L’Appropriation des projets énergétiques par les peuples autochtones1

Les gouvernements fédéral et provinciaux sont tenus de consulter et d’accommoder les peuples autochtones dont les droits peuvent être touchés par des propositions de projets énergétiques. Ces exigences ont conduit à la pratique désormais courante des promoteurs qui concluent des accords sur les avantages avec des communautés autochtones pour la fourniture d’une partie des travaux nécessaires à la construction et à l’exploitation de ces projets. Ces dispositions ont permis aux populations autochtones de tirer profit des retombées économiques de ces projets, et d’obtenir le soutien des populations autochtones à leur égard.

Toutefois, les peuples autochtones du Canada recherchent plus que jamais non seulement des accords sur les avantages liés aux grands projets énergétiques, mais aussi des possibilités de posséder tout ou partie de ces entreprises et de participer aux décisions requises pour leur développement et leur gestion.

Les peuples autochtones considèrent que les droits de propriété sur les infrastructures énergétiques à longue durée de vie et les rendements financiers fiables qu’elles peuvent produire sont un moyen de participer à l’économie au sens large et de générer des revenus autonomes afin d’améliorer les résultats socio-économiques, les soins de santé et l’éducation de leurs communautés.

Il s’agit aussi d’un élément nécessaire de l’esprit de réconciliation économique envisagé par l’appel à l’action n° 92 de la Commission de vérité et réconciliation2.

PARTICIPATIONS ANTÉRIEURES

Il existe de nombreux exemples de participation des peuples autochtones aux projets énergétiques.

Dans certains cas, les prises de position en matière de propriété découlent de l’emplacement stratégique des terres et des ressources naturelles des peuples autochtones :

  • le territoire traditionnel de la nation Haisla étant près de Kitimat, la nation s’est associée à plusieurs projets d’exportation de GNL sur la côte ouest, notamment Kitimat LNG, LNG Canada, le projet Pacific Trails Pipeline et le projet Douglas Channel Energy. L’option consentie à la nation Haisla d’acquérir une participation dans Kitimat LNG a été vendue pour 50 millions de dollars, et le bail accordé pour le site nécessaire au projet de Kitimat LNG générera, s’il se réalise, des revenus annuels substantiels pour la nation Haisla pendant les 40 ans de vie du projet;
  • Le projet de Keeyask Hydropower LP et les accords connexes intervenus entre la province du Manitoba (75 %) et quatre Premières nations du Manitoba (25 %) ont permis d’offrir à ces Premières nations des options en ce qui concerne la construction, la propriété et l’exploitation du projet de barrage Keeyask de 695 MW au Manitoba. Ces accords sont l’aboutissement d’arrangements entre la province et les communautés des Premières nations vivant à proximité de ce projet de centrale électrique et qui remontent aux années 1970; et
  • L’accès aux terres de la Première nation de Frog Lake en Alberta a permis à Frog Lake Energy de créer une coentreprise avec des participants de l’industrie pétrolière et gazière pour explorer et développer ces terres. Frog Lake Energy produit aujourd’hui plus de 3 000 barils de pétrole par jour.

Dans d’autres cas, la propriété des projets énergétiques a évolué, passant de sommes non négligeables versées par les promoteurs de projets aux peuples autochtones par des accords sur les avantages, des accords sur les effets négatifs et d’autres programmes. Ces paiements ont donné naissance à des entreprises prospères dans le secteur de l’énergie gérées par des groupes autochtones et leur ont donné la capacité financière d’acquérir des participations dans des actifs énergétiques. Un exemple en est l’achat par les Premières nations cries de Fort McKay et de Mikisew d’une participation globale de 49 % dans l’East Tank Farm de Suncor en 2017 à raison de 503 millions de dollars.

UNE TENDANCE À LA HAUSSE

Les événements récents confirment que les peuples autochtones sont de plus en plus actifs dans la recherche de possibilités de prendre part à des projets énergétiques.

Divers groupes autochtones ont exprimé de l’intérêt pour l’acquisition de tout ou partie du pipeline Trans Mountain. Le gouvernement fédéral a publié quatre principes de propriété autochtone à cet égard et a tenu des discussions avec les groupes autochtones pour leur vendre le pipeline lorsque la construction du projet d’expansion sera dissociée des risques. Après avoir approuvé l’expansion du pipeline Trans Mountain, le gouvernement a lancé un processus d’engagement avec un grand nombre de groupes autochtones pour connaître leur intérêt envers la propriété du gazoduc.

Les investisseurs intéressés comprennent :

  • Le Western Indigenous Pipeline Group, qui représente les Premières nations établies le long du tracé du pipeline  Trans Mountain en Colombie-Britannique;
  • Project Reconciliation, proposition de coalition de 200 communautés des Premières nations et des Métis de l’Ouest canadien qui cherchent à acquérir une part de 51 %. Project Reconciliation prévoit de financer cette acquisition par l’émission de crédits garantis par des contrats de transport par conduite;
  • L’Iron Coalition, qui souhaite acquérir entre 50 et 100 % du pipeline Trans Mountain. L’Iron Coalition affirme qu’elle devrait être le soumissionnaire privilégié, car seules les communautés des Premières nations et des Métis de l’Alberta et de la Colombie-Britannique par lesquelles passe ce gazoduc seront invitées à se joindre à ce groupe; et
  • Le Conseil des ressources indiennes (CRI) qui travaille à une proposition d’acquisition qu’il soumettra à Ottawa pour faire en sorte que le pipeline soit détenu et exploité à 100 % par les peuples autochtones. Le CRI représente 134 Premières nations qui ont des ressources pétrolières et gazières sur leurs terres ou qui verraient leurs territoires traversés par l’expansion du pipeline Trans Mountain.

Le pipeline Coastal GasLink est un autre projet pour lequel des groupes autochtones sont intéressés à acquérir une participation. Ce pipeline est construit par TC Energy pour livrer du gaz naturel au projet LNG Canada sur la côte ouest. Récemment, TC Energy a vendu 65 % du pipeline à un consortium composé d’AIMCO et de KKR et a confirmé son désir de vendre une part supplémentaire de 10 % à des investisseurs autochtones.

Une prise de participation dans ces projets donnerait aux groupes autochtones participants un avant-goût de leur succès et susciterait plus de soutien parmi les peuples autochtones concernés et d’autres peuples autochtones de partout au pays.

Plus récemment :

  • le gouvernement fédéral a accepté de vendre Ridley Terminals Inc. à Riverstone Holdings et AMCI Group (90 %), de même qu’à la Bande des Lax Kw’alaams et à la Première nation Metlakatla (10 %). Ridley Terminals exploite un terminal d’exportation de charbon dans le nord de la Colombie-Britannique;
  • la Première nation Tahltan a acheté une participation de 5 % dans trois projets hydroélectriques au fil de l’eau situés sur ses territoires traditionnels en Colombie-Britannique pour un prix global de 124 millions de dollars; et
  • 24 communautés des Premières nations (51 %) se sont associées à Fortis Inc. et à d’autres investisseurs privés (49 %) dans Wataynikaneyap Power qui développera, possédera et exploitera environ 1 800 kilomètres de lignes de transmission fournissant un service d’électricité aux communautés et aux entreprises des Premières nations du nord-ouest de l’Ontario.

AUTRES PROJETS PROPOSÉS

Les groupes autochtones ne sont pas seulement intéressés par l’achat de projets énergétiques existants. Ils participent également à de nouvelles entreprises.

Eagle Spirit Energy a proposé un pipeline qui transporterait jusqu’à 2 millions de barils par jour de pétrole brut moyen à lourd entre Fort McMurray et le nord de la Colombie-Britannique et se terminerait sur les terres des Lax Kw’alaams à Grassy Point, près de Prince Rupert. Eagle Spirit a indiqué qu’elle redirigera le pipeline vers un terminal portuaire en Alaska pour contourner l’interdiction des pétroliers qui résultera de l’adoption de la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers3. Le PDG d’Eagle Spirit est membre de la Bande des Lax Kw’alaams. Le projet devrait coûter 16 milliards de dollars. Un soutien financier a été fourni par la famille Aquilini de Vancouver, et AltaCorp Capital (qui appartient en partie au gouvernement de l’Alberta) a été sollicité pour réunir les 12 premiers milliards de dollars qui seront nécessaires4. Le projet bénéficie du soutien de grands producteurs d’énergie, dont Suncor, Cenovus et MEG Energy. Bien que les Lax Kw’alaams soient favorables au projet, les chefs héréditaires de la bande ont soutenu la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers et n’ont pas encore donné leur accord pour l’oléoduc. Et si Eagle Spirit a indiqué que les bandes situées le long du tracé du pipeline soutiennent le projet, il reste à voir si elles consentiront à signer des accords définitifs.

En outre, deux groupes d’investisseurs privés, Generating for Seven Generations et Alberta Alaska Rail Development Corp. proposent de construire des chemins de fer qui relieraient les sables bitumineux de l’Alberta à l’Alaska.

Des participations au capital de ces projets ont été offertes à diverses communautés autochtones.

SOUTIEN DU GOUVERNEMENT

Bien que des initiatives du secteur privé contribuent à redéfinir la participation des autochtones aux projets canadiens d’énergie et d’infrastructures énergétiques, les gouvernements du Canada encouragent également la participation des groupes autochtones à cette partie de l’économie canadienne.

Les appels d’offres d’Ontario Power Generation pour des projets d’énergie renouvelable, le deuxième cycle du programme d’électricité renouvelable de l’Alberta et l’appel d’offres d’Alberta Infrastructure pour de l’énergie solaire exigeaient tous que les soumissionnaires aient un niveau minimal de participation autochtone. Ces exigences ont donné lieu à de nombreux projets où les promoteurs se sont associés à des communautés des Premières nations et des Métis.

En outre, la province de l’Alberta a récemment pris une mesure importante pour soutenir les activités commerciales autochtones. Elle a créé l’Indigenous Opportunities Corporation, dont l’objectif est de faciliter la participation financière des communautés autochtones aux grands projets de ressources, y compris les pipelines. L’IOC aidera ces communautés à évaluer les possibilités d’investir dans des projets énergétiques et leur fournira des conseils sur la manière de financer ces investissements. L’Alberta investira 24 millions de dollars dans l’IOC sur quatre ans et réservera 1 milliard de dollars pour faciliter et soutenir ce financement.

CONCLUSION

On peut être sceptique quant à l’étendue ultime de la participation autochtone au commerce canadien et quant à savoir si les investissements en capital proposés par les peuples autochtones auront effectivement lieu. Les grands projets énergétiques, en particulier, sont difficiles à réaliser. Le financement des investissements dans ces projets est un tour de force. L’expertise en matière de construction et d’exploitation de projets énergétiques devra être organisée par des investisseurs autochtones, soit directement, soit par des partenariats stratégiques.

Par ailleurs, la participation des peuples autochtones à ces projets ne garantira pas nécessairement que l’opposition qui découle de ces projets, y compris de la part d’autres peuples autochtones, disparaîtra.

Toutefois, les niveaux de participation et les résultats positifs que les peuples autochtones ont connus jusqu’à présent dans le secteur de l’énergie sont encourageants. Ce secteur emploie deux fois plus d’autochtones que la moyenne nationale, y compris dans des centaines d’entreprises autochtones de tout l’Ouest canadien.

Il est important de noter que les gouvernements fédéral et provinciaux soutiennent aussi fermement l’appropriation par les autochtones comme moyen de favoriser la réconciliation et leur autosuffisance économique. Et étant donné le contexte actuel d’opposition croissante aux projets énergétiques proposés, le modèle qui consiste à faire participer les peuples autochtones à ces projets peut être un moyen efficace d’obtenir leur soutien et d’atténuer les risques d’échec.

  1. Cet article s’appuie sur un article publié à l’origine dans le  blog de  Stikeman Elliott sur l’énergie, en  ligne : <https://www.stikeman.com/fr-ca/savoir/droit-canadien-energie/Participation-des-peuples-autochtones-aux-projets-energetiques >.
    * Chrysten Perry est associée principale du bureau de Calgary et coprésidente du groupe Énergie de Stikeman Elliott. Elle possède plus de 30 ans d’expérience de la pratique du droit commercial et des sociétés relativement au secteur de l’énergie. Chambers Canada 2020 et Chambers Global ont récemment, entre autres, reconnu sa contribution à titre d’avocate de premier plan dans Energy: Oil & Gas (Transactional).
    ** Keith Chatwin est associé des groupes Marchés de capitaux, fusions et acquisitions de Stikeman Elliott. Sa  pratique porte sur une vaste gamme de valeurs mobilières et de transactions d’entreprise de nature générale, allant  du financement par emprunt et du financement par capitaux propres publics et privés aux fusions et acquisitions, à la restructuration d’entreprise, à la recapitalisation et à l’activisme actionnarial. Il est membre actif des groupes responsables de la Corée et du Japon, et a récemment vu sa contribution soulignée, entre autres, par Chambers Canada 2020 en tant qu’avocat principal dans le secteur corporatif et commercial de l’Alberta.
    *** Ben Hudy est associé des groupes Marchés de capitaux, fusions et acquisitions de Stikeman Elliott. Sa pratique porte sur les valeurs mobilières, le financement des entreprises, les fusions et acquisitions, les coentreprises et d’autres structures de coentreprise, ainsi que les dossiers commerciaux et de nature corporative plus générale. Il a été appelé  au barreau de l’Alberta en 2008 et au barreau de New York en 2009, et donne activement des allocutions.
  2. Commission de vérité et de réconciliation, Commission de vérité et de réconcilitation: Appels à l’action (2015) à la p 10.
  3. Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers, LC 2019, c 26.
  4. Eagle Spirit est inspiré du pipeline Alyeska qui s’étend entre Prudhoe Bay et Valdez, en Alaska. Ce projet a été construit et est exploité avec la participation des peuples autochtones de l’État.

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