La Loi de 2017 sur le Plan ontarien pour des frais d’électricité équitables bouleverse les finances et l’administration des tarifs

La nouvelle Loi de 2017 sur le Plan ontarien pour des frais d’électricité équitables1 (LPOFEE), qui a reçu la sanction royale le 1er juin 2017, bouleverse la manière dont la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) surveille les tarifs payés par les foyers, les petites entreprises et les consommateurs agricoles. De plus, elle restructure l’architecture financière du réseau électrique de l’Ontario tout en amalgamant encore plus que jamais les intérêts des contribuables et des usagers d’électricité et en laissant des questions en suspens en ce qui concerne la manière dont le report massif des coûts qu’elle crée sera récupéré.

Réformes sur l’établissement des tarifs

En vertu des articles 7 et 8 de la nouvelle loi, les tarifs résidentiels pour la portion du produit de la facture doivent toujours être transmis par la CEO aux entreprises de distribution locales (EDL), aux fournisseurs de sous-compteurs et au public; ces mêmes articles de la LPOFEE retirent à la CEO toute discrétion en ce qui a trait aux tarifs et coupent toute relation entre les coûts et les tarifs. Au lieu, les niveaux de tarif global payés par les foyers seront maintenant ceux que le ministre croit appropriés (voir l’annexe I).

L’article 11 de la loi donne encore plus de pouvoir au ministre en lui permettant d’établir les tarifs jusqu’à une date indéterminée, sans toutefois éclaircir le processus que le ministre devra suivre pour prendre de telles décisions (voir l’annexe I).

La LPOFEE remplace aussi le processus administratif habituel pour l’établissement des tarifs centré sur les ordonnances de la Commission. Au lieu, en vertu de l’article 44 de la LPOFEE, les EDL et les fournisseurs de sous-compteurs doivent se conformer aux nouveaux tarifs du POFEE comme condition pour l’obtention d’un permis.

Rien dans la LPOFEE ne change la compétence de la Commission en ce qui a trait aux tarifs pour les lignes de transmission et de distribution. Toutefois, étant donné que la hausse du tarif de facturation global des petits consommateurs est fixée en fonction de l’inflation, si les tarifs de transmission et de distribution augmentent plus rapidement que l’inflation, l’effet financier aura comme conséquence de transférer encore plus le coût du produit dans le compte de report du POFEE que ce qui était prévu. Les changements au tarif de transmission et de distribution n’auront pas d’effet immédiat sur les tarifs de facturation pour les petits consommateurs, même si ces frais de câblage demeurent un intérêt plus important pour les plus gros clients que le seuil des tarifs du POFEE.

Nouvelle architecture financière

Le lien historique entre les coûts et les tarifs, un lien qui était central dans la conception du réseau électrique de l’Ontario de manière continue depuis les tout débuts d’Hydro Ontario et uniquement interrompu brièvement durant le gel de tarifs d’Ernie Eves appliqué en 2003 et au début de 2004, n’est plus.

Comme il est précisé dans la LPOFEE, le total final des tarifs de la plupart des clients résidentiels est indexé selon les tarifs totaux qui auraient été facturés par Toronto Hydro le 1er mai 2017 si les ajustements du tarif du produit liés au POFEE n’avaient pas été apportés. Le niveau global des tarifs au cours de la première année du POFEE est déterminé par l’exigence d’une coupure initiale de 25%, qui sera ajustée dans les années à venir en fonction des augmentations par rapport au taux d’inflation annuel2.

Selon l’analyse du Bureau du directeur de la responsabilité financière (BDRF) de l’Ontario, l’échelle de l’écart entre les coûts et les tarifs, en laissant de côté les réductions de tarif obtenues par le transfert des coûts des usagers aux contribuables, est de 2,6 milliards de dollars par année pour les quatre premières années du Plan3.

L’écart créé par le POFEE entre les coûts et les tarifs est composé en empruntant soit à l’Ontario Power Generation (OPG), soit par un autre « gestionnaire de services financiers » qui reste à être nommé par le gouvernement.

Exposition des contribuables

Le POFEE marque un amalgame sans précédent des intérêts des contribuables et des usagers.

Il augmente les montants compensatoires dans le cadre du Programme ontarien d’aide relative aux frais d’électricité (POAFE) ciblant les consommateurs à faible revenu et il déplace la responsabilité du financement des usagers vers les contribuables, mais il laisse à la CEO la responsabilité d’administrer ce programme social additionnel lié à l’électricité.

Le POFEE déplace également la majeure partie de la responsabilité du financement pour le Programme de protection des tarifs d’électricité dans les régions rurales et éloignées (PPTERR) des usagers vers les contribuables et il établit deux nouveaux programmes financés par les contribuables : un programme de protection contre les frais de distribution (PPCFD) pour les consommateurs résidentiels protégés contre les frais de distribution et le Crédit de livraison pour les Premières Nations se trouvant dans une réserve qui rembourse 100% des frais de livraison des consommateurs sur les réserves.

L’impact combiné de ces programmes se traduira par un coût annuel pour les contribuables de 1,8 milliard par année selon le BDRF4.

Notamment, une des conséquences est que les revenus de distribution en Ontario d’Hydro One viendront maintenant des contribuables plutôt que des usagers.

Récupération future du manque à gagner

Plus longtemps que le POFEE reste en place, plus importants seront les défis financiers pour les contribuables et les usagers futurs. Lorsqu’il sera temps d’effacer le compte reporté créé par le POFEE, le gouvernement en place à ce moment aura très peu d’options.

Les coûts de récupération du POFEE arriveront alors que les usagers et les contribuables en auront déjà plein les mains avec l’exigence de produire un revenu massif. Taxer l’électricité pour récupérer le coût se traduirait par un choc tarifaire, risquant de pousser les clients à contourner le problème à l’aide de la génération autonome et de créer une érosion de la demande.

La Loi comprend des mesures liées à la phase de récupération des coûts éventuels du plan. Deux clauses séparées de la Loi comprennent des interdictions qui empêchent les clients de contourner la situation, c.-à-d. évitant le remboursement en utilisant des sources d’électricité autres que celles provenant du réseau. Bien que la Loi ne précise pas les types de clients à cibler pour la récupération des coûts, on peut présumer qu’étant donné que seul un petit volume de consommateurs profitera du POFEE, il serait inapproprié de repasser la récupération de coûts à d’autres classes. Étant donné que dans l’environnement d’aujourd’hui le contournement est normalement associé à de grands utilisateurs, il semble que les rédacteurs de la Loi ont pensé à passer la récupération de certains coûts reportés aux grands utilisateurs ou à des changements technologiques qui pourraient un jour faire en sorte que l’alimentation fournie par la maison devienne une option réaliste et, par conséquent, qu’elle menace la récupération des coûts reportés des petits consommateurs.

Le POFEE signale un changement de l’orientation politique en ce qui a trait au contournement. Les programmes de conservation actuels présentent des mesures pour passer les coûts et des mesures incitatives sous forme de subventions directes pour les consommateurs industriels pour installer une production autonome. De nombreux efforts en matière de politique au cours des dernières années ont été dirigés vers la production décentralisée, y compris les compteurs et les réseaux intelligents.

Une autre complication potentielle pour la récupération future des coûts reportés est que certains de ces derniers semblent être apparus sans une fondation juridique solide. Durant la période qui précède immédiatement le régime de la LPOFEE, l’initiative concernant les tarifs mise en place par le gouvernement est en conflit direct avec les lois et la règlementation en vigueur5, mais la CEO l’a tout de même mise en œuvre. Nonobstant les exigences qui prévalent, le tarif de la Grille tarifaire règlementée (GTR) pour mai 2017 a permis de récupérer moins que la moitié du coût de production de l’électricité.

Dans une lettre du 10 avril, le ministre semble avoir été encouragé par la CEO à ajuster vers le bas la GTR en prévision de la LPOFEE, mais n’a pas ordonné à la CEO de le faire :

 [Traduction] Ces détails proposés sont établis pour la CEO en ce moment afin qu’ils soient examinés comme intrants dans l’examen de la CEO sur les prix de la Grille tarifaire règlementée (GTR) pour le 1er mai 2017, car la CEO pense que cela est approprié et en ligne avec ces activités normales de prévision6.

Dans une déclaration publique concernant l’annonce de la réduction de tarifs de la GTR faite le 20 avril par la CEO, le ministre de l’Énergie Glenn Thibeault a félicité l’organisme d’agir en fonction d’une « loi qui, si elle est adoptée, fournira aux Ontariens un véritable allègement et renforcera l’équité dans notre système d’électricité »7.

Le Règlement de l’Ontario 206/17 en vertu de la LPOFEE contient à l’article 16 une disposition visant à créer une occasion de récupérer le manque à gagner de la SIERE causé par l’ordonnance de la GTR de la CEO pour le 1er mai 2017. Le règlement permet à la SIERE de récupérer :

 [Traduction] Tout solde inscrit dans le compte d’écart des comptes d’écart établis et maintenus en vertu du paragraphe 25.335(5) de la Loi sur l’électricité de 1998 et les coûts additionnels en lien avec les soldes8 .

Bien qu’il semble qu’aucune plainte n’ait été formulée sur la facturation illégale par rapport aux frais de mai 2017, une question demeure en suspens sur la légitimité de frais éventuels requis pour récupérer les soldes de compte reportés durant cette période, même s’il est possible que les dispositions de rétroactivité puissent être contestées.

Conclusion

La LPOFEE résulte d’un contexte politique et stratégique d’une intervention gouvernementale accrue dans le secteur et d’un pouvoir réduit de l’organisme. Du point de vue des consommateurs de petit volume, les tarifs finaux sont maintenant déterminés par le ministre et les processus de la CEO viennent au second plan.

Ils sont maintenant loin les jours où la politique de l’Ontario consistait à faire payer aux consommateurs ce que l’ancien ministre de l’Énergie Dwight Duncan avait déjà appelé le « prix réel de l’électricité » basé sur une répartition transparente de tout ce qui composait les frais facturés.

Bien que l’insolvabilité d’Ontario Hydro était gérée sans le financement des contribuables, le passage à une électricité financée par les contribuables déjà commencé avec le POFEE peut devenir un fardeau bien plus lourd pour les budgets provinciaux futurs. Seul le temps le dira, mais un amalgame accru des intérêts des usagers et des contribuables peut mener à une intervention politique plus importante dans la prise de décision en lien avec le réseau électrique de l’Ontario que ce ne l’est aujourd’hui.

Maintenant, le coût global de l’électricité pour les foyers, les petites entreprises et les exploitations agricoles est déterminé par un décret ministériel sans aucun processus public défini et sous le prix coûtant, mais avec le problème de trouver comment le principal et les coûts d’intérêt sont maintenant disposés ou laissés de côté pour être déterminés plus tard.

ANNEXE I

Voici les sections où la nouvelle compétence du ministre lui permettant d’établir le tarif de facturation global pour des clients précis est créée :

Consommateurs aux tarifs réglementés : premiers ajustements

7 (1) Malgré l’alinéa 79.16 (1) b) de la Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario, les tarifs d’électricité payables par les consommateurs aux tarifs réglementés pour la période qui commence le 1er juillet 2017 et se termine le 30 avril 2018 sont les tarifs établis par la Commission en application du présent article et conformément aux règlements.

Autres consommateurs déterminés : premiers ajustements

8 (1) Pour la période qui commence le 1er juillet 2017 et se termine le 30 avril 2018, les ajustements effectués en application de l’article 25.33 de la Loi de 1998 sur l’électricité sont, pour les consommateurs déterminés qui ne sont pas des consommateurs aux tarifs réglementés, rajustés de nouveau par les vendeurs d’électricité conformément aux règlements, sous réserve des décisions prises par la Commission conformément aux règlements.

Règlements

(2) Les règlements peuvent prévoir des ajustements différents à effectuer pour des catégories prescrites de consommateurs déterminés qui ne sont pas des consommateurs aux tarifs réglementés, ou prévoir les méthodes d’établissement de ces ajustements.

Ajustements subséquents

11 (1) Malgré l’alinéa 79.16 (1) b) de la Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario et sous réserve du paragraphe (2), le lieutenant-gouverneur en conseil peut prescrire les méthodes que doit appliquer la Commission après le 30 avril 2018 pour décider de ce qui suit :

  1. les tarifs d’électricité des consommateurs aux tarifs réglementés;
  2. les nouveaux ajustements que les vendeurs d’électricité doivent appliquer, conformément aux règlements et aux décisions de la Commission, aux ajustements effectués en application de l’article 25.33 de la Loi de 1998 sur l’électricité à l’égard des consommateurs déterminés qui ne sont pas des consommateurs aux tarifs réglementés.

Règlements

(2) Le lieutenant-gouverneur en conseil doit tenir compte de ce qui suit lorsqu’il prend des règlements :

  1. Les objets de la présente loi.
  2. Les coûts de l’énergie propre pris en charge par les consommateurs déterminés au fil du temps.
  3. Les autres questions prescrites.

(3) Les règlements peuvent prescrire :

  1. des méthodes différentes selon les catégories prescrites de consommateurs déterminés et selon les périodes;
  2. des rajustements différents à appliquer à l’égard de catégories prescrites de consommateurs déterminés qui ne sont pas des consommateurs aux tarifs réglementés et des rajustements différents selon les périodes.

* Tom Adams est conseiller indépendant du secteur de l’énergie et de l’environnement et un chercheur axé sur les préoccupations des consommateurs en matière d’énergie, particulièrement dans l’Est du Canada. Il a travaillé pour plusieurs organisations environnementales et il a siégé au conseil d’administration de la Société d’exploitation du réseau d’électricité de l’Ontario et à celui du Centre d’excellence de l’Ontario pour l’énergie. Il est commentateur dans les médias et chroniqueur invité dans les journaux. Il a publié des articles révisés par des pairs dans plusieurs domaines. Il a témoigné à titre d’expert devant de nombreux comités législatifs et règlementaires au Canada.

  1. Plan ontarien pour des frais d’électricité équitables (Loi de 2017 sur le), LO 2017, c 16, Annexe 1.
  2.  Ibid, art 7.
  3. Bureau du directeur de la responsabilité financière, Analyse des retombées financières du Plan ontarien pour des frais d’électricité équitables, Toronto, FAO,  2017.
  4. Ibid.
  5. Avant la LPOFEE, loi en vigueur à ce moment, comme le reflète le paragraphe 79.16 de la Loi sur la Commission d’énergie de l’Ontario de 1998, LO 1998, c 15, annexe B et O Reg 95/05, et comme il est énoncé dans le Code sur le service d’approvisionnement standard, le manuel de la Grille tarifaire règlementée (GTR) et le Code de règlement au détail de la CEO exigent que la CEO établisse la portion liée au produit des tarifs d’électricité des foyers afin de récupérer le coût complet de l’électricité dans le cadre de ce qu’elle appelle la Grille tarifaire règlementée.
  6. Lettre du ministre de l’Énergie Glenn Thibeault à la présidente de la CEO, Rosemarie Leclair (10 avril), en ligne : <https://www.oeb.ca/newsroom/2017/fair-hydro-act-2017>.
  7. Ministre de l’Énergie de l’Ontario, communiqué de presse, « Déclaration du ministre de l’Énergie sur l’annonce des tarifs d’électricité sous le régime de la grille tarifaire règlementée de la Commission de l’énergie de l’Ontario » (20 avril 2017), en ligne : <https://news.ontario.ca/mei/fr/2017/04/declaration-du-ministre-de-lenergie-sur-lannonce-des-tarifs-delectricite-sous-le-regime-de-la-grille.html>.
  8. O Reg 206/17, art 16.

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