Le 7 avril 2016, le gouvernement du Québec a dévoilé sa très attendue Politique énergétique 2030 1 devant quelque 500 invités à la Place des Arts à Montréal.
Depuis son élection le 7 avril 2014, le gouvernement libéral du premier ministre Philippe Couillard a émis un flot constant de politiques économiques et industrielles, flot qui ferait rougir d’envie le gouvernement dirigiste de la France. Ces 18 derniers mois, il a publié une série de politiques, stratégies, de guides et de rapports sur un vaste éventail de sujets. Pour n’en nommer que quelques-uns, il y a eu la Stratégie maritime2, la Stratégie québécoise de développement de l’aluminium 2015-20253, la Vision stratégique du développement minier4, le Plan d’action en électrification des transports 2015-20205, le Plan Nord à l’horizon 2035, plan d’action 2015-20206, et le Livre vert concernant l’acceptabilité sociale7.
Mais, la Politique énergétique est la plus importante de toutes. Elle est la pierre angulaire du gouvernement québécois et, même si elle a fait l’objet de nombreux débats au sein même du gouvernement, il est fort probable qu’elle constituera la base de l’héritage politique de M. Couillard. C’est d’ailleurs à la demande expresse du premier ministre que cette politique a été réécrite et son lancement reporté, car il voulait qu’elle tienne compte des conclusions de la Conférence COP21 tenue à Paris du 30 novembre au 12 décembre 2015.
L’importance des politiques gouvernementales au Québec
Pourquoi ces expressions de la pensée stratégique du gouvernement sont-elles si importantes, sinon cruciales au Québec? Il y a deux raisons. La première et la plus évidente, c’est que ces documents servent à éclairer les intéressés sur la façon dont le gouvernement entend légiférer et réglementer un secteur. La seconde, c’est qu’au Québec, les trois ordres de gouvernement (fédéral, provincial et municipal) pèsent pour près de la moitié de tous les investissements et contrôlent presque 50 % de l’économie provinciale. Le gouvernement du Québec est, de fait, le partenaire de coentreprises du secteur privé et ces documents stratégiques sont l’équivalent de plans d’affaires de coentreprise.
Dans la province voisine, l’Ontario, et dans les provinces de l’Ouest, le poids de l’État est plus discret, de l’ordre d’environ 40 % en Ontario, et ce poids diminue de plus en plus en se dirigeant vers l’Ouest. Par conséquent, la question de savoir comment le gouvernement entend dépenser son argent (et quels secteurs économiques il privilégiera) revêt beaucoup plus d’importance au Québec.
Par ailleurs, une partie importante du capital de risque et d’expansion au Québec provient de sources gouvernementales ou quasi-gouvernementales et ce capital est dirigé vers des projets qui sont conformes aux politiques et lignes directrices gouvernementales.
Bien qu’il puisse être frustrant d’attendre l’annonce d’une politique et de composer avec le silence administratif et la stagnation sectorielle qui la précède, on peut tout de même se réjouir du fait que le Québec à un bilan positif quant à la mise en œuvre de ses politiques. Il suffit de se rappeler comment le Québec a réussi, en dépit d’une opposition parfois virulente, à produire 4 000 MW d’énergie éolienne, tel que prévu dans sa Stratégie énergétique de 2006-2015.8
Que trouve-t-on dans la Politique énergétique de 2030?
La nouvelle Politique énergétique marque une rupture avec les précédentes. Elle est à la fois plus complexe et moins détaillée. Les politiques précédentes couvraient des périodes plus courtes et ciblaient l’accroissement de la production et le transport d’électricité.
La nouvelle politique est assortie de quatre grands objectifs :
- décarboniser l’économie québécoise;
- réduire la consommation d’énergie et accroître l’efficacité énergétique;
- tirer pleinement parti des ressources naturelles du Québec; et
- innover et développer son économie verte.
Décarbonisation
Le Québec s’est donné un objectif très ambitieux au titre de la réduction des gaz à effet de serre (GES). Il vise, pour 2030, un niveau de GES de 37,5 %9 inférieur à celui de 1990. À ce jour, le Québec a réduit de 8 %- 9 % ce niveau par rapport à 1990. Il y est parvenu sans trop de peine en misant sur des percées technologiques et des choix énergétiques datant d’une cinquantaine d’années (p. ex. des lignes de transport de 730 kV qui ont assuré la rentabilité de gros barrages en régions éloignées), ainsi que des taux de croissance démographique et économique plus faible qu’ailleurs au Canada au cours des 25 dernières années. La prochaine étape sera plus ardue. Pour atteindre son objectif de réduction, le Québec devra – en moitié moins de temps – réduire ses GES selon une cadence trois fois plus élevée que durant les 25 dernières années.
D’ici 2030, le gouvernement du Québec entend combler 61 % des besoins énergétiques provinciaux à partir de sources d’énergie renouvelable (dans l’immédiat, ils le sont à hauteur de 47 %). Le Québec veut aussi réduire l’utilisation de combustibles fossiles, surtout pour le transport. Les mesures prévues ciblent l’électrification des transports (le Québec compte la moitié des voitures électriques), l’utilisation du gaz naturel par le secteur du camionnage, sans oublier l’élargissement des services de transport en commun et l’accroissement de leur fréquentation (p. ex. le métro de Montréal est le troisième le plus fréquenté derrière ceux des villes de New York et de Mexico).
Réduction et efficacité
Le gouvernement du Québec entend éliminer l’utilisation du charbon comme source d’énergie et réduire de 40 % la quantité de produits pétroliers utilisés dans la province. Il entend aussi améliorer de 15 % l’efficacité énergétique. À cette fin, le Québec aidera les ménages et l’industrie à réduire leur consommation d’énergie. Il s’attend à y consacrer quelque 4 milliards de dollars au fil des 15 prochaines années. Aussi, les codes du bâtiment seront révisés et les rénovations écoénergétiques, encouragées.
Ressources naturelles
Le gouvernement du Québec encouragera l’utilisation d’énergie produite au Québec, dont l’énergie hydroélectrique, éolienne et géothermique, et la bioénergie. Les ménages pourront produire de l’énergie solaire et éolienne en échange de crédits à appliquer à leur consommation. Désormais, la hausse des tarifs d’électricité n’excèdera pas le taux d’inflation. Le Québec veut augmenter de 25 % son approvisionnement en énergie renouvelable, dont un accroissement de 50 % pour ce qui est de la bioénergie. Une nouvelle loi régissant les hydrocarbures est prévue et les revenus issus de la production de gaz naturel et de pétrole seront affectés aux efforts de décarbonisation. Enfin, le Québec est ouvert à l’idée d’autoriser des projets d’énergie éolienne afin d’approvisionner des marchés d’exportation. On s’éloigne considérablement des pratiques actuelles.
Innovation
Le Québec se donnera des priorités en matière de recherche et financera la recherche et le développement, entre autres dans le domaine de l’électrification des transports.
Conclusion
La Politique énergétique 2030, c’est plus qu’une politique énergétique. Il s’agit aussi d’une politique sur les changements climatiques, d’une politique sur le développement régional, et d’une politique industrielle. Le Québec espère que les « énergies vertes » favoriseront l’innovation, l’entrepreneuriat et les investissements étrangers. Pour réaliser ses objectifs, le Québec se doit de maintenir sa compétitivité tout en mettant en oeuvre son plan fort ambitieux.
* Erik Richer La Flèche est un associé chez Stikeman Elliott S.E.N.C.R L. Il a conseillé des entreprises, des prêteurs et des gouvernements dans le cadre d’opérations de fusions et acquisitions et d’importants projets de financement (notamment dans les domaines de l’infrastructure, de l’exploitation minière, de l’énergie et de l’électricité) dans plus de 35 pays incluant le pipeline Tchad-Cameroun (1996-2001). De plus, il conseille présentement dans les domaines de l’électricité, du pétrole et du gaz au Québec.
- Gouvernement du Québec, Politique énergétique 2030 : L’énergie des Québecois-Source de croissance, Québec, Gouvernement du Québec, 2016, en ligne : <http://politiqueenergetique.gouv.qc.cawp-content/uploads/politique-energetique-2030.pdf>.
- Gouvernement du Québec, La Stratégie maritime à l’horizon 2030, Québec, Gouvernement du Québec, 2015, en ligne : <https://strategiemaritime.gouv.qc.ca/app/uploads/2015/11/strategie-maritime-plan-action-2015-2020-web.pdf>.
- Gouvernement du Québec, L’avenir prend forme : Stratégie québécoise de développement de l’aluminium 2015-2015, Québec, Gouvernement du Québec, 2015, en ligne : <https://www.economie.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/publications/administratives/strategies/strategie_aluminium.pdf>.
- Gouvernement du Québec, Vision stratégique du développement minier au Québec, Québec, Gouvernement du Québec, 2016, en ligne : <https://mern.gouv.qc.ca/mines/vision/documents/vision-mines_long-fr.pdf>.
- Gouvernement du Québec, Propulser le Québec par l’électricité : Plan d’action en électrification des transports 2015-2020, Québec, Gouvernement du Québec, 2012, en ligne : <http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/changements/plan_action/pacc2020.pdf>.
- Gouvernement du Québec, Le Plan Nord à l’horizon 2035, plan d’action 2015-2020, Québec, Gouvernement du Québec, 2015, en ligne : <http://plannord.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2015/04/Synthese_PN_FR_IMP.pdf>.
- Gouvernement du Québec, Livre vert sur les orientations du ministère de l’énergie et des ressources naturelles en matière d’acceptabilité sociale, Québec, 2016, Gouvernement du Québec, en ligne : <http://mern.gouv.qc.ca/publications/territoire/acceptabilite/LivreVert.pdf>.
- Gouvernement du Québec, L’énergie pour construire le Québec de demain: La stratégie énergétique du Québec 2006-2015, Québec, 2006, Gouvernement du Québec, en ligne: <http://mern.gouv.qc.ca/publications/energie/strategie/strategie-energetique-2006-2015.pdf>.
- Ministère du Développement durable, Environnement et Lutte contre les changements climatiques du Québec, communiqué, “Québec adopte la cible de réduction de gaz à effet de serre la plus ambitieuse” (27 novembre 2015), en ligne: < http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/infuseur/communique.asp?no=3353>.