Le Canada et ses provinces connaissent une fois de plus des problèmes de croissance qui nécessitent un jugement définitif de la part de la Cour suprême du Canada. La source de ces problèmes réside dans la réglementation sur les changements climatiques et le pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral d’établir des normes minimales pour la tarification provinciale du carbone en vertu de sa Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (la Loi)1. Quatre provinces (la Saskatchewan, l’Ontario, le Manitoba et l’Alberta) ont lancé des contestations constitutionnelles officielles, qui sont appuyées par le Nouveau-Brunswick, mais auxquelles s’oppose la Colombie-Britannique. Le Manitoba a demandé un contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale du Canada pour que celle-ci se prononce sur la constitutionnalité et l’applicabilité de la Loi. Deux cours d’appel (celle de la Saskatchewan et celle de l’Ontario) ont statué sur le renvoi constitutionnel de leur province en confirmant toutes deux la constitutionnalité de la Loi, mais avec au moins une opinion dissidente. La Saskatchewan et l’Ontario ont interjeté appel des décisions de leur Cour d’appel respective auprès de la Cour suprême du Canada, et de nombreuses provinces ont confirmé leur intention d’intervenir dans cette affaire, qui sera apparemment entendue en janvier 2020. Le dossier de renvoi constitutionnel de l’Alberta progresse rapidement et devrait faire l’objet d’une audition et d’une décision de la Cour d’appel de l’Alberta à la fin de l’automne 2019. La Saskatchewan a déposé une requête pour retarder l’audition de l’appel par la Cour suprême jusqu’à ce que la Cour d’appel de l’Alberta ait rendu sa décision. Il est probable que toutes les décisions des cours d’appel de l’Alberta, de l’Ontario et de la Saskatchewan seront portées en appel et entendues ensemble à l’hiver 2020.
Cette pléthore de contestations constitutionnelles mènerait raisonnablement à la conclusion que le Canada est profondément divisé au sujet de la réglementation sur les changements climatiques et de la tarification du carbone. Cependant, un examen plus attentif des éléments de preuve dans tous les débats révèle une tout autre histoire, soit l’émergence d’un consensus national sur l’urgence de lutter contre les changements climatiques et sur la nécessité de s’attaquer à ce problème, en partie au moyen de la tarification du carbone.
Toutes les provinces qui contestent la Loi appuient fortement les preuves démontrant que les changements climatiques sont bel et bien réels, qu’ils sont causés par les humains et qu’ils exigent des mesures urgentes. Il existe un consensus pancanadien à ce sujet, contrairement à ce que l’on observe dans bien d’autres pays, dont les ÉtatsUnis. Or, chacune des provinces ayant lancé des contestations constitutionnelles possède sa propre forme de tarification réglementée du carbone dans le cadre de sa stratégie globale sur le climat. L’Ontario, le Canada, la Saskatchewan, la Colombie-Britannique, l’Alberta et le Nouveau-Brunswick semblent tous proposer ou utiliser une certaine forme de tarification du carbone dans leurs réponses législatives et réglementaires aux changements climatiques2.
En résumé, les preuves présentées devant les cours d’appel soulèvent le questionnement suivant : Le prix du carbone constitue-t-il vraiment une crise existentielle nationale? Les nombreuses contestations constitutionnelles provinciales sont-elles davantage liées à l’application de la Loi et à son contrôle rigoureux? Le prix du carbone cause-t-il vraiment une crise constitutionnelle fédérale-provinciale au Canada, ou s’agit-il simplement d’une tempête dans un verre d’eau?
Afin de faciliter l’examen en cours de ce questionnement fondamental, nous nous pencherons sur : (i) les deux décisions récentes des cours d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario, qui font toutes deux l’objet d’un appel devant la Cour suprême du Canada; (ii) l’état actuel du renvoi devant la Cour d’appel de l’Alberta et de la demande de contrôle judiciaire du Manitoba auprès de la Cour fédérale du Canada.
APERÇU DES DÉCISIONS
Les cours d’appel de l’Ontario et de la Saskatchewan ont confirmé la constitutionnalité du régime fédéral de tarification du carbone en vertu de la Loi dans des décisions rendues le 3 mai 2019 (décision de la Saskatchewan)3 et le 28 juin 2019 (décision de l’Ontario)4 (les décisions). Ces décisions sont importantes tant à l’échelle nationale qu’internationale, car elles établissent un solide dossier factuel concernant la nature urgente des changements climatiques et à propos des motifs constitutionnels canadiens qui justifient la prise de mesures législatives nationales valables à cet égard.
Cour d’appel de la Saskatchewan
Une majorité de 3 contre 2 de la Cour d’appel de la Saskatchewan (CAS) a conclu que la Loi n’est pas inconstitutionnelle en tout ou en partie. La CAS a rejeté certains aspects des arguments du procureur général de la Saskatchewan et du procureur général du Canada pour en arriver à cette décision.
Plus précisément, le juge en chef Richards, écrivant pour la majorité des membres de la CAS, a conclu ce qui suit :
- « L’objet » de la Loi est « l’établissement de normes nationales minimales de tarification des émissions de GES » [traduction] (ce qui correspond en grande partie aux observations du procureur général de la Colombie-Britannique et de l’International Emissions Trading Association), et ne porte donc pas sur la question plus large des « émissions de GES » ou des « émissions cumulatives de GES » [traduction] comme l’allègue le procureur général du Canada5.
- Les « dimensions cumulatives » de l’approche axée sur les émissions de GES « doivent être rejetées parce qu’elles permettraient au Parlement de s’immiscer si profondément dans les domaines de compétence provinciale que l’équilibre du fédéralisme serait rompu » [traduction]. De plus, selon l’analyse de la Cour d’appel de la Saskatchewan, cela « entraverait et limiterait les efforts déployés par les provinces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre » [traduction]6.
- En revanche, la question étroitement interprétée des « normes nationales minimales de tarification des émissions de GES » [traduction] était constitutionnellement valide en vertu des pouvoirs du Parlement en matière de « paix, d’ordre et de bon gouvernement » (POBG) (intérêt national)7.
- Une fois qu’elle est jugée valide en vertu du pouvoir du Parlement en matière de POBG, la question précise des « normes nationales minimales de tarification des émissions de GES » devient une question de compétence fédérale exclusive, ce qui règle la question en suspens à savoir si une province peut agir sur une catégorie de sujets qui a été retenue pour favoriser la POBG.8
- La partie 1 de la Loi (redevance sur les combustibles) a été déclarée comme étant une redevance réglementaire valide et non comme une taxe non valide.
- La partie 2 de la Loi (mécanisme de tarification en fonction des extrants) a également été déclarée comme étant une redevance réglementaire valide et non comme une taxe non valide.
- Le procureur général de la Saskatchewan a soutenu que le principe du fédéralisme était déterminant pour les provinces. Pour sa part, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que le principe du fédéralisme est un outil d’interprétation dans l’analyse constitutionnelle du partage des pouvoirs (et non un impératif constitutionnel autonome qui prime, d’une façon ou d’une autre, sur le partage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces).
- La Cour d’appel de la Saskatchewan a également conclu qu’il existe une distinction entre l’applicabilité de la Loi aux sociétés d’État provinciales (SaskPower et SaskEnergy) et sa validité constitutionnelle, un point qui sera probablement pertinent dans le prochain contrôle judiciaire de la Loi par le Manitoba9.
Les deux juges dissidents de la Cour d’appel de la Saskatchewan différaient à la fois dans leur raisonnement et dans leurs résultats. En effet, les juges Ottenbreit et Caldwell ont conclu ce qui suit :
- La caractérisation de « l’objet de la Loi », interprété au sens large, avait trait aux « émissions de GES », et l’approche plus étroite adoptée par la majorité consistait simplement en une tentative « intelligente », « louche », « aseptisée et trop restreinte » de réglementer les GES provinciaux10.
- L’objet de la Loi, interprété comme tel, est mieux caractérisé comme étant une taxe.
- La partie 1 de la Loi (redevance sur les combustibles) était une taxe, et non une redevance réglementaire, et n’était pas valide sur le plan constitutionnel étant donné son application générale aux questions de compétence provinciale.
- La partie 2 de la Loi (mécanisme de tarification en fonction des extrants) était, en revanche, une redevance réglementaire valide11.
Le procureur général de la Saskatchewan a interjeté appel de la décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan devant la Cour suprême du Canada12. Presque tous les procureurs généraux des provinces sont intervenus dans cette contestation devant la Cour suprême, et presque toutes les provinces devraient y participer. La Cour suprême devrait entendre l’affaire le 14 janvier 2019, mais la Saskatchewan a récemment déposé une requête pour retarder l’audition de son appel jusqu’à ce que la Cour d’appel de l’Alberta ait rendu sa décision.
Cour d’appel de l’Ontario
De même, une majorité de 4 contre 1 de la Cour d’appel de l’Ontario (CAO) a conclu que la Loi est constitutionnelle en vertu des pouvoirs du Parlement sur les questions d’intérêt national pour favoriser la paix, l’ordre et le bon gouvernement au Canada. Le juge en chef Strathy (avec lequel les juges MacPherson et Sharpe étaient d’accord) a rejeté la caractérisation générale du Canada et de l’Ontario de « l’objet » de la Loi et a adopté la vision plus étroite selon laquelle la Loi vise à « établir des normes nationales minimales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre » [traduction]13. Ce faisant, la CAO a donné plus de latitude aux gouvernements provincial et fédéral pour mettre en œuvre une législation significative sur les changements climatiques. La CAO a confirmé l’ensemble de la Loi, y compris le mécanisme de tarification en fonction des extrants et les droits perçus sur les carburants, ces derniers étant considérés comme une redevance réglementaire valide et non comme une taxe.
Cette caractérisation de la part de la CAO est plus large que celle adoptée par la Cour d’appel de la Saskatchewan. La juge en chef adjointe Hoy (souscrivant à l’opinion de la majorité, mais mettant en doute leur caractérisation de l’objet de la Loi) a conclu que l’objet et l’effet de la Loi correspondent davantage à la caractérisation proposée par la Cour d’appel de la Saskatchewan. Elle a caractérisé l’objet de la Loi comme étant « l’établissement de normes nationales minimales de tarification des émissions [de GES] afin de réduire les émissions [de GES] » [traduction]14. Les quatre juges majoritaires ont permis que la Loi, telle qu’elle est définie de façon restrictive, soit maintenue en vertu des pouvoirs du Parlement sur les questions d’intérêt national pour favoriser la paix, l’ordre et le bon gouvernement.
Le juge Huscroft (qui n’était pas d’accord avec le résultat et le raisonnement de la majorité) a conclu que la Loi est inconstitutionnelle en vertu des pouvoirs du Parlement sur les questions d’intérêt national pour favoriser la paix, l’ordre et le bon gouvernement, mais que le Parlement fédéral possède d’autres pouvoirs en vertu desquels il peut adopter une loi valide sur la tarification des GES. Il a conclu que la Loi ne devrait pas être caractérisée en fonction des moyens de la mettre en œuvre, mais plutôt en fonction de son objectif dominant, qui, selon lui, est la « réglementation des émissions de GES »15.
La juge en chef adjointe Hoy et le juge Huscroft s’accordaient pour dire que le fait de classer une affaire dans la catégorie des affaires d’intérêt national pour favoriser la paix, l’ordre et le bon gouvernement confère au Parlement fédéral « la compétence exclusive, de nature plénière, de légiférer dans ce domaine, y compris ses aspects intraprovinciaux » [traduction]16. Une caractérisation restreinte est donc nécessaire pour s’assurer qu’un nouveau domaine permanent de compétence fédérale n’empiète pas sur l’équilibre des pouvoirs fédéraux et provinciaux énoncés dans la Constitution.
Les principaux éléments de la décision comprennent les conclusions de la Cour d’appel de l’Ontario selon lesquelles :
- Les changements climatiques sont une question d’intérêt national et international.
- La Loi tarifie la pollution par le carbone afin de réduire les émissions de GES ainsi que pour encourager l’innovation et l’utilisation de technologies propres de deux façons. Premièrement, la Loi impose une « taxe réglementaire sur les carburants à base de carbone » [traduction]. Deuxièmement, elle établit un « système commercial réglementaire applicable aux grands émetteurs industriels de GES » [traduction] ou un mécanisme de tarification en fonction des extrants. En effet, la Loi comprend des limites pour les émissions, ce qui donne droit à des « crédits » pour ceux qui exploitent leurs activités en respectant leurs limites et à des « tarifs » pour ceux qui les dépassent17.
- Ni la caractérisation proposée par l’Ontario ni celle proposée par le Canada à propos de l’objet de la Loi n’étaient convaincantes. La description de l’Ontario a été jugée trop générale et la caractérisation du Canada en tant qu’ « émissions cumulatives de GES » était trop vague18.
- La Loi ne semble pas entrer en conflit avec une loi ontarienne ou toute autre loi provinciale existante, ni avec les mesures que les provinces peuvent prendre pour réduire les émissions de GES et atténuer les changements climatiques. La Loi laisse une large place aux compétences provinciales en matière de lutte aux changements climatiques et ne fait que mettre en œuvre des normes nationales minimales pour les émissions de gaz à effet de serre, ce que les provinces ne peuvent faire en vertu de la Constitution19.
L’Ontario a annoncé son intention d’en appeler de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, mais au moment de la rédaction du présent article, celle-ci n’avait pas encore déposé son avis d’appel, ce qui doit être fait au plus tard le 28 août 2019.
SITUATION ACTUELLE AU SUJET DU RENVOI DE L’ALBERTA ET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE DU MANITOBA
Cour d’appel de l’Alberta
L’Alberta a lancé sa propre contestation constitutionnelle de la Loi devant la Cour d’appel de l’Alberta20 et accélère l’examen de l’affaire afin de permettre à la Cour suprême du Canada de bénéficier de trois avis de cours d’appel provinciales lorsqu’elle entendra l’affaire. Le juge Slatter tient actuellement un certain nombre d’auditions sur la gestion des causes afin d’accélérer les procédures et de rendre une décision avant la fin de 2019.
Contrôle judiciaire du Manitoba
Le Manitoba a également contesté la constitutionnalité et l’applicabilité de la Loi en présentant une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale du Canada. La Cour fédérale du Canada entendra probablement l’affaire sur « l’applicabilité » de la Loi, mais il n’est pas clair si et comment la constitutionnalité de la Loi sera prise en considération dans cette instance en attendant l’audition de la Cour suprême. À l’heure actuelle, la révision judiciaire du Manitoba doit avoir lieu le 15 janvier 2020, lors d’une conférence de gestion d’instance.
CONCLUSION
De toute évidence, il y a beaucoup de jurisprudence et de considérations judiciaires au sujet de l’approche du Canada en matière de tarification du carbone. De plus, une dimension politique est manifestement associée à la caractérisation des diverses activités fédérales et provinciales de tarification du carbone en tant que « taxe sur le carbone ». Toutefois, un examen plus approfondi des données probantes et des diverses approches fédérales et provinciales en matière de réglementation des changements climatiques et de tarification du carbone révèle clairement l’existence d’un consensus frappant au Canada. L’audition en cours des appels devant la Cour suprême du Canada devrait donc inclure l’examen de la cohérence globale des approches fédérale et provinciales en matière de tarification du carbone et porter davantage sur l’application de la Loi et son contrôle rigoureux. En fait, la tarification du carbone au Canada fait l’objet d’une uniformité nationale qui se reflète dans les spécificités provinciales. Cela témoigne de la souveraineté et de la compétence du Canada et de chacune des provinces dans ce domaine et, ultimement, de la réussite du fédéralisme coopératif.
Le Canada et ses provinces connaissent une fois de plus des problèmes de croissance qui nécessitent un jugement définitif de la part de la Cour suprême du Canada. La source de ces problèmes réside dans la réglementation sur les changements climatiques et le pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral d’établir des normes minimales pour la tarification provinciale du carbone en vertu de sa Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (la Loi)1. Quatre provinces (la Saskatchewan, l’Ontario, le Manitoba et l’Alberta) ont lancé des contestations constitutionnelles officielles, qui sont appuyées par le Nouveau-Brunswick, mais auxquelles s’oppose la Colombie-Britannique. Le Manitoba a demandé un contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale du Canada pour que celle-ci se prononce sur la constitutionnalité et l’applicabilité de la Loi. Deux cours d’appel (celle de la Saskatchewan et celle de l’Ontario) ont statué sur le renvoi constitutionnel de leur province en confirmant toutes deux la constitutionnalité de la Loi, mais avec au moins une opinion dissidente. La Saskatchewan et l’Ontario ont interjeté appel des décisions de leur Cour d’appel respective auprès de la Cour suprême du Canada, et de nombreuses provinces ont confirmé leur intention d’intervenir dans cette affaire, qui sera apparemment entendue en janvier 2020. Le dossier de renvoi constitutionnel de l’Alberta progresse rapidement et devrait faire l’objet d’une audition et d’une décision de la Cour d’appel de l’Alberta à la fin de l’automne 2019. La Saskatchewan a déposé une requête pour retarder l’audition de l’appel par la Cour suprême jusqu’à ce que la Cour d’appel de l’Alberta ait rendu sa décision. Il est probable que toutes les décisions des cours d’appel de l’Alberta, de l’Ontario et de la Saskatchewan seront portées en appel et entendues ensemble à l’hiver 2020.
Cette pléthore de contestations constitutionnelles mènerait raisonnablement à la conclusion que le Canada est profondément divisé au sujet de la réglementation sur les changements climatiques et de la tarification du carbone. Cependant, un examen plus attentif des éléments de preuve dans tous les débats révèle une tout autre histoire, soit l’émergence d’un consensus national sur l’urgence de lutter contre les changements climatiques et sur la nécessité de s’attaquer à ce problème, en partie au moyen de la tarification du carbone.
Toutes les provinces qui contestent la Loi appuient fortement les preuves démontrant que les changements climatiques sont bel et bien réels, qu’ils sont causés par les humains et qu’ils exigent des mesures urgentes. Il existe un consensus pancanadien à ce sujet, contrairement à ce que l’on observe dans bien d’autres pays, dont les ÉtatsUnis. Or, chacune des provinces ayant lancé des contestations constitutionnelles possède sa propre forme de tarification réglementée du carbone dans le cadre de sa stratégie globale sur le climat. L’Ontario, le Canada, la Saskatchewan, la Colombie-Britannique, l’Alberta et le Nouveau-Brunswick semblent tous proposer ou utiliser une certaine forme de tarification du carbone dans leurs réponses législatives et réglementaires aux changements climatiques2.
En résumé, les preuves présentées devant les cours d’appel soulèvent le questionnement suivant : Le prix du carbone constitue-t-il vraiment une crise existentielle nationale? Les nombreuses contestations constitutionnelles provinciales sont-elles davantage liées à l’application de la Loi et à son contrôle rigoureux? Le prix du carbone cause-t-il vraiment une crise constitutionnelle fédérale-provinciale au Canada, ou s’agit-il simplement d’une tempête dans un verre d’eau?
Afin de faciliter l’examen en cours de ce questionnement fondamental, nous nous pencherons sur : (i) les deux décisions récentes des cours d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario, qui font toutes deux l’objet d’un appel devant la Cour suprême du Canada; (ii) l’état actuel du renvoi devant la Cour d’appel de l’Alberta et de la demande de contrôle judiciaire du Manitoba auprès de la Cour fédérale du Canada.
APERÇU DES DÉCISIONS
Les cours d’appel de l’Ontario et de la Saskatchewan ont confirmé la constitutionnalité du régime fédéral de tarification du carbone en vertu de la Loi dans des décisions rendues le 3 mai 2019 (décision de la Saskatchewan)3 et le 28 juin 2019 (décision de l’Ontario)4 (les décisions). Ces décisions sont importantes tant à l’échelle nationale qu’internationale, car elles établissent un solide dossier factuel concernant la nature urgente des changements climatiques et à propos des motifs constitutionnels canadiens qui justifient la prise de mesures législatives nationales valables à cet égard.
Cour d’appel de la Saskatchewan
Une majorité de 3 contre 2 de la Cour d’appel de la Saskatchewan (CAS) a conclu que la Loi n’est pas inconstitutionnelle en tout ou en partie. La CAS a rejeté certains aspects des arguments du procureur général de la Saskatchewan et du procureur général du Canada pour en arriver à cette décision.
Plus précisément, le juge en chef Richards, écrivant pour la majorité des membres de la CAS, a conclu ce qui suit :
Les deux juges dissidents de la Cour d’appel de la Saskatchewan différaient à la fois dans leur raisonnement et dans leurs résultats. En effet, les juges Ottenbreit et Caldwell ont conclu ce qui suit :
Le procureur général de la Saskatchewan a interjeté appel de la décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan devant la Cour suprême du Canada12. Presque tous les procureurs généraux des provinces sont intervenus dans cette contestation devant la Cour suprême, et presque toutes les provinces devraient y participer. La Cour suprême devrait entendre l’affaire le 14 janvier 2019, mais la Saskatchewan a récemment déposé une requête pour retarder l’audition de son appel jusqu’à ce que la Cour d’appel de l’Alberta ait rendu sa décision.
Cour d’appel de l’Ontario
De même, une majorité de 4 contre 1 de la Cour d’appel de l’Ontario (CAO) a conclu que la Loi est constitutionnelle en vertu des pouvoirs du Parlement sur les questions d’intérêt national pour favoriser la paix, l’ordre et le bon gouvernement au Canada. Le juge en chef Strathy (avec lequel les juges MacPherson et Sharpe étaient d’accord) a rejeté la caractérisation générale du Canada et de l’Ontario de « l’objet » de la Loi et a adopté la vision plus étroite selon laquelle la Loi vise à « établir des normes nationales minimales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre » [traduction]13. Ce faisant, la CAO a donné plus de latitude aux gouvernements provincial et fédéral pour mettre en œuvre une législation significative sur les changements climatiques. La CAO a confirmé l’ensemble de la Loi, y compris le mécanisme de tarification en fonction des extrants et les droits perçus sur les carburants, ces derniers étant considérés comme une redevance réglementaire valide et non comme une taxe.
Cette caractérisation de la part de la CAO est plus large que celle adoptée par la Cour d’appel de la Saskatchewan. La juge en chef adjointe Hoy (souscrivant à l’opinion de la majorité, mais mettant en doute leur caractérisation de l’objet de la Loi) a conclu que l’objet et l’effet de la Loi correspondent davantage à la caractérisation proposée par la Cour d’appel de la Saskatchewan. Elle a caractérisé l’objet de la Loi comme étant « l’établissement de normes nationales minimales de tarification des émissions [de GES] afin de réduire les émissions [de GES] » [traduction]14. Les quatre juges majoritaires ont permis que la Loi, telle qu’elle est définie de façon restrictive, soit maintenue en vertu des pouvoirs du Parlement sur les questions d’intérêt national pour favoriser la paix, l’ordre et le bon gouvernement.
Le juge Huscroft (qui n’était pas d’accord avec le résultat et le raisonnement de la majorité) a conclu que la Loi est inconstitutionnelle en vertu des pouvoirs du Parlement sur les questions d’intérêt national pour favoriser la paix, l’ordre et le bon gouvernement, mais que le Parlement fédéral possède d’autres pouvoirs en vertu desquels il peut adopter une loi valide sur la tarification des GES. Il a conclu que la Loi ne devrait pas être caractérisée en fonction des moyens de la mettre en œuvre, mais plutôt en fonction de son objectif dominant, qui, selon lui, est la « réglementation des émissions de GES »15.
La juge en chef adjointe Hoy et le juge Huscroft s’accordaient pour dire que le fait de classer une affaire dans la catégorie des affaires d’intérêt national pour favoriser la paix, l’ordre et le bon gouvernement confère au Parlement fédéral « la compétence exclusive, de nature plénière, de légiférer dans ce domaine, y compris ses aspects intraprovinciaux » [traduction]16. Une caractérisation restreinte est donc nécessaire pour s’assurer qu’un nouveau domaine permanent de compétence fédérale n’empiète pas sur l’équilibre des pouvoirs fédéraux et provinciaux énoncés dans la Constitution.
Les principaux éléments de la décision comprennent les conclusions de la Cour d’appel de l’Ontario selon lesquelles :
L’Ontario a annoncé son intention d’en appeler de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, mais au moment de la rédaction du présent article, celle-ci n’avait pas encore déposé son avis d’appel, ce qui doit être fait au plus tard le 28 août 2019.
SITUATION ACTUELLE AU SUJET DU RENVOI DE L’ALBERTA ET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE DU MANITOBA
Cour d’appel de l’Alberta
L’Alberta a lancé sa propre contestation constitutionnelle de la Loi devant la Cour d’appel de l’Alberta20 et accélère l’examen de l’affaire afin de permettre à la Cour suprême du Canada de bénéficier de trois avis de cours d’appel provinciales lorsqu’elle entendra l’affaire. Le juge Slatter tient actuellement un certain nombre d’auditions sur la gestion des causes afin d’accélérer les procédures et de rendre une décision avant la fin de 2019.
Contrôle judiciaire du Manitoba
Le Manitoba a également contesté la constitutionnalité et l’applicabilité de la Loi en présentant une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale du Canada. La Cour fédérale du Canada entendra probablement l’affaire sur « l’applicabilité » de la Loi, mais il n’est pas clair si et comment la constitutionnalité de la Loi sera prise en considération dans cette instance en attendant l’audition de la Cour suprême. À l’heure actuelle, la révision judiciaire du Manitoba doit avoir lieu le 15 janvier 2020, lors d’une conférence de gestion d’instance.
CONCLUSION
De toute évidence, il y a beaucoup de jurisprudence et de considérations judiciaires au sujet de l’approche du Canada en matière de tarification du carbone. De plus, une dimension politique est manifestement associée à la caractérisation des diverses activités fédérales et provinciales de tarification du carbone en tant que « taxe sur le carbone ». Toutefois, un examen plus approfondi des données probantes et des diverses approches fédérales et provinciales en matière de réglementation des changements climatiques et de tarification du carbone révèle clairement l’existence d’un consensus frappant au Canada. L’audition en cours des appels devant la Cour suprême du Canada devrait donc inclure l’examen de la cohérence globale des approches fédérale et provinciales en matière de tarification du carbone et porter davantage sur l’application de la Loi et son contrôle rigoureux. En fait, la tarification du carbone au Canada fait l’objet d’une uniformité nationale qui se reflète dans les spécificités provinciales. Cela témoigne de la souveraineté et de la compétence du Canada et de chacune des provinces dans ce domaine et, ultimement, de la réussite du fédéralisme coopératif.
* Les deux auteurs travaillent chez DeMarco Allan LLP.