The Grid: The Fraying Wires Between Americans and our Energy Future

Peu d’innovations ont eu un aussi grand impact que la production et la distribution d’électricité vers la fin du XIXe siècle. Du jour au lendemain, les villes et les villages des États-Unis et du Canada se sont sortis de la crasse et du Moyen Âge du charbon et du kérosène et ont été transportés dans le monde magique de « l’hydro » et de « la lampe électrique ». Au tout début de cette révolution électrique, un journal canadien a capté l’esprit de l’époque avec un titre qui proclamait : « Niagara Falls, Berlin Rises » (Niagara chute, Berlin se soulève)1.

Le développement du secteur de l’électricité a fait couler beaucoup d’encre depuis l’époque de Thomas Edison, de George Westinghouse, de Nikola Tesla et, au Canada, du remarquable Adam Beck. Bien sûr, l’histoire de l’hydro est attirante pour les érudits qui souhaitent en faire le récit du point de vue de l’historien, de l’économiste ou de l’ingénieur; bon nombre de ces personnes ont produit des analyses très convaincantes de l’histoire de l’hydro. Il est donc rafraîchissant de lire un nouveau livre à ce sujet. The Grid, écrit par la professeure anthropologue des cultures Gretchen Bakke de l’Université McGill à Montréal.

Bakke pose un regard d’actualité, stimulant et audacieux sur le monde de la production d’électricité de ses débuts compliqués il y a plus d’un siècle jusqu’à notre époque, où des changements de toutes sortes exercent une pression sur le secteur comme jamais auparavant. Bakke soutient dans ces pages que bien que notre infrastructure électrique soit absolument essentielle à la façon dont nous vivons nos vies modernes, le citoyen moyen de l’Amérique du XXIe siècle en sait peu sur cette ressource vitale et s’en soucie encore moins. En outre, elle écrit « il y a un changement profond qui s’opère dans la structure même de la machine qui nous garde au chaud, éclairés et relativement bien lotis ». Au centre de ce « changement profond » se trouve un groupe d’agents de changement allant des types intelligents de Silicon Valley aux hippies vieillissants et aux professeurs retraités, qui semblent tous déterminés à provoquer une restructuration fondamentale du secteur de l’électricité.

The Grid ouvre avec un compte rendu fascinant de ce qui nous a donné le modèle de la « station centrale » qui a dominé le secteur de l’électricité pendant la majorité de son existence en Amérique du Nord. Les lecteurs seraient surpris d’apprendre qu’au début, les centrales électriques étaient petites, locales, et fonctionnaient habituellement de façon intermittente. Edison a mis au point un système reposant sur le courant continu (CC) qui, à ses débuts, avait une portée assez limitée. Westinghouse et Tesla ont répondu avec leur courant alternatif (CA) plus polyvalent, qui avait l’avantage important de pouvoir être transporté sur de bien plus grandes distances que le courant continu à l’époque. Au cours de ces premières années, les producteurs d’électricité vendaient et livraient leur produit directement à divers clients pour des utilisations finales comme l’éclairage, la traction, et bien sûr, la force pour faire fonctionner une économie industrielle en expansion rapide.

Mais il a fallu peu de temps avant que la nature hautement capitalistique du secteur de l’électricité se manifeste. Ainsi, des sommes considérables seraient nécessaires pour construire l’infrastructure requise dans des villes tentaculaires et congestionnées comme New York et Chicago. De nombreuses centrales électriques locales seraient nécessaires pour produire l’électricité requise pour un marché en expansion et une véritable jungle de câbles serait nécessaire pour amener cette électricité sur le marché. Et comment ces sommes seraient-elles recouvrées étant donné que la majorité des clients n’avaient besoin que de quantités limitées d’électricité et que pour une partie de la journée? Eh bien, comme l’explique Bakke, le génie qui a trouvé une solution à ce problème est le secrétaire d’origine anglaise de Thomas Edison du nom de Samuel Insull.

Insull a commencé sa vie en Amérique du Nord comme secrétaire particulier d’Edison mais a vite fait de maîtriser les détails financiers de l’entreprise et est déménagé dans le Midwest où il a assumé la direction de Chicago Edison pour rapidement en faire le joueur dominant dans ce marché. Insull s’est rendu compte que, de façon générale, ses coûts étaient fixes mais sa clientèle était tout simplement trop petite et incapable de lui apporter le flux de revenu nécessaire pour soutenir ses importantes mises de fonds. Il a vite compris que s’il baissait le prix de son produit et variait les taux pour différentes catégories de clients, il pouvait stimuler la demande et ainsi accroître son chiffre d’affaires. Comme Adam Beck en Ontario, Insull s’est employé à commercialiser l’électricité auprès de propriétaires de maisons de la classe moyenne, d’établissements commerciaux et d’exploitations industrielles. En 1894, Chicago Edison a construit la plus grande centrale électrique au monde sur Harrison Street et a constaté qu’avec des « stations centrales » de plus en plus grandes, l’électricité pouvait être produite de façon bien plus efficace et économique. À l’aube du XXe siècle, Chicago Edison était une entreprise florissante dans la grande métropole du Midwest américain.

Selon cette thèse de Bakke, Insull aurait également compris que la règlementation gouvernementale et le monopole localisé s’avéraient une vraie aubaine pour les entreprises de services publics appartenant au secteur privé. Un consensus s’est établi entre les entreprises de services publics au cours de l’époque progressive antitrust en Amérique d’avant la Première Guerre mondiale. Ce consensus prévoyait que « si les services publics acceptaient d’être soumis à une règlementation rigoureuse, les administrations à l›échelle fédérale et des États acceptaient de leur accorder une zone de service garantie dans laquelle aucun autre service d’électricité n’obtiendrait une charte d’exploitation ». Selon Bakke, ces réformes menées par Insull ont établi les paramètres de notre réseau d’électricité pour la majeure partie de l’époque moderne. Insull avait compris que l’électricité pouvait être un produit « pour les masses et non pour quelques individus », que l’électricité aurait un tel attrait auprès de l’ensemble de la population qu’elle inciterait des politiciens circonspects à appuyer des projets d’investissement et de financement qu’ils n’envisageraient pas en temps normal, et c’est Samuel Insull qui « a fait paraître naturelle l’idée que le secteur de l’électricité ne peut exister que dans le cadre d’un monopole ».

Le modèle d’entreprise de grandes centrales de production d’électricité et de zones de service de franchises de monopole d’Insull a prospéré pendant bon nombre d’années et même la Grande Crise n’a pas changé cette formule de base. Oui, écrit Bakke, il est vrai que par le milieu des années 1930, l’empire électrique d’Insull et bon nombre d’autres entreprises de services publics appartenant au secteur privé s’effondraient sous le poids de trop grandes dettes et de pratiques comptables suspectes, mais la question vers la fin des années 1930 n’était pas de savoir s’il y aurait des fournisseurs concurrents au sein d’une localité, mais « dans quel type de monopole un consommateur d’électricité pourrait-il se retrouver : un réseau municipal sans but lucratif ou un service public à but lucratif appartenant au secteur privé ». Après la Deuxième Guerre mondiale, l’expansion économique aux États-Unis représentait l’apogée pour les courtiers en électricité alors que les prix restaient bas, les revenus montaient et l’expansion du réseau semblait n’avoir aucune limite. Pendant tout ce temps, le consommateur est demeuré assez passif, assouvi par des prix attrayants et une panoplie interminable d’appareils et d’applications électriques.

Les années 1970 sont arrivées avec un choc perturbateur. Le Vietnam, l’OPEP, la stagflation, Watergate, Three Mile Island et un consommateur toujours plus inquiet et sceptique sont tous des éléments qui ont convergé pour changer la situation de la complaisance à l’inquiétude et à la consternation. Jimmy Carter est élu président en janvier 1977 et a tôt fait d’entretenir les Américains sur un futur énergétique des plus différents, ce que Bakke désigne affectueusement comme « l’époque du cardigan ». Carter a fait savoir aux Américains que les concepts comme la conservation de l’énergie et l’efficacité énergétique devaient faire partie de la vie et des affaires quotidiennes. Plutôt que de monter le thermostat lorsqu’il fait froid, Carter conseille aux Américains de mettre un chandail! Le Congrès a emboîté le pas avec la National Energy Act2 et la Public Utilities Regulatory Policies Act (PURPA)3, « qui a anéanti le contrôle absolu que les services publics avaient sur tout ce qui entrait dans leur réseau, ce qui passait par celui-ci et ce qui en ressortait ».

La professeure Bakke n’est pas une observatrice neutre dans l’élaboration de ces politiques. Tout au long de ce récit parfois alambiqué, le lecteur est exposé aux préférences indéniables de l’auteure. Par exemple, lorsqu’elle évoque l’époque du cardigan, elle dit au lecteur, à la page 109, que « la PURPA a permis de prouver que l’expansion n’était pas toujours la meilleure solution et que les méga-sociétés de monopole verticalement intégrées et réglementées par le gouvernement n’étaient certainement pas le meilleur moyen de produire et de gérer l’électricité américaine. Les sociétés de petite taille étaient non seulement plus attrayantes, mais aussi plus efficaces et, de surcroît, plus rentables ». Bien qu’il va sans dire que les preuves à l’appui de l’idée que l’expansion n’était pas toujours la meilleure solution et que ces méga-sociétés énergétiques présentaient certainement d’importantes failles soient abondantes, je ne suis pas convaincu que dans l’Amérique urbaine toujours plus complexe du XXIe siècle, on peut facilement conclure que les entreprises de plus petite taille sont toujours préférables ou plus rentables. On ne retrouve dans le récit de Bakke aucune analyse convaincante de la résistance dans les communautés non urbaines à certains éléments de la nouvelle infrastructure énergétique comme les éoliennes au-delà d’une conviction axiomatique à savoir que l’énergie éolienne est essentiellement une bonne chose. Bon nombre de ceux qui suivent le débat énergétique ont pu constater, par exemple, que nombreux sont ceux qui apprécient les éoliennes pourvu qu’elles ne soient pas dans leur quartier. Dans le débat énergétique actuel, les éoliennes se retrouvent souvent sur le « banc des pénalités » avec les barrages hydroélectriques, les oléoducs et les pylônes de transport de haute tension.

Bakke se trouve en terrain beaucoup plus solide lorsqu’elle aborde la question du défi croissant que pose la résilience de notre réseau électrique existant. Son analyse de la grande panne d’août 2003 qui a laissé 50 millions d’Américains et de Canadiens dans le noir pendant de nombreux jours est un récit édifiant. Elle rappelle au lecteur de façon très détaillée les menaces auxquelles est exposée toute version d’un « modèle de station centrale », comme le feuillage mal entretenu, les incidents météorologiques extrêmes, l’intersection et l’impact d’une technologie très avancée, et oui, l’effet remarquablement néfaste d’écureuils trop agressifs sur les câbles. Ajoutons à cette liste le fait que, parce que la dérèglementation de l’énergie a effectivement réduit l’électricité à un produit de base comme bien d’autres, il y a maintenant beaucoup moins de joueurs disposés à renforcer le réseau. Parce que la politique publique « a radicalement changé notre façon d’utiliser le réseau… aujourd’hui la physique et l’économique du réseau ne peuvent que travailler à l’encontre l’une de l’autre ». Et Bakke souligne « que le réseau, comme tout système mécanique complexe, n’est pas seulement une machine mais aussi l’environnement réglementaire, commercial, culturel et naturel dans lequel cette machine fonctionne ». Les responsables de l’élaboration de politiques feraient bien d’écouter son conseil lorsqu’elle insiste sur le fait que le réseau n’est pas régi uniquement par son ingénierie et sa gestion, mais aussi par des facteurs comme le changement climatique, des soucis de rentabilité et d’autres facteurs socioculturels qui peuvent changer avec le temps.

Dans les derniers chapitres de ce livre, Bakke aborde l’un de ces facteurs socioculturels, le consommateur d’électricité et comment ce dernier a changé au cours des dernières années. Ici encore, la perspective de l’anthropologue des cultures est à la fois rafraîchissante et utile dans le débat énergétique actuel. Bakke est à son meilleur lorsqu’elle décrit « monsieur et madame véranda » dans des communautés comme celles de Houston (Texas), de Bakerfield (Californie), de Bolder (Colorado) et du secteur rural du Maine. Par exemple, sa description de rencontres entre ces consommateurs et des « types intelligents des services publics » faisant la promotion de compteurs intelligents serait drôle, voire très étonnante et inquiétante. Les représentants des services publics circulent habituellement dans leurs régions de service dans le but de convaincre les consommateurs de la nécessité de réduire la consommation, des bienfaits des taux horaires et d’autres initiatives généralement recommandées visant à réduire la pression exercée sur le réseau et à mieux gérer les coûts pour les fournisseurs et les consommateurs. Toutefois, dans ces dires, les gens des services publics ne semblent pas apprécier ni même comprendre que, pour bon nombre de leurs consommateurs, la vraie question aujourd’hui est le contrôle. Bakke décrit la situation actuelle comme suit : le consommateur veut plus de contrôle sur la façon dont l’électricité est produite, la façon et le moment qu’elle est distribuée et, bien sûr, comment son prix est établi. Elle décrit le consommateur américain comme quelqu’un qui est enclin à croire qu’un compteur intelligent est plus probablement « un dispositif de surveillance » servant les intérêts du service public plutôt qu’à la protection des intérêts du consommateur. Bien que Bakke ne fait qu’effleurer certaines questions très pertinentes comme la gestion de la demande de pointe, elle est très éloquente en ce qui concerne le manque de crédibilité auquel bon nombre de services publics sont confrontés aujourd’hui. Comme le souligne de façon assez colorée l’un de ses témoins, il y a eu des étincelles lorsque la vraie politique des services publics semblait être « compteurs intelligents/consommateurs stupides ».

Comment des sociétés modernes comme le Canada et les États-Unis peuvent-elles faire la quadrature de ce cercle? Dans notre monde numérique et hautement interconnecté d’aujourd’hui, nous dépendons encore plus d’une électricité fiable et de qualité qu’il y a quelques années seulement lorsque bien moins d’applications dépendaient d’une informatique technologique très sensible qui s’interrompt lorsque l’alimentation n’est pas optimale. De nouvelles menaces comme le cyber-terrorisme posent des défis de taille et augmentent les coûts de notre réseau. Mais comme le cycle des nouvelles quotidiennes le montre clairement, non seulement des citoyens de partout semblent ne pas avoir une bonne compréhension de certaines des réalités de base de l’énergie, mais ces mêmes citoyens ne sont aucunement disposés à soutenir ce qui doit être fait pour atteindre ce que Bakke décrit comme le « Saint Graal » d’un meilleur futur en matière d’électricité ou d’énergie. Pour elle, il n’y a pas de doute que ce futur sera une version de la « voie d’énergie douce » d’Amory Lovins parce que Bakke et Lovins croient tous deux que « la voie traditionnelle ou dure » pour surmonter ces défis énergétiques dépendrait trop de la technologie. Il est tout simplement déraisonnable, soutiennent-ils, de s’attendre à ce qu’une machine aussi complexe que notre réseau moderne fondé sur le modèle de la station centrale puisse survivre à ce que les menaces actuelles et futures lui réservent. Pour Bakke, la voie de l’énergie douce pourrait fonctionner si « nous, le peuple », à savoir les ingénieurs, les environnementalistes, les dirigeants d’entreprises, les citoyens engagés, travaillons ensemble pour élaborer un plan qui incorpore de nombreuses solutions. Par exemple, les Forces armées des États-Unis ont élaboré des modèles très transférables de micro-réseaux efficaces; des communautés universitaires dans des États comme New York et la Californie ont fait de même. Elon Musk et d’autres semblent révolutionner le stockage d’énergie. L’électrification du transport est porteuse d’une grande promesse, dont la plus grande partie a été démontrée sur des continents comme l’Amérique du Nord. La conception de bâtiments est un autre secteur dans lequel Bakke voit d’énormes possibilités, lesquelles plairont et serviront au consommateur à un coût abordable. N’est-il pas possible d’imaginer la distribution sans fil d’électricité demande-t-elle?

Alors qu’un autre hiver prend s’assaut l’Amérique du Nord – de Halifax à Atlanta, de Chicago à Whitehorse – des millions de citoyens s’installeront dans leurs maisons ou leurs lieux de travail en s’attendant à ce que les lumières et le chauffage fonctionnent alors que soufflent les vents froids, que la neige tombe et que la glace se forme. Cet hiver, ceux de vous qui s’intéressent au débat sur les politiques de l’énergie/l’électricité pourraient prendre le temps de lire ce qu’un écureuil affamé, une tempête imprévue ou le mauvais sort pourrait faire à notre réseau électrique surmené, sous-financé et malheureusement peu apprécié. Ce livre plaira à certains plus qu’à d’autres et j’entends déjà plusieurs de mes collègues ingénieurs et entrepreneurs se plaindre que des problèmes techniques et économiques essentiels ont été soit ignorés, soit traités à la légère. Dans l’ensemble, Gretchen Bakke nous a rendu un fier service en soulevant d’importantes questions qui doivent être comprises et abordées; le fait qu’elle s’est penchée sur ces questions du point de vue d’un anthropologue des cultures est une valeur ajoutée.

*Sean Conway est un conseiller en politique publique chez Gowling WLG et un professeur invité à la Ryerson University.

  1. Berlin (Ontario) a changé son nom pour Kitchener en 1916.
  2. National Energy Act of 1978 (NEA).
  3. Public Utilities Regulatory Policies Act (PURPA), Pub L No 95–617, 92 Stat 3117 (adoptée le 9 novembre 1978).

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