. Howe de Calgary. Les opinions exprimées sont celles de l’auteur. L’Institut C.D. Howe ne prend pas position sur les questions de politique. Une version antérieure de cet article a été publiée par l’Institut C.D. Howe le 2 novembre 2023.
- « Autres caractéristiques de conception du crédit d’impôt à l’investissement pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC) : mécanisme de recouvrement, divulgation des risques climatiques et échange des connaissances » (9 août 2022), en ligne : gouvernement du Canada <www.canada.ca/fr/ministere-finances/nouvelles/2022/08/autres-caracteristiques-de-conception-du-credit-dimpot-a-linvestissement-pour-le-captage-lutilisation-et-le-stockage-du-carbone-cusc-mecanisme-de-r.html>.
- « Members to grow Canada’s clean economy » (8 septembre 2023), en ligne : Conseil canadien des affaires <thebusinesscouncil.ca/publication/measures-to-grow-canadas-clean-economy>.