Favoriser la Concurrence entre les Enterprises Locales de Distribution Réglementées: l’exemple des pays-bas

Introduction

L’établissement des tarifs pour les entreprises locales de distribution (ELD) représente souvent une tâche exigeante tant pour les organismes de réglementation que pour les ELD. Au Canada, la plupart des organismes de réglementation ont recours à une forme de réglementation du coût de rendement qui comprend des mécanismes de tarification qui nécessitent un suivi des coûts et du rendement très ardu et complexe. Cette tâche quelque peu pénible des organismes de réglementation pourrait être évitée en suivant une méthode pratiquée aux Pays-Bas qui repose sur la réglementation par plafonnement des prix jumelée à la concurrence par comparaison.

Dans le cadre de cette méthode, l’organisme de réglementation n’a qu’à calculer le niveau moyen du coût déclaré par catégorie de clients parmi le groupe correspondant d’ELD (qui comprend à la fois les coûts opérationnels et de dépenses en immobilisations de même qu’une composante de rendement des investissements de base) et à autoriser seulement des tarifs par client qui récupéreront ce niveau moyen de coût.

Les ELD qui peuvent surpasser ce niveau moyen de coût (c.-à-d. avoir de coûts moindres) peuvent ensuite bénéficier d’un taux de rendement plus élevé. Parallèlement, les ELD qui n’atteignent pas la norme de rendement des coûts toucheront moins que la base de rendement des investissements admise.

Cette forme de tarification maximise la liberté et l’efficacité des entreprises réglementées. Elle est employée dans certains pays en Europe comme au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. La suite du présent texte porte sur la façon dont ce genre de réglementation est mis en œuvre aux Pays-Bas.

Le contexte néerlandais

Pour bien comprendre la méthode employée aux Pays-Bas, il faut d’abord comprendre la structure du secteur des services énergétiques réglementés dans ce pays. La superficie des Pays-Bas est 250 fois plus petite que celle du Canada, mais comme ce pays compte au moins la moitié de la population canadienne, il nécessite un réseau de distribution de gaz et d’électricité dense afin d’être en mesure d’offrir les services énergétiques nécessaires. Ces services sont fournis par huit ELD à travers environ huit millions de raccordements électriques et sept millions de raccordements gaziers1. Ces ELD, dont les trois plus importantes alimentent plus de 90 % des raccordements d’électricité et de gaz, exploitent aussi bien des réseaux électriques que gaziers. Ces deux types de réseaux sont réglementés séparément et les ELD sont assujetties à une séparation juridique et ne peuvent pas agir à titre de fournisseurs du produit.

Les Pays-Bas n’ont qu’un organisme de réglementation de l’énergie (soit Authority for Consumers and Markets2), dont l’indépendance est garantie par des directives européennes3. Cet organisme de réglementation national est responsable de l’application de la réglementation européenne et des lois et des règlements des Pays-Bas sur l’électricité et le gaz (lesquels sont directement liés)4, et ce, selon les termes de ces mêmes lois. Les lois sur l’électricité et le gaz imposent aux ELD l’application d’une réglementation par plafonnement des prix.

Réglementation par plafonnement des prix jumelée à la concurrence par comparaison

La réglementation par plafonnement des prix de même que la réglementation par plafonnement des revenus sont fondées sur le fait que les ELD sont incitées à réduire leur niveau de coût en fonction du niveau précédent par un gain en efficacité ou un accroissement de la productivité (facteur X). Les coûts d’une ELD ne peuvent alors qu’augmenter à un taux égal à l’augmentation de l’indice des prix à la consommation (IPC) ou de toute autre mesure de l’inflation choisie, moins le facteur X établi5. Dans le cadre de la méthode de réglementation par plafonnement des prix6 jumelée à la concurrence par comparaison employée aux Pays-Bas, l’organisme de réglementation établit un tarif maximum par catégorie de clients pour une période définie (soit la « période de prix », laquelle est généralement de trois à cinq ans). Le branchement d’un consommateur à une certaine capacité représente un exemple de catégorie de clients.

Le tarif maximum demandé aux consommateurs est basé sur le niveau de coût efficace du secteur de la distribution de gaz et d’électricité. Ce niveau est égal aux coûts moyens par unité produite du secteur, jumelés à une augmentation générale de la productivité, qui était jusqu’à la période de prix actuelle (2011 à 2013), basée sur la réduction moyenne du coût au cours d’une période de prix antérieure7. Le facteur X reflète la réduction des coûts ou l’accroissement de la productivité qu’une ELD particulière doit réaliser pour atteindre le niveau efficace à la fin d’une période de prix. Les facteurs X moyens pour la prochaine période de prix (2014 à 2016) sont de 4,7 % pour le secteur de l’électricité8 et de 6,7 % pour le secteur du gaz9.

Par conséquent, le facteur X provoque une baisse des revenus admis à un niveau où les coûts efficaces équivalent à un rendement à la fin d’une période de prix. Cela comprend un taux de rendement des investissements conforme au marché, car dans le système néerlandais les coûts opérationnels comme les coûts d’investissement sont inclus dans la réglementation. Le taux de rendement qui conforme au marché est basé sur une estimation du coût moyen pondéré du capital (CMPC) pour une période de prix déterminée10,11. Le CMPC s’intègre à la réglementation de trois façons : les valeurs historiques sont utilisées pour calculer l’accroissement général de la productivité, le CMPC de la période de prix actuelle (6,2 %) sert à calculer les coûts efficaces au début de la nouvelle période de prix (TI2014)12 et le CMPC pour la prochaine période de prix (3,2 %) sert à évaluer les coûts efficaces à la fin de la période de prix qui suivra (TI2016)13,14.

La réglementation par plafonnement des prix jumelée à la concurrence par comparaison incite fortement à la réduction des coûts, car une ELD qui arrive à dépasser le niveau d’efficacité (soit le niveau de comparaison) peut conserver les bénéfices. Cet avantage est principalement dû au fait que les tarifs sont fixés pour la période de prix (et augmentent si la période de prix est prolongée). Cette concurrence accroît la rentabilité de tout le secteur et, ainsi, au cours de la prochaine période de prix, le consommateur tirera profit de tarifs plus bas. Cette méthode constitue une forme de réglementation relativement assouplie qui réduit au maximum le fardeau administratif tant pour les services publics que pour les organismes de réglementation, étant donné que ces fournisseurs de services ne sont pas tenus de signaler leurs investissements et que les organismes de réglementation ne sont pas concernés par la façon dont les services publics diminuent leurs coûts.

Le fait que les EDL ont des coûts comparables pour une catégorie de clients définie constitue une importante condition préalable à la concurrence par comparaison. Cela n’est pas le cas s’il y a des différences régionales entre les situations relatives aux coûts des ELD. Parmi les exemples de différences de coûts régionales possibles aux Pays-Bas, il y a les ELD dont les systèmes doivent souvent franchir plus de cours d’eau et les ELD assujetties à des taxes locales ou à d’autres frais analogues plus élevés. Dans le cadre de la méthode utilisée aux Pays-Bas, si une différence régionale entraîne des coûts par catégorie de clients considérablement plus élevés pour une ELD particulière, cette dernière considère ces coûts comme étant « structurels et incontrôlables » et l’ELD a droit à des tarifs plus élevés par catégorie de clients15.  À l’heure actuelle, malgré les tentatives d’ELD de réclamer certaines de ces différences de coûts régionales, certaines taxes locales16 constituent la seule différence régionale (reconnue) que les ELD ont pu justifier à la satisfaction de l’organisme de réglementation.

Efficacité par rapport à la qualité

Tel que mentionné plus haut, la réglementation par plafonnement des prix jumelée à la concurrence par comparaison encourage fortement à la rentabilité.17 Selon des études menées aux Pays-Bas, les coûts totaux des réseaux de distribution, qui comprennent à la fois les coûts opérationnels et les coûts d’investissement, ont baissé considérablement18, soit de 4,6 milliards d’euros pour l’électricité (de 2000 à 2011) et de 2,4 milliards d’euros pour le gaz (de 2001 à 2011). En ce qui a trait à la nouvelle période de prix (de 2014 à 2016), les coûts de distribution d’électricité diminueront de 8 % et ceux de gaz de 6,5 %.

Il existe toutefois une crainte de voir les puissantes mesures visant à réduire les coûts mener à des sous-investissements de la part des ELD qui souhaitent garder leurs coûts bas. Une importante étude de 2009, réclamée par l’organisme de réglementation, n’a démontré aucune preuve que les ELD ont eu tendance à sous-investir au cours des années antérieures.19 Cette conclusion a été confirmée par un rapport plus récent.

N’en demeure pas moins que pour prévenir les sous-investissements possibles, deux mécanismes ont été mis en place afin d’équilibrer l’efficacité et la qualité de l’infrastructure énergétique. Les ELD d’électricité ne sont pas seulement soumises à un facteur X, mais également à un facteur de qualité appelé le facteur Q. Ce dernier doit refléter le rendement (non-financier) d’une ELD20 et conduire à une prime (ou à une pénalité) pour une ELD si son rendement est supérieur (ou inférieur) à celui des entreprises homologues21. De plus, les ELD d’électricité et de gaz sont assujetties à une règle de politique qui prescrit les processus que les ELD doivent avoir mis en œuvre afin de gérer la qualité et la capacité des réseaux et qui oblige les ELD à faire rapport de ces processus à l’organisme de réglementation tous les deux ans.

Innovation et investissements « spéciaux »

En général, la concurrence entre entreprises est réputée pour être à l’origine d’innovations22.  Ainsi, selon certains, aux Pays-Bas, la concurrence par comparaison pratiquée entre entreprises entraîne des innovations dans les secteurs de la distribution d’électricité et de gaz. Cela semble vrai dans la mesure où l’innovation vise à améliorer la rentabilité,  mais apparaît moins évident dans le cas de formes d’innovation plus générales qui profiteraient au système énergétique dans son ensemble23. Afin de prévenir le risque de sous-investissement mentionné plus haut et de faciliter l’innovation au-delà du simple contrôle des coûts, un nouvel outil d’investissements « spéciaux » par les ELD a été ajouté à l’Electricity Act (loi sur l’électricité) et à la Gas Act (loi sur le gaz) en juillet 2011.

L’idée derrière cet outil est d’offrir aux ELD plus de sécurité quant au rendement des investissements pour certains investissements qu’elles en auraient dans le cadre du système de concurrence par comparaison. Les investissements qui nécessitent cette sécurité additionnelle sont des investissements «.spéciaux », c’est-à-dire des investissements qui sont d’intérêt public, mais qui ne rapportent pas assez dans le cadre de la concurrence par comparaison, soit parce que les autres ELD n’investissement pas (ou investissent, mais pas à la même échelle), soit parce qu’ils ne génèrent pas suffisamment de gains de production comparativement aux coûts. Un investissement « spécial » obtiendra toujours une rémunération distincte à l’intérieur d’une période de prix, ce qui veut dire qu’il est gardé à l’extérieur des actifs réglementés qui sont utilisés pour la concurrence par comparaison. Après quoi l’ELD continuera de recevoir une rémunération distincte aussi longtemps que l’investissement est considéré « spécial ».

Conclusions

La réglementation par plafonnement des prix jumelée à la concurrence par comparaison a entrainé d’importants gains en efficacité dans les secteurs de la distribution d’électricité et de gaz aux Pays-Bas. Cette forme de réglementation comporte une charge administrative plutôt faible dans laquelle certaines différences (régionales) entre les services publics doivent être prises en compte. En raison du succès qu’elle connaît aux Pays-Bas et ailleurs en Europe, cette forme de tarification pourrait permettre d’améliorer le rendement coût-efficacité des EDL en Amérique du Nord.

Récemment, un nouvel outil a été lancé aux Pays-Bas afin de fournir davantage de sécurité financière quant aux investissements « spéciaux ». Le désavantage d’un tel outil est qu’il retire les investissements du cadre de la concurrence par comparaison et qu’il pourrait, par conséquent, affaiblir le système de mesures incitatives. De plus, il requiert davantage de travail administratif, ce qui alourdit le processus de réglementation. Toutefois, cet outil n’est toujours pas utilisé par les EDL, ce qui laisse peut-être entendre que la réglementation fonctionne bien et que, pour l’instant, aucune autre mesure n’est nécessaire.

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* Hugo Schotman est un consultant en énergie néerlandais basé à Ottawa. Il s’est spécialisé dans la règlementation de l’énergie, l’intégration des sources d’énergie renouvelables et des réseaux d’énergie intelligents. Avant de s’établir au Canada en 2012, il était gestionnaire principal de projets à l’Autorité néerlandaise des consommateurs et des marchés (ACM), où il a travaillé sur la règlementation de la qualité des réseaux énergétiques et des investissements dans l’innovation du réseau. Il a fait des présentations sur ces sujets et est l’auteur de plusieurs publications. L’auteur tient à exprimer sa sincère gratitude à Yvonne Beyer, Lisette de Boer et Marga Buys de l’ACM pour leurs précieux commentaires sur le manuscrit. Le contenu de cette publication est cependant la seule responsabilité de l’auteur et ne peut en aucun cas être considéré comme réflétant la position de l’ACM.

1   Netbeheer nederland, en ligne : Energie Trends 2012 (En néerlandais) <www.netbeheernederland.nl/Content/Files/file/EnergieTrends2012.pdf>.

2  Authority for Consumers and Markets, en ligne: ACM <https://www.acm.nl/en/>.

3  Directives 2009/72/EC (électricité) et 2009/73/EC (gaz)

4  Electricity Act (loi sur l’électricité) 1998, en ligne : <http://wetten.overheid.nl/BWBR0009755/geldigheidsdatum_16-09-2013>. Gas Act (loi sur le gaz), en ligne: <http://wetten.overheid.nl/BWBR0011440/geldigheidsdatum_16-09-2013>. Ces lois assurent l’application des directives sur l’énergie de l’UE et des politiques nationales sur l’énergie.

5  Dans une formule : TIE=(1+CPI-X)×TIB, TIE équivaut aux revenus totaux (ou coûts efficaces) à la fin de la période de prix et TIB équivaut aux revenus totaux (ou coûts efficaces) au début de la période de prix.

6  La principale différence entre la réglementation par plafonnement des revenus et la réglementation par plafonnement des prix est que dans le cas de cette dernière, le revenu total est sensible aux changements de volume d’une catégorie de clients donnée.

7  En ce qui concerne les nouvelles décisions pour la prochaine période de prix (2014 à 2016), l’accroissement général de la productivité est basé sur une période plus longue (à partir de 2005), car une augmentation du coût dans l’ensemble du secteur au cours de la période de prix précédente a donné lieu à des facteurs X négatifs (ce qui a accru les prix) dans la période de prix actuelle.

8  Autoriteit Consument and Markt, Toezicht regionale netbeheerders elektriciteit: X-factoren regionaal netbeheer elektriciteit (2014-2016) (En néerlandais),en ligne : ACM <https://www.acm.nl/nl/onderwerpen/energie/elektriciteit/regulering-regionale-netbeheerders/x-factoren-regionaal-netbeheer-elektriciteit-2014-2016/>.

9  Autoriteit Consument and Markt, Toezicht regionale netbeheeders gas: X-factoren regionaal netbeheer gas (2014-2016), en ligne : ACM <https://www.acm.nl/nl/onderwerpen/energie/gas/regulering-regionale-netbeheerders/x-factoren-regionaal-netbeheer-gas-2014-2016/>.

10  Dan Harris, Bente Villadsen & Francesco Lo Passo, Calculating the Equity Risk Premium and the Risk-free rate (26 novembre 2012), en ligne The Brattle Group: <https://www.acm.nl/nl/download/bijlage/?id=10972>.

11  Dan Harris, Bente Villadsen & Francesco Lo Passo, The WACC for the Dutch TSOs, DSOs, water companies and the Dutch Pilotage Organisation (4 mars 2013), en ligne: The Brattle Group  .

12  Supra note 5 (Comparer à TIB dans la formule).

13  Supra note 5 (Comparer à TIE dans la formule).

14  Autoriteit Consument and Markt, Methodebesluit regionaal netbeheer elektriciteit (2014-2016) (En néerlandais) En ligne : ACM<https://www.acm.nl/nl/download/publicatie/?id=12002>; Autoriteit Consument and Markt, Methodebesluit regionaal netbeheer gas (2014-2016) (En néerlandais) en ligne : ACM <https://www.acm.nl/nl/download/publicatie/?id=12003>.

15  Cela ne suscite pas une hausse globale des tarifs à la clientèle, mais seulement un déplacement des revenus des ELD qui ne sont pas tenues de payer ces coûts additionnels aux ELD qui le sont.

16  Depuis le transfert des lignes à haute tension aux transporteurs, le franchissement de cours d’eau de plus de 1 km n’est plus un enjeu important. La densité du réseau et la possibilité de coûts plus élevés pour les régions rurales font l’objet de discussions depuis longtemps, mais ne sont toujours pas établies comme des différences régionales.

17  Elle assure également des conditions équitables, où les ELD ont les mêmes coûts par unité de production.

18  Tariefregulering in retrospectief: Inventariserend en structurerend feitenonderzoek, Berenschot, 11 avril 2012 (En néerlandais).

19  Investeringen in energienetwerken onder druk? Een beoordeling van het reguleringskader, PriceWaterhouseCoopers, octobre 2009 (En néerlandais).

20  La loi sur le gaz impose un indice de qualité pour le gaz, mais celui-ci a été fixé à zéro par l’organisme de réglementation, car l’aspect le plus important de la distribution gazière n’est pas la qualité du produit en soi, mais la sécurité du réseau. De plus, il a été jugé imprudent d’inclure la sécurité dans la concurrence par comparaison.

21  Dans une formule : TIE=(1+CPI-X+Q)×TIB.

22  Voir par exemple Mike Cleland et al, “Economic Regulation and the Development of Integrated Energy Systems” (septembre 2012) ICES Literacy Series – Paper No. 3.

23  Autoriteit Consument and Markt, “Zienswijze en consultatie: Consultatie over innovatie (en néerlandais), en ligne : ACM <https://www.acm.nl/nl/publicaties/publicatie/7009/Consultatie-over-innovatie/>.

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