Priorité à la conservation de l’énergie : En théorie et en pratique

En décembre 2013, le gouvernement de la première ministre Kathleen Wynne a adopté une politique intitulée Priorité à la conservation de l’énergie qui touche les domaines de l’électricité et du gaz naturel1.

Priorité à la conservation de l’énergie consiste à investir dans l’ensemble des ressources d’efficacité énergétique atteignables et rentables avant d’investir dans une nouvelle source d’approvisionnement.

Cette nouvelle politique est révolutionnaire et remplie de bon sens.

Elle est révolutionnaire puisque l’option préconisée pas le gouvernement de l’Ontario pour combler nos besoins en électricité pour les 100 ans à venir consistait à construire de grandes centrales électriques centralisées. Ainsi, une des justifications de l’initiative du Plan énergétique à long terme du gouvernement était de « retenir dans la province le maximum d’emplois hautement qualifiés et bien payés dans l’industrie nucléaire, tout en fournissant à cette industrie des possibilités de croissance à long terme2».

C’est également une question de bon sens pour les raisons suivantes :

  • Cela mènera à des factures d’énergie moins élevées;
  • Cela mènera à des émissions de gaz à effet de serre plus faibles;
  • En élevant la productivité énergétique de nos industries de ressources et de fabrication, elles pourront être plus concurrentielles et par la même occasion mener à une croissance du marché de l’emploi et du PIB;
  • Cela réduira la sortie de dollars en dehors de l’Ontario vers l’Ouest du Canada et la Pennsylvanie pour l’achat de gaz naturel et vers la Saskatchewan pour l’achat d’uranium, ce qui se traduira également par plus d’emplois en Ontario.

Malheureusement, deux agences énergétiques ontariennes, soit la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (SIERE) et la Commission de l’énergie de l’Ontario ont échoué à mettre en œuvre la politique Priorité à la conservation de l’énergie de la première ministre Wynne.

SIERE

La SIERE est responsable de la planification à long terme du système électrique de l’Ontario. Malheureusement, elle n’a pas de plan ou de budget pour réaliser toutes nos occasions d’économies d’énergie rentables et faisables.

Incidemment, les cibles d’économies d’électricité de l’Ontario sont considérablement plus faibles que celles des meilleures juridictions des États-Unis. Par exemple, l’objectif des programmes de conservation d’électricité de l’Ontario consiste à réduire sa consommation d’électricité totale par moins de 1 % par année d’ici 20203. En revanche, les cibles d’économie d’électricité annuelles du Massachusetts, du Rhode Island et du Vermont sont chiffrées à 2 % ou plus 4.

Comme le montre la figure 1, le coût de l’économie d’électricité (3,5 cents par kWh) est de 60 à 80 % plus faible que le coût prévu d’un nouvel approvisionnement en électricité à partir de la centrale nucléaire de Darlington reconstruite (8,9 à 16,6 cents par kWh). Malgré tout, le budget de conservation d’électricité 2015-2020 de la SIERE (2,4 MM $)5 est 80 % plus faible que l’estimation du coût « très fiable » de reconstruction de la centrale de Darlington (12,9 MM $)6.

Figure 1 : Comparais on des coûts des options en matière d’électricité de l’Ontario on des coûts des options en matière d’électricité de l’Ontario7

CEO

La CEO met en œuvre des politiques qui ne permettront pas de réaliser la politique Priorité à la conservation de l’énergie, tant pour l’électricité que pour le gaz naturel.

Modèle de conception tarifaire résidentielle

Actuellement, les services publics de distribution d’électricité de l’Ontario (p. ex., Hydro Ottawa, Toronto Hydro) récupèrent leurs coûts de distribution d’électricité auprès de leurs clients résidentiels grâce à une combinaison de frais fixes mensuels et de frais de distribution volumétriques basés sur le nombre de (kWh) consommés.

Les frais fixes mensuels ne varient pas en fonction de la consommation électrique du client. Ils sont similaires pour tous les clients, peu importe qu’ils soient logés dans un petit appartement ou une grande maison.

Les frais de distribution volumétriques varient en fonction de la consommation électrique. Par conséquent, les clients qui conservent l’électricité en sortent gagnant.

Par contre, la CEO a récemment pris la décision de demander à tous les services publics d’électricité d’éliminer les frais de distribution volumétriques pour les clients résidentiels et d’y récupérer tous les coûts de distribution par le biais des frais fixes mensuels8.

Actuellement, les services publics d’électricité de l’Ontario récupèrent en moyenne 50 % de leurs coûts de distribution résidentiels à partir des frais fixes mensuels facturés à leurs clients et l’autre moitié à partir des frais de distribution volumétriques. La proposition de la CEO a pour effet sur le client résidentiel moyen de doubler ses frais fixes mensuels.

L’élimination des frais volumétriques compromet la politique Priorité à la conservation de l’énergie de la première ministre Wynne puisqu’en éliminant les dit frais, l’incitatif pour les clients d’économiser de l’énergie et de réduire leurs factures disparait. Par exemple, l’élimination des frais de distribution volumétriques de 1,5 cent par kWh de Toronto Hydro réduirait l’incitatif financier des clients résidentiels de conserver de 8 à 13 % d’électricité9.

La conservation de l’électricité est dans l’intérêt de tous les clients puisque cela réduit le besoin de construire à coût élevé de nouvelles centrales électriques. Qui plus est, éviter de trouver une nouvelle infrastructure de transport, de distribution et des constructions qui ne feront qu’augmenter les tarifs d’électricité pour tout le monde.

La politique de la CEO est également injuste, car le coût du service de distribution d’électricité dans une grande maison diffère grandement de celle d’une petite maison. Ceci dit, la récupération de la totalité des coûts de distribution d’un service public au moyen des frais fixes mensuels uniformes aura pour impact de surfacturer le service aux propriétaires de petit foyer et de sous-facturer ceux d’une grande maison. Une situation totalement inverse à la philosophie de Robin des Bois!

Selon la CEO, elle prévoit également mettre en œuvre cette politique aux clients d’Enbridge Gas Distribution et d’Union Gas à l’avenir10.

Programmes de conservation des services publics de gaz naturel

En mars 2014, le ministre de l’Énergie de l’Ontario, Bob Chiarelli, a ordonné à la CEO de créer un nouveau cadre de gestion axée sur la demande (GAD) qui « [Traduction] permettrait l’atteinte d’une GAD rentable », créant ainsi une contrainte juridique envers cette dernière.

Le 22 décembre 2014 dernier, la CEO a publié son nouveau rapport intitulé Demand Side Management Framework for Natural Gas Distributors (2015-2020)11. Malheureusement, ceci va à l’encontre de la directive de la politique Priorité à la conservation de l’énergie émise par le ministre de l’Énergie, M. Chiarelli. Plus particulièrement, elle a échoué à mettre en place un cadre réglementaire qui permettrait la réalisation d’une GAD rentable. À la place :

  1. Elle a plafonné arbitrairement les budgets de conservation d’Enbridge et d’Union à 75 M$ et 60 M$ respectivement;
  2. Elle a ordonné à Union Gas d’annuler le programme de conservation de l’énergie le plus rentable en Amérique du Nord;
  3. Elle a éliminé l’incitatif monétaire pour Enbridge et Union d’augmenter leurs budgets et d’élargir leurs programmes de conservation.

Plafonds de budget arbitraires

La décision de la CEO de plafonner arbitrairement les budgets de conservation des services publics de gaz empêchera ces derniers de réaliser toutes les ressources de GAD rentables.

Bien que les nouveaux budgets signifient une augmentation considérable des dépenses, le fait que le budget de conservation annuel maximal combiné pour les services publics de gaz demeure 65 % plus bas que celui pour la conservation de l’électricité de l’Ontario ne vaut rien, même si notre consommation de gaz naturel est 50 % plus importante que notre consommation d’électricité.

Selon la CEO, ses plafonds budgétaires arbitraires sont appropriés, car cela suppose que de nombreux consommateurs ne seront pas en mesure de participer aux programmes de conservation de l’énergie.   Par contre, cette hypothèse ne tient pas compte du fait que pratiquement tous les clients de services publics de gaz ont participé aux programmes de conservation précédents des services publics. L’année 2013 en est un exemple puisque 82 % de clients industriels à grand volume d’Union Gas ont profité de ces incitatifs d’efficacité énergétique.

Selon un rapport de Navigant Consulting12, Enbridge aurait besoin d’un budget de plus de 200 M$ par année pour sa politique de conservation de l’énergie afin d’atteindre 50 % de la GAD rentable dans ses secteurs de franchise d’ici 2024. Les programmes de conservation de l’énergie à cette échelle mèneraient à une réduction nette des factures d’énergie de 9,7 MM$ (dollars de 2015).

Une stabilité des augmentations budgétaires de la GAD des services publics de 200 M$ par année d’ici 2020 ferait grimper les tarifs du gaz d’environ 1 % par année. Toutefois, les factures réelles diminueraient étant donné que la réduction en pourcentage de la consommation en gaz naturel serait plus significative que l’augmentation en pourcentage des tarifs. De plus, il faut souligner que les coûts du gaz naturel ont chuté de 35 % depuis 201013.

Les répercussions des budgets de la GAD sur les tarifs peuvent être contrecarrées en changeant la manière dont ces investissements en matière d’efficacité sont traités. Par exemple, les répercussions économiques des investissements réalisés sur les infrastructures (p. ex., le GTA Gas Pipeline) sont amorties par la durée de vie prévue de l’infrastructure. Par contre, la totalité des coûts des investissements de conservation des services publics est aux frais des abonnés de l’année au courant de laquelle ils sont érigés (même si la mesure, comme un nouveau générateur d’air chaud, sera en place pendant de nombreuses années). Ainsi, les répercussions sur les tarifs d’un dollar investi pour améliorer l’efficacité énergétique sont bien plus nécessaires que celles d’un dollar investi dans un nouveau pipeline. Il est logique et raisonnable d’amortir les frais qu’aurait l’augmentation des budgets de conservation en investissant en efficacité énergétique puisque la durée de vie des investissements est notable.

Annulation du programme de conservation de l’énergie le plus rentable en Amérique du Nord

Le programme de conservation de l’énergie industriel de gros volume d’Union est le programme de conservation de l’énergie le plus rentable en Amérique du Nord. Il implémente des incitatifs financiers pour stimuler les investissements en productivité énergétique.

En moyenne, chaque dollar qu’Union donne à ses clients industriels pour les encourager à investir en matière d’efficacité énergétique est accompagné par des économies de coût total des ressources (CTR) de 54 $. Une telle valeur correspond à l’épargne qui est la valeur actuelle nette de toutes les économies d’énergie générées par le programme GAD (y compris le gaz, l’eau et l’électricité), en soustrayant les coûts pour les technologies GAD ainsi que les coûts du programme en soi.

En 2013, ce programme était responsable de 77 % des 326 M$ d’économies sur les factures que l’ensemble des programmes de conservation de l’énergie d’Union a permis de réaliser.

Malgré tout, la CEO ordonne à Union d’éliminer ces incitatifs financiers qui permettent de générer d’importantes économies. Selon cette dernière, les incitatifs financiers ne sont pas nécessaires car « [Traduction] ces clients sont sophistiqués et sont habituellement motivés en raison de la concurrence à s’assurer que leurs systèmes sont efficaces ». Par contre, cette affirmation ignore deux faits substantiels.

Premièrement, les industries de l’Ontario ne mettent pas en œuvre tous leurs investissements en matière d’efficacité énergétique rentables. Selon un rapport de Manufacturiers et exportateurs du Canada, si toutes les pratiques exemplaires économiquement faisables restantes étaient mises en œuvre, la consommation d’énergie industrielle totale de l’Ontario chuterait de 29 % d’ici 2030 relativement aux activités dans un scénario habituel.

Deuxièmement, nos entreprises manufacturières ont souvent besoin d’un an avant de récuper leurs investissements en efficacité énergétique. Par conséquent, les incitatifs financiers sont pour les motiver à investir en matière de productivité énergétique rentables dont les périodes de récupération peuvent être supérieures à un an14.

En réponse à la décision de la CEO, Union Gas propose d’augmenter son budget de conservation de l’énergie annuel de 97 % entre 2013 et 2020. En raison de l’annulation de son programme de conservation de l’énergie le plus rentable, les économies d’énergie annuelles chuteront de 55 %15.

Élimination d’un incitatif financier pour les services publics de gaz leur permettant d›accroître leurs budgets et leurs programmes de conservation de l’énergie

Par le passé, la CEO associait les profits d’Enbridge et d’Union à l’importance de leurs budgets et de leurs programmes en conservation de l’énergie. En augmentant leurs budgets et leurs programmes, les services publics de gaz pourraient voir leurs profits accroître. La CEO a maintenant rompu ce lien.

Selon les nouvelles règles de la CEO, le boni de profit de GAD annuel maximal sera de 10,45 M$ et il « [Traduction] ne sera pas en fonction du budget de GAD des services publics. Le montant incitatif disponible ne sera ni augmenté ni diminué en fonction des budgets de GAD approuvés, et il ne sera pas augmenté annuellement en fonction de l’inflation »16.

Par conséquent, les services publics de gaz n’ont plus d’incitatif financier pour lequel obtenir l’approbation relativement à des programmes de conservation plus importants et améliorés pour créer des économies plus importantes pour leurs clients. Au contraire, à la suite de la décision de la CEO, les services publics de gaz doivent augmenter leurs volumes de distribution de gaz naturel ainsi que leur infrastructure d’approvisionnement pour augmenter leurs profits.

Conclusion

La SIERE et la CEO malmènent sans raison notre économie et notre environnement en échouant à mettre en œuvre la politique Priorité à la conservation de la première ministre Wynne.

*Jack Gibbons, président, Ontario Clean Air Alliance

  1. Ontario, Ministère de l’énergie, Vers un bilan équilibré: le plan énergétique à long terme de l’Ontario, Toronto, décembre 2013 à la p 3 et 20 (Vers un bilan équilibré).
  2. Ontario, Ministère de l’énergie, Ontario’s Long-Term Energy Plan: Building Our Clean Energy Future, Toronto, novembre 2010 à la p 23-25.
  3. La cible d’économie d’électricité de l’Ontario pour 2020 est de 7 TWH.  En 2014, la consommation totale d’électricité de l’Ontario était de 139,8 TWH.  Ontario Power Authority, Conservation First Framework Update: Presentation to SAC, 24 juin 2014, à la p 7 et 8 (Présentation à SAC) ; SIERE « Les données de 2014 sur la production, la consommation, les prix et la modulation de la production dans le secteur de l’électricité », en ligne : SIERE http://www.ieso.ca/Pages/Francais/Les-données-de-2014-sur-la-production-la%20consommation-et-les-prix.aspx.
  4. American Council for an Energy-Efficient Economy, The 2014 State Energy Efficiency Scorecard, octobre 2014, en ligne : ACEEE <http://aceee.org/research-report/u1408>  à la p 38.
  5. Présentation à SAC, supra note 3 à la p 7 et 8.
  6. Commission de l’énergie de l’Ontario, Re Ontario Power Generation Inc, Payment Amounts for Prescribed Facilities for 2014 and 2015 (Décision) 20 novembre 2014, EB-2013-0321: à la p 54, en ligne :  < http://www.ontarioenergyboard.ca/oeb/_Documents/Decisions/dec_reasons_OPG_20141120.pdf>.
  7. Ontario Clean Air Alliance Research, Ontario’s Electricity Options: A Cost Comparison, 1er octobre 2014, en ligne : OCAAR < http://www.cleanairalliance.org/wp-content/uploads/2014/10/options2.pdf>.
  8. Commission de l’énergie de l’Ontario, Board Policy: A New Distribution Rate Design for Residential Electricity Consumers, Toronto, 2 avril 2015 (Politique tarifaire de la CEO).
  9. Ontario Clean Air Alliance Research, Doubling the Fixed Monthly Customer Charge A Review of the Ontario Energy Board’s Proposal to Guarantee the Residential and Small Business Distribution Revenues of Ontario’s Electric Utilities, Toronto, mai 2014.
  10. Politique tarifaire de la CEO, supra note 8 à la p 2 et 3.
  11. Commission de l’énergie de l’Ontario, Report of the Board: Demand Side Management Framework for Natural Gas Distributors (2015-2020), Toronto, CEO, 22 décembre 2014, (Rapport de la CEO sur la GAD).
  12. Navigant Consulting Inc., Natural Gas Energy Efficiency Potential Study: Final Report Prepared for Enbridge Gas Distribution, 15 janvier 2015, section xii à la p 118
  13. Ontario Clean Air Alliance Research, « Reducing Ontario’s Greenhouse Gas Emissions Due to Natural Gas Consumption » (26 janvier 2015), en ligne : OCAAR  < http://www.cleanairalliance.org/wp-content/uploads/2015/03/gas-ghgs.pdf > à la p 3.
  14. Ibid à la p 4.
  15. En 2013, le budget de conservation de l’énergie d’Union Gas était de 32 838 926 $ et ses programmes de conservation de 2013 mèneront à des économies de consommation de gaz cumulatives de 2 820 834 405 mètres cubes.  La société cherche maintenant à obtenir l’approbation de la CEO pour un budget de conservation de 64 714 000 en 20202, lequel devrait produire des économies en gaz cumulatives de 1 280 000 000.  Voir Union Gas, Final Demand Side Management 2013 Annual Report, 4 novembre 2014, à la p 17 et 18; Union Gas Limited Application for approval of 2015-2020 Demand Side Management Plans (Application) (1er avril 2015), EB-04-0029, OEB à Exhibit A (Tab 3), p 6, 12.
  16. Rapport de la CEO sur la GAD, supra note 11 à 22.

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