INTRODUCTION
L’Alberta a été la première province canadienne à mettre en place un marché de l’énergie électrique restructuré. La structuration du secteur de l’électricité aux fins de concurrence a débouché sur des décisions et des réformes politiques qui ont dissocié les fonctions de production et de vente au détail et les ont transférées aux marchés concurrentiels. D’autres aspects du secteur ont été conservés en tant que fonctions monopolistiques, en particulier les réseaux de transport et de distribution.
Pour diverses raisons dont il sera question plus loin, l’Alberta est en train de remodeler le rôle des forces du marché dans le marché de gros de l’électricité en créant un marché de capacité administré, tandis que l’Alberta Utilities Commission (AUC) examine si et comment les forces du marché peuvent être mises à contribution dans la fonction traditionnelle monopolistique de l’infrastructure de distribution.
CONTEXTE
L’électricité implique de nombreuses fonctions complexes qui peuvent théoriquement être conservées en monopole ou confiées à des forces concurrentielles. Pratiquement toutes les fonctions, même celles qui présentent clairement des caractéristiques de monopole, pourraient être confiées à la concurrence.
Forcer la concurrence dans une fonction monopolistique naturelle peut toutefois s’avérer coûteux, car les économies d’échelle et de gamme qui définissent les monopoles d’infrastructure raisonnablement efficaces pourraient être perdues et remplacées par des concurrents qui font double emploi et qui sont inefficaces.
Ce que promet le transfert des fonctions à des marchés concurrentiels c’est que, en laissant les investisseurs privés, plutôt que les gouvernements ou les organismes de règlementation, déterminer les décisions en matière d’investissement et de ressources et prendre les risques commerciaux connexes, on pourra réaliser des économies et réduire les coûts pour les consommateurs. Bien que la planification, y compris le choix de la technologie, soit laissée au marché, l’organisme de règlementation doit encore fournir des éléments clés à ces décisions, comme la valeur de la fiabilité (le plafond des prix de l’énergie) ou le degré de fiabilité nécessaire (le volume d’approvisionnement en capacité).
Les structures non marchandes fonctionnent différemment. Toute la complexité de l’exploitation, de la planification et de la coordination du réseau électrique est laissée aux fournisseurs monopolistiques. Les investisseurs sont à l’abri du risque lié aux revenus de placement grâce à des révisions fréquentes et durables des taux et à des primes de rendement.
INTRODUCTION D’UN MARCHÉ DE CAPACITÉ
Depuis le milieu des années 1990, l’Alberta s’est toujours efforcée d’établir un marché de gros concurrentiel par l’entremise d’un marché « purement de l’énergie ». Dans les marchés purement de l’énergie, les producteurs ne sont payés que pour l’électricité effectivement vendue sur les marchés de gros ou de services auxiliaires. Il n’y a pas de paiement pour la disponibilité de leur capacité à fournir de l’électricité.
Bien qu’il y ait eu quelques améliorations, la conception du marché purement de l’énergie est demeurée relativement stable, l’opinion générale étant que les investisseurs étaient financièrement disposés à construire une nouvelle capacité de production et capables de le faire. En termes simples, la conception du marché purement de l’énergie offrait suffisamment de certitude quant aux revenus ou au potentiel de hausse pour attirer les investissements.
De même, les fonctions de transport et de distribution, à quelques exceptions près, sont demeurées en grande partie des monopoles naturels. L’Alberta Electric System Operator (AESO) a, de façon limitée, mis en place des forces concurrentielles en ayant recours à l’approvisionnement concurrentiel pour les projets de transport.
Avec l’élection du gouvernement néo-démocrate en 2015, un nouvel objectif politique pour le secteur de l’électricité est apparu. La réalisation d’un réseau d’électricité durable à faible émission de carbone fait maintenant partie de la politique. Des mesures précises pour atteindre cet objectif ont été incluses dans le Climate Leadership Plan (CLP), annoncé en novembre 2015. Le CLP contient des mesures stratégiques qui auront une incidence importante sur la composition de l’offre de production de l’Alberta d’ici 2030, à mesure que les émissions des unités de charbon seront éliminées et que des quantités importantes de production renouvelable seront ajoutées.
Cette modification de la composition de l’offre aura une incidence importante sur la dynamique du marché de l’électricité et, par conséquent, sur la capacité de la structure du marché purement de l’énergie de continuer à atteindre les objectifs de fiabilité et de coût raisonnable, à long terme.
Par conséquent, en 2016, l’AESO a recommandé au gouvernement que l’Alberta soit mieux servie par l’ajout d’un marché de capacité. On a déterminé qu’un marché de la capacité était le changement nécessaire pour assurer l’atteinte des objectifs, en particulier parce que la conception du marché assurerait la fiabilité et rémunérerait expressément les investisseurs pour la production de l’entreprise grâce à une source de revenus plus stable.
La conception évoluée du marché comprendra trois marchés : la capacité, l’énergie et les services auxiliaires. Dans ce nouveau système, l’AESO, une entité désignée par le gouvernement, déterminera et fournira la capacité nécessaire pour répondre à la demande prévue. En achetant de la capacité avant la livraison, les consommateurs prennent des risques à court terme. En payant les fournisseurs pour la capacité de s’assurer qu’ils sont en place en cas de besoin, plutôt que seulement une fois que le besoin se fait sentir, pour des niveaux de fiabilité équivalents, les consommateurs paient et les fournisseurs reçoivent une source de revenus plus stable qui peut réduire les primes de risque et donc le coût pour le consommateur. La nature des accords de capacité peut également être mise à profit pour résoudre les problèmes de pouvoir du marché.
Diverses modifications législatives et règlementaires ont été adoptées pour faciliter cette transition, notamment le projet de loi 13, qui a modifié l’Electric Utilities Act1 et le Capacity Market Regulation2, adopté en décembre 2018.
Dans le cadre de ce nouveau processus règlementaire, l’AESO demande à l’AUC l’approbation provisoire des règles nécessaires à la mise en œuvre et à l’exploitation du marché de capacité. Les règles du marché de capacité seront élaborées en deux étapes. Tout d’abord, un ensemble de règles provisoires essentielles à la mise en œuvre et à l’exploitation de la première enchère sur le marché de capacité par l’AESO sera examiné par l’AUC, et une décision sera rendue d’ici le 31 juillet 2019. L’objectif est que la préparation de la première enchère commence à la fin de 2019 et qu’une autre enchère ait lieu à la mi-2020.
De plus, l’AUC doit examiner le premier ensemble de règles et prendre une décision dans le cadre de son processus normal au plus tard 18 mois après le 31 juillet 2019.
Le processus en deux étapes permettra un examen complet des règles du marché de capacité qui n’auraient peut-être pas pu être appliquées en raison de contraintes de temps au cours de la procédure provisoire initiale.
L’audience publique de l’AUC pour l’examen des règles provisoires doit commencer le 22 avril et se terminer le 7 juin.
Le 16 avril, le Parti conservateur unifié (PUC) dirigé par Jason Kenny a remporté la majorité, ce qui a entraîné un changement par rapport au précédent gouvernement néo-démocrate dirigé par le premier ministre Notley. On s’attend à ce que le PUC apporte un certain nombre de changements au secteur de l’énergie et au marché de l’électricité et, en particulier, on a l’intention de tenir des consultations sur la question de savoir si l’Alberta devrait revenir à un marché purement de l’énergie ou créer un marché de capacité – en faisant rapport aux Albertains dans les 90 jours.
La tendance à acheter directement la quantité de capacité nécessaire sur un marché de capacité réduit la dépendance à l’égard des forces concurrentielles pour guider le moment de l’entrée sur le marché. La décision d’introduire une conception de marché de capacité conjointement avec la structure de la « politique à faibles émissions de carbone » a été motivée par l’incertitude à savoir si l’approche de « marché purement de l’énergie » apporterait une certitude suffisante en termes de revenus et d’approvisionnement à un coût raisonnable tout en tenant compte des objectifs en matière de changements climatiques.
LA CONCURRENCE DANS UNE FONCTION MONOPOLISTIQUE?
Bien que le gouvernement de l’Alberta prenne des mesures pour reprendre un certain contrôle dans le secteur de la production de gros, l’AUC envisage l’introduction éventuelle des forces du marché dans le réseau de distribution monopolistique.
Stimulée par les progrès technologiques, notamment en matière d’efficacité énergétique, de réponse à la demande, de ressources énergétiques décentralisées et de stockage de l’énergie, entre autres, l’AUC a dirigé un processus visant à évaluer en profondeur les répercussions que cette marche vers la modernisation aura sur le réseau de distribution de l’Alberta.
L’organisme de règlementation souhaite comprendre comment ces changements éventuels au réseau de distribution pourraient avoir une incidence sur les tarifs et les structures du marché.
Historiquement, l’AUC a assisté à l’introduction de nouvelles technologies, mais elles ont largement été examinées de façon fragmentée dans le cadre de diverses applications ponctuelles. Plutôt que d’examiner les technologies en vase clos, l’enquête évaluera le potentiel des nouvelles technologies, déterminera si et comment des marchés concurrentiels pourraient offrir ces technologies aux consommateurs et si les structures tarifaires actuelles devront évoluer pour appuyer la transition technologique.
L’enquête de l’AUC, annoncée à la fin de l’année dernière et dont la portée a été précisée le 29 mars 2019, vise à mieux comprendre la façon dont ces nouveaux investissements et changements opérationnels potentiels influeront sur l’approche règlementaire traditionnelle, notamment la planification du réseau, les structures tarifaires, les mécanismes de recouvrement des coûts et les incitatifs, et à obtenir des conseils à cet effet.
Il importe de noter que la Commission a élargi la portée initiale de l’enquête, passant d’un simple examen du réseau de distribution d’électricité à un examen des répercussions sur le réseau de distribution de gaz naturel.
L’enquête a été divisée en trois modules : un examen de la technologie, un examen des modèles de prestation et des structures de marché et, enfin, un examen des répercussions sur les structures tarifaires. L’AUC terminera le premier module à l’automne 2019 et prévoit publier son rapport d’enquête au début de 2020.
Il importe également de noter que la Commission ne prendra aucune décision finale dans le cadre de ce processus. Les travaux mèneront plutôt à une série de procédures futures visant à examiner les changements à apporter aux structures tarifaires, à la conception des tarifs et aux modalités de service des services publics.
CONCLUSION
Le réseau électrique de l’Alberta évolue. La clé à cette évolution est de comprendre quels éléments fonctionnels du réseau peuvent être confiés à des marchés concurrentiels et lesquels doivent être considérés comme des fonctions monopolistiques. Paradoxalement, l’évolution en Alberta tend à introduire un contrôle plus central dans ce qui était autrefois une fonction intrinsèquement concurrentielle, tout en introduisant potentiellement des forces concurrentielles dans ce qui était une fonction intrinsèquement monopolistique.
- Electric Utilities Act, SA 2003, c E-5.1.
- Capacity Market Regulation, Alta Reg 260/2018.