Willie Grieve 1953-2018
Le matin du 21 novembre, les avocats et les économistes de l’énergie de partout au Canada ont reçu une triste nouvelle : Willie Grieve, président de longue date de l’Alberta Utilities Commission (AUC), était décédé la veille au soir.
Willie était un pilier dans son milieu. Ce grand homme aux longs cheveux blancs est devenu en peu de temps un modèle d’excellence dans le secteur de la règlementation. Il était un arbitre de premier plan et siégeait dans le cadre de toutes les plus grandes affaires. Ses décisions ont été un modèle de clarté et ont été confirmées par les plus hautes cours du pays.
C’était aussi un professeur brillant. Chaque printemps, il se rendait en camion à l’Université Queen’s pour y donner sa conférence annuelle sur la règlementation incitative. Le cours de CAMPUT en règlementation énergétique de l’Université Queen’s s’adresse à un ensemble diversifié d’étudiants, dont des jeunes qui viennent de se joindre à la profession et d’aînés qui reviennent à titre de représentants d’organismes de règlementation. Chaque année, ils étaient tous envoûtés lorsque Willie leur présentait un curieux mélange de droit de l’énergie, d’économie de l’énergie et de conseils pratiques fondés sur ses 20 ans d’expérience en litiges partout au Canada.
Les rédacteurs en chef de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie voulaient publier un mémorial en son honneur. Nous nous sommes donc tournés vers ses deux amis les plus proches, Bob Heggie et Mark Rodger, dont les réflexions suivent.
Willie* :
« Je crois qu’il n’y a pas de vocation plus noble que celle du service public » – Willie Grieve
Le décès de Willie Grieve a été une perte dévastatrice non seulement pour l’AUC, dont Willie a été le président de 2008 à 2018, mais aussi pour tous ceux et celles qui travaillent dans le domaine de la règlementation.
Les rédacteurs en chef de cette publication trimestrielle, à laquelle Willie a contribué avec enthousiasme et qu’il a lue, nous ont demandé, à Mark Rodger et à moi, de lui offrir un hommage commémoratif. Nous sommes, bien sûr, honorés de le faire. Après avoir lu le merveilleux hommage de Mark au sujet de la personnalité et du caractère de Willie (l’hommage de Mark suit), je me concentrerai sur ses réalisations professionnelles.
J’ai eu la chance de travailler en étroite collaboration avec Willie pendant une décennie, et nous avons parlé pratiquement tous les jours pendant cette période.
Avocat de formation attiré par l’économie, érudit dans l’âme et passionné de musique, Willie était très heureux lorsqu’il participait à des conversations. Que ce soit en répondant à des questions, en discutant d’idées, en argumentant, en examinant un travail ou en transmettant sa sagesse, Willie apprenait quelque chose de nouveau à presque toutes les personnes qu’il rencontrait.
Pour ceux et celles d’entre vous qui ont connu Willie, vous savez qu’il rappelait la légende de la Magna Carta en presque toutes occasions. Je l’ai entendu parler de l’esprit et des clauses de la Magna Carta à des ministres adjoints, à des dirigeants d’entreprise, à ma famille et même au garde de sécurité dans le hall de notre immeuble.
Willie se considérait choyé d’être notre président – c’était son emploi de rêve. Willie aimait raconter l’histoire de ses confrères et consœurs de son cours de droit qui partageaient leurs ambitions professionnelles. Il se souvenait de ses camarades de classe qui lui avaient fait part de leurs diverses aspirations, notamment celles d’avocat plaidant, de négociateur d’entreprise ou de juge. Pour sa part, Willie avait annoncé qu’il voulait être un « représentant d’un organisme de règlementation des services publics », ce à quoi ses camarades de classe répondaient collectivement : « c’est quoi ça? »
Le chemin qu’il a parcouru jusqu’à nous lui a permis d’acquérir une vaste expérience et de comprendre fondamentalement à la fois la substance de notre travail et la façon dont un organisme administratif devrait fonctionner pour réussir dans son environnement opérationnel unique.
Willie a notamment été avocat général de la Saskatchewan Public Utilities Review Commission, conseiller juridique du CRTC, de Stentor et d’AGT/Telus ainsi qu’adjoint spécial du ministre fédéral de l’Énergie, des Mines et des Ressources. Il a également occupé pendant dix ans des postes de direction au sein du groupe de règlementation de TELUS.
En d’autres termes, avant de devenir notre président, il avait joué les divers rôles et représenté ou agi pour les divers intérêts qui constituent l’intérêt public.
En tant que premier président de l’AUC, il a fait l’impensable : réformer, parler librement des marchés et de la technologie, remettre en question le statu quo, s’attaquer au langage codé et aux acronymes, en plus de défendre l’économie dans nos décisions.
Son travail à la Commission a eu un impact durable. Les affaires où il a siégé étaient d’une importance cruciale, et les décisions qu’il a rendues étaient d’une grande qualité et portaient toujours sa signature : une formulation simple et claire. Le plus important et le plus impressionnant, c’est sa présence sérieuse, calme et imposante dans une salle d’audience. C’est une compétence unique que de se donner un air judiciaire, tout en veillant à ce que tous ceux et celles qui se trouvent dans la salle d’audience se sentent les bienvenus et entendus.
Sa présence était imposante avec son 1,80 m et « sa chevelure ». Il était toujours impeccablement vêtu – costume, chaussures polies et cravates spectaculaires faites à la main par son tailleur à Saskatoon. Son image réconfortait les membres de notre personnel. Son look de leader important, fiable et digne de confiance représentait une pierre pour asseoir notre croissance vers la stabilité et la respectabilité.
Lorsqu’il délibérait avec ses collègues de la Commission lors d’une réunion d’un groupe de travail sur une affaire, le droit de parole n’était accordé que si l’allégation était logique, théoriquement valable et sans ordre du jour caché. Dès sa première affaire, il avait recours et s’attendait à une approche solide reposant sur des principes, des décisions fondées sur des preuves et des arguments rationnels à l’appui des solutions ou des idées proposées.
L’éthique de travail de Willie était légendaire. L’AUC a une règle selon laquelle ses décisions sont rendues au plus tard 90 jours après la fin de l’audience. Compte tenu du nombre de décisions que nous rendons, de nombreuses affaires sont renvoyées à la Cour suprême. Cela signifie dans de nombreux cas qu’il faut travailler jusqu’à minuit le 89e jour.
Pour Willie, cela n’a jamais signifié donner des ordres de la passerelle à la salle des machines. Il retroussait ses manches et travaillait côte à côte avec le personnel pour respecter l’échéance. Je ne peux pas compter le nombre de fois où je me suis trouvé dans son bureau à 17 h ou 18 h alors qu’il mettait son ordinateur portable dans son étui. Je lui demandais alors pourquoi il apportait son ordinateur avec lui, et il me répondait : « Je retourne à la grotte (son condominium) pour dormir quelques heures et, à mon réveil, je rédigerai une partie de la décision ». Plusieurs membres de l’AUC se rappelleront les courriels qu’il leur envoyait à 3 h du matin. Pour lui, il était tout simplement hors de question de demander au personnel de faire quelque chose qu’il n’était pas prêt à faire lui-même.
Quand j’ai demandé à Willie de quelles réalisations il était le plus fier, il a refusé de répondre, ce qui témoigne de son humilité. Lorsque j’ai insisté, il a souri et m’a répondu avec réticence que l’adoption de la tarification basée sur le rendement avait été plus difficile et pris plus de temps qu’il ne l’avait prévu. C’était une innovation que son mentor et ami très cher, Alfred Kahn, aurait appréciée.
Ses réalisations vont au-delà du travail de règlementation. Pour notre personnel, il a toujours été accessible et a toujours fait preuve d’attention et de compassion en leur parlant sincèrement sur un plan personnel. Débateur charmant avec une grande expérience, quel que soit le sujet, il vous parlait comme à un ami. Je sais que bon nombre d’entre vous qui lisez ceci se rappelleront de cette qualité.
Willie a souvent parlé de l’avenir de la règlementation. Il a imaginé un certain nombre de problèmes fascinants découlant de l’évolution technologique et de la concurrence. Il m’a dit : « Ce sera difficile de faire de la luge, mais ce sera excitant; vous devrez être agile et capable de réagir; ce sera tellement amusant! ».
Willie nous manquera à l’AUC, et son décès nous touchera beaucoup. Nous nous inspirerons de son merveilleux exemple pour relever ces défis et continuer à bâtir l’AUC sur les fondations qu’il a créées.
EN MÉMOIRE DE MON AMI, LE SAGE ET MAGNIFIQUE WILLIE GRIEVE**
Dans le secteur canadien de l’énergie, nous avons la chance de travailler avec de nombreux collègues talentueux dans un large éventail de disciplines professionnelles. Parfois, on a la chance de recevoir un cadeau inattendu : l’épanouissement d’une relation de travail professionnelle qui se transforme en une amitié personnelle durable et forte. Telle a été mon expérience avec le géant doux Willie Grieve.
Bob Heggie a rendu un hommage appuyé et bien mérité à Willie, en faisant ressortir son leadership et ses réalisations impressionnantes à l’AUC. Mes remarques et mes souvenirs à son sujet vont au-delà de l’AUC et de la salle d’audience. Ce sont celles d’un ami proche et personnel.
Les premières influences sont toujours déterminantes pour façonner le caractère d’un homme. Willie est né en Colombie-Britannique et a passé ses premières années à Markham, en Ontario. Cependant, les autres amours de sa vie (mis à part sa merveilleuse épouse Barb) étaient les villes de l’Ouest où il a vécu : Saskatoon en Saskatchewan et Edmonton en Alberta. Avant que Willie ne devienne avocat, puis représentant d’un organisme de règlementation de l’énergie, il était trompettiste professionnel et a fait des tournées avec des groupes partout au Canada. Notre intérêt mutuel pour la musique nous a amenés à vivre nos propres aventures lors de divers concerts et festivals de musique au Canada et aux États-Unis au cours de la dernière décennie.
Willie savait jouer, mais il savait aussi ficeler une histoire, et il a raconté beaucoup d’histoires intéressantes et souvent comiques pendant ses jours insouciants et impécunieux comme musicien itinérant. Après avoir obtenu son diplôme du College of Law de l’Université de la Saskatchewan en 1984, Willie a cessé ses tournées, mais il a conservé une passion pour la musique qui a duré toute sa vie et qui s’est transmise d’une génération à l’autre. Willie laisse derrière lui son brillant fils Rob, un guitariste et auteur-compositeur virtuose qui enregistre des albums et qui joue devant des foules de stades du monde entier. L’un des principaux points de fierté de Willie vers la fin de sa vie était que les réalisations musicales de Rob avaient clairement éclipsé les siennes.
Willie a joué de la trompette pour la dernière fois en juillet 2018 à notre pub local de Port Medway, en Nouvelle-Écosse. C’était une de ces nuits d’été magiques et chaudes, avec des brises de mer qui balayaient la porte moustiquaire ainsi qu’avec de grands amis et des lumières de porche qui scintillaient partout. Le groupe local a ouvert le deuxième portion de la soirée avec Does Anyone Really Know What Time It Is? de Chicago. Willie s’est joint à nous avec son riff de trompette que nous connaissons tous par cœur et que nous aimerions bien pouvoir jouer nous-mêmes. Il a cassé la baraque! Puis Willie a continué à jouer toute la nuit.
Les actes aléatoires de générosité en disent long sur la nature d’une personne. Il y a quelques années, Willie et moi assistions à un festival de Blues à Memphis, au Tennessee. Vers deux heures du matin, nous nous sommes retrouvés au milieu d’une foule très nombreuse sur Beale Street, la principale artère musicale de Memphis. Nous avons eu une conversation avec deux jeunes hommes de la campagne du Mississippi. Il s’est avéré que l’un d’eux était un footballeur universitaire américain à succès qui n’avait pas eu la chance d’atteindre la NFL. Willie l’a encouragé à envisager la Canadian Football League (CFL). À la fin de notre discussion, Willie avait pris les coordonnées du jeune homme et lui avait promis de communiquer avec quelques équipes de la CFL pour faciliter une présentation et un éventuel essai. Willie et le jeune homme ont communiqué par courriel pendant quelques mois, et je crois que celui-ci a finalement saisi une occasion de jouer dans la ligue canadienne. Ces jeunes nous ont dit que Willie et moi étions les premiers Canadiens qu’ils rencontraient. Ils étaient stupéfaits que Willie, d’une ville des Prairies dont ils n’avaient jamais entendu parler et qu’ils ne savaient pas prononcer, s’intéressait suffisamment à la situation du jeune homme pour lui tendre la main. Mais ce genre de comportement était tout simplement une évidence pour Willie Grieve, et c’est l’une de ses qualités que le rendait si cher à tant de gens.
Willie, bien qu’extrêmement accompli, était humble. Il n’a jamais parlé de ses réalisations. Celles-ci parlaient d’elles-mêmes. Il croyait qu’une carrière en droit demeurait une noble entreprise qui pouvait changer pour le mieux des vies, et même le monde. Sa fille Sarah, déjà titulaire d’une maîtrise, a l’intention de suivre ses traces et de faire des études de droit. Sarah est également bassiste. Comme il fallait s’y attendre, Willie s’intéressait particulièrement aux jeunes au début de leur carrière et tout particulièrement à leur apport. Avec son style facile et accueillant et son attitude ouverte, Willie s’est rendu accessible auprès de nouveaux ingénieurs, économistes, avocats et autres professionnels. Il leur a fourni de nombreuses idées précieuses et les a encouragés à « faire mieux ». Ces interactions leur ont permis de mieux comprendre le fonctionnement du secteur de l’énergie, mais aussi à mieux cerner quelque chose de moins tangible, mais peut-être encore plus important : comment les membres de la prochaine génération pourront poursuivre pleinement leur carrière et apporter une contribution significative.
Willie a appris toute sa vie et a participé à des débats rigoureux sur un large éventail de sujets. Il a été un collaborateur et un conférencier dévoué au cours de règlementation énergétique de CAMPUT à l’Université Queen’s, qui a lieu chaque année à Kingston, en Ontario. Willie a également été l’un des fondateurs du Canadian Energy Law Forum, qui en est maintenant à sa 13e année d’existence, et un membre actif du comité de programme du Northwind Electricity Invitational Forum, qui en est à sa 15e année d’existence. Ces forums canadiens uniques représentent des occasions inestimables pour les intervenants d’échanger de l’information et de discuter de questions cruciales et souvent délicates d’une manière constructive et respectueuse. Ni l’un ni l’autre forum n’aurait remporté le succès qu’il a connu sans le soutien actif et les encouragements de Willie.
Enfin, un mot sur Barbara (Barb), la tendre moitié de Willie. Originaire d’une ferme rustique de la prairie de la Saskatchewan, Barb est une éducatrice, une artisane et une couturière de talent. Elle a appris à connaître Willie à travers le prisme de la politique provinciale, il y a un peu plus de 30 ans. Ce sont d’abord et avant tout des gens de famille, et ensuite, des amateurs de hockey dévoués. Il y a quelques années, ma femme Jane et moi avons assisté avec eux à un tournoi mondial de hockey junior à Toronto à Noël. Barb et Willie ont continué la fête en assistant à tous les matchs d’Équipe Canada à Toronto, puis en faisant un voyage à Montréal pour compléter la série. Barb continue de jouer au hockey à Edmonton. Willie laisse aussi derrière lui sa mère de 97 ans, Inger, et sa sœur, Anne Jane, qui vivent toutes deux à Saskatoon, de même que sa sœur Barbara (Peter Gerber) qui vit à Grand Blanc, au Michigan.
Alors Willie, merci beaucoup pour le temps que nous avons passé ensemble. Merci d’avoir inspiré tant d’entre nous.
* Bob Heggie est directeur général de l’Alberta Utilities Commission.
**Mark Rodger est associé chez Borden Ladner Gervais, à Toronto.