Introduction
L’émergence de la production de gaz de schiste comme composante importante de l’approvisionnement en gaz naturel aux États-Unis a profondément modifié l’environnement opérationnel du secteur du gaz en Amérique du Nord au cours des dix dernières années. Le potentiel d’importations de gaz naturel liquéfié (GNL) aux États-Unis a souvent été abordé auparavant, mais n’a jamais été fait. Il a retenu cependant l’attention des analystes de marché et des décideurs. Au fil des années, le Canada est demeuré de loin la source d’approvisionnement « étrangère » de gaz naturel la plus importante pour les acheteurs américains. L’importance relative des importations pour répondre aux besoins énergétiques des États-Unis a chuté au cours des dernières années au fur et à mesure que la production américaine de gaz de schiste s’est accentuée. Et la production du gaz naturel au Canada n’a pas suivi sa croissance aux rythmes observés entre le milieu des années 1980 et le début des années 2000.
Le présent article vise principalement à déterminer si les progrès décrits cidessus ont mené à des changements dans le futur rôle perçu du gaz naturel canadien aux États-Unis. Quelle importance attribut-on au rôle de la production de gaz au Canada pour répondre aux futurs besoins de consommation américaine en gaz naturel? En quoi le commerce de GNL et la production américaine de gaz de schiste prévus influencent-ils les perspectives d’importation de gaz naturel canadien aux États-Unis à long terme? L’examen de ces questions et autres questions connexes est au cœur des sujets abordés dans le présent article.
Le complément de l’article est structuré comme suit : la prochaine section présente de l’information sur l’évolution d’éléments précis des marchés de gaz naturel au Canada et aux États-Unis. Cette information permet d’établir le contexte pour la partie suivante, dans laquelle on examine les prévisions du rôle aux États-Unis du gaz naturel produit au Canada. Les prévisions examinées sont tirées des éditions de 1997 à 2014 de la publication Annual Energy Outlook, un produit de l’Energy Information Administration, un organisme du département de l’Énergie des États-Unis. La section suivante pose des réflexions sur les conséquences pour le Canada et les marchés du gaz en Amérique du Nord quant au facteurs qui soustendent les changements au rôle attendu aux États-Unis du gaz naturel produit au Canada, tel que révélé par les prévisions de l’EIA. Dans la dernière section, les principales conclusions de l’article sont réunies.
Éléments du contexte
Au cours de la deuxième moitié des années 1980, l’environnement opérationnel du secteur canadien du gaz naturel a été profondément transformé. En quelques années seulement, une industrie régie par une réglementation stricte (y compris le prix à l’exportation et les contrôles du volume) et des sociétés pipelinières s’est transformée en une industrie reposant sur les vente en gros (y compris les marchés d’exportation) dont les conditions sont régies par les acheteurs et les vendeurs individuels et les pipelines de libre accès. Cette histoire a déjà été racontée à de nombreuses reprises; il n’est donc pas nécessaire de la répéter ici2. Pour les besoins du présent article, toutefois, il importe de noter que cette tendance à adopter un environnement opérationnel moins réglementé a été suivie par une période de croissance phénoménale de la production et des exportations de gaz naturel.
Comme indiqué à la figure 1, en 1986, la production n’avait été que légèrement supérieure à la production réalisée en 1980, soit 2,54 contre 2,46 billions de pieds cubes (Tpi3) par exemple3. La majeure partie de ce gaz a été consommée au Canada. À chaque année entre de 1980 à 1986, l’usage domestique (défini comme étant la production plus les importations moins les exportations) représentait plus des deux tiers de la production totale de gaz au Canada.
En revanche, la production a connu une croissance légèrement supérieure à 46 % (à 3,72 Tpi3) entre 1986 et 1992 – une période équivalente à six ans. En effet, la production canadienne de gaz naturel a poursuivi sa forte progression pendant dix autres années. En 2002, la production avait atteint 6,08 Tpi3, soit plus du double de la production réalisée en 1986. Au cours des quinze années s’échelonnant de 1987 à 2002, la production de gaz naturel à partir de sources canadiennes a augmenté à un taux moyen de 5,4 % par année.
Au cours de la même période, l’utilisation du gaz naturel au Canada a également connu une croissance, mais plus lente, passant de 1,78 Tpi3 en 1987 à 2,51 Tpi3 en 2002 – une croissance annuelle moyenne de 2,3 %. La croissance des volumes d’exportation a même été plus forte que celle de la production. De 1987 à 2002, l’exportation de gaz naturel produit au Canada vers les États-Unis – l’unique marché d’exportation auquel les producteurs canadiens avaient accès – est passée de tout juste 1,0 à 3,80 Tpi3 – un taux de croissance annuel de 9,4 %. La portion de la production de gaz naturel canadien consommée au pays a diminué de manière assez constante tout au long de cette période pour atteindre 41,3 % en 2002. La figure 1 illustre assez clairement la croissance prononcée et soutenue observée dans les extrants de l’industrie canadienne du gaz naturel au cours de cette période. Il ressort également de la figure 1 que jusqu’en 2000, les importations de gaz naturel au Canada étaient négligeables. Bien qu’il y ait eu une légère augmentation au cours des deux années qui ont suivi, les volumes d’importation sont demeurés assez faibles, atteignant environ 6 % des volumes d’exportation en 2002.
La figure 2 montre les données sur la consommation de gaz naturel aux États-Unis, la production (la production de gaz sec est la mesure utilisée ici) et le commerce avec le Canada au cours de la même période de 1980 à 2013 que celle de la figure 14. Le secteur américain du gaz naturel a entrepris un processus de déréglementation similaire à celui du Canada. Le processus américain a toutefois commencé plus tôt et duré plus longtemps : idébutant vers la fin des années 1970 et on peut soutenir qu’il ne s’est terminé qu’au début des années 1990. Néanmoins, pour faciliter la comparaison avec la trajectoire canadienne, concentrons-nous d’abord sur la période de 1980 à 1986. Dans l’ensemble, la production américaine de gaz naturel a diminué d’environ 17 % au cours de ces années, pour atteindre sa valeur la plus basse de 16,1 Tpi3 en 1986. Les importations en provenance du Canada – ou d’autres pays – n’ont pas joué un rôle important pour répondre aux besoins de consommateurs américains entre 1980 et 1986, qui représentaient quelque 4,6 % des besoins intérieurs à la fin de cette période. Mesurées en volume, les importations en provenance du Canada étaient relativement stables : elles sont passées de 0,80 Tpi3 en 1980 à 0,74 Tpi3 en 1986. Les exportations vers le Canada (ou, à nouveau, vers d’autres pays) étaient négligeables au cours de cette période : les importations nettes en provenance du Canada (c’est-à-dire les importations brutes en provenance du Canada vers les États-Unis moins les exportations brutes des États-Unis vers le Canada) équivalaient effectivement aux importations (brutes)5. Entre 1980 et 1986, on peut décrire l’histoire du gaz naturel aux États-Unis comme une période de baisse de production et de consommation, bref une période morose du domaine.
Les choses ont commencé à changer en 1987 lorsque la croissance de la consommation américaine a repris et dépassé la croissance de la production intérieure. Entre 1987 et 2002, la consommation américaine a connu une croissance de 33,7 % (de 17,2 à 23,0 Tpi3), et la production américaine a augmenté à moins de la moitié de ce taux, passant de 16,6 à 18,9 Tpi3, ou 13,9 %, au cours de la même période. Comme l’illustre la figure 1, les importations en provenance du Canada ont comblé cet écart croissant entre l’utilisation américaine du gaz naturel et la production intérieure. En 2002, les volumes d’importation en provenance du Canada ont atteint 3,79 Tpi3, la valeur la plus élevée pour cette période, et représentaient 16,5 % du total de la consommation américaine de gaz naturel. Les exportations des États-Unis vers le Canada ont augmenté au cours de cette période, mais n’ont tout de même totalisé que 0,19 Tpi3 en 2002, un faible pourcentage seulement des échanges commerciaux empruntant la direction opposée.
La situation en 2002 peut donc être vue de la manière suivante. La production canadienne de gaz naturel a connu une croissance rapide au cours des quinze années précédentes. La croissance des exportations vers les États-Unis a été encore plus forte, les producteurs canadiens ayant comblé l’écart entre la consommation et la production américaine. Dans l’ensemble, le Canada est devenu une source importante d’importateur de gaz naturel pour les consommateurs américains, alors que l’introduction sur le marché canadien du gaz produit par les États-Unis continue d’être très limité. Les lecteurs auront bien sûr noté que l’intégration des marchés canadiens et américains du gaz naturel s’est accentuée entre 1987 et 2002, avec l’entrée en vigueur de l’entente de l’Halloween de 1985 qui a dérèglementé les marchés du gaz naturel au Canada, et l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis en 1989 et l’Accord de libre-échange nord-américain en 1994. Par conséquent, il est improbable que tous les changements dans la structure des échanges commerciaux de gaz naturel entre le Canada et les États-Unis survenus après le milieu des années 1990 soient liés aux changements de politique commerciale dans l’un ou l’autre des deux pays. Les forces du marché, et par conséquent les mesures des acteurs sur le marché, déterminent plutôt de manière efficace les mouvements de gaz naturel entre ces deux pays. En 2002, le Canada se veut comme une source importante, sûre et fiable d’approvisionnement en gaz naturel pour les États-Unis, une situation solidifiée au cours des quelques quinze années précédentes à la suite de l’adoption de mesures stratégiques antérieures et des résultats des décisions prises par les acheteurs et les vendeurs de gaz naturel dans les deux pays.
Puis, la situation a de nouveau commencé à changer, comme l’illustrent les figures 1 et 2. La production, tant au Canada qu’aux États-Unis, a été relativement stable pendant les cinq années qui ont suivi 2002. Les exportations vers les États-Unis de gaz naturel produit au Canada sont également demeurées relativement constantes, mais les importations en provenance des États-Unis, même si elles étaient toujours assez faibles, ont connu une forte croissance (voir la figure 1) : entre 2002 et 2007, les importations au Canada de gaz naturel produit aux États-Unis (principalement dans l’est du Canada) ont plus que doublé pour atteindre 0,48 Tpi3 à la fin de cette période. La croissance de la consommation canadienne était irrégulière au cours de cette période, de sorte qu’en 2007, l’usage domestique était effectivement le même qu’il l’était en 2002 (2,48 contre 2,51 Tpi3, respectivement).
Après cette courte « pause », la situation a commencé à évoluer de façons différentes nettement marquées dans les deux pays. Aux États-Unis, la production a affiché une tendance à la hausse, augmentant de 26 % entre 2007 et 2013. En revanche, au Canada, la production a baissé légèrement, diminuant de quelque 14 % au cours de la même période. En 2013, la production américaine de gaz naturel a atteint 24,3 Tpi3, un sommet historique. Pendant ce temps, à 4,99 Tpi3, la production canadienne au cours de cette année était presque égale aux niveaux atteints 20 ans plus tôt : en 1994, la production de gaz naturel au Canada avait été de 4,90 Tpi3. Comme l’illustre la figure 1, la consommation canadienne a connu une croissance au cours de cette période; elle est passée de 2,48 Tpi3 en 2002 à 3,02 Tpi3 en 2013 – au cours de la dernière année de la période à l’étude, l’usage domestique de gaz naturel au Canada a dépassé pour la première fois les exportations vers les États-Unis. Le Canada est également devenu plus dépendant envers les États-Unis en tant que source de gaz naturel pour répondre aux besoins intérieurs de consommation (besoins canadiens, ici) : en 2013, les volumes importés des États-Unis totalisaient 31,7 % de l’utilisation de gaz naturel au Canada – cette proportion était à 9,3 % en 2002.
Soudainement, le gaz naturel produit aux États-Unis répondait aux besoins de consommation aussi bien à l’interne qu’au Canada. L’examen de la figure 2 révèle que la production américaine a augmenté plus rapidement que la consommation intérieure, ce qui signifie que l’écart entre la consommation et la production américaine avait diminué depuis les derniers six ans environ, à la fin de la période examinée. Entre 2007 et 2013, les exportations vers le Canada de gaz naturel produit aux États-Unis avaient presque exactement doublé, passant de 0,48 à 0,94 Tpi3. Il n’est pas surprenant que les exportations du Canada vers les États-Unis aient chuté de façon marquée au cours de ces six années, passant de 3,83 Tpi3 en 2007 à 2,91 Tpi3 en 2013 – une baisse de près de 25 %. Ensemble, ces deux derniers éléments laissent entendre que la baisse des exportations nettes de gaz naturel en provenance du Canada était encore plus prononcée que celle des exportations (brutes) : de 3,35 à 1,97 Tpi3 – une diminution d’environ 40 % ‒ au cours de cette période. En 2013, les importations nettes de gaz naturel en provenance du Canada ont permis de répondre à environ 7,2 % des besoins en consommation de gaz naturel des États-Unis, tandis que la mesure comparable pour 2007 avait été presque exactement le double de cette valeur, à 14,3 %.
En 2013, et à la fin de la période à l’étude, le secteur du gaz naturel a été confronté à de différentes réalités au Canada et aux États-Unis. Après une période en baisse, la production canadienne s’est stabilisée, mais les exportations ont continué de diminuer, et les importations des États-Unis ont alors constitué une partie substantielle de la consommation énergétique du Canada (en particulier dans l’est du Canada). La production américaine de gaz naturel, d’autre part, a atteint des sommets historiques et a connu une croissance plus rapide que la consommation intérieure, ce qui a entraîné un rétrécissement considérable de l’écart entre la consommation et la production américaines. Le volume des importations en provenance du Canada a fortement chuté ce qui, combiné à l’augmentation des exportations des États-Unis vers le Canada, signifiait qu’une fois les ajustements apportés pour compenser les flux commerciaux, le gaz naturel produit au Canada a joué un rôle beaucoup moins important pour répondre aux besoins de consommation des États-Unis. Comme en 2002, le Canada a continué d’être une source sûre et fiable d’approvisionnement en gaz naturel pour les États-Unis en 2013. Toutefois, contrairement à la situation qui régnait une douzaine d’années plus tôt, le Canada était en 2013 une source beaucoup moins importante d’approvisionnement pour les consommateurs américains de gaz naturel, tant en termes relatifs qu’ absolus : le volume des exportations du Canada était plus faible et représentait une proportion beaucoup plus petite de la consommation américaine qu’en 2002.
Depuis le début de la déréglementation du gaz naturel au Canada durant la deuxième moitié des années 1980, deux « périodes » distinctes peuvent être démontrées – et une brève transition entre les deux – dans la production du Canada et des États-Unis et dans le commerce du gaz naturel entre les deux pays. Du milieu des années 1980 jusqu’au tournant du siècle, la production canadienne a connu une croissance plus rapide que celle des États-Unis, où la croissance de la consommation a dépassé celle de la production intérieure. Les producteurs canadiens se sont empressés de combler cet écart grandissant. Le commerce du gaz naturel entre les deux pays était essentiellement unidirectionnel, c’est-à-dire que les volumes partaient du Canada vers les États-Unis. Le gaz naturel produit au Canada a répondu à une proportion croissante des besoins de consommation des États-Unis.
La période de 2002 à 2006 peut probablement être décrite comme une phase de transition pour la production et le commerce du gaz naturel en Amérique du Nord. La production de gaz naturel dans au sein des deux pays est relativement demeurée inchangée. Les exportations vers les États-Unis de gaz naturel produit au Canada ont également plafonné. Le volume des importations canadiennes de gaz produit aux États-Unis a légèrement augmenté, mais est demeuré relativement faible. Toutefois, la voie était tracée pour des changements marqués à la structure de la production et du commerce du gaz naturel en Amérique du Nord.
À partir de 2007 et jusqu’à la fin de la période à l’étude (c’est-à-dire 2013), les modèles de production du Canada et des États-Unis ont été très différents, une tendance à la hausse caractérisant celui des États-Unis, et une production à la baisse étant observée au Canada. La production de gaz naturel des États-Unis connaît une croissance plus rapide que la consommation intérieure, et les exportations canadiennes vers les États-Unis sont à la baisse. Les exportations américaines vers le Canada, même si elles sont moins nombreuses que les flux commerciaux dans l’autre direction, sont à la hausse. Le gaz naturel produit au Canada répond à une proportion réduite des besoins de consommation des États-Unis. Et les producteurs américains vendent de plus grands volumes aux acquéreurs canadiens.
Le présent article vise principalement à déterminer s’il existe des preuves d’un changement de perception chez les Américains du rôle de la production canadienne en tant que source d’approvisionnement de gaz naturel aux États-Unis. Dans les lignes qui suivent, nous soulignons l’existence de deux périodes distinctes dans les modèles de production de gaz naturel au Canada et aux États-Unis, et dans les flux commerciaux entre ces deux pays. La question qui nous intéresse maintenant est de savoir si l’évolution de ces modèles d’activité a mené à des réévaluations de la place qu’a occupée à long terme le gaz naturel canadien sur les marchés américains. Nous veillons répondre à cette question dans la portion suivante de l’article.
La place du gaz naturel en provenance du Canada aux États-Unis : Une évaluation des prévisions de l’EIA
Chaque année, l’Energy Information Administration (EIA) des États-Unis produit un Annual Energy Outlook (AEO) qui donne un aperçu des futurs progrès attendus sur les marchés énergétiques américains ainsi que des observations à cet égard, y compris certaines des importantes tendances du commerce pertinentes aux États-Unis. Chaque édition de l’AEO comprend, entre autres, des prévisions à long terme des principales mesures de production, de consommation et de commerce, par type de source d’énergie. Les importations en provenance du Canada et les exportations vers le Canada de gaz naturel des États-Unis sont tous deux explicitement incluses dans ces prévisions comme variables distinctes.
Le site web de l’EIA présente de l’information détaillée sur les prévisions à long terme comprises dans chaque édition de l’AEO pour la période de 1997 à 2014. Les valeurs de référence de la série prévue pour les importations américaines en provenance du Canada et pour les exportations vers le Canada de gaz naturel produit aux États-Unis ont été tirées des 18 éditions de l’AEO publiées pendant la période ciblée ci-dessus. Pour donner au lecteur une idée des données ainsi recueillies, la figure 3 donne une représentation des prévisions des importations aux États-Unis de gaz naturel en provenance du Canada, présentées dans chacune des éditions de l’AEO. Pour faciliter la présentation, uniquement la projection tirée de l’AEO 2003 est illustrée dans la figure 3, ce qui permet d’utiliser cette projection particulière pour décrire ce que représente chaque série.
La série extraite de l’AEO 2003 comprend des valeurs pour chaque année de 2001 à 2025. Les entrées pour les deux premières années (2001 et 2002) sont les volumes d’importation soit observés ou estimés pour ces deux années. Les valeurs projetées pour les années 2003 à 2025 complètent la série. Chaque projection individuelle (c’est-à-dire chaque « ligne » de la figure 3) est structurée de la même manière : « données » réelles pour les premières années, puis des valeurs projetées pour les autres années suivantes jusqu’à la fin de la période examinée dans l’édition particulière de l’AEO de laquelle la série donnée est tirée.
La figure 4 illustre le premier changement de perception significatif du rôle du gaz naturel canadien aux États-Unis qui émerge des prévisions de l’AEO. De 1997 à 2001, la projection incluse dans chaque édition annuelle de l’AEO exigeait une augmentation des importations de gaz en provenance du Canada au cours de la période examinée. La projection de 1997, représentée par le court trait mixte apparaissant dans la figure 4, établit cette tendance. Chaque projection subséquente jusqu’en 2001 (pour faciliter la présentation : figure 4) intègre l’augmentation des importations au cours de la période de projection, et exige également des volumes progressivement croissants d’importations au cours d’une année donnée de la période de projection. S’ils avaient été intégrés à la figure 4, les prévisions pour les éditions de 1998, de 1999 et de 2000 de l’AEO se situeraient entre celles de l’édition de 1997 et celles de 2001 (le trait discontinu en haut de la figure 4). Selon l’AEO 2001, les importations (nettes) de gaz naturel aux États-Unis en provenance du Canada devaient atteindre 5,5 Tpi3 en 2020 et représenter 16,7 % de la consommation intérieure au cours de cette année6. Ce qui n’apparaît pas clairement dans la figure 4, c’est que la majeure partie des importations américaines de gaz naturel proviennent du Canada dans les prévisions intégrées aux éditions de l’AEO publiées entre 1997 et 2001.
Tel que précisé dans la section précédente, la période de 1997 à 2001 a connu une croissance soutenue de la production canadienne de gaz naturel et une augmentation des volumes d’exportation aux États-Unis. Les éditions de l’AEO produites au cours de cette période traduisent donc cette situation en présentant le Canada comme étant une source infinie (du moins jusqu’à la fin de la période de projection), sûre et fiable d’importations américaines de gaz naturel. Dans l’AEO 2001, on renvoie à d’autres importations provenant de l’ouest du Canada et à la production de l’île de Sable, au large de la Nouvelle-Écosse, ayant atteint les marchés américains de consommation au début de 2000. Le Mexique est perçu comme une destination pour les plus petits volumes d’exportations américaines de gaz, et le gaz naturel liquéfié (GNL) est considéré comme étant de plus en plus important au fil du temps, « mais ne devrait pas être plus qu’une source d’importance régionale d’approvisionnement américain […] »7 [Traduction]. Jusqu’en 2001, « l’histoire » des importations américaines de gaz naturel dans les prévisions de l’AEO demeure essentiellement le fait des exportations du Canada.
Les choses ont commencé à changer en 2002. La situation américaine en matière d’approvisionnement s’améliore dans l’édition de 2002 de l’AEO, et l’importance grandissante, en particulier dans la période de projection, « du sable colmaté, du schiste et du méthane de houille » comme sources d’approvisionnement américain de gaz naturel est particulièrement mise en évidence. Cette observation s’accompagne d’une vision légèrement plus large du rôle du GNL pour répondre aux besoins futurs de consommation aux États-Unis8. Ces deux facteurs – mais principalement la vision plus optimiste du potentiel de production gazière aux États-Unis – se superposent à une situation où les importations en provenance du Canada sont légèrement moins importantes dans la représentation globale des développements sur les marchés américains du gaz naturel, tel que l’illustre la ligne pleine à la figure 4.
La projection de 2003 (la ligne discontinue s’étendant jusqu’en 2025 à la figure 4) entraîne l’examen de quelques autres facteurs. Ici, les sources non conventionnelles de production décrites cidessus continuent de jouer un rôle de plus en plus important dans la situation globale d’approvisionnement en gaz naturel aux États-Unis, mais dans l’AEO 2003, nous sommes beaucoup moins optimiste qu’il y a un an à l’égard des perspectives de production conventionnelle après 2015 dans les 48 États situés au sud du Canada. La baisse prévue de la production américaine globale qui en résulte est sensée être compensée par des importations accrues du Canada et une augmentation des importations de GNL9. Tel que représenté dans l’AEO 2003, le Canada tient toujours une part importante de l’approvisionnement en gaz naturel aux États-Unis, mais cette position semble de plus en plus remise en question par la production américaine non conventionnelle et par les importations sous forme de GNL.
La représentation de la place du gaz naturel canadien aux États-Unis change considérablement dans l’AEO 2004, comme l’illustre la figure 4, mais ne se motive pas par des changements de perception du rôle à jouer par la production intérieure des États-Unis. La situation présentée dans l’AEO 2004 tient plutôt compte d’une capacité de production à la baisse au Canada, en particulier dans le bassin sédimentaire de l’Ouest canadien, et à l’absence de nouvelles découvertes importantes au large de la côte Est du Canada. Les importations en provenance du Canada devraient atteindre un sommet en 2010, puis baisser graduellement jusqu’en 2025 et à la fin de la période de projection, et ce, malgré la projection d’un gazoduc dans la vallée du Mackenzie, qui devrait transporter des volumes de gaz naturel du Nord canadien vers les marchés américains à partir de 2009. En d’autres mots, il y a eu une évaluation à la baisse du potentiel global du Canada en tant que source d’approvisionnement de gaz naturel pour les consommateurs américains et, selon les auteurs de l’AEO 2004, les importations de GNL d’autres pays colmateront la brèche avec des volumes qui devraient passer de 0,2 Tpi3 en 2002 à 4,8 Tpi3 en 202510. Dans l’AEO 2005, on examine de façon plus détaillée ce changement de perception du Canada comme étant une source de gaz naturel pour les États-Unis : on estime que les importations de gaz produit au Canada ont atteint un sommet en 2003, avant le début de la période de projection (ligne pointillée s’étendant jusqu’en 2025 à la figure 4). Les importations de GNL, d’autre part, devraient augmenter plus rapidement et atteindre des niveaux plus élevés d’ici la fin de la période de projection : des importations de 6,4 Tpi3 en 2025, comparativement à une projection de 4,8 Tpi3 mise de l’avant seulement un an plus tôt dans l’AEO 200411.
Tel qu’indiqué précédemment, la production canadienne de gaz naturel a plafonné et la production américaine a baissé légèrement entre 2002 et 2007. Quelques années après le début de cette période, les prévisions intégrées aux éditions de l’AEO témoignaient de cette réalité changeante de la production de gaz naturel dans les deux pays, ce qui a mené à une nouvelle évaluation du rôle qu’on estimait que le gaz produit au Canada devait jouer sur le marché américain. En effet, les importations en provenance du Canada n’étaient plus considérées comme suffisamment importantes pour combler l’écart entre la consommation et la production américaines. L’écart serait comblé par les importations de GNL, qui éventuellement prendrait assez d’importance pour répondre aux prévisions de l’AEO sur la consommation américaine, ce qui est clairement révélé par une comparaison de la projection dans l’AEO 2003 et celle de l’AEO 2004. Au cours d’une même année, l’évaluation a révélé que la capacité de production future de gaz naturel canadien comprise dans les prévisions de l’AEO s’est considérablement aggravée, et les importations de GNL devaient commencer à jouer un rôle jusque-là réservé à la production en provenance du Canada dans les prévisions de l’équilibre entre l’offre et la demande de gaz naturel américain.
Les transitions suivantes au niveau des points de vue exprimés dans l’AEO sur le potentiel rôle aux États-Unis du gaz produit au Canada sont moins clairement définies, bien que non moins importantes, que celle décrit précédemment. La figure 5 présente des prévisions de quelques éditions de l’AEO publiées entre 2005 et 2014. Ces prévisions ont été choisies particulièrement pour documenter les changements de perspective observés tout en facilitant la présentation (et permettre d’interpréter assez facilement la figure 5).
Notre point de départ est la dernière projection incluse à la figure 4, à savoir celle de l’AEO 2005 (maintenant la courte ligne épaisse à la figure 5). Au cours des quatre années suivantes, les éditions successives de l’AEO ont présenté des prévisions qui intégraient une tendance à réduire la dépendance des États-Unis sur les importations de gaz naturel en provenance du Canada. Essentiellement, toute la période projetée d’importations (à l’exception des quelques premières années de la période de projection) a chuté année après année, pour éventuellement atteindre la projection incluse dans l’AEO 2009, représentée par la ligne pointillée s’étendant jusqu’en 2030 à la figure 5. Trois facteurs principaux viennent appuyer ces perspectives changeantes. D’abord, les prévisions successives présentent un aperçu de plus en plus optimiste de la production américaine : d’une baisse prévue au cours de la période de projection dans l’AEO 2006 à un profil de production stable à long terme dans l’AEO 2007, à une perspective caractérisée par une croissance modeste (AEO 2008), puis à une croissance forte (AEO 2009). Tous ces changements sont directement liés à une réévaluation à la hausse du potentiel de la base de ressources non conventionnelles (et en particulier le gaz de schiste) aux États-Unis.
En second lieu, lorsque des volumes supérieurs d’importation sont nécessaires pour combler l’écart prévu entre la production et la consommation américaines de gaz naturel, le GNL est censé tenir ce rôle. Des augmentations marquées des importations de GNL, commençant habituellement quelques années après le début de la période de projection, caractérisent les prévisions dans les éditions successives de l’AEO publiées au cours de la majeure partie de cette période. Dans l’AEO 2008, par exemple, on prévoit que les importations de GNL aux États-Unis seront deux fois plus importantes que les volumes importés de gaz naturel canadien : 2,8 contre 1,4 Tpi3, respectivement, en 203012. Il existe également un lien entre les deux facteurs décrits cidessus. L’augmentation marquée de la production américaine prévue présentée dans l’AEO 2009 est accompagnée d’une réévaluation à la baisse du rôle du GNL pour répondre à la demande future de gaz naturel des États-Unis : les importations prévues de GNL en 2030 sont maintenant inférieures à 0,9 Tpi3,13 moins du tiers du niveau prévu seulement une année auparavant dans l’AEO 2008. Il est prévu qu’une croissance plus rapide de la production américaine puisse remplacer les volumes de plus en plus importants de GNL importé.
L’évolution prévue de la production canadienne de gaz naturel et son importation constitue un troisième facteur soustendant cette autosuffisance américaine grandissante en gaz naturel. Les auteurs de l’AEO estiment que la capacité de production du Canada à partir de sources conventionnelles – principalement le bassin sédimentaire de l’Ouest – est à la baisse pour le long terme. Les perspectives de croissance dans la région arctique du Canada et à partir de sources non conventionnelles devraient être trop modestes pour que la production à partir de ces sources compense pleinement la baisse prévue de la production conventionnelle. Pire encore, le gazoduc de la vallée du Mackenzie, présenté dans l’AEO depuis de nombreuses années, a été retiré de la projection de l’AEO 2008 : on a supposé que la construction du gazoduc était retardée audelà de la période de projection (une situation qui a continué de prévaloir dans les éditions subséquentes de l’AEO, y compris la plus récente)14. L’AEO 2009 donne une perspective plus optimiste du potentiel de production du Canada à partir de sources non conventionnelles; or, maintenant, les tendances de la demande intérieure sont considérées comme limitant le potentiel d’exportation du pays : « […] la production non conventionnelle du Canada n’arrive pas à croître assez rapidement pour soutenir la croissance de la demande intérieure tout en maintenant les niveaux d’exportation actuels »15 [Traduction]. Comme nous le rappelle la ligne pointillée s’étendant jusqu’en 2030 à la figure 5, même si les perspectives d’importations de GNL aux États-Unis baissent considérablement de l’AEO 2008 à 2009, cela ne suffit pas pour entraîner une réévaluation significative du rôle global du gaz naturel produit au Canada sur le marché américain. On prévoit plutôt une production américaine accrue pour compenser une baisse des volumes d’importation de GNL.
Dans l’AEO 2010, le gaz de schiste est présenté comme « […] la plus grande source de la croissance de la production [américaine] »16 [Traduction]. Malgré ce portrait florissant des perspectives de production aux États-Unis, on prévoyait que les importations en provenance du Canada devaient connaître un certain rebond comparativement à la situation présentée dans l’AEO 2009. Comme l’illustre la ligne pointillée s’étendant jusqu’en 2035 à la figure 5, l’augmentation prévue des volumes d’importation en provenance du Canada est particulièrement remarquable après 2020. Ce qui n’est pas évident dans la figure 5, c’est que cette augmentation était accompagnée d’une chute correspondant à des importations prévues de GNL. À long terme toutefois, l’AEO 2010 continue de présenter la production canadienne comme une source importante d’approvisionnement pour répondre aux changements des perspectives à long terme pour le commerce américain de GNL.
Les premières années de la période de projection de l’AEO 2011 sont caractérisées par un « écart » à la hausse dans les volumes d’importation en provenance du Canada (voir la ligne pleine s’étendant jusqu’en 2035 à la figure 5). Le texte d’accompagnement révèle que les auteurs de l’AEO considèrent ces volumes plus élevés comme liés à une consommation américaine prévue plus forte et à de meilleures perspectives de production à court terme à partir de sources non conventionnelles au Cana da. Toutefois, comme l’horizon de la projection est vaste, on suppose que les importations canadiennes reviendront aux niveaux caractéristiques de l’AEO 2009.
Ensuite, les éditions successives de l’AEO dépeignent le gaz naturel produit au Canada comme jouant un rôle de moins en moins important pour répondre à la demande américaine : l’ensemble du profil des importations américaines prévues de gaz naturel en provenance du Canada baisse pour éventuellement atteindre dans l’AEO 2014 le niveau représenté, à la figure 5, par la ligne discontinue s’étendant jusqu’en 2040. Les importations de GNL ne se portent guère mieux : elles baissent bien en dessous de la projection de l’AEO 2011 et disparaissent dans l’AEO 2012. En revanche, la production américaine est caractérisée par une forte croissance, tant d’une édition de l’AEO à l’autre (c’est-à-dire changements à la hausse du profil prévu de production) que dans chaque projection individuelle (c’est-à-dire production qui croît au fil du temps). Le facteur essentiel de ces meilleures perspectives est la forte croissance soutenue prévue pour la production américaine de gaz de schiste. En effet, dans l’AEO 2012, les États-Unis sont présentés comme un exportateur net de gaz naturel à partir de 2020. Les éditions subséquentes de l’AEO ont dressé un portrait encore plus agressif de l’équilibre entre l’offre et la demande du gaz naturel aux États-Unis : dans l’AEO 2014, on prévoit que le statut d’exportateur net sera atteint en 2018, et que les exportations (nettes) de GNL atteindront 3,5 Tpi3 d’ici 203017. Ces prévisions marquent évidemment un revirement radical à l’égard de la place perçue du GNL dans le commerce américain de gaz naturel par rapport à ce que l’on prévoyait devoir arriver aussi récemment que dans l’AEO 2008.
La description la plus significative du « nouveau » rôle perçu aux États-Unis de l’industrie du gaz naturel produit au Canada se trouve peut-être dans l’AEO 2013 : « même au moment où la consommation globale dépasse l’approvisionnement aux États-Unis, certaines importations de gaz naturel en provenance du Canada se poursuivent, selon des conditions régionales d’offre et de demande » [italique ajouté]18 [Traduction]. Le lecteur se rappellera que, tel que souligné précédemment, des termes similaires ont été employés dans l’AEO 2001 pour décrire le rôle projeté des importations de GNL dans le portrait global du gaz naturel aux États-Unis.
Dans l’AEO 2014, on prévoit que les importations en provenance du Canada représenteront environ 7,2 % de la consommation américaine de gaz naturel d’ici la fin de la période de projection en 2040, à savoir 2,07 de 28,45 Tpi3.19 Comme cela pourrait néanmoins représenter une proportion raisonnablement importante de l’utilisation du gaz naturel aux États-Unis, en quoi cela peutil sembler indiquer un rôle limité (« selon les conditions régionales d’offre et de demande ») pour le gaz naturel produit au Canada aux États-Unis? La figure 6 fournit quelques éclaircissements sur cette question. Les deux lignes du haut, à gauche de la figure représentent les projections de l’AEO 2003 pour les importations américaines brutes et nettes de gaz naturel en provenance du Canada, où les importations américaines nettes sont définies comme les importations américaines brutes en provenance du Canada moins les exportations américaines brutes vers le Canada. Les deux lignes du bas, à droite de la figure représentent les mêmes concepts, avec des valeurs projetées tirées de l’édition 2014 de l’AEO. Une différence importante devrait maintenant être claire : les prévisions sur l’importance des volumes d’exportation des États-Unis vers le Canada (et principalement vers l’est du Canada) ont augmenté considérablement au cours des 11 années ayant séparé ces deux éditions de l’AEO. Dans toutes les éditions de l’AEO publiées entre 1997 et 2003, les exportations américaines projetées de gaz naturel vers le Canada sont essentiellement négligeables. Toutefois, dans l’AEO 2004, on s’attend à ce que les volumes de gaz naturel exportés des États-Unis vers le Canada connaissent une croissance, tant au cours d’une période de projection donnée que dans toutes les éditions de l’AEO – une tendance qui devient de plus en plus prononcée à mesure que la date de publication des AEO individuels se rapproche d’aujourd’hui.
Dans les prévisions de l’AEO 2003, les exportations américaines vers le Canada n’atteignent jamais 0,3 Tpi3 et ne dépassent jamais 6,25 % des volumes de gaz naturel qui devraient être transportés dans la direction opposée20. En ce qui concerne l’AEO 2014 toutefois, les volumes d’exportation des États-Unis vers le Canada devraient varier entre 0,99 et 1,45 Tpi3 au cours de la période de projection21. En termes relatifs, cela signifie que les volumes d’exportation des États-Unis vers le Canada ne chutent jamais sous les 33 % des volumes de gaz naturel devant être exportés aux États-Unis en provenance du Canada, et cette proportion dépasse 65 % (ou dix fois la valeur la plus élevée observée dans la projection de l’AEO 2003) pour plus de la moitié des années de la période de projection. Comme l’illustre la figure 6, les importations nettes en provenance du Canada ne devraient donc pas dépasser 0,9 Tpi3 entre 2022 et 2040. En effet, la projection de l’AEO 2014 pour les importations américaines nettes de gaz naturel en provenance du Canada en 2040 (la dernière année de la période de projection) est de 0,71 Tpi3, ou 2,5 % de la consommation américaine au cours de cette année22. Dans ce contexte, le gaz naturel produit au Canada peut effectivement jouer un rôle limité sur le marché américain, probablement axé sur quelques régions du pays spécifiquement.
Réflexions sur les conséquences pour le Canada et pour les marchés nord-américains de gaz
Le portrait du futur marché du gaz naturel en Amérique du Nord découlant de ces projections successives de l’EIA est un marché intégré continu entre le Canada et les États-Unis, mais à quel niveau la nature de l’intégration passe d’un flux de production presque exclusivement unidirectionnel du Canada vers les États-Unis à une croissance des importations canadiennes (nettes) de gaz naturel produit aux Etats-Unis ? Il semble raisonnable de conclure que ce changement ne devrait pas avoir d’incidence sur le flux des prix du gaz naturel dans les deux pays. S’il s’agissait de l’unique changement à prendre en considération, la production des formations de schiste et de sable colmaté au Canada continuerait alors de répondre aux prix du gaz naturel produit en Amérique du Nord.
Mais qu’en estil du potentiel de volumes importants d’exportation de GNL établi dans les prévisions de l’EIA et découlant des projets d’exportation proposés au Canada (en particulier la ColombieBritannique)? Les destinations prévues de ces volumes d’exportation sont principalement les marchés de consommation asiatiques, où les prix du gaz naturel ont eu tendance à dépasser – parfois très largement – ceux en Amérique du Nord. En 2013, par exemple, les prix du gaz naturel au Japon étaient d’en moyenne 16,17 $US le million de BTU, tandis que le prix moyen au Carrefour Henry totalisait 3,71 $US23. Même si les volumes consommés sont beaucoup moins importants qu’en Amérique du Nord24, il semble évident que la production de gaz naturel en Amérique du Nord, destinée aux marchés d’exportation en Asie, exercerait une pression à la hausse sur les prix en Amérique du Nord, au moins à court et à moyen termes, que les exportations de GNL proviennent du Canada ou des États-Unis. La logique commerciale de ces prix supérieurs éventuels alimente, du moins en partie, les propositions actuelles pour des projets d’exportation de GNL dans ces deux pays.
Une question essentielle devient alors la portée de l’arbitrage des prix, auquel l’on pourrait s’attendre si ces deux « îles » (Asie et Amérique du Nord) auparavant non liées commencent à connaître un certain degré d’intégration du marché par l’intermédiaire du commerce de GNL. Dès le départ, il devrait être clair que la portée de la pression à la hausse sur les prix en Amérique du Nord dépendrait de la sensibilité de la demande au prix sur les marchés d’exportation cibles. Moins la demande de gaz naturel est sensible au prix (c’est-à-dire plus il est inélastique) sur ces marchés, moins la pression sera intense sur le mouvement à la hausse du prix en Amérique du Nord. Dans un tel cas, on pourrait s’attendre à ce que cette pression soit largement dissipée par la baisse des prix sur les marchés d’exportation cibles, toutes choses étant égales par ailleurs.
Une autre complication a trait au rôle de la capacité de liquéfaction dans les pays exportateurs. Dans la mesure où cette capacité est limitée par rapport au potentiel du marché d’exportation de GNL, les prix rendus supérieurs en Asie entraîneront probablement, au moins pour un certain temps, des possibilités de rendements supérieurs à la normale à l’égard des investissements dans la capacité de liquéfaction par rapport aux prix supérieurs du gaz naturel en Amérique du Nord. Cette situation crée des défis politiques et réglementaires au Canada et aux États-Unis, soit de déterminer si et comment on doit envisager la possibilité de rendements supérieurs à la normale sur les investissements dans l’infrastructure énergétique. De manière plus générale, la portée des limites de capacité de liquéfaction (ou, parallèlement, des limites sur la capacité de transport du GNL) et son évolution au fil du temps touchera de toute évidence la portée et l’intensité de la pression à la hausse sur les prix du gaz naturel en Amérique du Nord, ce qui jouera un rôle dans la détermination des perspectives de développement des dépôts de gaz naturel non conventionnels au Canada.
L’émergence d’une structure plus équilibrée de commerce du gaz naturel entre le Canada et les États-Unis apporte un point de vue intéressant à partir duquel on peut examiner certaines propositions de projets d’infrastructure énergétique au Canada, en particulier les terminaux d’exportation de GNL en Colombie-Britannique et le projet Énergie Est, la conversion (et le prolongement) par TransCanada de l’un de ses gazoducs d’Ouest en Est en un oléoduc. De façon générale, la production de gaz naturel en Colombie-Britannique (ou dans l’Ouest canadien, plus spécifiquement) à partir de nouvelles réserves (principalement non conventionnelles) pourrait atteindre deux marchés distincts : l’Asie et l’est du Canada. La première de ces possibilités est ce qui motive les propositions de terminaux d’exportation de GNL situés sur la côte ouest du Canada. Tel qu’indiqué précédemment, les prix rendus en Asie sont beaucoup plus élevés qu’en Amérique du Nord; aussi, il existe un incitatif, du moins à court et à moyen termes, pour tenter de transposer ces prix plus élevés en Asie en rendements positifs sur les investissements énergétiques au Canada.
Une deuxième option serait d’utiliser l’infrastructure de pipeline interprovinciale existante (ainsi que tout autre ajout nécessaire) pour permettre au gaz naturel produit en Colombie-Britannique de remplacer, surtout dans l’est du Canada, les volumes prévus d’importations en provenance des États-Unis. Le projet Énergie Est passe ensuite au premier plan : de quelle manière la conversion d’un pipeline servant au transport du gaz naturel à d’autres usages toucheraitelle l’analyse de rentabilité du transport dans l’est du Canada du gaz naturel produit en Colombie-Britannique? Dans la mesure où l’infrastructure actuelle (moins le pipeline au cœur du projet Énergie Est) pourrait servir au transport des volumes supplémentaires sans limites de capacité, on pourrait s’attendre à ce que la conversion proposée n’ait que peu ou pas d’incidence sur l’analyse de rentabilité du transport du gaz produit en Colombie-Britannique vers l’Est du Canada. La situation serait différente si la conversion proposée menait à la création de limites à la capacité de transport du gaz naturel au Canada. On pourrait alors penser que le processus réglementaire servant à examiner la conversion proposée du pipeline serait une occasion appropriée pour examiner cette question.
Dans l’ensemble, les vendeurs et les expéditeurs canadiens devront choisir la manière de vendre cette nouvelle production. L’approche stratégique canadienne actuelle axée sur le recours aux forces du marché créerait une situation où les acquéreurs, les vendeurs et les expéditeurs de cette nouvelle production évalueraient les risques et les avantages et coûts potentiels de mesures de rechange et, par leurs actions, détermineraient si l’une ou l’autre des options définies précédemment, ou les deux, sont des voies intéressantes à suivre. Avec une telle approche, l’intervention réglementaire serait utilisée uniquement pour aborder des questions précises qui nuiraient au fonctionnement des marchés, telle que l’éventuelle création d’obstacles à la transformation et à la capacité de transport. Dans la mesure où les décideurs choisissaient la politique, de privilégier une option plutôt qu’une autre, ils courent le risque qu’une telle démarche mène à une faible valeur réalisée des réserves de gaz naturel dont le développement, la production et le transport sont liés aux débouchés du marché examinés auparavant.
Aperçu et résumé
Une évaluation des aspects spécifiques des prévisions exhaustives de l’évolution des marchés américains du gaz naturel, produites par l’Energy Information Administration (EIA), un organisme du département de l’Énergie des États-Unis, a défini les changements marqués dans le rôle aux États-Unis du gaz naturel produit au Canada, tel que présenté dans les éditions de l’Annuel Energy Outlook (AEO) de l’EIA, publiées entre 1997 et 2014.
On constate une rupture nette dans les perceptions du rôle que devait jouer, selon les prévisions, les importations américaines de gaz naturel en provenance du Canada entre l’édition de 2003 de l’AEO et celle publiée en 2004. Les éditions successives de l’AEO publiées entre 1997 et 2003 intégraient chacune l’attente d’un rôle grandissant du gaz naturel produit au Canada au cours de la période de projection, et une présence plus large sur le marché américain dans toutes les prévisions. Non seulement l’AEO 2004 intégrait une baisse marquée dans la période d’importations prévues de gaz en provenance du Canada, mais la période était également caractérisée par un changement dans la « pente » de cette période : les importations en provenance du Canada n’étaient plus perçues comme ayant une croissance au fil du temps; on s’attendait plutôt à ce que les volumes d’importation chutent à mesure que s’étendait la période de projection. Les changements à la capacité prévue de production à long terme de la base de ressources du Canada étaient au cœur de cette réévaluation. Tel qu‘indiqué dans l’examen des principales mesures d’activité effectué précédemment dans le présent article, le moment de cette réévaluation correspond étroitement à un changement de la structure de production de gaz naturel au Canada : d’une période de croissance soutenue à une période de plafonnement des extrants.
Ce changement dans le rôle perçu sur le marché américain du gaz produit au Canada a été renforcé dans les éditions subséquentes de l’AEO, au même moment où la production réelle de gaz naturel au Canada a commencé à chuter. Essentiellement, une baisse soutenue au cours de la période projetée des importations américaines de gaz naturel en provenance du Canada a été intégrée dans les éditions de l’AEO publiées entre 2005 et 2014. Il y a eu une réévaluation du rôle perçu aux États-Unis du gaz canadien dans les AEO 2010 et 2011, où l’on a observé de légères hausses au cours de la période projetée des importations américaines en provenance du Canada. Mais cette réévaluation s’est avérée de courte durée, et la chute de la période d’importations projetées a repris dans l’AEO 2012. Au départ, des hausses marquées au niveau des importations de GNL devaient compenser la chute des volumes de gaz naturel devant être importés du Canada. Éventuellement, des hausses marquées et soutenues dans la production de gaz de schiste aux États-Unis devaient réduire fortement la nécessité de s’approvisionner de gaz naturel à partir de sources étrangères pour répondre aux besoins de consommation des États-Unis.
Dans l’édition 2014 de l’AEO, ces hausses de la production américaine de gaz de schiste devaient être suffisamment fortes pour transformer les États-Unis en un exportateur net de gaz naturel avant 2020. Il n’est peutêtre pas surprenant que la réévaluation du rôle du gaz canadien est encore plus nettement définie lorsque les deux directions des flux commerciaux du gaz naturel entre les deux pays sont examinées, et que l’on surveille les importations américaines nettes. D’ici la fin de la période de projection en 2040, le Canada (de l’Est) devient une destination pour les exportations américaines de gaz naturel, et les importations nettes américaines en provenance du Canada totalisent moins de 2,5 % de la consommation totale américaine projetée. L’influence du Canada est perçu comme étant celui d’un joueur sur certains marchés régionaux des États-Unis, un fort contraste par rapport à la situation qui régnait dans les éditions de l’AEO publiées à la fin des années 1990 et au début des années 2000. La « grande époque » du gaz naturel produit au Canada sur le marché américain semble donc être derrière nous et ne reviendra pas (du moins après 2040!), si l’on en croit les prévisions intégrées dans les éditions récentes de l’AEO.
Étant donné que les hausses projetées de la production américaine devraient mener à des volumes importants d’exportation par pipeline au Canada, et sous forme de GNL sur des marchés plus distants (en particulier le marché asiatique), les conséquences possibles de ces développements ont également été examinées. La potentielle hausse du prix du gaz naturel en Amérique du Nord, à court et à moyen termes, était considéré comme conditionnel à de nombreux autres facteurs, notamment les limites de capacité de liquéfaction au Canada et aux États-Unis. Un examen des récentes projections de l’EIA laisse supposer que la production à partir de dépôts de gaz naturel nouvellement exploités dans l’Ouest canadien pourrait entraîner non seulement des exportations de GNL en provenance de la Colombie-Britannique, mais également le remplacement de certains volumes de gaz produit aux États-Unis, qui seraient autrement importés dans l’est du Canada. Dans la mesure où l’intervention politique ou le régime réglementaire approprié favorise expressément l’une de ces deux options, une conséquence possible est la réduction de la valeur réalisée de ces dépôts de gaz nature nouvellement exploités. Les limites de capacité de transport pourraient également avoir une incidence sur l’analyse de rentabilité pour le transport par pipeline de la Colombie-Britannique vers l’est du Canada. Il semblerait approprié d’examiner ces facteurs et leurs conséquences possibles dans le processus réglementaire portant sur le projet Énergie Est de TransCanada.
Finalement, ce rôle changeant dans l’industrie du gaz naturel canadien sur les marchés américains pourrait bien créer des nouvelles occasions pour les producteurs (et les consommateurs) canadiens d’explorer des possibilités de vente de volumes supérieurs découlant de la production intérieure, qui pourraient être atteints dans l’avenir. Un examen de la place attendue du gaz canadien aux États-Unis a mené à des réflexions sur les nouvelles possibilités de marché à l’extérieur de ce pays.
- André Plourde est professeur au Département d’économie et doyen de la Faculté des affaires publiques à l’Université Carleton. Merci à Joti Randhawa pour son aide à la recherche.
- Pour consulter les premiers échanges sur le processus de déréglementation de l’industrie canadienne du gaz naturel, voir le chapitre 4 de l’ouvrage de John F. Helliwell et al, Oil and Gas in Canada: The Effects of Domestic Policies and World Events; Fondation canadienne de fiscalité, Toronto, 1989; et le Rapport d’évaluation des marchés du gaz naturel (Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, octobre 1988) de l’Office national de l’énergie (ONÉ). Pour consulter une évaluation sur dix ans, voir le rapport de l’ONÉ, intitulé Natural Gas Market Assessment – Ten Years after Deregulation (Office national de l’énergie, Calgary, novembre 1996).
- Les livraisons de gaz commercialisable ont été utilisées ici pour mesurer la production. La source principale des données sur la production et l’exportation au Canada est Statistique Canada.
- Les données américaines sur le gaz naturel utilisées dans cet article ont été tirées du site web tenu par l’Energy Information Administration du département de l’Énergie des États-Unis.
- À noter que le mot « importations » utilisé seul dans le présent article s’entend de l’expression « importations brutes ». Cela s’applique également au mot « exportations ».
- Sources des valeurs projetées : tableau 82 du document Supplement Tables to the AEO 2001 (version électronique) de l’Energy Information Administration (EIA) et l’Annual Energy Outlook 2001, With Projections to 2020, Washington (DC ), U.S. Department of Energy, à la p 83 respectivement.
- Ibid.
- U.S. Department of Energy, EIA Annual Energy Outlook 2002, With Projections to 20207, Washington, DC décembre 2001 à la p 82.
- U.S. Department of Energy, EIA Annual Energy Outlook 2003, With Projections to 2025, Washington, DC, janvier 2003 à la p 76.
- U.S. Department of Energy, EIA Annual Energy Outlook 2004, With Projections to 2025, Washington DC , janvier 2004 à la p 91.
- U.S. Department of Energy, EIA Annual Energy Outlook 2005, With Projections to 2025, Washington DC, février 2005 à la p 96.
- U.S. Department of Energy, EIA Annual Energy Outlook 2008, With Projections to 2030,Washington DC, juin 2008 à la p 78, pour les importations de GNL et EIA Supplemental Tables to the Annual Energy Outlook 2008 (version électronique), tableau 106, pour les importations en provenance du Canada [AEO 2008]
- U.S. Department of Energy, EIA Annual Energy Outlook 2009, With Projections to 2030, Washington DC, mars 2009 à la p 78. [AEO 2009]
- AEO 2008, supra note 12.
- AEO 2009, supra note 13.
- U.S. Department of Energy, EIA Annual Energy Outlook 2010, With Projections to 2035, Washington DC, mai 2010 à la p 72.
- U.S. Department of Energy, EIA, Annual Energy Outlook 2014, With Projections to 2040 Washington DC, avril 2014 à MT-22 et tableau 134 [AEO 2014].
- U.S. Department of Energy, EIA Annual Energy Outlook 2013 with Projections to 2040, Washington DC, avril 2013 à la p 79.
- AEO 2014, supra à la note 17, tableau 134 pour les importations en provenance du Canada et tableau 135 pour la consommation américaine.
- EIA, Supplement Tables to the Annual Energy Outlook 2003 (version électronique), tableau 104.
- AEO 2014, supra note 19.
- Ibid.
- L’information sur les prix est tirée de BP Statistical Review of World Energy, British Petroleum, Londres, juin 2014 à la p 23.
- Par exemple, selon ibid at 27, la consommation totale de gaz naturel au Canada et aux États-Unis a atteint 29,7 Tpi3 en 2013. Les valeurs comparables pour le Japon et la Corée du Sud – des marchés cibles existants importants – étaient de 4,1 et de 1,9 Tpi3, respectivement; à 5,7 Tpi3, la consommation totale en Chine était légèrement inférieure à celle combinée du Japon et de la Corée du Sud. La consommation dans ces trois pays combinés était légèrement inférieure à 40 % du total pour le Canada et les ÉtatsUnis en 2013.