Évolution du droit administratif pertinent au droit et à la règlementation de l’énergie en 2017

Introduction

Cette année, l’enquête sur les faits marquants dans l’évolution du droit administratif pertinent au droit et à la règlementation de l’énergie comptait bon nombre de candidats, plusieurs découlant du processus règlementaire lui-même. Compte tenu de cette corne d’abondance, j’ai choisi quatre sujets qui, à mon avis, susciteront l’intérêt des intervenants dans ce domaine : les droits de participation aux démarches règlementaires en fonction de la qualité pour agir dans l’intérêt public; le rôle des responsables de la règlementation dans l’obligation de consulter et, le cas échéant, d’accommoder les peuples autochtones lorsque leurs droits et leurs revendications sont en jeu; un retour sur une question abordée l’an dernier, les principes régissant l’octroi d’autorisation pour les questions de droit et de compétence, y compris cette fois la portée du concept de « compétence » dans ce contexte; et la pertinence de l’analyse relative à la norme de contrôle pour les demandes de contrôle judiciaire concernant les obligations fiduciares de la Couronne envers les peuples autochtones et la mise en œuvre de traités entre les gouvernements canadiens et les peuples autochtones. A été omise de cette enquête, nullement en raison d’un manque d’importance mais plutôt pour des raisons d’espace et compte tenu de la nature principalement constitutionnelle des questions soulevées, la mesure dans laquelle les gouvernements provinciaux et les administrations municipales peuvent exercer un pouvoir règlementaire à l’égard d’éléments de litige relevant de la compétence constitutionnelle fédérale, notamment, mais non exclusivement, les pipelines interprovinciaux.

Droits de participation

Le droit règlementaire contemporain en matière d’énergie soulève fréquemment des questions de droit de participation et de qualité pour participer. Quelles personnes devraient être autorisées à prendre part aux audiences règlementaires? Quelles personnes peuvent en appeler du résultat de ces instances? Quelles personnes ont qualité pour exiger un contrôle judiciaire des décisions règlementaires? À qui devrait-on accorder le statut d’intervenant devant les tribunaux en cas d’appels prévus par la loi et de demandes de contrôle judiciaire1? Dans bon nombre de situations, la réponse à ces questions dépendra de l’interprétation d’une norme prévue par la loi ou d’une formule comme « directement touché ». La participation peut également reposer sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire particulier par un organisme de règlementation ou un tribunal et sur les contraintes juridiques liées à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. À d’autres occasions, surtout dans le contexte d’appels prévus par la loi devant les tribunaux ou de demandes de contrôle judiciaire, la norme pertinente sera celle établie par le droit commun et dépendra de la conception de la loi tant de qualité pour agir dans un intérêt et l’intérêt public que des facteurs se rapportant à chacun d’eux. Certaines de ces questions ont été abordées dans mon enquête de 20142.

Le 19 janvier 2018, la Cour suprême du Canada a rendu une décision sur une autre question de participation : le droit d’un citoyen de déposer une plainte auprès d’un organisme de règlementation alléguant le manquement de la part d’un acteur du marché d’adhérer à ses obligations légales. Bien que cette affaire n’ait pas nécessité l’intervention d’un organisme de règlementation de l’énergie mais plutôt de l’Office des transports du Canada, le résultat et les conditions du jugement rendu majoritairement auront des répercussions sur les organismes de règlementation de l’énergie qui ont compétence à l’égard de plaintes comme l’Alberta Utilities Commission, en vertu de l’article 26 de l’Electric Utilities Act3, laquelle confère à la Commission le droit de se saisir de plaintes par « toute personne » concernant la conduite de l’exploitant du réseau électrique de l’Alberta, l’Alberta Electric System Operator (AESO).

L’affaire Delta Air Lines c. Lukács4 est survenue suite à la plainte d’un militant bien connu des droits des passagers, Gábor Lukács, à l‘effet que les politiques et les pratiques de Delta concernant le transport de personnes obèses était « discriminatoires » aux termes d’une disposition du Règlement sur les transports aériens5. Il a déposé cette plainte au titre des articles 37 et 67.1(2) de la Loi sur les transports au Canada6. Le premier confère à l’Office le pouvoir d’entendre et de trancher des plaintes relativement à l’omission d’observer les dispositions de lois administrées par l’Office alors que le deuxième est plus défini et prévoit « une plainte… par toute personne [c’est nous qui soulignons] » pour la suspension ou le rejet par l’Office de conditions de transport qui sont « déraisonnables ou indûment discriminatoires ». À cet effet, Lukács s’est servi d’un énoncé de politique de Delta contenu dans un courriel en réponse à une personne qui s’était plainte auprès de Delta d’avoir eu à s’asseoir à côté d’un passager censément obèse.

L’Office7 se questionnait à savoir si Lukács avait qualité pour porter plainte et a traité cet élément comme une question préliminaire. Ce faisant, il a d’abord rejeté l’argument selon lequel, en tant qu’homme se décrivant lui-même comme une personne de « taille imposante », Lukács avait un intérêt personnel suffisant au titre des principes de qualité pour agir8. Il s’est ensuite demandé s’il y avait qualité pour agir dans l’intérêt public en se reportant aux trois critères adoptés par la Cour suprême aux fins de contestations judiciaires invoquées pour contester la validité constitutionnelle de la loi. Comme l’a déclaré l’Office initialement9, cela exige une évaluation de trois facteurs :

  1. La question de l’invalidité de la loi en question se pose-t-elle sérieusement?
  2. La partie qui demande la qualité pour agir dans l’intérêt public est-elle touchée par la loi, ou a-t-elle, à titre de citoyen, un intérêt véritable quant à la validité de la loi?
  3. Y a-t-il une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour?

La réponse de l’Office se résume comme suit :

  1. Même en se penchant sur les trois facteurs cumulativement, et à la lumière des objectifs qu’ils visent, il reste qu’à l’égard du deuxième facteur, la contestation par M. Lukács ne concerne pas la constitutionnalité d’une loi, ni la non-constitutionnalité d’une mesure administrative10. Compte tenu du fait que la Cour suprême a déjà établi que la deuxième étape du critère pour reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public ne va pas au-delà des cas dans lesquels la constitutionnalité d’une loi ou la non-constitutionnalité d’une mesure administrative est contestée, il existe une lacune fondamentale dans les présentations de M. Lukács [c’est nous qui soulignons].

Lukács en a appelé de cette décision devant la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 41 de la Loi sur les transports au Canada11. Bien qu’il ait concédé la question de la qualité pour agir dans son intérêt personnel, il a soutenu que l’Office avait erré en appliquant les principes de la qualité pour agir dans l’intérêt public dans les instances judiciaires aux dispositions de la Loi à l’égard de plaintes. Quoi qu’il en soit, il s’est également élevé contre la restriction de la qualité pour agir dans l’intérêt public dans les situations où la constitutionnalité de la loi ou de mesures administratives était en cause. Son appel a été accueilli au premier motif. La Cour d’appel fédérale12 a conclu que, même si l’Office avait effectivement compétence en ce qui concerne les plaintes, il avait erré dans l’application du droit commun en matière de qualité pour agir dans ce contexte. Par conséquent, l’appel a été accueilli et la cause renvoyée à l’Office afin qu’il décide « pour d’autres motifs que la qualité pour agir13 » s’il permettra l’instruction de la plainte. Bien qu’il ne se soit pas prononcé officiellement sur le deuxième motif, le juge d’appel de Montigny, qui a rendu le jugement de la Cour, s’est dit d’avis que les normes relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public élaborées dans le contexte judiciaire relativement aux contestations de la validité constitutionnelle de la législation ou de décisions « n’ont aucune incidence sur un mécanisme de plainte conçu dans le but de compléter un régime règlementaire14 ».

Delta a obtenu l’autorisation d’en appeler devant la Cour suprême, qui par une majorité de 6-315 dans un jugement rendu par la juge en chef McLachlin, a rejeté l’appel sur le fond mais modifié le décret de remise de façon à ne pas restreindre l’adaptation raisonnable par l’Office des « critères des tribunaux civils concernant la qualité pour agir en tenant compte de son système législatif16 ».

La majorité a fourni deux motifs pour rejeter l’appel sur le fond. Premièrement, bien que la norme d’examen constituait le caractère raisonnable fondé sur la retenue, l’Office ne pouvait pas accepter raisonnablement qu’un plaignant puisse prétendre avoir la qualité pour agir dans l’intérêt public pour ensuite adopter un critère de qualité pour agir dans l’intérêt public qui ne pourrait jamais être satisfait compte tenu de l’utilisation par l’Office de l’exigence voulant qu’il se limiterait aux situations où la « constitutionnalité de la loi ou l’illégalité d’une mesure administrative » était en jeu. Dans un tel régime, seuls ceux qui sont personnellement touchés par la politique ou le comportement pourraient déposer une plainte. Cette position n’était pas « justifiable, transparente ni intelligible17 ». Elle n’entrait pas « dans la tranche de résultats possibles et acceptables18 ». Cela voulait dire que l’Office avait « déraisonnablement entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire19 ». Deuxièmement, la décision de l’Office constituait une interprétation déraisonnable de la loi pertinente comme l’a révélé un examen des objectifs du régime législatif. Nonobstant l’étendue du pouvoir discrétionnaire implicite de l’Office quant à l’acceptation de plaintes, il était déraisonnable d’éliminer de fait la possibilité de toute forme de qualité pour agir dans l’intérêt public, limitant une fois de plus l’utilisation du mécanisme législatif aux personnes visées par la loi.

On peut difficilement être en désaccord avec ces aspects du jugement majoritaire. En effet, il est étrange que l’Office reconnaisse la possibilité d’avoir la qualité pour agir dans l’intérêt public pour ensuite appliquer un critère qui se limite à la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public dans le contexte d’instances judiciaires normales où la constitutionnalité de la loi ou de mesures administratives est en jeu. Néanmoins, la majorité a également vu juste en modifiant le décret de remise afin de permettre à l’Office d’élaborer ses propres règles en matière de qualité pour agir relativement aux personnes qui peuvent déposer des plaintes. Bien sûr, on pourrait faire valoir (comme semble l’avoir fait Lukács20) que l’expression « toute personne » utilisée dans la Loi au paragraphe 67.2(1) devrait être prise au sens propre et exiger de l’Office qu’elle accepte les plaintes de toute provenance. Toutefois, l’article 37, la disposition-cadre ou plus générique, et le pouvoir discrétionnaire qu’il confère relativement aux plaintes (« peut ») permettant à l’Office d’élaborer ses propres règles en matière de qualité pour agir constitueraient une lecture tout aussi, sinon bien plus plausible du texte législatif. Quant à savoir si l’Office adopte des règles en matière de qualité d’agir ou d’autres restrictions protectrices, cela relève en grande partie du pouvoir discrétionnaire de l’Office, comme le déclare la juge en chef McLachlin dans l’avant-dernier paragraphe du jugement majoritaire :

Il n’appartient pas à la Cour de dire à l’Office laquelle de ces méthodes est préférable. La déférence requiert que nous laissions l’Office décider luimême comment exercer son pouvoir discrétionnaire, pourvu qu’il le fasse de manière raisonnable21.

Comment la minorité en est-elle arrivée à une position contraire? La juge Abella, qui a rendu le jugement de la minorité, offre une justification plus exhaustive du devoir de réserve dans le choix de l’Office des règles et des politiques de protection. Toutefois, en aucun cas elle ne mentionne que cela permettrait l’adoption d’un seuil de qualité pour agir que les plaideurs de l’intérêt public ne peuvent pas franchir. Elle s’emploie plutôt à réfuter l’argument selon lequel l’expression « toute personne » du paragraphe 67.2(1) devrait être prise au sens propre et à faire valoir le droit de l’Office d’adopter et d’appliquer « ses propres règles en matière de qualité pour agir [qui] peuvent être similaires à celles utilisées par les tribunaux [c’est nous qui soulignons]22. » Toutefois, cela ne contredit ou ne mine pas la position de la majorité. En effet, elle poursuit avec ce qui semble être une reconnaissance que, même en vertu des principes reconnus du devoir réserve et du caractère raisonnable, l’Office ne pouvait pas adopter un régime de qualité pour agir qui de fait écartait la possibilité de porter plainte pour des motifs d’intérêt public :

[63] Le test appliqué par l’Office a, dans les faits, privé M. Lukács de la possibilité de prouver qu’il avait la capacité pour agir dans l’intérêt public dans cette affaire. Mais, à mon avis, cela ne règle pas la question.

C’est à ce point-ci que la vraie différence entre la majorité et la minorité survient. La juge Abella fait mention d’autres motifs (certains liés à la qualité pour agir23) pour lesquels l’Office aurait pu rejeter ou refuser d’entendre cette plainte. Par conséquent, peu importe les raisons sur lesquelles l’Office s’est fondé pour refuser la qualité pour agir, le résultat était raisonnable, ce qui soulève l’épineuse question de la mesure dans laquelle une cour de révision peut refuser un contrôle judiciaire ou rejeter un appel au motif d’un résultat qui est raisonnable même si les raisons du décideur ne le sont pas. Une telle possibilité trouve son origine dans une déclaration de David Dyzenhaus dans un chapitre de livre24 cautionné dans l’affaire faisant autorité Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick25. Plus particulièrement, il y a l’avertissement que, dans l’exécution d’un examen du caractère raisonnable, le tribunal doit tenir compte des raisons fournies et du résultat26, ainsi que des raisons qui « pouvaient être fournies à l’appui d’une décision27 ». Dans son jugement, la juge en chef McLachlin a reconnu le cautionnement préalable de la Cour du fait, du moins dans certains cas, d’aller au-delà des raisons contenues dans la décision du tribunal ou de l’organisme28. Toutefois, elle s’est dite préoccupée quant au moment, s’il y a lieu, où cela pouvait justifier la décision d’un tribunal d’excuser des raisons manifestement déraisonnables et de maintenir la décision.

La juge en chef McLachlin a répondu à la juge Abella qu’une telle adjonction n’est pas autorisée lorsqu’elle a pour effet de supplanter les raisons du décideur29. Il ne revenait pas à la Cour de remplacer les raisons fournies par le décideur par ses propres raisons. Le fait d’ignorer les raisons précises fournies en faveur de contrôles fondés sur la construction propre à la Cour du caractère raisonnable du résultat aurait pour effet d’ignorer la directive de Dunsmuir de tenir compte des raisons et du résultat. De façon plus générale, ce serait comme si la Cour assumait le rôle du décideur d’une façon qui ne tient pas compte de sa responsabilité première dans l’élaboration des fondements sur lesquels il exerce ses pouvoirs discrétionnaires. Même lorsque le décideur rend une décision déraisonnable, ce décideur, et non la Cour à titre de substitut, doit tout de même assumer son rôle, soit d’exercer son mandat et de décider si le même résultat peut être justifié par différentes raisons. En effet, de justifier le résultat dans un cas comme celui-ci sur des normes élaborées par la cour de ce que devraient être des critères pertinents de la qualité pour agir priverait l’Office de son pouvoir discrétionnaire de formuler un critère approprié et raisonnable de la qualité pour agir. C’est pourquoi le devoir de réserve constituait la disposition appropriée.

En rendant cette décision, la juge en chef McLachlin a pris soin de noter qu’elle ne constituait pas une désapprobation totale de la pratique d’adjonction par les cours de révision des raisons fournies par l’organisme dans le but de procéder à un contrôle judiciaire plus éclairé ou même de confirmer une décision au motif qu’elle était raisonnable malgré l’absence complète de raisons. Toutefois, on peut en déduire du jugement que, même s’il n’y avait pas d’adjonction des raisons fournies par l’organisme, les occasions pour procéder à une telle adjonction devraient être rares et ne survenir que dans des circonstances exceptionnelles. Plus particulièrement, Paul Daly, dans son blogue sur Lukács30, soutient que les tribunaux devraient faire preuve d’une grande prudence dans leurs efforts pour élaborer ou substituer des raisons et ainsi justifier le rejet d’un contrôle judiciaire ou refuser de renvoyer une cause pour des motifs « d’efficacité et d’administration économique31 ». De tels exercices risquent toujours d’éroder les principes de retenue judiciaire à la source, une source dont la prémisse est que l’organisme, et non le tribunal, est le décideur désigné par la loi.

Qu’est-ce que d’autres organismes de règlementation, surtout en matière d’énergie, peuvent donc tirer de Lukács?

  1. Lorsqu’un organisme administratif a un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est non seulement d’accepter des plaintes mais aussi de définir les droits de participation de façon plus générale, l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire devrait donner droit à un devoir de réserve sous la forme de caractère raisonnable plutôt que de contrôle judiciaire d’exactitude intrusive.
  2. À moins qu’une disposition législative pertinente (comme celle qui limite l’accès aux personnes « directement touchées ») ne la leur interdise, les organismes de règlementation sont habituellement habilités à élaborer des règles en matière de protection, de qualité pour agir et de participation en fonction de leurs propres exigences et objectifs et structures prévues par la loi.
  3. Lorsqu’ils élaborent des règles sur la qualité pour agir et des principes sur la participation, les organismes peuvent examiner les règles élaborées par les tribunaux concernant la qualité pour agir dans l’intérêt privé ou public, les adopter et les adapter selon ce qui conviendra le mieux à leurs mandats individuels.
  4. Il y aura exposition à un contrôle judiciaire ou renversement de jugements en appel uniquement lorsque les règles et les principes adoptés ne permettent pas de satisfaire à un critère de caractère raisonnable suffisamment flexible.
  5. Toutefois, à moins d’une autorisation législative, un organisme de règlementation est susceptible d’être exposé à un contrôle judiciaire où, dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de protection, il peut adopter une règle qui, de prime abord ou en effet, exclut toute possibilité de plainte ou d’autres formes de participation au motif de la qualité pour agir dans l’intérêt public.
  6. Il n’en demeure pas moins essentiel lorsque les décisions d’accès d’un organisme sont fondées sur des règles existantes, des précédents de l’organisme ou des principes élaborées dans le contexte de l’affaire en particulier que l’organisme fournisse des raisons pour justifier les résultats qui répondent aux normes de justification, de transparence et d’intelligibilité de Dunsmuir.
  7. Même si les tribunaux font parfois preuve d’indulgence quant à l’omission de fournir des raisons ou à l’insuffisance des raisons, et élaborent leur propre justification de la « décision » de l’organisme, le recours à cette forme de sympathie judiciaire comme moyen pour résister au renvoi d’une cause à un nouvel examen est une stratégie très risquée qui ne fonctionnera sûrement pas lorsque l’exercice de reconstruction va à l’encontre des raisons réellement fournies ou supplante celles-ci.

Toutefois, j’inclurais une mise en garde dans la mesure où la décision a été qualifiée de précédent qui mènera à une qualité élargie pour agir dans l’intérêt public dans des questions de règlementation32. Il va sans dire que le jugement majoritaire s’inscrit en faux contre le traitement par l’Office du deuxième volet du critère de qualité pour agir dans l’intérêt public dans les instances judiciaires, non seulement parce que, s’il était appliqué au pied de la lettre, ce deuxième volet ne pourrait jamais être satisfait dans le contexte particulier de Lukács, mais aussi parce que l’Office a traité ce deuxième volet comme un butoir. Comme l’a déclaré la majorité, cela ne cadrait pas avec la conception courante, du moins dans le contexte des instances juridiques sur la qualité pour agir dans l’intérêt public comprenant une « approche discrétionnaire flexible33 » dans laquelle les trois éléments du critère doivent être évalués et soupesés les uns aux autres, mais aussi par rapport à d’autres valeurs concurrentes. Toutefois, il conviendrait de reconnaître que l’accent mis sur une « approche discrétionnaire flexible » faisait partie de la justification de la majorité pour rejeter les conclusions de l’Office de la qualité pour agir dans l’intérêt public au motif que l’Office avait supposément appliqué une norme qui comprenait un point de vue juridiquement erroné de la loi concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public. Au deuxième volet du rejet de l’approche de l’Office par la majorité, la juge en chef McLachlin a simplement dit qu’il serait inacceptable pour un organisme comme celui-ci de se doter d’une règle faisant en sorte qu’un groupe de défense de l’intérêt public ne puisse jamais avoir la capacité de déposer une plainte34. Ce qui en revient presque à dire que l’organisme doit adopter un régime qui est généreux ou libéral dans ses règles concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public. En d’autres mots, il serait possible pour un organisme d’adopter des règles en matière de qualité pour agir dans l’intérêt public qui sont moins généreuses que ne pourrait l’exiger une « approche discrétionnaire flexible » dans le cas d’un tribunal dans le contexte de contrôles juridiques ou d’instances d’appels prévus par la loi.

Obligation de consulter et, le cas échéant, d’accommoder les peuples autochtones35

a. Introduction

Dans les trois articles d’enquête précédents pour la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, j’ai traité en détail de la participation des organismes de règlementation dans le processus de consultation garanti par la constitution et, s’il y a lieu, d’accommodement des peuples autochtones lorsque leurs droits et leurs revendications sont en jeu dans le processus décisionnel du gouvernement36. J’ai porté une attention particulière à deux cas qui, au début de la période d’enquête actuelle, étaient en délibéré à la Cour suprême du Canada. Le 26 juillet 2017, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement dans les deux affaires : Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services37 et Chippewas of the Thames First Nation c. Enbridge Pipelines Inc.38 Pris ensemble, ces deux affaires clarifient et règlent différents aspects contestés du rôle des organismes de règlementation de l’énergie aussi bien en qualité de participants dans le processus même de consultation et d’accommodement que d’évaluateurs des efforts de consultation et d’accommodement menés par d’autres. Pour cette raison, il s’agit certainement pour les organismes de règlementation de l’énergie des plus importantes décisions de droit administratif rendues par la Cour suprême, ou par tout autre tribunal, au cours de la période d’enquête.

Les deux ont déjà fait l’objet d’analyses approfondies, dont un important article39 dans la présente publication rédigé par Dwight Newman ainsi qu’un billet de blogue tout aussi éclairant préparé par Nigel Bankes40, un collaborateur fréquent de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie (ERQ). Compte tenu de la couverture qu’en ont faite ceux-ci et d’autres commentaires, je ne m’aventurerai pas dans un examen de chacune des dimensions de ces deux jugements. Je m’en tiendrai plutôt à une explication de ce qui constituent à mon avis les principaux tenants des deux décisions, pour ensuite commenter brièvement certaines des questions importantes sur la participation des organismes de règlementation dans ce domaine qui n’ont pas encore été réglées de manière définitive ou avec suffisamment de clarté.

b. Transfert de responsabilité de la Couronne pour la tenue de consultations

Dans Clyde River (Hameau), le point de départ initial dans le préambule de la Cour sur les principes juridiques pertinents a été de confirmer la capacité de la Couronne à agir par l’intermédiaire d’un organisme de règlementation ou d’un tribunal afin de s’acquitter de son obligation de consulter les peuples autochtones. Toutefois, le fait de transférer cette responsabilité initiale sur un organisme de règlementation ne dégageait pas la Couronne de l’ensemble de son obligation. Soit de sa propre initiative, soit à la suite de plaintes, la Couronne a l’obligation d’agir en cas de consultations inadéquates dans la tribune règlementaire. Qui plus est, la Couronne a l’obligation d’indiquer clairement aux groupes autochtones touchés qu’elle aura recours à l’organisme de règlementation pour « s’acquitter de son obligation en tout ou en partie41 ». (Ce que cette obligation exige exactement est une question sur laquelle je reviendrai.)

c. L’exigence relative à la « mesure envisagée par la Couronne »

L’un des seuils exigés pour la revendication d’un droit de consultation est qu’il y ait une « mesure envisagée par la Couronne42 », ce qui a soulevé la question de savoir où, le cas échéant, situer la « mesure envisagée par la Couronne » dans le contexte d’une demande du secteur privé auprès d’un organisme de règlementation qui pourrait compromettre les droits ou les revendications de peuples autochtones. Comment la Couronne s’est-elle engagée dans un tel processus? Le dilemme se résume très bien dans l’assertion selon laquelle, à ces fins, un organisme de règlementation indépendant exerçant un pouvoir prévu par la loi dans une capacité judiciaire ou quasi judiciaire peut remplacer la Couronne, bien que le résultat de ses procédures puisse avoir des effets néfastes sur les droits et les revendications des Autochtones43. Toutefois, la Cour suprême n’a pas été séduite par cet argument de « mesure envisagée par la Couronne ». Bien que l’Office national de l’énergie ne soit, en un sens, ni la Couronne ni le mandataire de la Couronne, les juges Karakatsanis et Brown (qui ont rendu le jugement dans Clyde River (Hameau)) ont fait valoir que :

… en tant qu’organisme créé par la loi à qui incombe la responsabilité visée à [une loi du Parlement], l’ONÉ agit pour le compte de la Couronne lorsqu’il prend une décision définitive à l’égard d‘une demande de projet. En termes simples, dès lors que l’on accepte qu’un organisme de règlementation existe pour exercer le pouvoir de nature exécutive que le législateur concerné l’autorise à exercer, toute distinction entre les mesures de cet organisme et celles de la Couronne disparaît rapidement. Dans ce contexte, l’ONÉ est le moyen par lequel la Couronne agit44.

Dans Chippewas of the Thames, les juges Karakatsanis et Brown ont abordé la question plus en profondeur et, de ce fait, l’argument selon lequel le fait de considérer l’ONÉ comme le centre de la « mesure envisagée par la Couronne » compromettrait son indépendance :

Un tribunal respecte sa compétence lorsqu’il exerce les fonctions que le législateur lui a attribuées dans une loi, et que ses décisions sont conformes à la loi et à la Constitution. Les organismes de règlementation cumulent bien souvent des fonctions différentes qui se chevauchent sans susciter une crainte raisonnable de partialité45.

Dans ce contexte, il importe de noter que la Cour s’en remet à une conception plutôt différente de la Couronne qu’elle ne l’a fait pour définir la mesure dans laquelle la Couronne pouvait faire appel à un organisme de règlementation pour s’acquitter de ses obligations. À cet effet, la Couronne et l’organisme de règlementation doivent être traités comme des entités distinctes, bien que la Couronne ait une responsabilité continue quant à la suffisance des efforts de consultation et, le cas échéant, d’accommodement de l’organisme de règlementation.

d. Qu’est-ce qui justifie le recours par la Couronne aux processus d’un organisme de règlementation?

Par la suite, la Cour revient sur la question des circonstances dans lesquelles la Couronne peut avoir recours aux processus d’un organisme de règlementation pour s’acquitter de son obligation de consulter. Ici, le jugement met principalement l’accent sur l’étendue des pouvoirs de procédure et de réparation de l’ONÉ en vertu du régime législatif applicable, pouvoirs qui lui permettent amplement de participer à la consultation et de confirmer des titres découlant de droits et de revendications autochtones. La Cour a également fait mention de l’« expertise institutionnelle »46 de l’ONÉ dans la tenue de consultations et l’évaluation des impacts environnementaux des propositions. Dans la mesure où l’importance ici est assez différente de celle exigée par la Cour dans l’instruction de Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani47, des questions se posent quant à savoir si ce premier précédent a une quelconque incidence sur l’enjeu, et j’aborderai cette question plus loin dans la présente enquête.

e. Évaluation de la suffisance de la consultation et des mesures d’accommodement par l’organisme de règlementation

Dans Clyde River (Hameau), le dernier élément de l’évaluation par la Cour du rôle des organismes de règlementation dans le processus de consultation/d’accommodement portait sur les circonstances dans lesquelles les organismes de règlementation avaient le droit et, de fait, l’obligation d’évaluer les efforts de consultation de la Couronne. En 2010, dans Carrier Sekani, la Cour a fait valoir que cette capacité découlait du pouvoir qui est conféré aux organismes et aux tribunaux de traiter des questions de droit résultant de leurs instances. Toutefois, la Cour d’appel fédérale avait déjà tranché en 2009 dans Première nation dakota de Standing Buffalo c. Enbridge Pipelines Inc.48 que cela ne s’appliquait que lorsque, dans une situation comme celle obtenue dans Carrier Sekani, la Couronne (BC Hydro dans ce cas) est un proposant ou une partie devant l’organisme de règlementation. De plus, comme le souligne Dwight Newman49, après la publication du jugement dans Carrier Sekani, la Cour suprême du Canada a rejeté une demande d’autorisation d’appel de ce jugement de la Cour d’appel fédérale50, suggérant que Standing Buffalo et Carrier Sekani ne seraient peut-être pas incompatibles. Par la suite, dans Chippewas of the Thames51, la Cour d’appel fédérale à la majorité dans un jugement rendu par le même juge52 a réitéré cette position et, subséquemment, l’Alberta Utilities Commission53, suivant la Cour d’appel fédérale, a fait valoir qu’elle était aussi dans l’incapacité d’évaluer les efforts de consultation de la Couronne dans une affaire pour laquelle la Couronne n’était pas devant elle à titre de partie.

Dans l’une des parties les plus importantes du jugement à l’égard des organismes de règlementation, la Cour suprême a soutenu que dans Chippewas of the Thames, la majorité54 de la Cour d’appel fédérale avait erré en établissant une distinction pour Carrier Sekani pour ce seul motif. Carrier Sekani avait supplanté le jugement précédent de la Cour d’appel fédérale dans Standing Buffalo55. Étant donné que le rôle de décideur final de l’ONÉ dans cette affaire était lui-même la « mesure envisagée par la Couronne », l’ONÉ ne pouvait pas ignorer les assertions selon lesquelles la Couronne ne s’était pas acquittée de son obligation de consulter vraisemblablement au moyen de processus externes, des instances devant l’ONÉ ou d’une combinaison des deux. En matière de compétence ou d’autorité, lorsque l’obligation de consulter n’est pas respectée, l’ONÉ est tenu de « suspendre l’approbation de projets56 ».

Le jugement a poursuivi en prescrivant comment l’ONÉ devrait répondre lorsqu’il y avait contestation pour manque de consultation. Du moins là où une « consultation approfondie » était nécessaire, l’ONÉ devait tenir compte des préoccupations des peuples autochtones dans des raisons écrites démontrant que les plaintes pour consultation insuffisante avaient été prises au sérieux et évaluées. Dans de telles instances, il ne revenait pas à l’ONÉ « d’expliquer comment il avait considéré et traité ces préoccupations57 ».

f. Le contenu de la consultation et des mesures d’accommodement

En plus d’établir les conditions seuils pour la participation au processus de consultation et d’accommodement par les organismes de règlementation ou du moins ceux participant à la prise de la décision finale, les deux jugements sont importants eu égard à la question de savoir ce qu’implique la consultation. Bien que dans Clyde River (Hameau), la Cour suprême du Canada ait confirmé le jugement de la Cour d’appel fédérale58 dans sa reconnaissance que l’ONÉ constituait un véhicule approprié pour assumer en tout ou en partie les responsabilités de consultation de la Couronne, la Cour a toutefois fait valoir que l’ONÉ n’avait pas procédé à une consultation adéquate. Inversement, dans Chippewas of the Thames, la Cour suprême du Canada a renversé le rejet par la Cour d’appel fédérale de la capacité de l’ONÉ de prendre part à une consultation et d’évaluer la suffisance de la consultation, mais a néanmoins soutenu que l’ONÉ avait mené une consultation adéquate. Qu’est-ce qui a mené à cette différence en termes de résultat final?

Dans Clyde River (Hameau), la Cour s’est d’abord penchée sur l’omission de la Couronne de faire savoir explicitement aux participants qu’elle s’en remettait à l’ONÉ pour assumer ses responsabilités en matière de consultation. Pour ce qui est des instances devant l’ONÉ dans une affaire où il avait été concédé l’existence d’une obligation de « consultation approfondie », la Cour a soutenu qu’il y avait bon nombre d’égards auxquels il y avait eu manquement en ce qui a trait à l’obligation de consulter. Il n’y avait pas eu d’audience, pas d’aide financière aux participants, la réponse aux préoccupations des Autochtones concernant l’impact d’essais séismiques sur leurs droits (sous la forme d’un document partiellement traduit de près de 400 pages) était inaccessible et des raisons liées à l’approbation de la demande qui ne traitaient pas précisément de l’impact de la proposition sur des droits ancestraux précis issus de traités censément menacés.

En revanche, dans Chippewas of the Thames, la Cour a soutenu qu’un avis suffisant avait été donné quant à l’intention de la Couronne de s’en remettre aux processus de l’ONÉ pour s’acquitter de son obligation de consulter les groupes autochtones touchés. En réponse à l’allégation que la Couronne (en la personne du ministre des Ressources naturelles) n’avait donné un avis explicite de cette intention qu’une fois l’audience de l’ONÉ terminée, la Cour a répondu qu’il aurait dû être clair pour les groupes autochtones touchés qu’il s’agissait de l’option choisie par la Couronne pour la consultation et, le cas échéant, l’accommodement. Cette présumée connaissance est fondée sur la correspondance préalable avec les représentants gouvernementaux, le fait qu’aucune autre consultation n’ait lieu ni ne soit envisagée, leur participation aux processus de l’ONÉ et le fait qu’ils savaient que l’ONÉ était le décideur final, ce qui rehausse amplement ce que l’on entendait, en ce qui concerne Clyde River (Hameau), par « indiquer clairement » aux groupes autochtones, que la Couronne avait recours aux processus d’un organisme de règlementation pour s’acquitter de son obligation de consulter. Il ne s’agit donc pas nécessairement d’un avis particulier mais plutôt d’une conclusion pouvant découler d’un examen de tous les faits pertinents; quelque chose que les groupes autochtones devraient, du moins à l’occasion, déduire des faits.

Quant à savoir si les processus de l’ONÉ satisfaisaient aux obligations de consultation et d’accommodement de la Couronne, les juges Karakatsanis et Brown ont conclu, même en présumant d’une obligation de « consultation profonde », qu’il y avait des différences suffisantes entre le niveau de participation ici et celui dans Clyde River (Hameau). Parmi ces différences, mentionnons la portée des procédures d’audience de l’ONÉ59 et l’octroi aux groupes autochtones de droits de participation exhaustifs à ces procédures, l’offre d’aide financière aux participants et les raisons détaillées fournies par l’ONÉ, raisons qui tenaient compte de la pertinence des droits des Autochtones pouvant être touchés par l’inversion de la canalisation 9, ce qui comprenait également des discussions à déterminer s’il y avait eu une consultation suffisante. Pour ce qui est de l’accommodement, la Cour a fait mention d’« un nombre de mesures d’accommodement visant à minimiser les risques et à répondre directement aux préoccupations exprimées par les groupes autochtones60 », comme la directive de la décision pour une consultation continue à mesure que le projet évoluait.

g. Questions résiduelles

(i) Le rôle de l’intention du législateur dans la détermination de la capacité d’un organisme de règlementation de procéder à une consultation

Tel que mentionné plus tôt, la juge McLachlin, qui a rendu le jugement de la Cour dans Carrier Sekani, a adopté la position voulant que la capacité d’un tribunal administratif de procéder à une consultation dépende de l’intention du législateur. Il s’agit d’un pouvoir qui doit être conféré expressément et implicitement mais qui ne doit pas être déduit à partir d’une disposition donnant le pouvoir de trancher toute question de fait et de droit relevant de l’exercice de la compétence du décideur, ce qui n’a pas écarté la question de savoir ce qui constituerait des indicateurs suffisants d’un octroi implicite de ce pouvoir.

À la Cour d’appel fédérale, dans Clyde River (Hameau), la juge d’appel Dawson a tenu compte de toute une gamme de facteurs attestant de l’existence d’un « mandat61 » pour procéder à une consultation. Ces facteurs comprennent des dispositions législatives enjoignant ou autorisant l’ONÉ à tenir compte des intérêts des peuples autochtones dans l’exercice du pouvoir particulier ayant été octroyé. Fonder une conclusion quant à un octroi implicite de pouvoir sur de telles dispositions ne pose pas de problème. En effet, il est également acceptable de rattacher ces facteurs aux dispositions concernant les pouvoirs de procédure et les capacités de réparation de l’organisme de règlementation. Toutefois, ce qui cause un problème en ce concerne l’établissement d’un octroi législatif implicite du pouvoir de consulter repose dans les pratiques mêmes de consultation d’un organisme de règlementation.

En effet, il est important que, dans Clyde River (Hameau), la Cour, en reconnaissant la capacité de l’ONÉ d’agir au nom de la Couronne dans l’exécution de l’obligation de consulter, n’exprime pas sa conclusion en termes d’intention législative implicite. La Cour pose plutôt la question de savoir si, compte tenu des pouvoirs prévus par la loi et du pouvoir de discrétion et de réparation, l’ONÉ a la capacité de procéder à une consultation en conformité avec les exigences et en réponse aux attentes de cette obligation élaborée en cour et fondée dans la Constitution. En d’autres mots, l’enquête ne vise plus à savoir si la législature a porté sa pensée collective sur la question de la capacité de l’organisme de règlementation de procéder à une consultation, mais devient plutôt une enquête pour déterminer si la participation à une consultation est une alternative appropriée compte tenu de l’environnement de procédure et de réparation dans lequel évolue l’organisme de règlementation. Dans la mesure où cela concerne l’intention du législateur, on y retrouve un sens beaucoup plus généralisé de la législature ayant l’intention de conférer à un organisme de règlementation tous les pouvoirs dont il aurait besoin pour la réalisation de son mandat, à mesure que celui-ci évolue et est soumis à des impératifs constitutionnels.

De mon point de vue, je n’ai aucun problème avec ce mode d’analyse. Lorsque l’application de droits constitutionnels est en jeu, l’établissement d’une intention précise sinon implicite du législateur selon quoi un tribunal a le pouvoir de prendre part à ce processus d’application devient une enquête superflue. L’enquête devrait plutôt être fondée sur une décision judiciaire afin d’offrir les meilleurs moyens possibles de confirmer les droits en question et répondre à la question de savoir si, compte tenu de l’incidence normale de ses pouvoirs prévus par la loi, l’organisme de règlementation pertinent peut légitimement remplir ce rôle. En effet, il pourrait bien s’agir d’une transformation nécessaire étant donne que, comme l’a reconnu la Cour62, « l’ONÉ et [la Loi sur les opérations pétrolières au Canada63] sont tous deux antérieurs à la reconnaissance judiciaire de l’obligation de consulter ». Par conséquent, bien qu’un simple pouvoir pour examiner toute question de fait et de droit survenant au cours des procédures de l’organisme de règlementation ne soit peut-être pas suffisant, un contexte dans lequel l’organisme de règlementation dispose des capacités de procédure et de réparation nécessaires pour adapter l’exercice de son mandat afin d’y inclure la consultation et, le cas échéant, l’accommodement, le sera.

(ii) Que nécessite le fait de donner un avis d’intention d’avoir recours aux processus de l’organisme de règlementation?

On peut toutefois se questionner sur la relation entre les critères visant à évaluer la capacité d’un organisme de règlementation de prendre part aux consultations et l’exigence voulant que, lorsque la Couronne souhaite s’en remettre aux processus d’un organisme de règlementation pour s’acquitter en tout ou en partie de son obligation de consulter, « il devrait être indiqué clairement aux groupes autochtones touchés que la Couronne aura recours à ceux-ci64 ». Nous avons déjà vu que, bien que Clyde River (Hameau) pris seul puisse suggérer que cela exige de la Couronne qu’elle exprime cette intention clairement dans chaque cas, dans Chippewas of the Thames65, la Cour a accepté que l’intention puisse être établie à partir de toutes les circonstances pertinentes. Plus particulièrement, une telle intention a été déduit dans ce cas à partir d’une combinaison d’interactions antérieures entre la Couronne et les groupes autochtones touchés relativement au processus d’approbation et à la façon dont l’organisme de règlementation a exercé ses pouvoirs dans l’affaire en question et surtout dans l’étendue de son engagement auprès des groupes autochtones touchés. Pour moi, cela soulève des questions quant à savoir jusqu’où ira cette volonté de présumer une connaissance de la part des groupes autochtones. Y a-t-il des circonstances dans lesquelles il serait approprié simplement à la lecture des pouvoirs de procédure et de réparation de l’organisme de règlementation? Que dire donc des pouvoirs appropriés de procédure et de réparation et d’une pratique antérieure de la Couronne de juger adéquats les efforts de consultation et d’accommodement dans l’exercice de ces pouvoirs pour les besoins de la Couronne? En d’autres mots, si le droit et l’obligation d’un organisme de règlementation de procéder à une consultation peuvent être basés sur les pouvoirs, la capacité et les pratiques de l’organisme de règlementation, ces même facteurs pourraient-ils aussi justifier une déduction à savoir que la Couronne « consent » à ce que l’organisme de règlementation s’acquitte de son obligation de consulter et, le cas échéant, d’accommoder?

Dans un esprit un peu différent, la Couronne peut-elle s’acquitter de l’obligation de donner avis au moyen d’un énoncé général à l’effet que, dorénavant, elle aura recours à l’organisme de règlementation en tout ou en partie pour s’acquitter de ses obligations dès que le contexte suscite une telle obligation? Ou, la Couronne ne devrait-elle pas, par excès de prudence, donner avis chaque fois que les circonstances l’exigent? Une autre possibilité serait un énoncé de la part de l’organisme de règlementation même sur avis à la Couronne (en la personne du ministre responsable) et aux parties indiquant que l’organisme de règlementation agira en présumant que, compte tenu de ses pouvoirs de procédure et de réparation, il a la responsabilité initiale de consulter et, le cas échéant, d’accommoder. Cet avis pourrait être général ou donné chaque fois que les circonstances l’exigent.

(iii) Dans quelle mesure les capacités de l’organisme de règlementation concernant la consultation dépendent-elles du fait qu’il agit à titre de décideur final?

Dans Clyde River (Hameau) et Chippewas of the Thames, l’ONÉ était le décideur final, ce qui est manifeste dans les deux décisions. Dans Clyde River (Hameau), les juges Karakatsanis et Brown l’ont confirmé tant pour la question de savoir si les fonctions de l’ONÉ représentent les mesures envisagées par la Couronne que pour le rôle de l’ONÉ dans l’exécution en tout ou en partie de l’obligation de consulter et, le cas échéant, d’accommoder66. Dans Chippewas of the Thames, l’irrévocabilité de la décision de l’ONÉ figurant également en bonne place dans l’assertion de la Cour que l’ONÉ avait la capacité et l’obligation de déterminer s’il y avait eu une consultation adéquate de la Couronne. Ce recours à l’irrévocabilité des processus décisionnels de l’ONÉ soulève de toute évidence la question suivante : Et qu’en est-il lorsque c’est le gouverneur en conseil ou le Cabinet qui est le décideur final? Qu’en est-il du rôle de l’organisme de règlementation, qui doit lui-même consulter et évaluer l’étendue de toute consultation indépendante par la Couronne?

Dans son article de l’ERQ sur les deux jugements67, Dwight Newman soutient de façon convaincante qu’il n’y a aucune raison pour laquelle la Couronne, en la personne du gouverneur en conseil, ne pourrait pas avoir recours aux processus de l’ONÉ pour assumer, en tout ou en partie, sa responsabilité de consultation même là où l’ONÉ ne tranche pas mais se contente de faire rapport ou de formuler des recommandations. En effet, en pratique, il existe différentes raisons pour lesquelles la totalité ou la majorité de la consultation requise devrait avoir lieu dans un milieu qui, de plus en plus, n’est autre que le lieu de l’exécution des responsabilités de consultation de la Couronne dans le contexte de la règlementation fédérale de l’énergie.

En effet, Newman poursuit en alléguant68 qu’à la lumière de Clyde River (Hameau) et de Chippewas of the Thames, le jugement majoritaire de la Cour d’appel fédérale dans Nation Gitxaala c. Canada69 ne devrait plus être considéré comme le droit applicable. En bref, il fait valoir que la majorité, en concluant que le gouverneur en conseil avait manqué à son obligation de consulter relativement à la proposition Northern Gateway, n’avait pas suffisamment reconnu le haut niveau de consultation qui avait eu lieu au niveau de l’ONÉ dans le contexte de la préparation d’un rapport pour le gouverneur en conseil sur la proposition. Il conclut par la suite que les deux plus récents jugements de la Cour suprême :

… peuvent bien sous-entendre que la mauvaise décision a été prise dans Gitxaala pour des raisons fondamentales lorsqu’elle s’est traduite par l’annulation d’un projet d’infrastructure énergétique d’envergure par deux juges qui ont mis l’accent sur certaines imperfections de la consultation à une étape qui n’aurait pas été nécessaire de toute façon. Les présentes décisions peuvent très bien supposer qu’il existait en réalité un droit juridique pour la construction du Northern Gateway qui a effectivement été enlevé dans le cadre de gestes qui étaient dans les faits illégaux70.

Devant cette virulente critique du jugement majoritaire de la Cour d’appel fédérale dans Nation Gitxaala et des fondements juridiques et factuels sur lesquels elle s’est fondée, il importe de noter que, parmi les prémisses sous-tendant le raisonnement de la majorité, on compte ce qui suit :

  1. Que le rapport de la commission d’examen conjointe n’a traité que de certains des sujets qu’exigeait la consultation; son mandat ou son ensemble de facteurs pertinents à considérer était plus étroit que celui du gouverneur en conseil71.
  2. Que les deux récents jugements reconnaissaient le droit des peuples autochtones de contester le caractère suffisant de la consultation et des mesures d’accommodement offertes par les organismes de règlementation auxquels la Couronne a eu recours pour s’acquitter de ses obligations constitutionnelles. Bien que cette contestation puisse dans bon nombre d’instances avoir eu lieu dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire ou d’autres instances judiciaires, où la Couronne, en la personne du gouverneur en conseil, doit décider si elle accepte le rapport ou la recommandation de l’organisme de règlementation, le gouverneur en conseil est tenu de répondre à toute préoccupation ou plainte de la part des peuples autochtones.
  3. De façon plus générale, lorsque la Couronne (par l’entremise du gouverneur en conseil), en vertu de la législation pertinente, se réserve expressément le droit d’en arriver à ses propres conclusions à propos d’un projet en particulier, quoique dans le contexte du rapport d’un organisme de règlementation, il y a place à une revendication de consultation suffisante de la part des peuples autochtones à ce niveau72, plus particulièrement lorsque le gouverneur en conseil fait appel à d’autres pour déterminer si ce rapport doit être approuvé73.

En somme, j’accepte l’argument selon lequel, même lorsqu’il n’est pas le décideur final, l’organisme de règlementation constituera un véhicule approprié pour exécuter du moins une partie la responsabilité de la Couronne à l’égard de la consultation et, le cas échéant, de l’accommodement. Toutefois, dans bon nombre d’instances, les processus de l’organisme de règlementation peuvent ne pas répondre à toutes les exigences de l’obligation de consulter, plus particulièrement lorsque le décideur final a un mandat ou un ensemble de tâches d’évaluation plus élargi que celui de l’organisme de règlementation. Peu importe l’étendue de la consultation réalisée par l’organisme de règlementation, de plus amples interactions avec les groupes autochtones à l’étape de l’approbation seront nécessaires dans une telle situation. Le décideur final prévoira également un forum approprié pour la détermination initiale de toute contestation du caractère suffisant de la consultation et des mesures d’accommodement entrepris par l’organisme de règlementation ainsi qu’une solution appropriée pour remédier à toute lacune.

(iv) Le rôle des proposants

Dans le jugement de fond de Nation haida c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts)74, la juge en chef McLachlin, qui a rendu le jugement de la Cour suprême du Canada, a fait valoir que, bien que la Couronne « puisse déléguer aux proposants de l’industrie75 » du moins une partie de ses responsabilités en matière de consultation et d’accommodement, les proposants n’ont pas d’obligation de consultation ni d’accommodement envers les peuples autochtones76. Depuis, les organismes de règlementation ont couramment imposé aux proposants des exigences de consultation approfondie. C’est en effet ce que l’on peut constater dans l’énoncé des faits dans Nation Gitxaala77 ainsi que dans Clyde River (Hameau)78. Dans ce dernier, l’ONÉ a évalué les activités de consultation du proposant et déterminé qu’elles présentaient « des efforts suffisants pour consulter les groupes autochtones pouvant être touchés et tenir compte des préoccupations soulevées79 ». Toutefois, la Cour suprême du Canada a soutenu qu’une certaine responsabilité pour l’omission de consulter revenait au proposant :

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le fait de répondre à des questions qui touchent à l’essence des droits issus de traités en cause au moyen d’un amas documentaire pratiquement inaccessible, et ce, des mois après que les questions aient été posées en personne ne constitue pas une véritable consultation80.

Bien que de nombreuses questions n’aient pas encore été réglées quant à la nature de l’engagement des proposants dans le processus de consultation, à tout le moins cet aspect de Clyde River (Hameau) reconnaît implicitement que, lorsqu’un organisme de règlementation assume en tout ou en partie l’obligation de la Couronne de consulter, cette capacité comprend le droit de déployer des proposants dans le cadre du processus de consultation; elle ne se limite pas aux situations où la Couronne elle-même participe directement à la consultation. Toutefois, ce qui en découle est que, lorsque des groupes autochtones soulèvent des questions concernant une consultation dirigée par l’organisme de règlementation et menée par un proposant dans le cadre des obligations de la Couronne, l’organisme de règlementation et, en dernier ressort, la cour à l’examen ont des responsabilités pour traiter les plaintes concernant le caractère suffisant et l’exactitude de ces consultations. L’acceptation sans réserve des assertions de proposants quant au caractère suffisant et à l’exactitude d’une consultation et de rapports ouvrirait la porte à un recours excessif à la bonne foi des participants intéressés.

Demandes d’autorisation d’appel – La pertinence de la norme de contrôle judiciaire

Dans le cadre de demandes d’autorisation d’appel à la Cour d’appel fédérale et à la Cour suprême du Canada, ces dernières fournissent rarement de raisons pour justifier leurs décisions. Par contre, en Colombie-Britannique et en Alberta, les raisons sont souvent fournies, et il y a un organisme de compétence pour déterminer quels sont les critères appropriés à prendre en considération dans le traitement des demandes d’autorisation d’appel. Dans l’enquête de l’an passé81, j’ai abordé assez longuement dans ce contexte l’étendue, s’il y a lieu, de la pertinence de la norme de contrôle judiciaire à laquelle la cour d’appel fera renvoi pour déterminer le bien-fondé de l’appel. Ce sujet a été abordé en raison d’une divergence manifeste entre les juges de la Cour d’appel de l’Alberta et, plus particulièrement, une déclaration par le juge d’appel McDonald dans FortisAlberta c. Alberta (Utilities Commission) à l’effet que toute décision concernant la norme de contrôle judiciaire relevait de la Cour d’appel dans le cadre d’une audience d’appel où une autorisation avait été accordée, et non du juge chargé de l’autorisation82.

Par la suite, la question s’est rapprochée d’une résolution du moins dans le contexte de l’Alberta en ce qui concerne les appels de droit et de compétence de l’Alberta Utilities Commission (AUC). D’abord, dans Morin c. Alberta (Utilities Commission)83, la juge Rowbotham a semblé clairement confirmer la décision antérieure à l’effet que la norme pertinente de contrôle judiciaire était un facteur à considérer dans la demande du juge chargé de l’appel du critère général visant à déterminer si la demande d’autorisation d’appel soulevait un « cas sérieux et défendable ». Dans un cas où l’un des motifs d’appel était l’omission de donner avis d’une demande d’autorisation d’appel pour prolonger les délais prévus dans la législation pertinente, la juge d’appel Rowbotham a beaucoup insisté sur la nature discrétionnaire de cette décision et le droit de l’AUC à la réserve judiciaire concernant de telles décisions discrétionnaires. En effet, elle a poursuivi en soutenant que la décision survivrait clairement à l’examen de retenue judiciaire. Deuxièmement, le juge d’appel McDonald a lui-même apparemment clarifié sa propre position dans ATCO Electric Ltd. c. Alberta (Utilities Commission)84 en incluant une liste de cinq facteurs liés à la détermination de savoir si la demande d’autorisation d’appel soulevait un « point sérieux et défendable », la « norme de contrôle judiciaire qui sera appliquée si l’autorisation d’appel devait être accordée85 ».

Néanmoins, il est possible que la question n’ait pas encore été réglée définitivement dans la mesure où, dans Bokenfohr c. Pembina Pipeline Corp.86, dont la décision a été rendue au début 2017 avant Morin et ATCO, le juge d’appel Slatter a semblé adopter un critère de compromis. La question à poser pour le juge Slatter était : Quelle norme de contrôle judiciaire « est susceptible d’être appliquée87 » par la Cour d’appel si l’autorisation d’appel n’est pas accordée? Toutefois, on peut se demander si cela est, en réalité, en pratique et en fait de plaidoirie, si différent de la position prise dans les deux jugements subséquents, ce qui est mis en évidence par l’énoncé du juge d’appel Slatter plus tard dans son jugement d’une contestation d’équité procédurale fondée sur l’omission d’accorder un ajournement. Dans ce cas, il semblait se prononcer définitivement sur une norme de contrôle judiciaire pour de telles décisions discrétionnaires de procédure :

La norme de contrôle judiciaire pour le rejet d’un ajournement est très élevée88.

D’importance plus générale dans ce contexte, il y a la question de savoir ce qui constitue une question « de droit et de compétence » à ces fins, ce qui soulève plusieurs questions comme la justiciabilité à l’appel d’une question qui semble être une question mixte de droit et de fait89. Il y a également la question de savoir si, compte tenu de la marginalisation, il n’y a pas élimination de la « compétence90 » comme concept ou catégorie de contrôle dans la théorie générale du droit canadien en matière de contrôle judiciaire, cette compétence cesse d’être pertinente comme point d’entrée seuil dans un appel pour une « question de droit ou de compétence ».

Pour les appelants, tant dans une demande d’autorisation d’appel sur une question de droit et de compétence qu’en bout de ligne dans une décision rendue pour tout appel, le concept de compétence présente toujours une possibilité séduisante. Selon la croyance populaire, le contrôle judiciaire pour la compétence est réalisé en fonction du bien-fondé, et non de la retenue judiciaire ou du caractère raisonnable. Dans le contexte d’appels limités aux questions de droit et de compétence, la classification d’une question de compétence, comme le confirme la catégorie de contrôle traditionnelle mais rarement invoquée du « fait attributif de compétence », ouvre la porte au contrôle judiciaire de questions de fait et d’un mélange inextricable de droit et de fait, généralement exclus des contrôles judiciaires ou des appels de questions de droit.

Je ne prétends pas avoir une réponse définitive quant à savoir comment ces problèmes pourraient être réglés dans un environnement de désenchantement à l’égard de la terminologie sur la compétence. Toutefois, avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, il importe de noter que la compétence n’a pas complètement disparu de la rubrique du droit de contrôle judiciaire canadien depuis Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick91. Il ne faut pas chercher plus loin que Carrier Sekani, dont il est fait renvoi plus tôt dans la présente enquête92. Dans cette affaire, la juge en chef McLachlin, qui a rendu le jugement de la Cour, a fait valoir sans équivoque que la question du rôle de la Commission dans la consultation était une question de compétence assujettie à un contrôle du bien-fondé93. Et, de fait, il est insensé que dans Carrier Sekani ou dans les plus récentes décisions abordées dans la présente enquête, les questions de la capacité de l’organisme de règlementation d’assumer en tout ou en partie les responsabilités de consultation et d’accommodement de la Couronne ou d’évaluer la capacité de la Couronne même à assumer celles-ci aient été traitées autrement que selon leur bien-fondé.

Au début de 2017, le juge d’appel Stratas, qui a rendu le jugement de la Cour d’appel fédérale dans Compagnie des chemins de fer du Canada c. Emerson Milling Inc.94, a fait face à ce dilemme dans le contexte même d’un appel sur une question de droit et de compétence découlant de décisions de l’Office des transports au Canada. Dans ce contexte, il a maintenu que la perpétuation législative du concept d’une question de compétence doit être comprise comme impliquant une catégorie d’enjeux qui n’était pas autrement incorporée dans des questions de droit. Elle ajoute « quelque chose qui va bien au-delà de l’expression ‘question de droit’95 ». Toutefois, quel est le contenu de ce « quelque chose »?

La réponse du juge d’appel Stratas à ce casse-tête se trouve dans le domaine de l’équité procédurale et son avis à l’effet que les questions d’équité procédurale avaient traditionnellement été caractérisées comme des questions de compétence plutôt que comme des questions de droit. C’est pourquoi il fait valoir, dans un appel sur des questions de compétence, que l’accès aux tribunaux est prévu pour toutes les questions d’équité procédurale, même celles concernant une décision par un tribunal ou un organisme96 « dont les faits sont diffus97 ».

Reste à voir si ce câble de sauvetage pour le concept de compétence sera adopté par d’autres tribunaux et, de façon plus générale, si la Cour suprême poursuivra, malgré Carrier Sekani, dans la voie de l’expédition du concept de « compétence » aux oubliettes de l’histoire.

Norme de contrôle judiciaire des décisions ayant une incidence sur les droits et les revendications des peuples autochtones

Dans la section précédente, j’ai noté que, dans Carrier Sekani, la Cour suprême avait fait valoir que le bien-fondé était la norme applicable aux questions concernant le rôle des tribunaux dans le processus de consultation et d’accommodement. Toutefois, même dans le jugement de fond dans Nation haida98, la juge en chef McLachlin avait reconnu que, le seul fait que des droits constitutionnels étaient en question ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas place à la retenue judiciaire pour des composantes de ce processus décisionnel. Bien que l’existence ou la portée de l’obligation de consulter constituait une question de droit normalement examinée en fonction d’une norme de bien-fondé, dans la mesure où les faits de ces requêtes étaient diffus, une cour de révision devait appliquer une norme de caractère raisonnable d’examen sauf pour les décisions purement de droit ou d’un mélange de questions de fait et de droit à partir desquelles une question juridique se dégageait clairement99. Pour ce qui est des questions concernant le processus de consultation, la perfection n’était pas requise; la question était plutôt de savoir si le responsable de l’État avait fait des choix de procédure raisonnables100. Dans le même ordre d’idées, si le responsable de l’État a adéquatement cerné les principes juridiques par lesquels il devrait évaluer la validité de la revendication sur laquelle un droit de consultation était fondé ou la gravité de l’incidence sur les droits revendiqués, la cour doit évaluer l’application de ces principes aux faits en fonction d’une norme de caractère raisonnable101.

À la suite de Dunsmuir, mais même avant Doré c. Barreau du Québec102 et sa reconnaissance de l’application des principes de la norme de contrôle du droit administratif dans un contexte où un droit garanti par la Charte était en question, la Cour dans Carrier Sekani a confirmé103 et appliqué104 l’analyse de la norme de contrôle établie dans Nation haida. Toutefois, en 2017, il y a eu deux jugements dans lesquels des questions ont été soulevées concernant l’universalité des principes du contrôle judiciaire (et de l’analyse de la norme de contrôle traditionnelle) pour le processus décisionnel et les mesures du gouvernement ayant une incidence sur les droits, les revendications et les intérêts des peuples autochtones. Dans l’ordre chronologique, il s’agit du jugement de la Cour d’appel fédérale dans Bande indienne de Coldwater c. Canada (Affaires indiennes et du Développement du Nord)105 et du jugement de la Cour suprême du Canada dans First Nation of Nacho Nyak Dun c. Yukon106, les deux ayant été abordés dans des blogues par Nigel Bankes.

Bande indienne de Coldwater concernait l’approbation par le ministre de la cession d’une servitude réelle de passage de pipeline sur des portions de dix réserves de Premières Nations en Colombie-Britannique. La Cour d’appel fédérale, dans une décision majoritaire renversant un jugement de la Cour fédérale107 a fait valoir que l’approbation devrait être cassée et renvoyée au ministre aux fins de réexamen. Le motif pour cette décision était un manquement à l’obligation fiduciale de la Couronne envers la bande des Premières Nations qui avait présenté une demande de contrôle judiciaire. Afin de déterminer s’il y avait eu manquement à l’obligation fiduciaire, la juge d’appel Dawson, qui a rendu le jugement de la majorité, a fait état du cadre dans lequel l’affaire devait être tranchée108. Étant donné qu’aucune question de compétence n’avait pas été soulevée sur les faits et que la décision concernait un exercice de pouvoir discrétionnaire dépendant largement des faits qui n’entrait dans aucune des catégories de Dunsmuir où le bien-fondé était requis, la décision du ministre pouvait se voir accorder le bénéfice de retenue judiciaire sous la forme d’un examen du caractère raisonnable. Toutefois, la juge d’appel Dawson a reconnu que l’examen du caractère raisonnable dans ce contexte devait tenir compte du fait que ce qui était en jeu était une situation dans laquelle le décideur avait un rapport fiduciaire avec les bandes touchées :

[I]l importe d’observer que Coldwater, en tant que bénéficiaire d’une obligation fiduciaire, ne peut pas être privé de cet avantage parce que le fiduciaire est un décideur dont les décisions doivent être révisées en vertu des principes énoncés dans Dunsmuir… Par conséquent, les obligations fiduciaires imposées au ministre visent à limiter le pouvoir discrétionnaire du ministre, restreignant ainsi l’étendue des résultats raisonnables109 [Traduction].

Nigel Bankes110 se demande donc pourquoi, dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, l’exercice du pouvoir de discrétion par le ministre devrait avoir le bénéfice d’un examen de retenue judiciaire et de caractère raisonnable lorsque, si l’affaire consiste en une action, il n’y aurait pas eu de cette retenue judiciaire mais plutôt une détermination du bien-fondé à savoir s’il y avait eu un manquement à l’obligation fiduciale. Laissant de côté l’exactitude de la prémisse sur laquelle cette affaire est fondée, une question peut être clairement soulevée à savoir s’il est approprié d’étirer l’analyse traditionnelle du contrôle judiciaire pour y inclure toutes les formes de prise de décisions statutaires. De toute évidence, la juge d’appel Dawson a reconnu le dilemme essentiel, mais on pourrait se demander, de façon rhétorique, si le compromis ou le mélange qu’elle a adopté va assez loin.

First Nation of Nacho Nyak Dun présente un contraste apparent dans l’approche. Les faits sont compliqués, mais pour les besoins du point que je souhaite faire, ils sont résumés de façon concise par Nigel Bankes dans son blogue sur l’affaire :

La Cour a conclu que le processus d’aménagement du territoire établi par les accords définitifs du Yukon permettait au Yukon de modifier un plan final recommandé (dans le présent cas le plan d’aménagement régional du bassin hydrographique Peel), mais ce pouvoir de modification ne comprenait pas le pouvoir de changer le plan « en profondeur d’une manière qui reviendrait à le rejeter » (au par. 39). Plus particulièrement, le pouvoir de modification du Yukon était limité par la portée des questions qui avaient été soulevées au cours du processus d’aménagement; il n’était pas possible de soulever de nouvelles questions importantes bien qu’il était possible de répondre à ces circonstances changeantes. Par conséquent, l’approbation présumée du plan par le Yukon était invalide (au par. 35) [Traduction]111.

L’affaire a débuté comme une action pour une mesure de redressement déclaratoire. Toutefois, elle a été traitée pour le reste comme une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, à la Cour d’appel du Yukon112, Dunsmuir a été invoqué à l’appui de la proposition à savoir que, puisque les allégations « concern[aient]113 » la construction adéquate d’un document constitutionnel (l’accord cadre définitif incorporé dans l’accord définitif, un traité dont les parties étaient le Canada, le Yukon et les Premières Nations du Yukon), la norme de contrôle était le bien-fondé.

La juge Karakatsanis, qui a rendu le jugement de la Cour suprême, a reconnu que « l’instance se caractériserait mieux comme un contrôle judiciaire de la décision du Yukon d’approuver son plan d’aménagement du territoire114 », ce qui a une fois de plus fait l’objet d’une critique de la part de Bankes qui a par la suite invoqué plusieurs raisons pour lesquelles des différends concernant la mise en œuvre de traités comme celui-ci ne devraient pas être réglés en « accordant trop d’importance au contrôle judiciaire115 ». Plus particulièrement, il déclare ce qui suit :

Je ne suis pas certain que l’approche de contrôle judiciaire concorde avec l’idée d’établir une relation fondée sur le consentement entre les communautés autochtones et l’État. Le but du contrôle judiciaire est d’assurer l’exercice approprié du pouvoir conféré par la loi plutôt que l’entretien de bonne foi de relations fondées sur le consentement [Traduction]116.

Toutefois, il est intéressant de constater que, dans le cadre du contrôle judiciaire et contrairement à la Cour d’appel du Yukon, le jugement s’abstient de toute évaluation directe par renvoi à Dunsmuir quant à savoir si la norme de contrôle devrait être le bien-fondé ou le caractère raisonnable. La Cour a plutôt adopté une prescription du contrôle judiciaire dans des contextes qui se situent précisément dans le cadre de la mise en œuvre de traités modernes entre les gouvernements du Canada et des peuples autochtones :

Dans le cadre d’une révision judiciaire relative à la mise en œuvre des traités modernes, les tribunaux devraient simplement déterminer si la décision contestée est légale, au lieu de surveiller étroitement la conduite des parties à chaque étape de leur relation établie par traité117.

En un sens, bien sûr, cela pourrait être tout simplement perçu comme un autre moyen d’indiquer que la norme de contrôle judiciaire est le bien-fondé sur de pures questions de droit et de caractère raisonnable en ce qui concerne l’observation des exigences de procédure des dispositions de mise en œuvre d’un traité. Par contre, dans la section sur « Le rôle approprié de la Cour dans ces instances118 », la Cour travaille à l’élaboration d’un cadre pour le rôle de contrôle judiciaire qui est détaillé et adapté au domaine très particulier de la résolution de différends concernant la mise en œuvre et la vie courante de traités modernes comme celui de la présente affaire. Bien que le but ici ne soit pas de rejeter les arguments de Bankes à l’effet que le contrôle judiciaire pourrait déformer ce qui est essentiel à la résolution appropriée de tels différends, cela permet du moins de s’éloigner d’un sens de l’application du cadre Dunsmuir à tous les processus décisionnels du gouvernement pour déterminer et appliquer l’examen du caractère raisonnable et du bien-fondé. Qui plus est, en encadrant le rôle des tribunaux, le jugement semble tenir dûment compte des facteurs qui, selon Bankes, pourraient être négligés dans une conception de contrôle judiciaire pour la résolution de différends dans ce contexte :

[L]es traités visent à renouveler la relation entre les peuples autochtones et la Couronne afin qu’ils soient des partenaires égaux… En réglant les différends que font naître les traités modernes, les tribunaux doivent généralement laisser aux parties la possibilité de régir ensemble et de concilier leurs différences. Certes, la réconciliation exige souvent une certaine retenue de la part des tribunaux119.

Tout ceci ouvre cependant la porte à d’autres examens de la question de la mesure dans laquelle les principes traditionnels du droit canadien en matière de contrôle judiciaire peuvent être adaptés au contexte particulier dans lequel des différends surviennent. Néanmoins, je suis d’avis qu’il y a lieu de se montrer optimiste quant à la voie qu’emprunte la Cour suprême dans le domaine de l’obligation de consulter et, le cas échéant, d’accommoder les peuples autochtones lorsque leurs droits et leurs revendications sont en jeu.

* Professeur émérite, faculté de droit, Queen’s University. Le présent article a largement bénéficié d’échanges avec Keith Bergner, Chris Sanderson, Nigel Bankes, le juge David Stratas et l’ex-juge John Evans, mais son contenu relève entièrement de la responsabilité de l’auteur.

  1. À cet égard, la demande de « dernière minute » du gouvernement de la Colombie-Britannique nouvellement élu pour le statut d’intervenant dans les demandes de contrôle judiciaire de divers éléments de la décision Trans Mountain Pipeline a donné lieu à la décision la plus intéressante concernant l’intervention rendue dans un contexte de règlementation de l’énergie en 2017. Voir Tsleil-Waututh Nation v Canada, 2017 CF 174.
  2. David Mullan, « Évolution du droit administratif pertinent au droit et à la règlementation de l’énergie en 2014 » (2015) 3:1 ERQ 17, aux pp 17-24.
  3. Electric Utilities Act, SA 2003, c E-51, art 26.
  4. Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2.
  5. Règlement sur les transports au Canada, DORS/88-58, art 111.
  6. Loi sur les transports au Canada, CS 1996, c 10, art 37, 67.1(2), qui permet les appels sur une question de droit ou de compétence avec l’autorisation d’un juge de la Cour d’appel fédérale. (Je reviens sur la portée de cette disposition dans la section de la présente enquête sur les demandes d’autorisation d’en appeler.)
  7. Gábor Lukács c Delta Air Lines (25 novembre 2014), 425-C-A-2014, au para 2.
  8. Ibid au para 64.
  9. Ibid au para 68.
  10. Notez qu’il s’agissait d’une extension du critère établi initialement dans la décision de l’Office. La caractérisation initiale du deuxième critère ne comprenait pas l’invalidité constitutionnelle de mesures ou de décisions administratives. En effet, même dans le nouvel énoncé, les termes de la deuxième catégorie ne reflètent pas l’extension de 1986 de la qualité pour agir dans l’intérêt public pour une contestation de la validité de mesures administratives dans le contexte du droit administratif ainsi que pour des motifs constitutionnels : Finlay c Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 RCS 607. Toutefois, aux para 70-71, l’Office indique effectivement qu’il était au courant de cette extension.
  11. Supra note 6, art 41.
  12. Lukács c Canada (Office des transports), 2016 CF 220, 408 DLR (4th) 760.
  13. Ibid au para 32.
  14. Ibid au para 31.
  15. Les trois juges de l’Ontario siégeant à la Cour ont tous exprimé une opinion dissidente : la juge Abella a rendu le jugement dans lequel les juges Moldaver et Karakatsanis ont donné leur assentiment.
  16. Supra note 4 au para 30.
  17. Ibid au para 12.
  18. Ibid au para 13. J’ai de la difficulté à voir cela comme une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, bien qu’en pratique, cela ait peu d’importance dans ce contexte. L’Office semblait déterminer quel critère juridique il croyait être tenu d’observer. Il ne se voyait pas comme ayant un pouvoir discrétionnaire quant au critère à appliquer et au choix de la façon de formuler le critère, ce qui relève traditionnellement du domaine de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.
  19. Voir p. ex. la décision de l’Office, supra note 8 au para 49.
  20. Supra note 4 au para 31.
  21. Ibid au para 43.
  22. Ibid aux para 63-64.
  23. David Dyzenhaus, « The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy » dans Michael Taggart, éd, The Province of Administrative Law, Oxford, Hart Publishing, 1997, 279 à la p 286.
  24. Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.
  25. Ibid au para 47.
  26. Ibid.
  27. Supra note 4 aux para 22-28, avec renvoi particulier à Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708.
  28. Ibid au para 24.
  29. Paul Daly, « Reasons and Reasonableness: Delta Air Lines Inc. v. Lukács, 2018 SCC 2 » (22 janvier 2018), Administrative Law Matters (blogue), en ligne : <www.administrativelawmatters.com/blog/2018/01/22/reasons-and-reasonableness-in-administrative-law-delta-air-lines-inc-v-lukacs-2018-scc–2/> [en anglais seulement].
  30. Ibid. Daly est particulièrement préoccupé par l’idée que le jugement de la juge en chef McLachlin puisse encourager les tribunaux et les organismes à n’offrir que de maigres raisons pour ensuite arguer en faveur d’une adjonction (plutôt qu’une supplantation) en réponse à une demande de contrôle judiciaire ou un appel prévu par la loi. Pour un examen juridique plus approfondi de ce point chaud du droit en matière de contrôle judiciaire, voir le jugement dissident du juge d’appel Stratas dans Shakov c Canada (Procureur général), 2017 CF 250 aux para 103-06.
  31. Voir Gabrielle Giroday, « SCC decision helps those who want public interest standing at tribunals » (22 janvier 2018) Canadian Legal Newswire, en ligne : <www.canadianlawyermag.com/legalfeeds/> [en anglais seulement].
  32. Supra note 4 au para 18, citant Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 RCS 525, au para 1.
  33. Ibid aux para 19-20.
  34. Bien que les deux jugements abordés dans cette enquête contribuent grandement à clarifier le rôle des organismes de règlementation dans le processus de consultation et d’accommodement, il serait insensé de croire que, par conséquent, le nombre de litiges concernant des questions de consultation diminuera nécessairement. La Cour fédérale d’appel a mis en délibéré les demandes de contrôle judiciaire résultant de la décision Trans Mountain Pipeline dans laquelle il existe d’importantes questions quant au contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder. Le 15 janvier 2018, la Cour suprême a entendu un appel de la Cour d’appel fédérale dans Première nation crie Mikisew c Canada (Ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2016 CF 311, 405 DLR (4th) 721, dont l’enjeu est la mesure dans laquelle l’obligation de consulter s’applique aux instances judiciaires, ce qui comprend l’introduction et l’adoption d’une loi de base : voir [2017] ACSC no 50 (LQ). De fait, les deux jugements abordés dans l’enquête ne sont pas les seuls dont la Cour suprême a été saisie concernant l’obligation de consulter en 2017. Dans Ktunaxa Nation c Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resources Operations), 2017 CSC 54, le but premier de la Cour visait à déterminer si la Première Nation pouvait présenter une demande en vertu du paragraphe 2a) de la Charte et sa garantie de liberté de religion relativement à l’approbation par le gouvernement de la construction d’une station de ski dans une région d’importance pour les croyances religieuses des membres de la Nation. La Cour a rejeté la demande ainsi qu’une autre demande alléguant que la décision du ministre violait l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder. Au cours de son examen de l’obligation de consulter et d’accommoder, la Cour inscrivait la question dans le cadre d’un contrôle judiciaire de la décision du ministre à l’effet que la consultation et les mesures d’accommodement avaient été amplement suffisantes et que le projet pouvait donc être approuvé. Ce faisant, la Cour (au para 77) a adopté une norme de retenue judiciaire pour la décision du ministre quant à la suffisance de la consultation. Le critère vise à déterminer « si la décision du ministre, dans son ensemble, était raisonnable ». Le litige se poursuit de plus bel dans les tribunaux inférieurs comme en témoigne le jugement de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans Saugeen First Nation v Ontario (Minister of Natural Resources and Forestry), 2017 ONSC 3456, faisant droit à une contestation en fonction d’un manque de consultation et de mesures d’accommodement pour l’octroi d’un permis pour l’implantation d’une carrière sur les terres ancestrales de la Première Nation.
  35. Supra note 2 aux pp 27-30; David Mullan, « Évolution du droit administratif pertinent au droit et à la règlementation de l’énergie en 2015 » (2016) 4:1 ERQ 19, aux pp 30-34; David Mullan, « Évolution du droit administratif pertinent au droit et à la règlementation de l’énergie 2016 » (2017) 5:1 ERQ 15, aux pp 16-21.
  36. Clyde River (Hameau) c Petroleum Geo-Services, 2017 CSC 40.
  37. Chippewas of the Thames First Nation c Enbridge Pipelines Inc, 2017 CSC 41.
  38. Dwight Newman, « Changement des attentes relatives à l’obligation de consulter pour les organismes de règlementation du secteur de l’énergie : répercussions plus larges des décisions de la Cour suprême du Canada dans Premières Nations Chippewas de la Thames et Clyde River » (2017) 5:4 ERQ 21, à la p 21.
  39. Nigel Bankes, «Clyde River and Chippewas of the Thames: Some Clarifications Provided but Some Challenges Remain» (4 août 2017), ABlawg (blogue), en ligne : <http://ablawg.ca/wp-content/uploads/2017/08/Blog_NB_Clyde_River_CTFN.pdf> [en anglais seulement]
  40. Supra note 37 au para 23.
  41. Tel qu’il est accepté dans les jugements fondamentaux Nation haida c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511, au para 35 et Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 RCS 560, au para 41.
  42. Dans ce contexte, le texte faisant habituellement autorité était le jugement du juge Iacobucci pour la Cour dans Québec (Procureur général) c Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 RCS 159. Pour une variante de cet argument, voir Chris W Sanderson, c.r. et Michelle S Jones, « Le recoupement du droit autochtone et du droit administratif : Quand une décision règlementaire constitue-t-elle une ‘mesure envisagée de la Couronne’? » (2017) 5:1 ERQ 37.
  43. Supra note 37 au para 29.
  44. Supra note 38 au para 34.
  45. Supra note 37 au para 33.
  46. Supra note 42.
  47. Première nation dakota de Standing Buffalo c Enbridge Pipelines Inc, 2009 CF 308, [2010] 4 RCF 500.
  48. Supra note 39 aux pp 23-24.
  49. [2009] ACSC no 499 (QL).
  50. Chippewas of the Thames First Nation c Enbridge Pipelines Inc, 2015 CF 222, [2016] 3 RCF 96.
  51. Juge d’appel Ryer.
  52. Fort McMurray West 500-kV Transmission Project, Ruling on jurisdiction to determine the Notices of Questions of Constitutional Law, AUC Proceeding 21030.
  53. Ce faisant, elle a préféré la position du juge Rennie, qui a exprimé sa dissidence sur ce point.
  54. Supra note 38 aux para 35-37.
  55. Supra note 37 au para 39.
  56. Supra note 38 au para 63, citant Clyde River (Hameau), supra note 37 au para 41.
  57. Hamlet of Clyde River c TGS-NOPEC Geophysical Company ASA (TGS), 2015 CF 179, [2016] 3 RCF 167.
  58. Selon la Cour dans Clyde River (Hameau), supra note 37 au para 47 et Chippewas of the Thames, supra note 38 au para 52, il y a eu une audience dans Chippewas of the Thames, mais il faut voir le blogue Bankes sur le cas (supra note 40) dans lequel un correspondant (réponse en date du 7 septembre 2017) conteste cette caractérisation du processus.
  59. Supra note 38 au para 57.
  60. Supra note 37 au para 65
  61. Supra note 37 au para 31.
  62. Loi sur les opérations pétrolières au Canada, LRC 1985, c O-7.
  63. Supra note 37 au para 23.
  64. Supra note 38 aux para 45-46.
  65. Supra note 37 au para 39.
  66. Supra note 39 au para 27.
  67. Ibid au para 28.
  68. Gitxaala Nation v Canada, 2016 CF 187, [2016] 4 RCF 418.
  69. Supra note 39 au para 28.
  70. Supra note 69 au para 240.
  71. Pour un point de vue plutôt différent des capacités institutionnelles du gouverneur en conseil quoique dans un contexte différent, voir Première Nation de Prophet River c Canada (Procureur général), 2017 CF 17, et, concernant un processus de contrôle ministériel, l’instance parallèle dans Prophet River First Nation v British Columbia (Minister of the Environment), 2017 BCCA 58, 94 BCLR (5th) 232; j’ai abordé le premier des deux cas dans l’enquête de l’an passé : Supra note 36 aux pp 20-21.
  72. Dans Nation Gitxaala, la Couronne a invoqué un privilège de non-divulgation en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5, pour certains renseignements concernant le processus que le gouverneur en conseil a suivi et, plus particulièrement, tout échange avec d’autres au cours de l’examen du rapport de la commission d’examen conjointe. Voir para 319.
  73. Nation haida c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511.
  74. Ibid au para 53.
  75. Bien qu’ils puissent être assujettis à la responsabilité civile pour d’autres motifs : Ibid aux para 52-56.
  76. Supra note 69 aux para 57-58.
  77. Supra note 37 au para 15
  78. Ibid.
  79. Ibid au para 49.
  80. Supra note 36 aux pp 29-30.
  81. FortisAlberta Inc v Alberta (Utilities Commission), 2014 ABCA 264, au para 26.
  82. Morin v Alberta Utilities Commission, 2017 ABCA 20.
  83. ATCO Electric Ltd v Alberta (Utilities Commission) 2017 ABCA 331, au para 11.
  84. Voir aussi les renvois dans l’enquête de l’an dernier à d’autres jugements du juge d’appel McDonald semblant accepter l’approche normalisée : supra note 36 à la p 30, n 122.
  85. Bokenfohr v Pembina Pipeline Corporation, 2017 ABCA 40.
  86. Ibid au para 2.
  87. Ibid au para 30.
  88. Dans de telles instances, la réponse habituelle semble être que le seuil est franchi lorsqu’une question de droit évidente s’en dégage. Voir l’exposé détaillé du juge d’appel Stratas dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Emerson Milling Inc, 2017 CF 79, aux para 20-28.
  89. Voir l’exposé du juge Rothstein dans Alberta Teachers, supra note 28 aux para 33-43, bien que, compte tenu de Carrier Sekani, supra note 42, l’exposé, au para 33, soit que « [d]epuis Dunsmuir, cette Cour n’a relevé aucune véritable question de compétence », peut être assujetti à une restriction.
  90. Supra note 25.
  91. Supra notes 42, 47.
  92. Ibid aux para 30, 67.
  93. Supra note 89.
  94. Ibid au para 17.
  95. Ibid aux para 18-19.
  96. Ibid au para 19, c’est-à-dire une catégorie d’examen de l’équité procédurale qui n’entrerait peut-être pas dans l’expression « question de droit ».
  97. Supra note 42 aux para 61-63.
  98. Ibid au para 61.
  99. Ibid au para 62.
  100. Ibid au para 63.
  101. Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 RCS 395.
  102. Supra note 42 au para 64. (Et, voir aussi maintenant Ktunaxa Nation, supra note 35, pour l’application d’une norme de contrôle judiciaire de retenue à une décision ministérielle à l’effet que la consultation avait été suffisante pour justifier de procéder à l’approbation de la construction d’une station de ski exploitée à longueur d’année dans une région d’importance religieuse pour les membres d’une Première Nation.)
  103. Ibid aux para 88-90.
  104. Bande indienne de Coldwater c Canada (Affaires indienne et du Nord), 2017 CF 199.
  105. First Nation of Nacho Nyak Dun c Yukon, 2017 CSC 58.
  106. Bande indienne Coldwater c Canada (Affaires indiennes et du Nord), 2016 CF 595.
  107. Supra note 105 aux para 42-47.
  108. Ibid au para 47.
  109. Nigel Bankes, « The Intersection of Discretionary Powers, Fiduciary Duties, the Public Interest and the Standard of Review » (3 octobre 2017) à la p 3, ABlawg (blogue), en ligne : <http://ablawg.ca/wp-content/uploads/2017/10/Blog_NB_Coldwater.pdf> [en anglais seulement].
  110. Nigel Bankes, « Court Confirms that Good Faith Fulfilment of Modern Treaties is Essential to the Project of Reconciliation » (14 décembre 2017), à la p 1, ABlawg (blogue), en ligne : <http://ca.wp-content/uploads/2017/12/Blog_NB_NachoNyak.pdf> [en anglais seulement].
  111. The First Nation of Nacho Nyak Dun v Yukon, 2015 YKCA 18.
  112. Ibid au para 112.
  113. Supra note 106 au para 4. Voir aussi para 32.
  114. Supra note 112 à la p 2.
  115. Ibid.
  116. Supra note 106 au para 4. Voir aussi para 32.
  117. Ibid aux para 32-37.
  118. Ibid au para 33.

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