QUESTIONS DE BASE
1. Parlez-nous de l’organisme que vous dirigez, de sa structure/composition actuelle, de sa taille, de ses initiatives clés et de la portée de ses activités?
La Régie de l’énergie est un tribunal administratif de régulation économique ayant pour mission d’encadrer et de surveiller le secteur de l’énergie au Québec depuis 1997. Ses fonctions principales sont de surveiller les activités des distributeurs d’énergie afin de s’assurer que les approvisionnements sont suffisants pour répondre aux besoins des consommateurs québécois. De plus, elle a comme rôle de fixer les tarifs et les conditions de service destinés aux consommateurs d’électricité, de vapeur et de gaz naturel et d’examiner les plaintes des consommateurs. Il est à souligner que le secteur de la production d’électricité n’est pas règlementé au Québec.
La Régie intervient aussi en matière des tracés de lignes de distribution d’électricité lorsqu’un litige intervient entre une municipalité et Hydro-Québec à cet égard.
La Régie a aussi d’autres mandats liés à l’énergie, dont la surveillance des prix des produits pétroliers et l’adoption et la surveillance des normes de fiabilité du transport d’électricité au Québec. Des mandats additionnels ont été plus récemment confiés à la Régie dont l’analyse de projets de production et d’entreposage d’hydrocarbures et la production d’un avis sur la capacité du Plan directeur de Transition Énergétique Québec à atteindre les cibles définies par le gouvernement en matière énergétique.
La Régie compte 82 employés, en plus de 10 régisseurs, travaillant dans ses bureaux situés à Montréal. Au besoin, une salle d’audience est disponible à Québec. La Régie est composée de 6 directions, soit le Bureau de la présidence, le Bureau des régisseurs, la Direction de l’Administration, la Direction des services juridiques, le Secrétariat, et la Direction générale, planification et règlementation, laquelle regroupe le plus grand nombre d’employés dont les spécialistes en régulation économique.
Pour les dossiers de nature règlementaire, la Régie travaille en mode gestion de projet en regroupant les spécialistes et avocats qui possèdent l’expertise pertinente selon la nature du dossier à traiter. Ces équipes de professionnels assistent et conseillent les régisseurs dans le traitement des dossiers.
La Régie a été particulièrement occupée au cours des deux dernières années avec un nombre de demandes historiquement élevé. Elle a aussi eu à se prononcer sur de nouvelles problématiques qui résultent de percées technologiques récentes. Ainsi, la Régie a rendu une première décision en avril dernier concernant une proposition d’Hydro-Québec quant à la création d’une nouvelle catégorie de clients pour un usage cryptographique appliqué aux chaînes de blocs, à la création d’un bloc d’énergie dédié à cet usage et à la fixation des tarifs et conditions de service qui lui soient propres.
En outre, la Régie a tenu une audience au printemps 2019 sur le projet de déploiement d’infrastructures de recharge rapide, l’une des principales mesures identifiées par le gouvernement du Québec visant à favoriser la vente des véhicules électriques. Ce projet vise à mettre en place près de 1 600 bornes de recharge rapide à courant continu sur une période de 10 ans.
Au cours des dernières années, la Régie a mis l’accent sur certaines approches axées autant sur l’allègement règlementaire qu’administratif. Du côté règlementaire, la Régie a initié un dossier afin d’assurer la mise en place de mécanismes de règlementation incitative pour Hydro-Québec, autant pour ses activités de transport que de distribution. Ces mécanismes sont maintenant en vigueur et devraient contribuer à alléger le processus règlementaire de fixation de tarifs d’électricité en comparaison du modèle de règlementation basé sur le coût de service. Dans le secteur du gaz naturel, la Régie a autorisé Gazifère à déposer une demande de fixation de tarifs sur une base bisannuelle, entraînant ainsi un allégement du processus règlementaire pour les demandeurs. Également, dans le cadre du dossier portant sur la révision complète des conditions de service d’Hydro-Québec distribution, la Régie a autorisé la tenue de séances de travail dès le début du dossier aux termes desquelles les intervenants devaient déposer leurs propositions. À la suite de ces séances de travail, Hydro-Québec a modifié sa preuve afin de tenir compte des recommandations des intervenants. Ce processus a permis d’alléger considérablement le traitement du dossier.
Au niveau administratif, la Régie a proposé un projet de règlement, maintenant en vigueur, afin de hausser les seuils au-delà desquels les projets d’investissement des entreprises assujetties doivent être soumis à la Régie pour approbation, ce qui aura pour effet de réduire le nombre de dossiers à traiter. De plus, la Régie a lancé l’automne dernier un projet pilote afin d’amorcer un virage vers un Tribunal sans papier, permettant ainsi de réduire les coûts liés à la manutention du papier et une plus grande efficience dans le traitement des dossiers. À la lumière des commentaires positifs des participants à nos travaux, la Régie étendra cette manière de faire à l’ensemble des dossiers qu’elle traite.
2. Bien que leurs rôles soient semblables, les nombreux organismes et tribunaux de réglementation de l’énergie au Canada ont des mandats et des responsabilités qui leur sont propres. Selon vous, quels sont les éléments distinctifs de la mission, du mandat législatif et du contexte de votre organisme/Commission/tribunal?
En comparaison avec d’autres provinces, le mandat de la Régie quant aux tarifs d’électricité est particulier en ce que le seul distributeur majeur d’électricité au Québec, Hydro-Québec, est une entreprise monopolistique dont l’unique actionnaire est le gouvernement du Québec. Dans ce contexte, le principe de l’indépendance de l’organisation face à l’influence politique prend toute son importance. Par ailleurs, la création d’un régulateur indépendant comme la Régie répond, notamment, à une demande de réciprocité de la part de la FERC, afin de permettre un libre accès aux marchés Nord-américains de l’électricité.
S’il est adopté, le projet de loi 34 présenté à l’Assemblée nationale en juin dernier par le gouvernement du Québec apportera des changements importants au mode de fixation des tarifs de distribution de l’électricité. Le projet de loi prévoit qu’à compter du 1er avril 2020, les tarifs de distribution de l’électricité seront fixés au même niveau qu’en 2019 et ensuite indexés à l’inflation pour les quatre années suivantes. Par la suite, la Régie serait appelée à fixer les tarifs de distribution d’électricité à tous les cinq ans alors que la pratique actuelle porte sur un examen annuel. Le projet de loi prévoit également le retrait de l’obligation pour Hydro-Québec de faire approuver par la Régie ses programmes commerciaux et ses investissements en matière de distribution de l’électricité. La Régie conserverait par ailleurs les mêmes responsabilités en ce qui a trait à la fixation des tarifs de transport et des conditions de service de distribution d’électricité. De même, la Régie conserverait, en tout temps, la compétence de modifier un tarif existant ou de fixer un nouveau tarif sur demande d’Hydro-Québec distribution, dans la mesure où certaines circonstances le justifient et que le gouvernement a pris un décret indiquant ses préoccupations à cet égard.
La Régie se distingue aussi par des mandats particuliers qui lui sont confiés et qui ne sont pas couramment attribués aux régulateurs dans les autres juridictions canadiennes. Par exemple, un mandat lié à une analyse des projets en vue de l’attribution de licences de production et de stockage d’hydrocarbures. Tout titulaire d’une licence d’exploration qui désire obtenir une licence de production ou de stockage d’hydrocarbures doit soumettre pour analyse son projet et obtenir une décision favorable de la Régie. La construction et l’utilisation des pipelines doivent également faire l’objet d’une demande à la Régie afin d’obtenir une décision favorable.
Le rôle de surveillance des prix des produits pétroliers est unique. La Régie publie plusieurs données qui sont utilisées par les détaillants et les consommateurs. Par exemple, le relevé quotidien des prix de l’essence et des coûts d’acquisition permet au public de repérer où acheter de l’essence au meilleur prix possible. La régie répond également à diverses demandes d’avis du gouvernement en matière de prix des produits pétroliers.
La Régie rend des décisions finales et sans appel, contrairement à la majorité des régulateurs canadiens pour lesquels un appel est prévu soit à la Cour suprême de la province ou encore à la Cour d’appel. Ce trait particulier fait en sorte que toute personne désirant faire renverser une décision de la Régie doit procéder par voie de contrôle judiciaire, ce qui implique un lourd fardeau compte tenu de l’application de la norme de la décision raisonnable appliquée aux décisions de la Régie en reconnaissance de son statut de tribunal expert.
Enfin, l’usage du français constitue le facteur de différentiation le plus évident. La Régie utilise le français pour toutes ses activités, ce qui a un impact important dans le cas des activités liées aux normes de fiabilité du réseau de transport d’électricité puisque dans le contexte nord-américain, la documentation et les communications dans ce domaine sont en anglais.
3. La réglementation économique de l’énergie est au centre de diverses considérations de politiques publiques (économie, environnement, société, action politique). Selon vous, quels seront les plus grands défis réglementaires et législatifs que votre organisme devra relever au cours de la prochaine décennie?
Avec la prise de conscience grandissante à l’échelle planétaire des impacts des émissions de gaz à effet de serre (GES), le plus important défi auquel nous devrons faire face au cours de la prochaine décennie est certainement lié à la transition énergétique. Il s’agit d’un bouleversement très profond et inéluctable qui nous concerne tous. Les principes habituels de régulation économique fonctionnent bien dans un environnement stable. Le modèle traditionnel de régulation économique est construit pour une production d’énergie centralisée avec une très longue période de recouvrement des coûts. Or, la transformation des marchés de l’énergie et les nouvelles applications technologiques engendrent de nouvelles problématiques qui bousculent les principes traditionnels. L’accessibilité grandissante à l’auto-production est un exemple de ces transformations. Dans ce contexte de changements structurels rapides, les régulateurs économiques doivent adapter leurs outils d’analyse et la façon de les appliquer.
Dans le domaine du gaz naturel, la demande grandissante pour le gaz naturel renouvelable représente un autre exemple de transformation qui découle des préoccupations quant aux émissions de GES. Comment définir et encadrer la place du gaz naturel renouvelable (GNR)? Au Québec, dans le but d’augmenter la proportion d’énergie renouvelable, le gouvernement a adopté le Règlement concernant la quantité de gaz naturel renouvelable devant être livrée par un distributeur, lequel prévoit un minimum de 1 % de gaz naturel distribué qui doit être de source renouvelable, et cette proportion sera haussée à 5 % en 2025.
La transition énergétique génère des problématiques complexes impliquant de nombreux acteurs. En vue d’atteindre les objectifs convenus collectivement, sans doute faudra-t-il plus de dialogue entre les régulateurs, les pouvoirs publics et toutes les parties prenantes.
QUESTIONS SUR LES TENDANCES RÉCENTES
1. En ce qui concerne les considérations environnementales, et plus particulièrement les émissions de gaz à effet de serre, pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont ces facteurs influent sur votre approche ou vos processus réglementaires?
La Loi sur la Régie de l’énergie prévoit que dans l’exercice de ses fonctions, la Régie doit favoriser la satisfaction des besoins énergétiques « dans le respect des objectifs des politiques énergétiques du gouvernement et dans une perspective de développement durable et d’équité au plan individuel comme au plan collectif ». Les objectifs de réduction des GES énoncés dans la Politique énergétique 2030 du gouvernement sont donc pris en considération par la Régie. De plus, la Loi prévoit l’obligation pour la Régie de tenir compte dans le cadre de dossiers règlementaires « des préoccupations économiques, sociales et environnementales que peut lui indiquer le gouvernement par décret ».
Le processus de traitement des dossiers mis en place par la Régie permet aussi la prise en compte de ces considérations. Toute personne intéressée par un dossier peut demander d’obtenir le statut d’intervenant et faire valoir son point de vue sur les questions environnementales. D’ailleurs, plusieurs groupes environnementaux s’expriment régulièrement devant la Régie et font des représentations sur les impacts environnementaux dans les divers dossiers, incluant sur la question des émissions de GES. En outre, la Régie possède une expertise à l’interne avec plusieurs professionnels spécialisés en matière économique et énergétique qui sont en mesure d’appuyer adéquatement les régisseurs dans la prise de décision.
2. Nous observons un mouvement de la part de divers organismes de réglementation économique visant à moderniser les tests/formules réglementaires et les modèles de rémunération. L’une de ces mesures a consisté à égaliser le traitement des dépenses d’investissement et des dépenses d’exploitation en termes d’investissements dans les services infonuagiques. Que pensez-vous de la réglementation économique actuelle en ce qui concerne les technologies nouvelles et émergentes, l’innovation et les modèles d’investissement?
Je pense que cela fait partie des responsabilités incontournables des organismes de règlementation d’intégrer dans leur fonctionnement les meilleures pratiques, de demeurer à l’affût des derniers développements et de s’assurer que le personnel les maîtrise bien en vue de produire des analyses rigoureuses et pertinentes.
La compétence est la première valeur retenue par la Régie dans sa planification stratégique 2017-2020. Elle sera certainement reconduite. Plusieurs actions du plan en cours visent à maintenir une vigie active sur les dernières tendances et ensuite sur le partage des connaissances qui en découlent. Le transfert d’expertise et la formation continue figurent aussi parmi les actions prioritaires du plan.
La Régie désire aussi prendre l’initiative et animer des réflexions avec les participants à ses travaux sur les modèles d’analyse utilisés. À titre d’illustration, des travaux ont été amorcés sur la façon d’intégrer les bénéfices non économiques dans les analyses coûts/bénéfices qui sont utilisées pour établir la rentabilité et la pertinence de programmes d’efficacité énergétique ou de projets d’investissement. La démarche en est aux premières étapes du montage d’un dossier et un forum d’échange sera éventuellement organisé pour faire le tour de cette question.
3. Est-il actuellement possible ou sera-t-il possible pour les services publics de travailler en collaboration afin de répondre aux besoins et aux demandes du marché (p. ex. les services publics de gaz naturel qui s’associerait à des gestionnaires de réseau électrique pour produire de l’électricité à partir du gaz afin d’établir un équilibre avec l’électricité renouvelable en utilisant le réseau de gaz comme source de stockage)?
C’est une question intéressante pour les dirigeants de ces entreprises qui commencent à évoquer des possibilités de collaboration dans leurs interventions publiques. Il est envisageable, dans le contexte de la transition énergétique, que de telles opportunités se développent davantage, évidemment, dans la mesure où ces projets répondent aux besoins et demandes du marché.
Les experts du domaine diront probablement que le recours à la conversion de l’électricité en gaz (P2G) convient davantage à certaines situations particulières, par exemple pour alimenter des sites éloignés comme des projets miniers. Très loin des grands centres, le combustible diesel est souvent privilégié mais il coûte cher et se transporte mal. En utilisant l’énergie solaire et éolienne produite près du site, il est possiblement avantageux de mettre sur pied un système basé sur la P2G.
Pour que l’approche soit intéressante, il faut aussi disposer d’un large réseau de distribution de gaz pour convertir l’énergie sur les lieux et l’acheminer là où se trouve le besoin. Au Québec, il n’y a qu’un seul distributeur majeur d’électricité et les entreprises de gaz naturel ont une clientèle au profil différent de celui du reste du Canada. La majeure partie de l’électricité consommée par les Québécois provient d’une ressource renouvelable, l’hydroélectricité. En outre, le réseau gazier a une étendue plus limitée. Dans un tel contexte, il n’y a probablement pas place à de grands déploiements du P2G mais possiblement en solution d’appoint pour des situations particulières.
Ceci dit, pour ce qui est de la Régie, il n’y aurait aucun obstacle règlementaire à la collaboration. Les entreprises assujetties peuvent très bien présenter une demande à la Régie pour requérir l’approbation d’un programme commercial, d’un projet d’investissement commun ou un tarif lié à un tel effort de collaboration.
4. Les contribuables assument le coût de la réglementation. Quels contrôles utilisez-vous pour vous assurer que le contribuable reçoit une valeur proportionnelle aux coûts engagés? Utilisez-vous des mesures de rendement ou participez-vous autrement à des processus (par ex analyse comparative) pour évaluer le rendement des organismes de réglementation?
Afin d’évaluer ses performances, la Régie fait le suivi régulier du nombre de dossiers traités et de décisions rendues avec la durée de traitement des dossiers. Ces données sont publiées dans le rapport annuel et donc mises à la disposition de toute personne qui pourrait s’y intéresser. Par contre, la Régie n’a pas adopté de cibles particulières à atteindre si ce n’est que de respecter l’obligation légale à l’effet que toute décision doit être rendue avec diligence, ce qui est très variable selon la nature et la complexité du dossier à examiner. L’approche privilégiée par la Régie est de maintenir une communication ouverte et continue avec les participants à ses travaux. Ces échanges permettent de recueillir régulièrement les commentaires, notamment quant à l’efficacité des processus en place.
De plus, une rencontre est tenue annuellement avec la majorité des participants aux travaux de la Régie, laquelle permet un échange direct avec le président. Également, un Comité de liaison du Barreau de Montréal avec la Régie, auquel siègent plusieurs représentants des participants à nos travaux, permet d’améliorer en continue nos procédures et pratiques règlementaires. Tenant compte des caractéristiques du marché québécois avec un nombre limité d’assujettis à la juridiction de la Régie, il est relativement facile de maintenir la communication avec eux et de recevoir leurs suggestions d’amélioration quant au traitement administratif des dossiers.
Une façon de mesurer la valeur ajoutée de la Régie pour les consommateurs pourrait consister à comparer l’augmentation annuelle de tarifs demandée par Hydro-Québec et celle fixée par la Régie après analyse du dossier. À titre d’illustration, au cours des 4 dernières années, l’examen de la Régie et des intervenants a résulté en une réduction des revenus requis de tout près de 200M $ en moyenne, ce qui correspond à une réduction tarifaire de l’ordre de 2 % par année pour les consommateurs. En moyenne, pour chaque 1 $ de coût de fonctionnement de la Régie correspond une réduction tarifaire de l’ordre de 110 $. Ces estimations sommaires indiquent assez clairement que les consommateurs en ont pour leur argent.