INTRODUCTION ET APERÇU
La Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) a été dotée d’une nouvelle structure de gouvernance, laquelle est tributaire des travaux du « Comité consultatif d’experts pour la modernisation de la Commission de l’énergie de l’Ontario » (le « Comité Dicerni ») et des recommandations de son rapport (le « Rapport Dicerni[1] ») promulguées par la Loi de 2019 pour réparer le gâchis dans le secteur de l’électricité (projet de loi 87)[2]. La nouvelle structure de gouvernance diffère à bien des égards de celle qu’elle remplace, principalement en ce qui a trait à l’utilisation de ce qu’on appellera ici le modèle corporatif[3].
La façon dont la nouvelle structure organisationnelle a été élaborée et la forme qu’elle prend soulèvent un certain nombre de questions. Le présent document est axé sur trois de ces questions :
- La nouvelle structure de gouvernance est-elle nécessaire
- La nouvelle structure de gouvernance convient-elle à un organisme de réglementation?
- La façon dont la nouvelle structure de gouvernance a été élaborée et mise en oeuvre reflétait-elle une bonne politique publique?
Avant de répondre à ces questions, je me dois de faire ce qui suit :
- décrire ce qu’est la gouvernance et les principes qui devraient l’éclairer;
- décrire ce que j’entends par politique publique ou peut-être plus précisément par une bonne politique publique;
- énoncer les principales fonctions de la CEO et décrire comment l’exécution de ces fonctions se rapporte à la gouvernance;
- décrire la structure de gouvernance remplacée par la nouvelle structure;
- décrire la nouvelle structure de gouvernance.
GOUVERNANCE ET POLITIQUE PUBLIQUE
La gouvernance est un terme utilisé pour décrire les rôles, les mécanismes et les processus par lesquels une organisation est régie. En quoi consisteront ces rôles, mécanismes et processus, comment ils fonctionneront et à quelles fins, sont autant de facteurs qui dépendront, entre autres, de la nature de l’organisation, de ses objectifs et de ses obligations. Pour un organisme de réglementation, la gouvernance peut être définie, de façon générale, comme le mécanisme ou les instruments, les processus et les relations par lesquels l’organisme de réglementation est contrôlé et dirigé, et par lesquels ses décisions et ses actions sont mesurées et responsabilisées. Les mécanismes et les processus comprendraient la structure, les règles et les pratiques propres à l’organisme de réglementation[4].
La CEO a été créée en vertu d’une loi (la Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario [LCEO]) afin de servir l’intérêt public tel que défini dans cette loi et d’autres lois[5]. La LCEO prévoit que la CEO réponse de ses actes devant le gouvernement et l’Assemblée législative. La CEO doit exercer les pouvoirs qui lui sont conférés conformément à la common law et aux lois provinciales pertinentes. L’exercice de ses pouvoirs est assujetti à la surveillance des tribunaux. La structure de gouvernance de la CEO est déterminée en partie par les dispositions de la LCEO et en partie par la façon dont ces dispositions sont interprétées et appliquées par le ministre responsable et par la CEO elle-même.
En revanche, les sociétés par actions, même si elles doivent se conformer aux exigences de la loi en ce qui concerne leur constitution et leurs activités, ne sont pas créées par la loi et servent un objectif fondamentalement différent, principalement celui d’accroître la valeur pour les actionnaires[6]. Par conséquent, les exigences en matière de gouvernance pour les sociétés par actions diffèrent fondamentalement de celles applicables à un organisme de réglementation comme la CEO.
Bien que les besoins des sociétés par actions en matière de gouvernance puissent ressembler superficiellement à ceux d’un organisme de réglementation comme la CEO, comme l’atteinte des objectifs fixés et, bien que le vocabulaire utilisé pour décrire les principes de leurs structures de gouvernance puisse être le même, il se dégage des différences fondamentales entre les deux. En effet, l’utilisation d’une structure de gouvernance applicable à une société par actions peut être inappropriée dans le cas d’un organisme de réglementation comme la CEO et peut même poser un risque que la CEO ne soit pas en mesure de remplir les fonctions qui lui sont attribuées par la loi.
Il existe un certain nombre de principes généralement reconnus de bonne gouvernance pour les sociétés par actions et les organismes de réglementation. Dans le présent document, comme dans le document de 2015, j’utilise les principes élaborés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)[7]. Ces principes comprennent la transparence et la responsabilité. Le contenu de ces principes diffère entre les sociétés par actions et les organismes de réglementation. De plus, certains principes, par exemple la clarté et l’indépendance des rôles, s’appliquent aux organismes de réglementation en raison d’exigences législatives particulières et de la common law, des exigences qui ne s’appliquent pas aux sociétés par actions. Tout au long du présent document, je fais référence aux principes de l’OCDE pour la gouvernance réglementaire comme étant les principes d’une bonne gouvernance réglementaire.
J’utilise aussi les termes « politique publique » et « bonne politique publique » de façon interchangeable. Ce n’est évidemment pas la même chose. La politique publique peut être comprise, dans sa forme la plus fondamentale, comme la façon dont les gouvernements élaborent et appliquent leurs politiques. En ce sens, c’est un terme neutre. Une bonne politique publique, par contre, est une politique publique fondée sur certaines valeurs. Les valeurs qui devraient orienter les politiques publiques comprennent le respect de la primauté du droit, l’intégrité, la transparence et la responsabilité. Pour les besoins du présent document, je m’attacherai à examiner les deux derniers principes, soit la transparence et la responsabilité. À mon avis, ces deux principes, lorsqu’ils ont été appliqués à l’élaboration et à la mise en oeuvre d’une nouvelle structure de gouvernance pour la CEO, exigeaient ce qui suit :
- une description des lacunes de la structure de gouvernance existante, afin que le public comprenne pourquoi elle doit être remplacée;
- une description de la façon dont la nouvelle structure de gouvernance corrigerait ces lacunes;
- une description, en d’autres termes, des raisons du remplacement d’une structure de gouvernance par une autre;
- une description des avantages de la nouvelle structure de gouvernance pour le public;
- une description du fonctionnement de la nouvelle structure de gouvernance.
Le respect de ces principes exige que le gouvernement utilise un langage clair et compréhensible, c’est-à-dire qu’il évite d’utiliser un langage dénué de sens dans la réalité et qui peut être trompeur.
LES FONCTIONS DE LA CEO
La CEO est créée par une loi et n’a que les pouvoirs et les obligations qui sont énoncés dans les lois et les règlements, ou les pouvoirs par voie de conséquence nécessaire pour remplir ses obligations législatives. Dans l’exercice de ces pouvoirs et le respect de ces obligations, la CEO est assujettie aux dispositions des lois et des règlements, ainsi qu’aux exigences, prévues dans la loi ou en common law, encadrant l’exercice de ces pouvoirs. Les décisions découlant de l’exercice de certains de ses pouvoirs peuvent être examinées par les cours supérieures, mais cet examen porte sur la façon dont les pouvoirs ont été exercés plutôt que sur le fondement des décisions.
La CEO est tenue par la loi de rendre certaines décisions par voie d’ordonnance à la suite d’une audience. Ce faisant, la CEO agit à titre de décideur quasi judiciaire. Lorsqu’elle agit à ce titre, elle doit se conformer aux règles de justice naturelle telles qu’elles sont codifiées dans la Loi sur l’exercice des compétences légales[8]. Le fait que la CEO doive agir à titre de décideur quasi judiciaire, sous réserve de ces contraintes juridiques, est l’une des principales différences entre elle et une société par actions. Cela a d’importantes répercussions sur la structure de gouvernance de la CEO, qui seront abordées un peu plus loin.
On dit souvent, à tort, que la CEO réglemente le secteur de l’énergie en Ontario. Ce n’est pas le cas. Les décisions de la CEO touchent moins de 20 % du coût de l’énergie. Les objectifs qu’elle vise sont énoncés dans ses lois habilitantes, principalement la LCEO et la Loi de 1998 sur l’électricité[9]. Ces objectifs ont principalement trait à la détermination des prix à payer pour le transport et la distribution du gaz et de l’électricité. Les lois habilitantes prescrivent également le processus que la CEO doit utiliser pour atteindre ces objectifs.
Pour atteindre ses objectifs, la CEO doit concilier des intérêts souvent concurrents. Elle ne peut servir les intérêts que d’un seul groupe. C’est pourquoi il est inexact de dire que la CEO, comme le gouvernement et la CEO elle-même le font souvent et de façon trompeuse, sert les intérêts des consommateurs. Certains des pouvoirs conférés à la CEO l’autorisent à protéger les consommateurs contre des pratiques frauduleuses dans le domaine de la vente au détail de gaz naturel et d’électricité. Cela ne veut pas dire pour autant que la CEO, en s’acquittant de ses obligations fondamentales d’approuver des tarifs justes et raisonnables pour le transport et la distribution de gaz et d’électricité, agit en qualité d’organisme de protection des consommateurs. Les effets de cette mauvaise compréhension du rôle de la CEO dans l’élaboration de la nouvelle structure de gouvernance sont examinés plus loin dans le présent document.
Les fonctions de la CEO peuvent être réparties en trois catégories.
Fonctions quasi judiciaires
La première comprend les fonctions quasi judiciaires, dans lesquelles la CEO exerce un vaste pouvoir discrétionnaire pour appliquer son expertise à l’interprétation et à l’application des normes législatives. Dans l’exercice de ses fonctions quasi judiciaires, la CEO est tenue de tenir une audience et de respecter les règles de justice naturelle. Elle est aussi autorisée à utiliser son expertise pour interpréter les normes généralement formulées et appliquer cette interprétation aux faits dans les cas dont elle est saisie. Dans certains cas, aucun critère décisionnel ne peut être précisé, de sorte que la CEO doit s’en remettre à son expertise pour élaborer des critères et les appliquer, y compris en se fondant sur une politique réglementaire déjà formulée ou une politique réglementaire éclairée par le contexte du processus décisionnel, qui sont conformes aux objectifs des lois pertinentes. Cependant, chaque cas doit être tranché son bien-fondé et les faits s’y rapportant.
Les fonctions quasi judiciaires de la CEO comprennent les suivantes :
- Approuver les tarifs facturés par les transporteurs de gaz, les distributeurs de gaz et les compagnies de stockage. Le critère à utiliser pour décider d’approuver les tarifs est de savoir s’ils sont « justes et raisonnables »[10];
- Approuver un changement de propriétaire chez un transporteur de gaz, un distributeur de gaz ou une compagnie de stockage. Aucun critère d’approbation n’est précisé[11];
- Approuver les tarifs de transport et de distribution d’électricité. Le critère est de savoir si les tarifs proposés sont « justes et raisonnables »[12];
- Approuver un changement de contrôle d’un transporteur ou d’un distributeur d’électricité[13];
- Approuver la construction d’une ligne de transport d’électricité ou d’hydrocarbures[14].
La justice naturelle comporte deux éléments principaux : le droit d’être entendu et le droit à un décideur impartial. Ce dernier élément soulève la question de l’indépendance des décideurs. L’impératif de l’indépendance dans le contexte d’un organisme de réglementation comme la CEO, et l’influence de la nouvelle structure de gouvernance sur l’indépendance du processus décisionnel de la CEO, sont des questions examinées plus loin dans le présent document.
Dans l’exercice de ces fonctions quasi judiciaires, la CEO doit tenir compte de toutes les politiques gouvernementales pertinentes et de toutes les directives qu’elle reçoit du gouvernement en vertu du pouvoir qui lui a été conféré par la LCEO ou la Loi de 1998 sur l’électricité. Toutefois, la CEO ne peut pas grever son pouvoir discrétionnaire en appliquant simplement ces politiques ou directives, peu importe les faits et le bien-fondé de la question dont elle traite, à moins que la loi ou le règlement ne l’exige. La CEO elle-même ne peut pas non plus élaborer des politiques ou des lignes directrices qui, directement ou par voie de conséquence nécessaire, limitent ou entravent l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. L’expertise de la CEO en matière d’interprétation et d’application des critères législatifs doit demeurer alignée sur les objectifs de la LCEO et de la Loi de 1998 sur l’électricité.
Fonctions qui n’attirent pas l’application complète des règles de justice naturelle
Le deuxième type de fonction est le pouvoir de prendre une décision, et ce pouvoir doit être exercé en donnant un avis aux parties touchées et en recevant et en examinant les observations de ces parties avant de prendre une décision. Aucune exigence ne prévoit qu’elle tienne une audience. L’exercice de ces fonctions ne requiert pas l’application de toutes les règles de justice naturelle. L’élaboration de règles[15] et l’élaboration de codes sont des exemples de ces fonctions[16].
Fonctions administratives
La troisième catégorie est surtout de nature administrative, c’est-à-dire qu’elle exige un recours limité au pouvoir discrétionnaire. Dans l’exercice de ces fonctions, la CEO n’agit pas à titre de décideur quasi judiciaire. Cette fonction administrative est illustrée par exemple par la délivrance d’une licence à un distributeur d’électricité. Pour autant que le distributeur satisfait aux exigences prescrites, une licence est délivrée. La délivrance de la licence n’implique pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.
Il n’est pas toujours possible de tracer une ligne claire entre les fonctions administratives et les fonctions quasi judiciaires. Par exemple, l’élaboration de règles régissant la conduite des détaillants de gaz et d’électricité peut être de nature administrative. Mais l’application de ces règles, entraînant éventuellement une forme de sanction, peut obliger la CEO à agir dans une fonction quasi judiciaire.
La CEO n’est pas un organisme gouvernemental qui élabore des politiques. Les lois qui l’habilitent ne lui confère pas le pouvoir, directement ou par voie de conséquence nécessaire, d’élaborer des politiques pour le secteur de l’énergie.
Les tribunaux ont reconnu que les organismes de réglementation comme la CEO ont le pouvoir de produire des instruments législatifs « qui ne sont pas obligatoires en droit », par exemple des politiques ou des lignes directrices encadrant la façon dont ils exerceront leurs pouvoirs[17]. Toutefois, bien que de telles politiques ou lignes directrices puissent orienter l’exercice du pouvoir discrétionnaire, elles ne peuvent l’entraver. De plus, le pouvoir de recourir à de tels instruments qui ne sont pas obligatoires en droit ne s’étend pas à l’élaboration de politiques de fond en dehors de l’expertise de l’organisme de réglementation, et ne peut encore moins limiter l’exercice du pouvoir discrétionnaire des organismes de réglementation sur la base de tels instruments.
Les limites du pouvoir de la CEO d’élaborer des politiques et les répercussions de ces limites sur sa nouvelle structure de gouvernance sont des questions abordées plus loin dans le présent document.
STRUCTURE DE GOUVERNANCE PRÉCÉDENTE
Dans cette section, j’exposerai les principales composantes de la structure de gouvernance qui existaient avant leur remplacement par celles de la nouvelle structure de gouvernance.
La LCEO, en son état à l’époque, prévoyait la nomination, par le gouvernement, du président et des deux vice-présidents ainsi que des membres de la CEO. Le président et les deux vice-présidents devaient constituer un comité de gestion chargé de la gestion de la CEO. Tous les trois ans, le président et le ministre responsable devaient conclure un protocole d’entente (PE) définissant la relation entre le ministre et la CEO. La CEO était autorisée à adopter des règlements administratifs précisant son mode de fonctionnement. Le président de la CEO devait préparer un rapport annuel à l’intention du ministre qui devait alors le déposer devant l’Assemblée législative.
Le protocole d’entente prévoyait également la nomination d’un directeur de l’exploitation. Le règlement no 1 énonce les obligations du directeur de l’exploitation.
La durée du mandat du président, des vice-présidents et des membres était prescrite par la loi et, par la coutume, presque tous étaient des membres à temps plein. Les membres à temps partiel étaient l’exception.
Vers 2012, la structure interne et les méthodes de fonctionnement de la CEO ont commencé à changer. Les membres à temps plein ont été remplacés par des membres à temps partiel. Les postes des membres à temps partiel sont moins sûrs que ceux des membres à temps plein. Lorsqu’un deuxième vice-président a quitté ses fonctions, il n’a pas été remplacé, même si la LCEO exigeait qu’il y ait un deuxième vice-président. Le poste de directeur de l’exploitation a été laissé vacant.
Comme je l’ai mentionné dans le document de 2015, la LCEO et le protocole d’entente ont attribué des responsabilités de gestion au Comité de gestion de la CEO. En s’acquittant de leurs responsabilités, les vice-présidents mettaient à contribution une expertise dans certains domaines, par exemple en droit administratif, de la gestion de la CEO. Le fait que la LCEO ait confié la responsabilité de gestion de la CEO à trois personnes prête à penser que l’Assemblée législative avait l’intention que les membres du Comité de gestion fonctionnent, sinon comme une « équipe de rivaux », au moins pour faire contrepoids au pouvoir du président en fournissant des opinions et de l’expertise diversifiées à la direction de la CEO. Cette structure de gouvernance était importante parce qu’elle contribuait à garantir ce que l’OCDE appelle la « culture d’indépendance ».
Le fait que la CEO n’ait pas respecté les exigences de la loi concernant sa structure de gouvernance était bien connu de tous, y compris, présumément, du ministre. Pourtant, le ministre n’a rien fait pour corriger cette lacune. Bien qu’on ait soulevé dans un rapport à l’intention de la CEO de procéder à l’examen de sa structure organisationnelle, lequel a mené à la mise en oeuvre d’une restructuration de l’équipe de direction, les rapports annuels que le président de la CEO a présentés au ministre et que le ministre a ensuite déposés devant l’Assemblée législative n’ont fait aucune référence à ces lacunes et n’ont fourni aucune explication[18]. Cette lacune ouverte et notoire de la fonction de gouvernance a pu se poursuivre pendant plusieurs années.
Les échecs évidents de la gouvernance ont soulevé des préoccupations au sujet de l’indépendance du processus décisionnel de la CEO et, en particulier, de la question de savoir si les décisions prises par elle étaient indépendantes de l’influence du président ou du ministre. Ces préoccupations se sont accentuées au cours d’une période où le gouvernement utilisait la CEO pour mettre en oeuvre un certain nombre de ses politiques sur la conservation, dont la mise en oeuvre (dans les contrats d’achat d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables) a fait l’objet de vives critiques dans deux rapports de la vérificatrice générale. Il n’a pas été possible de déterminer si la décision de la CEO était en fait dictée ou influencée par le ministre en l’absence d’une enquête sur les activités de la CEO. L’élément important ici est que les lacunes évidentes en matière de gouvernance, et la tolérance du gouvernement à l’égard de ces lacunes, ont miné la confiance à l’égard de la CEO.
La gouvernance de la CEO pendant cette période a manifestement violé les principes de bonne gouvernance établis par l’OCDE. Elle n’a pas respecté les exigences de la loi. Elle n’était pas transparente. Il n’y avait pas de véritable responsabilité. Il en est résulté un déclin de la volonté des intervenants de faire confiance à l’intégrité du processus décisionnel de la CEO.
Ni le gouvernement ni la CEO n’ont reconnu ces lacunes de gouvernance et ils n’ont pris aucune mesure pour les corriger. En mars 2015, la CEO a créé ce qu’elle a décrit comme deux comités permanents, un pour s’occuper des affaires réglementaires et un autre pour s’occuper des affaires de l’industrie, dans ce qu’elle a décrit comme une mesure [traduction] « faisant partie de notre nouveau cadre de mobilisation des intervenants ». La CEO a participé à un certain nombre d’initiatives d’élaboration de politiques, par exemple en publiant son « Plan stratégique : Soutenir le rythme d’évolution du secteur de l’énergie », un exercice que la CEO a décrit comme un effort visant à « soutenir l’innovation rentable dans les services énergétiques destinés aux consommateurs ».
C’est dans ce contexte que le gouvernement a confié au Comité Dicerni le mandat de moderniser la CEO. Il est frappant de constater qu’en lui attribuant ce mandat, le gouvernement n’a fait aucune mention des lacunes existantes en matière de gouvernance. Le public a dû supposer qu’il y avait un problème à régler. Il convient également de mentionner que la CEO a participé à un certain nombre d’initiatives d’élaboration de politiques avant que le Comité Dicerni ne reçoive son mandat, ce qui soulève la question de savoir pourquoi le gouvernement a enjoint au Comité Dicerni d’examiner la fonction d’élaboration de politiques de la CEO comme s’il s’agissait d’une nouvelle activité. Je reviendrai à la question de savoir pourquoi la nouvelle structure de gouvernance recommandée dans le rapport Dicerni était nécessaire pour que la CEO puisse s’acquitter des mêmes fonctions d’élaboration des politiques qu’auparavant.
Il n’y avait rien dans l’ancienne structure de gouvernance qui a inévitablement entraîné son échec. On peut certainement soutenir qu’il fallait que la structure de gouvernance soit gérée sur la base du respect des exigences en matière de gouvernance de la LCEO et de la bonne foi et du respect des principes de bonne gouvernance réglementaire par les parties principalement responsables de la gouvernance, à savoir le président de la CEO, le ministre responsable et, ultimement, les membres de l’Assemblée législative. Si tel était le cas, pourquoi a-t-on eu besoin d’une nouvelle structure de gouvernance et que fait-elle qui n’aurait pas pu être fait dans le cadre de la structure qu’elle a remplacée?
LE RAPPORT DICERNI
Le ministre de l’Énergie, du Développement du Nord et des Mines a demandé au Comité Dicerni (tout au long du présent document, je désignerai le membre du Cabinet responsable de la CEO et du secteur de l’énergie par le terme générique « ministre ») de fournir des « conseils et des recommandations » dans trois domaines :
- structure de gouvernance interne de la CEO, y compris les possibilités d’améliorer la surveillance, la transparence et la responsabilisation;
- options pour utiliser l’expertise de la CEO en matière de politiques tout en protégeant l’indépendance des processus décisionnels;
- activités internes de la CEO, y compris les possibilités de mieux harmoniser les activités avec les résultats qui produisent une valeur accrue pour le secteur[19].
Il est important de souligner ce que le ministre a omis de mentionner dans ce mandat. Il n’a mentionné aucune lacune dans « la surveillance, la transparence et la responsabilisation ». Bien qu’il ait implicitement cerné la tension entre l’expertise en matière de politiques et l’indépendance des processus décisionnels, il n’a pas précisé en quoi consistait l’« expertise de la CEO en matière de politiques ». Et il n’a pas précisé ce qu’était « une valeur accrue pour le secteur ».
Comme il est indiqué dans la section précédente, les lacunes évidentes dans la gouvernance de la CEO n’étaient pas seulement celles liées à la gouvernance interne de l’organisme de réglementation. Parmi les lacunes, il y avait l’incapacité évidente du ministre et de l’Assemblée législative de s’acquitter de leurs obligations en matière de surveillance et de responsabilisation. Quoi qu’il en soit, on n’a pas demandé au Comité Dicerni de se pencher sur ces lacunes et sur la façon dont elles pourraient être corrigées, ce qui laisse un vide important dans toute analyse des lacunes en matière de gouvernance et de la façon dont ces lacunes pourraient être corrigées.
En lui confiant son mandat, le ministre a demandé au Comité Dicerni de formuler des recommandations sur la façon dont la gouvernance et les activités de la CEO peuvent produire « de meilleurs résultats aux consommateurs[20] ». Le ministre n’a pas précisé en quoi ces « meilleurs résultats » pourraient consister ou en quoi les résultats antérieurs étaient déficients. Le choix de ce libellé vague aide à créer l’attente que les résultats du travail du Comité Dicerni soient meilleurs pour la population. Plus important encore, en mettant l’accent sur les « consommateurs », le ministre répétait implicitement la fausseté que la CEO est une agence de protection des consommateurs. Ce n’est pas le cas, surtout en ce qui concerne ses obligations fondamentales d’approuver des tarifs justes et raisonnables.
Compte tenu de ce que l’on savait au sujet des lacunes dans la gouvernance de la CEO, le Comité Dicerni aurait dû faire ce qui suit :
- Entreprendre un examen de la structure de gouvernance actuelle de la CEO, de son fonctionnement et, au cours du processus, cerner les lacunes de cette structure et de son fonctionnement;
- Étant donné que la gouvernance de la CEO ne se limite pas aux activités internes de la CEO, inclure dans cet examen les raisons pour lesquelles le ministre et l’Assemblée législative ne s’acquittent pas de leurs obligations en matière de gouvernance;
- Indiquer pourquoi des changements à cette structure de gouvernance étaient nécessaires et pourquoi, en particulier, pourquoi l’adoption d’un modèle corporatif était nécessaire et appropriée;
- Décrire comment un conseil d’administration de la CEO devait fonctionner, les analyses qu’il devait effectuer, les décisions qu’il devait prendre et les critères qu’il devait utiliser pour prendre ces décisions.
- Plus particulièrement, décrire la relation entre le conseil d’administration et l’organe décisionnel de la CEO;
- Déterminer l’expertise en matière de politiques de la CEO et la nature et l’étendue des fonctions d’élaboration de politiques de la CEO;
- Déterminer les rôles respectifs de la CEO et du gouvernement dans l’élaboration des politiques;
- Entreprendre cet examen et rendre compte de ses conclusions entièrement et en toute transparence.
En fin de compte, le Comité Dicerni n’a rien fait de tout cela, et son échec à le faire a miné la valeur de ses recommandations et de la restructuration de la CEO qui a été adoptée sur la base de ces recommandations. La façon dont le Comité Dicerni a reçu son mandat, ses analyses et son rapport ne reflètent pas une bonne politique publique.
Le rapport Dicerni contenait un certain nombre de recommandations. Aux fins de la présente analyse, la recommandation la plus importante était « la mise en oeuvre d’un nouveau cadre de gouvernance qui comprendrait un Conseil d’administration dont le président ne ferait pas partie de la direction (le Conseil), un président et un commissaire en chef responsable de l’arbitrage[21] ». Le rapport n’indiquait pas pourquoi ce nouveau cadre de gouvernance était nécessaire ou approprié.
Le rapport indique que le Conseil se concentrera sur ce qu’il appelle « trois rôles essentiels dans le leadership de l’organisation », comme suit :
- s’acquitter des responsabilités habituelles d’un Conseil en matière de gouvernance, dont la supervision de l’élaboration et la mise en oeuvre de la stratégie de [la CEO];
- servir d’interface principale avec le ministre et le gouvernement;
- asurer [sic] l’indépendance et l’efficacité du processus d’arbitrage.
Le rapport n’indiquait pas quelles seraient les « responsabilités habituelles d’un conseil en matière de gouvernance » (ce qui signifie probablement le conseil d’administration d’une société par actions) dans le contexte d’un organisme de réglementation exerçant des pouvoirs législatifs et, ce faisant, devant agir en qualité de décideur quasi judiciaire[22]. Le rapport n’indiquait pas comment le conseil devait protéger « l’indépendance et l’efficacité du processus d’arbitrage » sans, par exemple, participer à ce processus. Le rapport n’a pas non plus indiqué la nature ou les sources de toute menace à l’indépendance.
Deux autres éléments du rapport Dicerni méritent d’être mentionnés.
Le rapport cite un certain nombre de publications savantes sur la gouvernance réglementaire et fait référence aux mécanismes de gouvernance d’autres administrations. Mais au-delà des références aux principes de bonne gouvernance, déjà largement connus, il n’indique pas quels modèles de gouvernance dans ces publications savantes ou dans d’autres compétences il préfère et, plus important encore, pourquoi l’un ou l’autre des modèles serait nécessaire ou approprié en vue d’une utilisation par la CEO[23].
Le rapport fait également référence aux mémoires reçus de particuliers et de groupes d’intérêts. Il n’indique pas lesquelles de ces mémoires étaient bien fondés et lesquels ont été acceptés. Cette pratique donne l’apparence, mais non la réalité, d’une « participation » authentique et significative
Il est possible d’essayer de déterminer, à partir des recommandations du rapport, lesquels des modèles d’autres administrations et lesquels des mémoires des intervenants ont été adoptés. Autrement dit, il pourrait être possible d’entreprendre une forme de rétro-ingénierie.
Quant à savoir si cela représente une bonne politique publique, c’est une autre question.
MISE EN OEUVRE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT DICERNI – PROJET DE LOI 87, PROTOCOLE D’ENTENTE ET RÈGLEMENT NO 1 DE LA CEO
Les recommandations du rapport Dicerni concernant la structure de gouvernance ont été intégrées au projet de loi 87 sous la forme de modifications à la LCEO. Les principales caractéristiques de la législation et des modifications apportées à la LCEO sont les suivantes :
- La CEO doit être composée d’un conseil d’administration, d’un chef de la direction et de commissaires, y compris un commissaire en chef[24].
- Le conseil d’administration gère les activités et les affaires de la Commission et en supervise la gestion; [25].
- Le gouvernement doit nommer un président du conseil d’administration dont les fonctions consistent notamment à rendre compte au ministre de l’indépendance des personnes et des entités qui entendent et décident des questions qui relèvent de la compétence de la Commission[26].
- Aucun pouvoir conféré au conseil d’administration ou à un administrateur par la LCEO ou toute autre loi ne permet à l’un ou à l’autre de s’ingérer dans l’audition ou la prise de décision concernant une question qui relève de la compétence de la Commission ou d’exercer une influence sur une telle audition ou prise de décision[27];
- Le conseil d’administration doit nommer un chef de la direction qui sera chargé de la gestion « efficace et efficiente » des opérations de la CEO[28];
- Le conseil d’administration doit nommer des commissaires pour l’audition et la prise de décision concernant des questions qui relèvent de la compétence de la Commission[29].
- Tous les trois ans, le président du conseil d’administration et le ministre doivent conclure un protocole d’entente qui, entre autres choses, énonce les rôles et les responsabilités respectifs du ministre, du président du conseil d’administration, ainsi que les rapports de responsabilisation entre le président, le conseil d’administration et le ministre[30].
Le projet de loi 87 décrit les fonctions des membres du conseil comme suit :
- chaque administrateur agit avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la Commission;
- chaque administrateur agit avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, dans des circonstances analogues, une personne raisonnablement prudente[31].
Cette description des fonctions du conseil est identique à celle de l’article 134 de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario[32] (LSAO). La façon dont ces fonctions doivent s’agencer dans le contexte de la CEO est une question qui sera abordée plus loin dans le présent document.
Conformément à l’article 4.6 de la LCEO, le président du conseil d’administration et le ministre ont conclu un protocole d’entente, daté du 11 février 2021[33]. L’article 1.1 du protocole d’entente prévoit qu’il a pour objet d’établir les rapports de responsabilisation entre le ministre et le président du conseil d’administration et de clarifier les rôles et les responsabilités du ministre, du conseil d’administration et du directeur général de la CEO.
L’article 6.3 du protocole d’entente prévoit que le conseil d’administration doit rendre compte au ministre, entre autres, de la « gouvernance de la Commission » et de « la surveillance du rendement de la Commission dans l’exécution de son mandat ». Ce sont là des termes si vagues qu’ils ont une valeur limitée pour ce qui est de comprendre exactement ce que le conseil doit faire et comment il doit le faire. On peut supposer que c’est au conseil d’administration lui-même qu’il revient de déterminer le contenu de ces questions, qui sont cruciales pour que la CEO puisse s’acquitter de son mandant dans le respect des principes d’une bonne gouvernance réglementaire.
L’article 7 du protocole d’entente énonce les responsabilités du ministre, ce qui comprend de « rencontrer le président à intervalles réguliers et selon les besoins pour discuter des questions liées à l’exécution efficace du mandat de la Commission » et « le cas échéant, [de] consulter le président au sujet des nouvelles orientations ou initiatives importantes qui touchent à l’industrie de l’énergie et (ou) à la Commission ».
L’article 7.2 du protocole d’entente énonce les responsabilités du président du conseil d’administration, notamment de « consulter le ministre au sujet des rôles et des responsabilités de la Commission en matière d’atteinte des objectifs d’intérêt public et des priorités et initiatives actuelles du gouvernement ».
Il n’y a rien d’inhabituel ou d’insidieux dans la description que fait le protocole d’entente des rôles et des responsabilités respectifs du ministre et du président. La CEO, comme tous les organismes de réglementation, doit connaître les politiques et les initiatives du gouvernement et, dans la mesure du possible et en conformité avec ses obligations en tant que décideur quasi judiciaire, donner effet à ces initiatives et politiques gouvernementales. Ce qu’il faut retenir, c’est que la description des rôles et des responsabilités respectifs du ministre et de l’ancien président de la CEO était essentiellement la même dans les versions précédentes du protocole d’entente. Pourtant, les mécanismes de gouvernance précédents ne fonctionnaient pas. En quoi cela constitue-t-il une amélioration? Et comment l’exercice des rôles et responsabilités sera-t-il surveillé? Est-ce le conseil d’administration exercera cette surveillance et, si oui, comment?
L’article 7.3 du PE énonce les responsabilités du conseil d’administration. La description de ces responsabilités ne répond pas à la question posée à la fin du paragraphe précédent. En effet, l’article 7.3 ne donne aucune orientation utile quant aux responsabilités du conseil d’administration. Il doit « établir les buts, les objectifs et les orientations stratégiques de la Commission ». Je ne sais pas ce que cela signifie, surtout lorsque les buts et les objectifs de la CEO sont prescrits par la loi.
Il convient de noter deux autres dispositions du protocole d’entente. L’article 5, sous l’en-tête « Principes directeurs », prévoit que « [l]es parties reconnaissent que la Commission joue un rôle important dans l’élaboration des politiques et des programmes du gouvernement, ainsi que dans la mise en oeuvre de ces politiques et dans la prestation des programmes ». La deuxième partie de cette déclaration est peut-être exacte; c’est un rôle qui incombe à chaque organisme de réglementation. Mais la première partie ne l’est pas. Le rôle de la CEO dans l’élaboration des politiques est limité par la loi.
L’article 11.1 du protocole d’entente prévoit que « [l]es communications entre le ministère et la directrice générale se font de manière appropriée en tenant compte de la nature d’organisme de réglementation quasi judiciaire indépendant de la Commission ». L’article prévoit en outre que les communications entre le ministère et la CEO « ne comprennent pas de discussions ou d’échanges d’informations entre le personnel de la Commission et le personnel du ministère au sujet des demandes en cours présentées à la Commission ».
Les dispositions de l’article 11.1 sont, à un égard, salutaires. Elles sont fondées sur la reconnaissance d’un des principes d’une bonne gouvernance réglementaire, à savoir que les décisions d’un décideur quasi judiciaire doivent être prises de façon indépendante. En effet, les dispositions reflètent l’une des règles de justice naturelle. Ce qui est troublant au sujet de cet article, c’est qu’il laisse fortement entendre que le processus décisionnel de la CEO n’a pas été indépendant. Si tel était bien le cas, il aurait fallu examiner la situation et la divulguer dans le rapport Dicerni, afin, entre autres, que le public sache quelles décisions ont fait l’objet d’influences et quel en a été l’effet. Un tel examen et une telle divulgation auraient été par ailleurs conformes aux principes de bonne gouvernance, et en particulier aux principes de transparence et de responsabilité.
La CEO nouvellement reconstituée a adopté le Règlement no 1 qui, selon l’article 2.2, concerne les « affaires internes » de la CEO[34]. L’article 3.1 décrit les pouvoirs et fonctions du conseil d’administration. Le conseil d’administration est responsable de la gouvernance de la CEO, « en s’assurant notamment que des pratiques de gouvernance et de gestion saines sont en place pour promouvoir l’obtention des résultats et des effets souhaités et en atténuer les risques ». Les « résultats et les effets souhaités », compte tenu du mandat législatif restreint de la CEO, ne sont pas précisés, pas plus que la nature du « risque ».
Le rapport Dicerni a recommandé un changement structurel majeur dans la gouvernance de la CEO, sous la forme de l’adoption d’un modèle corporatif. Il l’a fait sans expliquer pourquoi ce modèle était nécessaire pour corriger toute lacune perçue dans le modèle de gouvernance qui existait auparavant ou qui convenait à un organisme de réglementation quasi judiciaire. Le gouvernement a adopté la recommandation du rapport Dicerni en y ajoutant une description des fonctions du conseil d’administration tirées directement de la LSAO. Les instruments donnant effet à la nouvelle structure de gouvernance, au protocole d’entente et au règlement no 1 décrivent le fonctionnement de la nouvelle structure de gouvernance, mais le font en termes si vagues qu’ils n’ont que peu de valeur.
Les lacunes dans les ententes relatives à la gouvernance antérieures n’ont été relevées à aucun moment au cours de ce processus, sauf peut-être implicitement, et les effets de ces lacunes n’ont jamais non plus été indiqués. En fait, l’une des lacunes, à savoir l’incapacité du président de la CEO, du ministre et de l’Assemblée législative d’insister sur le respect des exigences législatives en matière de gouvernance, n’a même pas été corrigée. La nécessité et la pertinence de la nouvelle structure de gouvernance n’ont jamais été expliquées ou justifiées.
LA NOUVELLE STRUCTURE DE GOUVERNANCE
Dans la section précédente, j’ai traité de la question de savoir si le rapport Dicerni et le projet de loi 87 mettant en oeuvre les recommandations du Rapport justifiaient le besoin de doter la CEO d’une nouvelle structure de gouvernance. J’ai laissé entendre que tel n’était pas le cas, car aucune preuve n’abondait en ce sens. Dans la section qui suit, j’examine la démarche afin de déterminer si elle était appropriée. Ce faisant, je m’intéresserai plus particulièrement à deux éléments. Le premier est l’utilisation du modèle corporatif, y compris le rôle d’un conseil d’administration. Le deuxième est le rôle de la CEO en tant qu’organisation chargée de l’élaboration de politiques et les répercussions de ce rôle sur la nouvelle structure de gouvernance.
J’entends commencer par une analyse de l’utilisation du modèle corporatif. J’utilise le terme « modèle corporatif » parce que la nouvelle structure de gouvernance est identique à celle envisagée par la LSAO.
Le projet de loi 87 a créé une structure de gouvernance fondée sur le modèle corporatif. Pour décrire les obligations des administrateurs, il a utilisé des concepts et un langage qui sont identiques au langage et aux concepts utilisés à l’article 134 de la LSAO. Il est évident que la CEO n’est pas une société par actions et qu’elle n’a pas d’actionnaires. Je reconnais que la création d’un conseil d’administration et le fait de lui imposer des obligations identiques à celles des administrateurs d’une société régie par la LSAO ou par la Loi canadienne sur les sociétés par actions[35] (LCSA) ne font pas de la CEO une société par actions ordinaire assujettie à la LSAO. Cela dit, je dois néanmoins tenir pour acquis que le modèle corporatif a été choisi pour une raison, même s’il n’apparaît aucune raison évidente pour laquelle la structure de gouvernance devrait être fondée sur un modèle qui s’applique dans des circonstances fondamentalement différentes. Je dois donc supposer que le modèle choisi l’a été pour faire en sorte qu’un conseil d’administration protège des intérêts. La question à laquelle il faut alors répondre est quels sont ces intérêts et pourquoi la protection de ceux-ci passe par l’établissement d’un conseil d’administration.
Afin de bien comprendre ce que peut sous-tend ce modèle corporatif, j’y vais d’une ventilation simpliste des deux principales fonctions qu’assume le conseil d’administration d’une société par actions, soit l’obligation fiduciaire et l’obligation de diligence.
La première obligation des administrateurs est l’obligation fiduciaire d’agir au mieux des intérêts de la société.
Je ne sais pas ce que peut signifier d’agir au mieux des intérêts dans le cas de la CEO. L’utilisation de ce libellé prête à penser que la CEO a ses intérêts propres en tant qu’organisation, des intérêts qui différeraient à certains égards de l’obligation de remplir ses obligations d’origine législative. La différence ne tient pas qu’à un concept théorique. Par exemple, je soutiens plus loin dans le présent document qu’il y a un risque que l’élaboration de politiques puisse nuire à l’indépendance des fonctions décisionnelles de la CEO. En pareil cas, les intérêts de la CEO, en tant qu’organisme d’élaboration de politiques, peuvent être en conflit avec ses intérêts en tant qu’organisme d’arbitrage. Comment ces intérêts divergents sont-ils conciliés? Est-ce la fonction du conseil d’administration de régler ces visées conflictuelles et, le cas échéant, sur la base de quels critères? Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’utilisation de concepts et de termes applicables à une société par actions crée une confusion inutile.
Le risque de confusion découlant de l’utilisation du concept d’agir « au mieux des intérêts de la société » ressort également lorsqu’on examine la question de la participation des intervenants. Le rapport Dicerni met l’accent sur l’importance de la participation des intervenants. Et la CEO, dans la plupart de ses exercices d’élaboration de politiques, a créé des organismes d’intervenants à consulter. Afin de mener ces consultations, dans bien des cas, la CEO a fourni des fonds à des groupes d’intervenants pour leur permettre de participer. Il n’y a rien de foncièrement répréhensible à la participation d’intervenants. En fait, l’OCDE considère la participation des intervenants comme l’un des principes de la bonne gouvernance. Cependant, la question de savoir si la CEO devrait financer la participation des intervenants demeure ouverte. Tout d’abord, la CEO ne fournit pas et ne peut pas fournir un financement suffisant pour permettre à des groupes d’intervenants de participer sur un pied d’égalité avec les groupes de l’industrie. De plus, les groupes d’intervenants financés dépendent du financement de la CEO. Ils font partie d’un écosystème centré sur la CEO qui peut miner l’apparence, et peut-être la réalité, de l’indépendance.
S’il est dans l’intérêt de la CEO de créer et de maintenir cet écosystème de participation, est-ce qu’un conseil d’administration s’acquitterait de son obligation s’il concluait qu’un système de participation différent, par exemple un système financé par l’État qui défend les intérêts des consommateurs d’énergie, était dans l’intérêt public? Est-ce qu’un conseil d’administration se poserait cette question? Autrement dit, l’idée d’agir au mieux des intérêts de la CEO ne crée-t-elle pas un conflit d’intérêts qui va à l’encontre des principes d’une bonne gouvernance réglementaire?
Il est généralement entendu que l’obligation fiduciaire des administrateurs d’agir au mieux des intérêts de la société comporte trois volets.
Le premier consiste à protéger les actionnaires contre une direction qui prendrait des mesures pour s’enrichir ou qui servent ses intérêts propres plutôt que ceux des actionnaires. C’est l’une des raisons pour lesquelles le droit des sociétés insiste actuellement sur l’importance que le conseil d’administration soit composé d’administrateurs indépendants. Il est difficile d’imaginer comment la direction de la CEO pourrait prendre des mesures qui servent ses intérêts au détriment de ceux d’autres ou pourquoi un conseil d’administration est requis pour empêcher que pareille situation se présente. Quels sont les risques contre lesquels la Commission est censée se protéger?
Le deuxième élément est l’obligation fiduciaire d’un conseil d’administration est de protéger les intérêts des actionnaires. Pendant longtemps, la protection des intérêts des actionnaires a été considérée comme la seule composante de l’obligation fiduciaire, et les intérêts des actionnaires ont été considérés en grande partie, sinon entièrement, en termes monétaires. C’est toujours le cas, bien que la jurisprudence récente laisse entendre que le conseil d’administration a l’obligation de tenir compte au moins des intérêts d’un plus grand nombre d’intervenants. La CEO n’a pas d’actionnaires. Elle doit s’acquitter d’obligations définies par des lois pour protéger l’intérêt public, de façon précise, dans un secteur de l’économie ontarienne. Cela n’ajoute rien à la compréhension des obligations statutaires de la CEO, et ajoute plutôt une couche confusion, en considérant les membres du public dans le secteur de l’énergie comme des actionnaires de la CEO ou même en considérant la CEO elle-même comme un organisme qui a besoin d’une certaine protection.
Le troisième élément de l’obligation fiduciaire d’un conseil d’administration est de veiller aux intérêts des intervenants de la société. Dans l’arrêt BCE Inc. c Détenteurs de débentures de 1976, la Cour suprême du Canada a traité de l’obligation fiduciaire des administrateurs envers la société comme suit :
En déterminant ce qui sert au mieux les intérêts de la société, les administrateurs peuvent examiner notamment les intérêts des actionnaires, des employés, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement[36].
Il est difficile d’imaginer comment cette norme pourrait être appliquée par le conseil d’administration de la CEO. La CEO est tenue par la loi de prendre des types de décisions précis. Ces décisions peuvent, dans chaque cas, toucher un éventail identifiable d’intervenants. Le nouveau conseil d’administration est-il maintenant chargé d’évaluer chaque décision de la CEO pour déterminer si les intérêts des intervenants concernés ont été dûment pris en compte et, dans la négative, pour les remplacer par ses propres décisions?
La confusion au sujet du rôle du conseil d’administration s’épaissit lorsqu’on examine la question d’une éventuelle demande de dispense d’une décision de la CEO. Les décisions de la CEO seraient-elles maintenant assujetties à des recours analogues à ceux dont disposent les actionnaires des sociétés par actions, par exemple le recours en cas d’abus? En droit, les décisions de la CEO sont sujettes à révision par les cours supérieures. Les cours examineraient-elles les décisions du comité d’arbitrage ou du conseil d’administration, ou les deux?
Le deuxième devoir des administrateurs d’une société par actions est le devoir de diligence. Celui-ci exige que l’administrateur agisse avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables. Que signifierait de s’acquitter de ce devoir dans le contexte de la CEO? Faudrait-il que les commissaires possèdent et exercent les mêmes compétences que les commissaires? Encore une fois, l’exercice des obligations fiduciaires crée un risque de confusion et de conflit.
Si l’objectif de la nouvelle structure de gouvernance est de veiller à ce que les fonctions décisionnelles de la CEO, qui sont ses obligations fondamentales, soient exécutées conformément aux règles de justice naturelle, il existe des moyens plus efficaces de le faire tout en assurant la transparence et la responsabilisation. Une culture de respect de la loi et des principes de bonne gouvernance réglementaire par la CEO et le ministre devrait suffire. L’introduction d’un modèle corporatif n’est pas nécessaire. De plus, ce modèle n’est pas approprié compte tenu de la nature de la CEO et de ses obligations, car il risque de faire en sorte que le conseil d’administration s’ingère dans les processus décisionnels pour s’acquitter de sa responsabilité de surveillance vaguement formulée.
Comme je l’ai mentionné dans la section précédente, aucun des documents qui ont donné lieu à la nouvelle structure de gouvernance ne décrivait le rôle d’un conseil d’administration pour un organisme de réglementation exerçant des pouvoirs quasi judiciaires. L’absence de cette description et, de fait, de justification de la nouvelle structure, crée des risques.
À défaut d’une justification claire de son existence, la nouvelle structure est une solution en quête d’un problème. Un conseil d’administration devra inévitablement trouver quelque chose à faire. Il s’agit d’un risque dans des circonstances où l’obligation fondamentale de la CEO est de prendre des décisions en conformité avec les règles de justice naturelle. Il y a un risque que le conseil d’administration compromette ou soit perçu comme compromettant par ingérence l’indépendance des membres de la CEO exerçant des fonctions décisionnelles. Comment le conseil d’administration peut-il s’assurer que la fonction décisionnelle est exercée correctement, à moins qu’il ne participe d’une façon ou d’une autre à cette fonction? Le fait que le projet de loi 87, le protocole d’entente et le règlement no 1 fassent tous référence à l’importance de l’indépendance et de veiller à ce que ni les administrateurs ni le ministère ne s’ingèrent dans la prise de décisions quasi judiciaires, sauf à un niveau superficiel approprié, n’est pas suffisant pour assurer l’indépendance de la fonction dans la pratique. Incombe-t-il au conseil d’administration de garantir l’indépendance et, le cas échéant, comment?
Le respect des principes de bonne gouvernance réglementaire et, en fait, des règles de justice naturelle n’est pas une fonction exclusive ni même principale des structures de gouvernance. Il s’agit principalement d’une fonction tributaire de la volonté des membres de la CEO et du gouvernement de comprendre et de respecter les règles de bonne gouvernance réglementaire. C’est là ce qui manquait dans les ententes de gouvernance antérieures. Pour corriger cette lacune, il n’était pas nécessaire de mettre en place une nouvelle structure de gouvernance, d’autant plus une qui comporte un nouvel ensemble de risques pour une bonne gouvernance réglementaire.
On affirme que la nouvelle structure a été créée pour refléter une fonction améliorée d’élaboration de politiques pour la CEO. Le mandat du Comité Dicerni l’enjoignait à définir des « options pour utiliser l’expertise de la CEO en matière de politiques ». L’article 5.5 du protocole d’entente stipule que la CEO « joue un rôle important dans l’élaboration des politiques et des programmes du gouvernement ».
Il convient de réitérer le fait que les lois habilitantes ne confèrent à la CEO aucun pouvoir d’élaboration de politiques. Les tribunaux ont accordé aux organismes de réglementation une fonction d’élaboration de politiques étroite, une fonction qui, selon les tribunaux, ne doit pas être utilisée pour entraver le pouvoir discrétionnaire des organismes de réglementation dans l’exercice de fonctions quasi judiciaires. Compte tenu de ces limites, la nature de l’expertise de la CEO en matière d’élaboration de politiques et la façon dont elle devait être utilisée auraient dû être expliquées clairement. Le défaut de l’avoir fait risque de faire en sorte que la CEO joue un rôle inapproprié dans l’élaboration des politiques et, ce faisant, limite sa propre capacité de s’acquitter de ses obligations quasi judiciaires.
L’OCDE, dans son examen des principes d’une bonne gouvernance réglementaire, a souligné la nécessité de ce qu’elle appelle la « clarté du rôle des régulateurs ». L’OCDE a formulé l’observation suivante :
Quand un régulateur a diverses fonctions, il importe que celles-ci soient complémentaires et non en conflit potentiel. Cela implique que l’accomplissement d’une fonction ne doit pas limiter ou sembler compromettre la capacité du régulateur de remplir ses autres fonctions (notamment sa fonction centrale de réglementation)[37].
Les fonctions de la CEO ne comprennent pas l’élaboration de politiques, sauf au sens strict défini par les tribunaux. Par ailleurs, l’exécution d’une fonction d’élaboration de politiques qui serait définie largement risquerait fort de nuire à la capacité de la CEO de s’acquitter de ses obligations en tant que décideur quasi judiciaire.
Cette préoccupation peut être illustrée par un exemple. La CEO a lancé ce qu’elle appelle le « cadre pour l’innovation énergétique » (CIE). Il vise à aborder l’utilisation des ressources énergétiques distribuées (RED) et leur intégration dans le réseau de distribution d’électricité. La CEO n’a aucune expertise sur les questions techniques liées à l’utilisation des RED. Son expertise consiste à évaluer le caractère prudent des coûts des services publics et à répartir ceux-ci entre les catégories de contribuables. Une discussion sur l’utilisation et l’intégration des RED impliquera inévitablement la prise en compte des coûts et la répartition de ces coûts. Dans la mesure où la CEO, dans le cadre du processus du CIE, tient compte de ces questions, elle risque de grever son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle examine les demandes d’approbation des coûts des RED présentées par des services publics individuels et la répartition de ces coûts entre les services publics.
Trois questions connexes se posent. La première est la raison pour laquelle la CEO doit participer à ce genre de processus d’élaboration de politiques. Le ministère n’a-t-il pas l’expertise requise ou ne sait-il pas où l’obtenir s’il ne l’a pas? Et pourquoi la CEO doit-elle participer à ce genre de processus d’élaboration de politiques si cela risque d’entraver ou de paraître entraver ses fonctions de décideur quasi judiciaire?
La deuxième question porte sur le rôle du conseil d’administration. La commission doit-elle surveiller les fonctions d’élaboration des politiques de la CEO afin de s’assurer que les fonctions quasi judiciaires sont bien remplies? La LCEO exige que les administrateurs agissent au mieux des intérêts de la CEO. Ces intérêts sont-ils ceux de la CEO en tant que décideur quasi judiciaire ou décideur politique? Et quels critères le conseil d’administration utiliserait-il pour déterminer ce qui est au mieux des intérêts? Et qui surveillerait ces décisions du conseil?
La troisième question est de savoir pourquoi la nouvelle structure doit être assortie d’un rôle d’élaboration de politiques. J’ai mentionné plus haut que dans les années précédant l’octroi du mandat au Comité Dicerni, la CEO avait participé à l’élaboration des politiques. En effet, les objectifs du CIE dont il est question ci-dessus semblent impossibles à distinguer du processus du « plan stratégique » créé en vertu de l’ancienne dispense. Hormis la question de savoir si la CEO devrait participer à l’élaboration de politiques de ce genre, en quoi la nouvelle structure est-elle mieux à ce chapitre que l’ancienne?
Ce ne sont pas des questions futiles ou théoriques. Elles ont des ramifications jusqu’au coeur de la nouvelle structure de gouvernance et révèlent des lacunes fondamentales dans la façon dont elle a été créée et dont elle est censée fonctionner. Le rôle décisionnel de la CEO aurait dû être défini et expliqué, et le lien entre cette fonction et la fonction quasi judiciaire aurait dû être expliqué. Il aurait fallu expliquer le rôle du conseil d’administration dans la surveillance de la relation. Rien de tout cela n’a été fait.
CONCLUSION
La première question que j’ai posée était de savoir si la nouvelle structure réglementaire était nécessaire. Ni le rapport Dicerni ni la mise en oeuvre des recommandations de ce rapport par le gouvernement n’en ont prouvé la nécessité.
La deuxième question était de savoir si la nouvelle structure se prêtait à un organisme de réglementation. À mon avis, ce n’est pas le cas. L’utilisation du modèle corporatif, avec un conseil d’administration s’acquittant de devoirs qui n’ont aucun lien avec les obligations légales d’un organisme de réglementation, crée, au mieux, de la confusion et, au pire, des conflits d’intérêts qui minent le principe d’une bonne gouvernance réglementaire.
La troisième question était de savoir si la façon dont les changements ont été apportés à la structure de gouvernance de la CEO, et les changements eux-mêmes, reflétaient une bonne politique publique. À mon avis, il n’en est rien.
La CEO n’est pas le seul organisme de réglementation en Ontario, ni sans doute le plus important. Mais c’est certainement le plus médiatisé, en partie à cause de sa participation, si limitée soit-elle, à la détermination du prix payé pour un service essentiel et en partie parce qu’il peut servir de bouclier commode au gouvernement contre les critiques à l’égard de sa politique énergétique. Compte tenu de ce profil, les changements importants apportés à la structure de gouvernance de la CEO auraient dû être fondés sur un examen complet et ouvert des lacunes de la structure de gouvernance actuelle, et des effets de ces lacunes, et il aurait fallu expliquer comment ces lacunes devaient être corrigées. Cet examen aurait dû inclure les rôles du ministre et de l’Assemblée législative dans tout échec de la gouvernance.
À mon humble avis, tout cela constituerait une bonne politique publique. Autrement dit, cela aurait reflété une bonne gouvernance. Le processus aurait été transparent, et le gouvernement aurait rendu compte non seulement de la substance du processus, mais aussi des résultats qu’il a obtenus, ou non. Cela aurait permis au public, à ceux qui sont ultimement touchés par les décisions de la CEO, de comprendre pourquoi les changements avaient été apportés et d’évaluer s’ils étaient nécessaires et appropriés. Le public aurait pu demander, par exemple, pourquoi on n’avait pas demandé au Comité Dicerni d’examiner l’échec évident du ministre et de l’Assemblée législative à remplir leurs obligations en matière de gouvernance. Tout cela aurait renforcé la confiance, l’un des principes de bonne gouvernance réglementaire de l’OCDE.
Le processus qui a mené à la création et à la mise en oeuvre d’une nouvelle structure de gouvernance pour la CEO était fondamentalement vicié. Il n’a pas relevé les lacunes de la structure de gouvernance qu’il a remplacée et n’a pas expliqué en quoi la nouvelle structure les corrigerait. Il a adopté un modèle corporatif sans expliquer le caractère approprié de ce modèle, le cas échéant. Il a omis d’expliquer comment ce modèle devait fonctionner, et en particulier comment le conseil d’administration, qui est à la base du modèle, devait s’acquitter de ses attributions d’une manière conforme aux obligations d’un organisme de réglementation quasi judiciaire.
Le processus qui a mené à la création et à la mise en oeuvre de la nouvelle structure de gouvernance représente un échec d’application d’une bonne politique publique. Les responsables du processus estimaient peut-être qu’ils ne pouvaient pas divulguer les effets de l’échec de la bonne gouvernance sous le régime précédent. Le public mérite de savoir quelles étaient les lacunes, quels en étaient les effets et comment les corriger. Il mérite mieux que de se faire berner par l’assurance que tout cela était nécessaire dans l’intérêt de la « modernisation », un terme qui combine les mauvaises qualités d’être vague, dénué de sens et trompeur.
« Et pourquoi tout cela est-il important? », pourrait-on demander. Les changements apportés à la structure de gouvernance de la CEO peuvent sembler un sujet hermétique, surtout en l’absence de preuve que ces changements auront une incidence sur les prix que les consommateurs paient pour l’énergie. J’estime qu’il existe au moins deux réponses possibles à la question.
La première concerne la perception que le public pourrait avoir de l’exercice de restructuration. Il est de notoriété publique que la hausse des prix de l’électricité a été et continue d’être une source de mécontentement. Les prix élevés sont en grande partie attribuables aux décisions mal réfléchies et mal exécutées du gouvernement précédent d’acquérir de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables. Ces décisions ont fait l’objet de vives critiques de la part de la vérificatrice générale dans une série de rapports qui ont commencé en 2011[38]. Les gouvernements ont tenté à plusieurs reprises d’atténuer les effets de ces décisions, par exemple en déplaçant les coûts entre les catégories de consommateurs ou en versant simplement des remises aux consommateurs. Ces tentatives ont échoué parce qu’elles ne peuvent se soustraire la logique de fer et aux conséquences brutales des décisions antérieures.
À ma connaissance, il n’existe aucune preuve que les décisions de la CEO sont à l’origine du coût élevé de l’électricité ou y ont contribué. La vérificatrice générale n’a rien conclu de tel. À ma connaissance, toujours, il n’existe aucune preuve que la structure de gouvernance de la CEO est à l’origine du coût élevé de l’électricité ou y a contribué. Si tel avait été le cas, le Comité Dicerni l’aurait assurément relevé. N’empêche, comme les changements à la structure de gouvernance de la CEO ont été enchâssés dans une loi intitulée « Loi de 2019 pour réparer le gâchis dans le secteur de l’électricité », la population pourrait raisonnablement conclure que la modification de la structure de gouvernance réglerait ce « gâchis » et contribuerait à réduire les prix de l’électricité. Au mieux, il s’agirait d’une tentative de détourner l’attention de la population de l’incapacité du gouvernement actuel, ou de tout autre gouvernement, à réduire sensiblement les prix de l’électricité et, au pire, d’induire délibérément la population en erreur. Ni l’un ni l’autre ne constituerait une bonne politique publique.
De façon plus générale, je répondrais à la question ci-haut en disant que c’est important parce que le gouvernement et ses organismes de réglementation ont l’obligation envers le public, voire l’obligation morale, d’agir conformément à une bonne politique publique. Le défaut de le faire, aussi obscures que puissent paraître les circonstances particulières, constitue un manquement à cette obligation, un manquement qui érode, si minimalement soit-il, la primauté du droit.
* Robert B. Warren est un avocat spécialisé dans le domaine de la réglementation du secteur de l’énergie. Ses écrits et discussions sur les questions de gouvernance dans ce secteur sont nombreux et il a prêté conseils à plusieurs clients des secteurs public et privé dans ce domaine. Veuillez adresser vos commentaires à rbw.regulatorygovernance@gmail.com.
- Richard Dicemi, Cara Clairman et Bruce Campbell, « Comité consultatif d’experts pour la modernisation de la Commission de l’énergie de l’Ontario – Rapport final » (octobre 2018), en ligne (pdf) : Gouvernement de l’Ontario <files.ontario.ca/endm-oeb-report-fr-2018-10-31.pdf> (« Rapport Dicemi »).
- Loi de 2019 pour réparer le gâchis dans le secteur de l’électricité, LO 2019, c 6.
- La nouvelle structure de gouvernance offre l’occasion de revoir une analyse de la gouvernance de la CEO que j’ai entreprise en 2014. Dans cette analyse, j’ai relevé un certain nombre de lacunes évidentes dans la gouvernance de la CEO. Entre autres choses, une étude de la nouvelle structure de gouvernance, et du processus par lequel elle a été élaborée, permet d’évaluer si les lacunes que j’ai relevées dans l’analyse précédente ont été corrigées, et si oui, comment. Le présent document est en fait la suite de cette analyse antérieure, d’où l’utilisation du terme « complémentaire » dans son titre. Robert B. Warren, « The Governance of Regulatory Agencies: A Case Study of the Ontario Energy Board » (janvier 2015) en ligne (pdf) : Council for Clean & Reliable Electricity <thinkingenergy.ca/wp-content/uploads/2021/03/CCRE-The-Governance-of-Regulatory-Agencies-A-Case-Study-of-the-Ontario-Energy-Board-by-Robert-B.-Warren-January-2015.pdf> (« le Rapport de 2015 »).
- Organisation de coopération et de développement économiques, « La gouvernance des régulateurs » (2014), en ligne : <read.oecd-ilibrary.org/governance/principes-de-bonnes-pratiques-de-l-ocde-pour-la-politique-de-la-reglementation_9789264222649-fr#page1>.
- Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario, LO 1998, c 15, annexe B [LCEO].
- La définition officielle de la gouvernance d’entreprise de l’OCDE est la suivante : « Les Principes [de gouvernance d’entreprise] ont pour objet d’aider les responsables de l’action publique à évaluer et améliorer le cadre juridique, réglementaire et institutionnel, organisant la gouvernance d’entreprise afin de favoriser l’efficience économique, une croissance durable et la stabilité financière.» (2015) à la p 11, en ligne (pdf ) : <www.oecd.org/daf/ca/Corporate-Governance-Principles-FRA.pdf >.
- OCDE, « La gouvernance des régulateurs » (dernière consultation le 18 février 2022) en ligne : <www.oecd.org/fr/gov/politique-reglementaire/gouvernance-des-regulateurs.htm>.
- Loi sur l’exercice des compétences légales, LRO 1990, c S.22.
- Loi de 1998 sur l’électricité, LO 1998, c 15, annexe A.
- LCEO, supra note 5, art 36.
- Ibid, art 43.
- Ibid, art 78.
- Ibid, art 86.
- Ibid, arts 90, 92.
- Ibid, art 44.
- Ibid, art 70.1.
- Voir par ex Thamotharem c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198 aux para 55 et s.
- Commission de l’énergie de l’Ontario, « Plan d’activités 2014-2017 » (21 août 2014), en ligne (pdf ) : <www.oeb.ca/oeb/_Documents/Corporate/OEB_Business_Plan_2014-2017_fr.pdf>.
- Rapport Dicerni, supra note 1, annexe A à la p 27.
- Ibid, annexe A à la p 26.
- Ibid à la p 13.
- Ibid à la p 17.
- Le rapport Dicerni fait référence à la structure de gouvernance de l’Alberta Energy Regulator (AER), qui comprend le recours à un conseil d’administration. La question de savoir si la structure de gouvernance de l’AER est un modèle approprié pour la gouvernance de la CEO dépasse la portée du présent document.
- LCEO, supra note 5, art 4(5).
- Ibid, art 4.1(1).
- Ibid, arts 4.1(8), (9).
- Ibid, art 4.1(18).
- Ibid, art 4.2(1), (2).
- Ibid, art 4.3(1).
- Ibid, art 4.6(1).
- Ibid, art 4.1(7).
- Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario, LRO 1990, c B.16.
- « Protocole d’entente entre le ministre de l’Énergie, du Développement du Nord et des Mines et le président de la Commission de l’énergie de l’Ontario » (11 février 2021), en ligne (pdf ) : <www.oeb.ca/sites/default/files/Memorandum-of-Understanding-OEB-Ministry-2021-fr.pdf>.
- Commission de l’énergie de l’Ontario, « Règlement no 1 » (en vigueur le 2 octobre 2020), en ligne (pdf ) : <www.oeb.ca/sites/default/files/OEB-bylaw-1-20201002-fr.pdf>.
- LRC 1985, c C-44.
- BCE Inc. c Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69 au para 40.
- OCDE, supra note 4 à la p 33.
- Vérificateur général de l’Ontario, « Rapport annuel 2011 » (2011) aux pp 96–133 (chapitre 3, section 3.03), en ligne (pdf ) : <www.auditor.on.ca/fr/content-fr/annualreports/arreports/fr11/303fr11.pdf>; voir aussi Vérificateur général de l’Ontario, « Rapport annuel 2013 » (2013) aux pp 361–63 (chapitre 4, section 4.02), en ligne (pdf ) : < www.auditor.on.ca/fr/content-fr/annualreports/arreports/fr13/402fr13.pdf>.